L'Autorité de régulation des activités ferroviaires,
Vu la directive 2001/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2001 concernant la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire, la tarification de l'infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité ;
Vu le code des transports, notamment son article L. 2134-2 ;
Vu le règlement intérieur de l'Autorité ;
Vu la demande de règlement d'un différend, enregistrée le 23 février 2011, présentée par la société Euro Cargo Rail, société par actions simplifiée au capital de 42 738 984 €, dont le siège social est situé 25-29, place de la Madeleine, 75008 Paris, représentée par son directeur général délégué, M. Emmanuel Delachambre.
Dans cette saisine, la société Euro Cargo Rail (« ECR ») demande à l'Autorité, au fond, d'enjoindre, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard :
1° A la Société nationale des chemins de fer (ci-après « SNCF ») d'arrêter immédiatement les actes de malveillance et d'entrave à l'activité d'ECR en gare de Cerbère ;
2° A Réseau ferré de France (« RFF ») de prendre, sans délai, toutes les mesures nécessaires au transfert de la gestion du « poste T » de Cerbère à la direction de la circulation ferroviaire de la SNCF ;
3° A RFF de procéder à une répartition des voies en gare de Cerbère en fonction des volumes opérés par les entreprises ferroviaires.
ECR indique faire l'objet de diverses pratiques d'entrave et de malveillance, d'une part, l'arrêt sans préavis de certaines prestations par la SNCF, d'autre part, des dégradations sur divers équipements ainsi que des menaces et des insultes envers son personnel.
ECR indique, dans sa saisine, contester la répartition des compétences entre la SNCF et RFF, notamment la situation par laquelle certaines manœuvres sont opérées par du personnel de son concurrent SNCF Fret et non par du personnel appartenant à la direction de la circulation ferroviaire (« DCF ») de la SNCF, en contradiction avec les articles L. 2123-4 et suivants du code des transports. Elle rapporte avoir adressé deux courriers à RFF et à la DCF demandant toutes les mesures nécessaires au transfert de la gestion du poste de chef de régie de Cerbère.
ECR indique avoir demandé par différents courriers une répartition des voies en fonction des volumes opérés par les entreprises ferroviaires (« EF ») et rapporte qu'une réunion doit avoir lieu le 23 février suivant, à Perpignan, sur cette question ;
Vu les observations en défense de la SNCF, enregistrées le 11 mars 2011 :
Sur les actes de malveillance, la SNCF demande que les conclusions d'ECR soient rejetées. Elle soutient qu'ils ne lui sont pas imputables ou sont insuffisamment caractérisés.
Sur la répartition des compétences entre la SNCF et RFF, la SNCF demande, d'une part, que le principe du transfert de la mission d'organisation de la concomitance d'exploitation entre plusieurs EF à RFF soit réaffirmé par l'Autorité, et, d'autre part, que l'Autorité ordonne les mesures permettant que ce transfert soit effectif le 1er avril 2011. A titre incident, la SNCF demande à l'Autorité de bien vouloir préciser les règles de rémunération des prestations assurées par Fret SNCF pendant la période antérieure au transfert. Elle soutient que la gestion du trafic et des circulations revient à RFF, mais que le chef de régie, agent relevant de Fret SNCF, exerce à titre résiduel l'organisation de la concomitance d'exploitation, une situation qui a pu lui porter préjudice ;
Vu les observations en défense de RFF, enregistrées le 11 mars 2011 :
Sur la répartition des compétences entre la SNCF et RFF, RFF confirme que les missions de gestion opérationnelle de la capacité des voies de services nécessaires aux manœuvres et à la formation des trains sur le site de Cerbère, à l'exclusion des missions relevant des EF, doivent être assurées par un agent relevant de l'autorité de la DCF agissant pour le compte de RFF, mais souligne que la consistance précise de ces missions doit résulter d'une étude en cours de réalisation par la DCF.
Sur la répartition des voies en fonction des volumes opérés par les EF, RFF demande de rejeter la demande d'ECR. RFF soutient que cette demande est, d'une part, prématurée, ce point faisant également l'objet de l'étude en cours, et, d'autre part, infondée en fait, au regard de la nécessité de préserver la bonne gestion des capacités au profit de l'ensemble des EF. Enfin accessoirement, elle serait infondée car ECR ne démontrerait pas un traitement inéquitable ou une discrimination ou tout autre préjudice lié à l'accès ;
Vu les nouvelles observations d'ECR, enregistrées le 18 mars 2011 :
Sur les actes de malveillance et d'entraves, ECR relève à tout le moins l'existence de tensions et indique qu'elle déposera plainte si de nouveaux actes ont lieu.
Sur la répartition des compétences entre la SNCF et RFF, ECR maintient sa demande de transfert et demande qu'il soit effectif au 1er avril 2011.
