L'Autorité de régulation des télécommunications,
Vu la directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l'accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu'à leur interconnexion (directive « Accès ») ;
Vu la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « Cadre ») ;
Vu les lignes directrices 2002/C 165/03 de la Commission des Communautés européennes du 11 juillet 2002 sur l'analyse du marché et l'évaluation de la puissance sur le marché en application du cadre réglementaire communautaire pour les réseaux et les services de communications électroniques ;
Vu la recommandation C(2003)497 de la Commission des Communautés européennes du 11 février 2003 concernant les marchés pertinents de produits et de services dans le secteur des communications électroniques susceptibles d'être soumis à une réglementation ex ante conformément à la directive « Cadre » (recommandation « marchés pertinents ») ;
Vu la recommandation C(2003)2647 de la Commission des Communautés européennes du 23 juillet 2003 concernant les notifications, délais et consultations prévus par l'article 7 de la directive « Cadre » (recommandation « notification ») ;
Vu la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle ;
Vu le code des postes et des communications électroniques (CPCE), et notamment ses articles L. 36-7, L. 37-1 et D. 301 à D. 315 ;
Vu la décision n° 2001-458 de l'Autorité de régulation des télécommunications, en date du 11 mai 2001, portant adoption de lignes directrices relatives aux conditions tarifaires d'interconnexion des opérateurs mobiles puissants sur le marché national de l'interconnexion ;
Vu la décision n° 2001-907 de l'Autorité de régulation des télécommunications, en date du 24 juillet 2003, établissant pour 2004 les listes des opérateurs exerçant une influence significative sur le marché des télécommunications ;
Vu la consultation publique préliminaire de l'Autorité relative à l'analyse du marché de gros de la terminaison d'appel sur les réseaux mobiles, lancée le 16 avril 2004 et clôturée le 28 mai 2004 ;
Vu les réponses à la consultation susvisée ;
Vu la demande d'avis au Conseil de la concurrence, en date du 23 juin 2004 ;
Vu l'avis du Conseil de la concurrence, en date du 14 octobre 2004 ;
Vu la consultation publique de l'Autorité relative à l'analyse du marché de gros de la terminaison d'appel sur les réseaux mobiles d'outre-mer, lancée le 8 décembre 2004 et clôturée le 21 janvier 2005, conduite en application de l'article L. 32-1-III du code des postes et des communications électroniques et de l'article 6 de la directive 2002/21/CE ;
Vu les réponses à cette consultation publique ;
Vu la notification relative à l'analyse des marchés de gros de la terminaison d'appel sur les réseaux mobiles à la Commission européenne et aux autorités réglementaires nationales de la Communauté européenne en date du 7 décembre 2004 ;
Vu les observations de la Commission européenne en date du 19 janvier 2005 ;
Vu la décision n° 2005-0111 de l'Autorité, en date du 1er février 2005, relative à la détermination des marchés pertinents concernant la terminaison d'appel vocal sur les réseaux mobiles d'outre-mer (décision « définition de marché ») ;
Considérant :
Comme il sera démontré dans cette analyse, l'Autorité estime qu'Orange Réunion doit être réputé exercer une influence significative sur le marché de la terminaison d'appel vocal sur son réseau à destination de ses clients (partie I). Cette situation engendre des obstacles au développement de la concurrence susceptibles d'avoir des conséquences négatives au regard des objectifs poursuivis par l'Autorité conformément au cadre réglementaire, et il est donc nécessaire d'imposer à Orange Réunion certaines obligations (parties II, III et IV).
I. - PUISSANCE DE MARCHÉ D'ORANGE RÉUNION
L'analyse de l'influence significative sur un marché se fonde sur des principes généraux (I-1), l'étude du comportement des acheteurs et des consommateurs (I-2), l'analyse du comportement tarifaire des opérateurs mobiles (I-3) et l'évolution prévisible du marché (I-4). L'analyse de l'Autorité prend en compte l'avis du Conseil de la concurrence (I-5) et les observations des autres autorités réglementaires nationales et de la Commission européenne (I-6). Il est conclu qu'Orange Réunion est réputé exercer une influence significative sur le marché considéré (I-7).
