JORF n°0286 du 6 décembre 2025

Décision n°2025-1177 QPC du 5 décembre 2025

(M. APTI G.)

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 octobre 2025 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1409 du 1er octobre 2025), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Apti G. par la SCP Waquet, Farge, Hazan, Féliers, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-1177 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du second alinéa du paragraphe VII de l'article 60 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.
Au vu des textes suivants :

- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;
- la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2023-1057 QPC du 7 juillet 2023 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 17 octobre 2025 ;
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan, Féliers, enregistrées le 21 octobre 2025 ;
- les secondes observations présentées pour le requérant par la SCP Waquet, Farge, Hazan, Féliers, enregistrées le 29 octobre 2025 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Claire Waquet, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Thibault Cayssials, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 25 novembre 2025 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui suit :

  1. Le premier alinéa du paragraphe VII de l'article 60 de la loi du 20 novembre 2023 mentionnée ci-dessus prévoit que les nouvelles dispositions issues de cette loi et relatives aux demandes de relèvement entrent en vigueur le 1er mars 2024. Son second alinéa prévoit :

  2. « Les demandes en relèvement d'une interdiction, d'une déchéance, d'une incapacité ou d'une mesure de publication formées sur le fondement de l'article 702-3 du code de procédure pénale et introduites devant la juridiction compétente avant l'entrée en vigueur prévue au présent VII sont instruites et jugées conformément au code de procédure pénale, dans sa rédaction antérieure à la présente loi ».

  3. Le requérant reproche à ces dispositions de prévoir, pour les demandes de relèvement formées avant le 1er mars 2024, l'application de dispositions du code de procédure pénale dont le Conseil constitutionnel a jugé qu'elles méconnaissaient le principe d'égalité devant la justice dans sa décision du 7 juillet 2023 mentionnée ci-dessus. Selon lui, en n'imposant pas au juge pénal de délai pour statuer sur ces demandes, le législateur aurait ainsi maintenu en vigueur des dispositions déclarées contraires à la Constitution au-delà de la date du 31 mars 2024 fixée par le Conseil constitutionnel pour leur abrogation. Il en résulterait, pour les mêmes motifs que ceux déjà retenus dans cette décision, une méconnaissance du principe d'égalité devant la justice.

  4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.

  5. Les personnes reconnues coupables de certains crimes et délits peuvent être frappées d'une mesure d'interdiction, de déchéance, d'incapacité ou de publication résultant de plein droit de leur condamnation pénale ou prononcée dans le jugement de condamnation à titre de peine complémentaire. Elles peuvent demander le relèvement de telles mesures sur le fondement de l'article 702-1 du code de procédure pénale.

  6. En application du premier alinéa de cet article, dans sa rédaction résultant de la loi du 24 novembre 2009 mentionnée ci-dessus, une demande de relèvement pouvait être présentée à la juridiction qui avait prononcé la condamnation ou, en cas de pluralité de condamnations, à la juridiction qui avait statué en dernier. Lorsque la condamnation avait été prononcée par une cour d'assises, la juridiction compétente pour statuer sur cette demande était la chambre de l'instruction. La seconde phrase du quatrième alinéa de l'article 703 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 4 janvier 1993 mentionnée ci-dessus, prévoyait que la décision de la juridiction pouvait être, selon le cas, frappée d'appel ou déférée à la Cour de cassation.

  7. Les arrêts de la chambre de l'instruction et des juridictions correctionnelles d'appel étant rendus en dernier ressort en application de l'article 567 du code de procédure pénale, il en résultait que, lorsque la mesure dont le relèvement était demandé avait été prononcée par l'une de ces juridictions ou, en cas de pluralité de condamnations, par une telle juridiction statuant en dernier, la personne condamnée portait sa demande devant une juridiction dont la décision était insusceptible d'appel. En revanche, lorsque cette mesure avait été prononcée par une juridiction correctionnelle de première instance ou, en cas de pluralité de condamnations, par une telle juridiction statuant en dernier, la personne condamnée portait sa demande devant une juridiction dont la décision était susceptible d'appel.

