JORF n°0106 du 8 mai 2018

Décision n°2018-232 du 11 avril 2018

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel,

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment ses articles 44 et 48-1 ;

Vu le décret n° 2009-796 du 23 juin 2009 fixant le cahier des charges de la société nationale de programme France Télévisions, notamment son article 35 ;

Vu le compte rendu de visionnage de l'émission « Envoyé spécial » diffusée par le service de télévision France 2 le 14 décembre 2017 ;

1. Considérant qu'en vertu de l'article 48-1 de la loi du 30 septembre 1986, le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut mettre en demeure la société France Télévisions de respecter les obligations qui lui sont imposées par les textes législatifs et réglementaires, et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 35 du cahier des charges fixé par le décret du 23 juin 2009 : « Dans le respect du droit à l'information, la diffusion d'émissions, d'images, de propos ou de documents relatifs à des procédures judiciaires ou à des faits susceptibles de donner lieu à une information judiciaire nécessite qu'une attention particulière soit apportée d'une part au respect de la présomption d'innocence, c'est-à-dire qu'une personne non encore jugée ne soit pas présentée comme coupable, d'autre part au secret de la vie privée et enfin à l'anonymat des mineurs délinquants. La société veille, dans la présentation des décisions de justice, à ce que ne soient pas commentées les décisions juridictionnelles dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance. Lorsqu'une procédure judiciaire en cours est évoquée à l'antenne, la société doit veiller, dans le traitement global de l'affaire, à ce que : - l'affaire soit traitée avec mesure, rigueur et honnêteté ; - le traitement de l'affaire ne constitue pas une entrave caractérisée à cette procédure ; - le pluralisme soit assuré par la présentation des différentes thèses en présence, en veillant notamment à ce que les parties en cause ou leurs représentants soient mis en mesure de faire connaître leur point de vue. » ;

3. Considérant qu'il ressort du compte rendu visé ci-dessus que, au cours de l'émission « Envoyé spécial » du 14 décembre 2017, le service France 2 a diffusé un sujet dédié aux femmes qui, victimes de viols ou d'agressions sexuelles de la part d'un supérieur hiérarchique, portent plainte ; que ce sujet était illustré en particulier par un reportage très majoritairement consacré à une femme qui, accusant un homme politique de faits de viol en réunion, était partie civile à un procès d'assises largement médiatisé, alors en cours ; que, quand bien même la présomption d'innocence dont bénéficie l'accusé n'a pas été expressément remise en cause, le crédit accordé à la partie civile, les déclarations des témoins interrogés et les commentaires hors champ concourent à l'établissement d'un reportage déséquilibré, essentiellement centré sur les charges retenues contre l'accusé, traduisant un défaut de mesure dans l'évocation d'une procédure judiciaire criminelle en cours constitutif d'un manquement aux dispositions précitées de l'article 35 du cahier des charges de la société France Télévisons ;

4. Considérant au surplus que ce reportage a été diffusé seulement quelques heures après l'audience de la partie civile concernée et avant que le jury ne délibère, alors qu'il incombe à la société nationale de programme France Télévisions, de par les missions de service public qui lui sont confiées, de faire preuve d'une vigilance accrue dans le traitement des procédures judiciaires, a fortiori se déroulant devant une cour d'assises ;

Après en avoir délibéré,

Décide :

Article 1

La société France Télévisions est mise en demeure, en ce qui concerne le service de télévision France 2, de respecter, à l'avenir, les dispositions précitées de l'article 35 de son cahier des charges fixé par le décret du 23 juin 2009.

Article 2

La présente décision sera notifiée à la société France Télévisions et publiée au Journal officiel de la République française.

Fait à Paris, le 11 avril 2018.

Pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel :

Le président,

N. Curien