I-1. Principes de la détermination
d'une influence significative sur un marché
I-1.1. Principes généraux
Aux termes de l'article L. 37-1 du code des postes et des communications électroniques, « est réputé exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques tout opérateur qui, pris individuellement ou conjointement avec d'autres, se trouve dans une position équivalente à une position dominante lui permettant de se comporter de manière indépendante vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs ».
En application des principes issus de la jurisprudence tels que rappelés dans les lignes directrices susvisées, la part de marché d'une entreprise constitue un critère essentiel, bien que non exclusif. En effet, la jurisprudence considère que la présence de parts de marché élevées - supérieures à 50 % - permet, sauf circonstances exceptionnelles, d'établir l'existence d'une position dominante. Par ailleurs, l'évolution des parts de marché respectives de l'entreprise et de ses concurrents, sur une période de temps appropriée, constitue un facteur complémentaire.
Les parts de marché peuvent être évaluées sur la base des volumes ou des chiffres d'affaires, l'indicateur le plus pertinent devant être défini en fonction des caractéristiques de chaque marché.
Le critère de la part de marché ne saurait toutefois suffire à établir l'existence d'une position dominante. En application de la jurisprudence et des lignes directrices de la Commission sur l'analyse du marché, d'autres indices de nature plus qualitative sont à prendre en compte dans l'analyse, tels que, notamment :
- la taille de l'entreprise ;
- le contrôle d'une infrastructure qu'il n'est pas facile de dupliquer ;
- l'avancée ou la supériorité technologique ;
- l'absence ou la faible présence de contre-pouvoir des acheteurs ;
- la diversification des produits ou des services ;
- l'intégration verticale de l'entreprise ;
- l'existence d'un réseau de distribution et de vente très développé ;
- l'absence de concurrence potentielle ;
- l'existence d'une concurrence par les prix ;
- d'autres critères tels que l'accès privilégié aux marchés des capitaux ou la présence d'économies de gamme ou d'échelle.
L'Autorité s'est efforcée de mettre en oeuvre, parmi ces critères, ceux apparaissant comme les plus appropriés à la désignation des opérateurs puissants dans le cadre du marché concerné par la présente analyse.
I-1.2. Application des principes généraux
aux marchés de gros de la terminaison d'appel
Dans la décision « définition de marché » susvisée, il a été indiqué que le marché pertinent considéré était le marché des prestations de terminaison d'appel vocal sur chaque réseau individuel à destination des clients de l'opérateur mobile, quelle que soit l'origine de l'appel (fixe ou mobile, nationale ou internationale), et quelle que soit la technologie utilisée pour produire cette prestation (GSM ou UMTS). Les appels par le biais de hérissons utilisant une carte SIM de cet opérateur, à destination de cet opérateur, ont été inclus dans le marché. L'Autorité examine l'existence d'une éventuelle influence significative individuelle de chaque opérateur sur ce marché de la terminaison vocale ainsi défini.
Chaque opérateur dispose de 100 % de parts de marché sur le marché de la terminaison vocale sur son propre réseau. En effet, les opérateurs de départ ont à leur disposition uniquement deux types de prestations, toutes deux offertes directement par l'opérateur mobile de terminaison (offre d'interconnexion et hérissons)
Outre le fait que chaque opérateur dispose de 100 % de parts de marché, il est techniquement impossible pour un nouvel entrant de rentrer sur l'un de ces marchés (un opérateur ne peut pas proposer d'offre concurrente à celle de l'opérateur mobile pour terminer du trafic vocal sur le réseau de cet opérateur mobile). Ces deux éléments sont soulignés par les lignes directrices de la Commission européenne comme des indicateurs importants d'une présomption d'influence significative sur le marché.