  8. Dans sa décision du 7 juillet 2023, le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions procédaient à une distinction injustifiée entre les personnes condamnées qui demandent le relèvement d'une mesure d'interdiction, de déchéance, d'incapacité ou de publication et qu'elles méconnaissaient ainsi le principe d'égalité devant la justice. Il les a en conséquence déclarées contraires à la Constitution en reportant au 31 mars 2024 la date de leur abrogation. Il a également jugé que les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne pouvaient être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

  9. L'article 24 de la loi du 20 novembre 2023 a modifié ces dispositions afin de remédier à leur inconstitutionnalité. Le premier alinéa de l'article 702-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de cette loi, prévoit désormais que, quelle que soit la juridiction ayant prononcé la condamnation, le relèvement d'une mesure d'interdiction, de déchéance, d'incapacité ou de publication peut être demandé au tribunal correctionnel. En vertu de l'article 703 du même code, dans la même rédaction, la décision prise par ce tribunal sur une demande de relèvement peut faire l'objet d'un appel porté devant la chambre des appels correctionnels.

  10. Le paragraphe VII de l'article 60 de la loi du 20 novembre 2023 détermine les conditions d'application dans le temps de ces nouvelles dispositions et fixe leur entrée en vigueur au 1er mars 2024.

  11. A titre transitoire, les dispositions contestées prévoient que les demandes de relèvement d'une mesure d'interdiction, de déchéance, d'incapacité ou de publication présentées avant cette date sont instruites et jugées conformément au code de procédure pénale, dans sa rédaction antérieure à cette loi.

  12. En prévoyant l'application aux demandes de relèvement présentées avant le 1er mars 2024 des règles antérieures prévues par les articles 702-1 et 703 du code de procédure pénale, ces dispositions instaurent une différence de traitement entre les personnes condamnées ayant présenté ces demandes, selon la juridiction ayant prononcé la mesure dont le relèvement est demandé ou, en cas de pluralité de condamnations, selon la juridiction ayant statué en dernier.

  13. Toutefois, en premier lieu, dans sa décision du 7 juillet 2023, le Conseil constitutionnel, après avoir reporté au 31 mars 2024 la date d'abrogation des dispositions qu'il avait déclarées contraires à la Constitution, a également décidé que, jusqu'à cette date, cette déclaration d'inconstitutionnalité ne s'appliquait pas aux instances en cours. Il n'a pas énoncé de règle applicable, à titre transitoire, pendant cette période. Ce faisant, il a laissé au législateur le soin tant de décider des modalités selon lesquelles il y avait lieu de remédier à l'inconstitutionnalité des articles 702-1 et 703 du code de procédure pénale que de déterminer le régime transitoire devant s'appliquer aux demandes de relèvement en cours d'instance à cette échéance.

  14. Dès lors, le législateur pouvait, sans méconnaître l'autorité qui s'attache à la décision du Conseil constitutionnel précitée, prévoir que les demandes de relèvement présentées avant le 1er mars 2024 devaient être instruites et jugées conformément au code de procédure pénale dans sa rédaction antérieure.

  15. En second lieu, d'une part, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu éviter que les juridictions saisies d'une demande de relèvement se déclarent incompétentes pour en connaître en raison de l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions de l'article 702-1 du code de procédure pénale. Ce faisant, il a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice. En organisant ainsi la succession dans le temps de règles relatives à la compétence des juridictions pénales pour connaître d'une demande de relèvement, il n'a pas instauré de discriminations injustifiées entre les justiciables.

  16. D'autre part, les personnes condamnées ayant introduit une demande de relèvement avant le 1er mars 2024 disposent, sur le fondement de l'article 702-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2023, de la possibilité de renouveler leur demande auprès du tribunal correctionnel qui est désormais compétent et dont la décision est susceptible d'appel. Sont ainsi assurées à ces personnes, quelle que soit la juridiction ayant prononcé la mesure dont elles demandent le relèvement, des garanties équivalentes.

  17. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice doit être écarté.

  18. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel décide :

Article 1

Le second alinéa du paragraphe VII de l'article 60 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 est conforme à la Constitution.

Article 2

Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 décembre 2025, où siégeaient : M. Richard FERRAND, Président, M. Philippe BAS, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, François SÉNERS et Mme Laurence VICHNIEVSKY.
Rendu public le 5 décembre 2025.