Sur la répartition des voies en fonction des volumes opérés par les EF, ECR indique maintenir sa demande et apporte des éléments chiffrés de trafic et de durée. ECR indique maintenir une demande faite en réunion du 5 janvier 2011 et renouvelée en réunion du 23 février, tendant à l'obtention de deux voies supplémentaires. Sur le bien-fondé de sa demande, ECR oppose à RFF qu'elle a des difficultés à manœuvrer et former ses trains et pressent une priorité donnée aux trains Fret SNCF ;
Vu les nouvelles observations en défense de RFF, enregistrées le 25 mars 2011 :
Sur la répartition des compétences entre la SNCF et RFF, RFF demande à l'Autorité de conclure au non-lieu à statuer sur cette demande. RFF fait part de sa décision de demander à la DCF d'assurer, à compter du 1er avril, les missions d'organisation de la concomitance d'activité du site de Cerbère, afin de garantir la continuité d'exploitation jusqu'à la mise en place de la future organisation devant être présentée aux parties le 6 avril 2011 sur la base de l'étude de la DCF alors en cours.
Sur la répartition des voies en fonction des volumes opérés par les EF, RFF demande de rejeter les prétentions d'ECR, s'en remettant aux résultats de l'étude menée par la DCF alors en cours. RFF souligne qu'ECR apporte dans ses nouvelles observations des éléments chiffrés précis sur ses trafics, sans pour autant les justifier. RFF s'interroge sur les besoins d'ECR, leur relève un caractère fluctuant et imprécis et s'interroge sur ses possibilités de les satisfaire ;
Vu les nouvelles observations en défense de la SNCF, enregistrées le 25 mars 2011 :
Sur les actes de malveillance, la SNCF renouvelle ses conclusions et moyens de rejet. Sur la répartition des compétences, la SNCF renouvelle ses demandes antérieure et formule, à titre incident, une demande de transfert étendue au commandement unique marchandise (MUM) de Port-Bou, à compter du 1er avril. Sur la répartition des voies en fonction des volumes opérés par les EF, la SNCF expose divers arguments plaidant pour une gestion dynamique du site et conteste les demandes et arguments d'ECR ;
Vu le courrier de RFF, enregistré le 6 avril 2011qui transmet le rapport d'étude de la DCF sur l'organisation et la gestion de la concomitance d'activité sur le complexe ferroviaire de Cerbère, qui conclut, d'une part, au rejet de la gestion par blocs et, d'autre part, à la mise en place d'une gestion par un agent dédié, pour une période d'expérimentation de trois mois ;
Vu le courrier d'ECR, enregistré le 11 avril 2011, qui transmet, d'une part, un procès-verbal de dépôt d'une plainte, le 7 avril 2011, auprès du commissariat de police de Perpignan, pour des faits susceptibles de recevoir la qualification de dégradation volontaire de biens privés (systèmes de freinage « vide/chargé » inversés, wagons dételés, robinets à air de freinage fermés, etc.) et, d'autre part, deux procès-verbaux d'audition de témoins, le 6 avril 2011, à la gendarmerie de Banyuls-sur-Mer, rapportant le témoignage, par deux agents d'ECR, de menaces et insultes à leur encontre par des agents Fret SNCF ;
Vu le courrier d'ECR enregistré le 18 avril 2011, qui transmet des procès-verbaux de constats d'huissiers liés à une « opération escargot » de Fret SNCF, d'une part, et à des inscriptions insultantes envers un de ses agents, d'autre part ;
Vu le courrier de RFF, enregistré le 19 avril 2011, qui transmet le compte-rendu de la réunion du 6 avril 2011 entre les parties sur l'étude de la DCF, explicite les mesures de sa mise en œuvre, fait état d'une amélioration des relations entre la DCF/EIC et ECR et rapporte un incident dû à un train ECR ;
Vu les observations complémentaires de la SNCF, enregistrées le 22 avril 2011, qui renouvelle ses précédentes demandes, demande à l'Autorité de lui donner acte du désistement du surplus de précédentes conclusions (Port-Bou, règles de rémunération), fait état, d'une part, de mesures prises pour remédier aux incidents entre ses agents et ceux d'ECR (consignes, enquête interne) et, d'autre part, de perturbations sur le site du fait d'un train d'ECR (rapport d'incident) ainsi que d'actes de malveillance de la part d'ECR (dépôt de plainte) ;
Vu le rapport d'instruction ;
Sur la publicité de l'audience, ECR et RFF ayant indiqué ne pas s'opposer à ce que l'audience soit publique, la SNCF ayant demandé que l'audience ne soit pas publique, le collège a délibéré que l'audience ne serait pas publique.
Après avoir entendu, lors de l'audience du 3 mai 2011 :
― le rapport de M. Alexandre Beaudouin, rapporteur, présentant les demandes et moyens des parties ;
― les observations de M. Emmanuel Delachambre, Mme Agnès Bardel et M. Christian Costa, pour la société ECR ;
― les observations de M. Thierry Marduel, M. Matthieu Allard, M. Stéphane Derlincourt, assistés de Me Marc Senac de Monsembernard, pour la SNCF ;
― les observations de M. Jean-Louis Rohou, M. Jean-François Ducoing, M. Patrice Laurent, pour RFF, accompagnés de M. Jean-Luc Garcette, de la DCF SNCF,
en présence de M. Michel Vermeulen, secrétaire général, Mme Béatrice Cosperec, directeur des affaires juridiques, MM. Beaudouin et Cojan, rapporteurs, M. Wernert, M. Rondel, pour l'Autorité.
Le collège en ayant délibéré le 3 mai 2011, hors la présence des rapporteurs, du secrétaire général et des agents de l'Autorité (hors ceux désignés conformément au règlement intérieur pour assurer le secrétariat du délibéré), adopte la décision sur les motifs de fait et de droit ci-après exposés :