Il n'en reste pas moins qu'une part de marché de 100 % et une absence de concurrence potentielle déjà évoquées précédemment ne sauraient être suffisantes pour qualifier le degré d'influence significative. Il est nécessaire, conformément aux lignes directrices, de procéder à une analyse approfondie des caractéristiques économiques du marché pertinent.
L'évaluation du pouvoir d'achat compensateur dont pourrait bénéficier l'opérateur acheteur ou le consommateur est un élément important qui permet de caractériser le degré d'influence significative de l'opérateur et de comprendre si ce dernier peut effectivement agir indépendamment de la demande et des concurrents. Cette capacité d'agir indépendamment des autres peut être confirmée par l'examen des prix pratiqués par le passé, et notamment par la possibilité de s'écarter durablement de prix correspondant à une rentabilité raisonnable.
I-2. Comportement des acheteurs et des consommateurs
Outre la circonstance qu'Orange Réunion dispose d'une part de marché de 100 % sur un marché où la concurrence potentielle est a priori nulle, comme l'a montré l'analyse précédente, il est nécessaire d'analyser si cet opérateur peut agir, dans une mesure appréciable, indépendamment des acheteurs de terminaison d'appel.
Le contre-pouvoir s'évalue, d'une part, par la capacité et l'intérêt qu'ont les acheteurs de terminaison sur le marché de gros à s'opposer à une hausse de la charge de terminaison d'appel et, d'autre part, par l'influence du comportement des consommateurs.
Il convient d'examiner, en premier lieu, s'il peut exister un pouvoir d'achat compensateur de la part des clients sur le marché de gros. Les principaux clients d'Orange Réunion, en parts de marché, sont France Télécom et SRR. On note en effet qu'en 2002, 43 % du volume vendu de terminaison d'appel vocal en France a été acheté par des opérateurs fixes français et 52 % par des opérateurs mobiles français (source : ART, Enquête annuelle 2002). Or, à la même date, d'une part, France Télécom détenait plus de 70 % de parts de marché des appels fixe vers mobile en France (et le second opérateur moins de 10 %) et, d'autre part, SRR détenait au 30 juin 2004, 72 % du parc mobile à la Réunion (et Orange Réunion, les 28 % restants).
De la part de ces opérateurs, un pouvoir d'achat compensateur pourrait hypothétiquement s'exercer sur Orange Réunion, par le biais :
a) du refus par un opérateur d'acheter la prestation de terminaison d'appel d'Orange Réunion, privant ainsi ses abonnés de la faculté de joindre ceux de ce dernier ;
b) d'un prix de détail pour les appels destinés à Orange Réunion excessivement élevé, de façon à assécher le trafic entrant de ce dernier ou à le faire apparaître comme un « réseau cher » (en représailles).
Toutefois, il est difficile d'envisager que France Télécom, maison mère du groupe Orange, agisse de la sorte, à l'encontre des intérêts d'Orange Réunion.
Le fait, pour SRR, de restreindre son service aux appels destinés à des lignes fixes ou à ses propres abonnés induirait, de façon très crédible, une marginalisation par effet club d'Orange Réunion, dont la part de marché, en termes de parc, est déjà limitée à 28 %, contre 72 % pour SRR. Il semble donc que ce dernier ne puisse mettre en oeuvre une telle pratique sans exploiter abusivement sa position dominante au détail, ce qui exclut l'hypothèse a.
Pour être efficaces, les représailles envisagées en b supposent quant à elles une certaine réactivité de la demande, ce qui n'est pas nécessairement le cas.
Au surplus, le Conseil de la concurrence a estimé, dans un avis n° 2001-A-01 du 16 mars 2001 portant sur la tarification par France Télécom des communications téléphoniques au départ de son réseau vers des réseaux tiers, que « la possibilité qui serait laissée à France Télécom de pratiquer des tarifs différents [sur le trafic fixe vers mobile] reviendrait donc, pour l'essentiel, à l'autoriser à répercuter, en tout ou partie, les différences entre les charges de terminaison factuées par les différents opérateurs mobiles. Cette faculté de différencier ses tarifs demeurerait toutefois soumise aux exigences du droit de la concurrence, et notamment à l'obligation pour une entreprise en position dominante de ne pas pratiquer de tarifs discriminatoires. En revanche, le fait de différencier les tarifs en fonction des coûts d'interconnexion différents imposés par les différents opérateurs mobiles n'apparaît pas contraire au droit de la concurrence. »
S'agissant plus particulièrement du trafic mobile vers mobile, le conseil a ajouté, dans sa décision n° 2002-D-69 du 26 novembre 2002 relative aux saisines et aux demandes de mesures conservatoires présentées par la société Bouygues Telecom, l'Union fédérale des consommateurs-Que choisir et la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie, que « pour un opérateur en position dominante, le fait de pratiquer des différences de prix non justifiées par des différences de coût de revient des services, et qui pourraient donc être discriminatoires, est susceptible de constituer un abus si cette pratique a pour objet ou peut avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché concerné. » Au cas d'espèce, le conseil n'avait pas exclu que tel puisse être le cas de la pratique de différenciation tarifaire mise en oeuvre par Orange France entre les appels on-net et off-net, laquelle lui paraissait « de nature à limiter l'interopérabilité des réseaux et donc à favoriser le plus grand des parcs, les clients valorisant la possibilité d'appeler et d'être appelés par le plus grand nombre possible de correspondants. Cet effet devrait être d'autant plus important qu'Orange France détient une part de marché beaucoup plus élevée que celle de chacun de ses deux concurrents. »
Il résulte de ces éléments qu'un opérateur tel que SRR pourrait difficilement pratiquer un prix de détail pour le trafic destiné aux abonnés d'Orange Réunion artificiellement élevé sans exploiter abusivement sa position dominante au détail.
L'analyse des évolutions des tarifs outre-mer confirme largement l'absence de tout pouvoir d'achat compensateur de la part des opérateurs présents (cf. I-3).
En second lieu, une pression concurrentielle pourrait également s'exercer par d'éventuels effets de substitution sur les marchés de détail sous-jacents. Si les clients des appels fixe vers mobile ou mobile vers mobile avaient pu utiliser des services de substitution en réponse à une hausse des prix, une hausse de la terminaison d'appel ne se serait pas alors traduite nécessairement par une rentabilité accrue pour l'opérateur mobile concerné. L'analyse de la substituabilité des produits effectuée lors de la définition du marché a montré que l'effet d'une telle substitution était limité et que les opérateurs mobiles n'étaient pas incités à pratiquer des tarifs modérés.
I-3. Comportement tarifaire des opérateurs mobiles
I-3.1. Evolutions des tarifs dans l'outre-mer
Les prix moyens présentés dans cette partie sont les prix calculés à partir des tarifs des opérateurs mobiles et de la statistique d'appels définie dans les décisions n° 2001-970 et n° 2001-971 de l'Autorité portant sur le niveau de la charge de terminaison d'appel sur le réseau d'Orange France et de SFR.
Figure 1 : estimation de l'évolution du prix moyen
de la terminaison d'appel dans l'outre-mer (en EUR/min)
I-3.2. Une évolution des prix
confirmant l'absence de pouvoir d'achat compensateur
Depuis le 1er janvier 2003, conformément à la décision n° 2002-1191 de l'Autorité en date du 12 décembre 2002, Orange Caraïbe et SRR doivent orienter leurs tarifs d'interconnexion vers les coûts. Pourtant, depuis lors, un seul mouvement de baisse a été constaté, en janvier 2004, de l'ordre de 10 % pour Orange Caraïbe et de l'ordre de 14 % pour SRR. Les autres opérateurs mobiles, dont Orange Réunion, ont quant à eux maintenu leurs tarifs, malgré la baisse d'Orange Caraïbe et SRR.
Les niveaux de charge de terminaison d'appel vocal restent significativement supérieurs à ceux de la métropole : le niveau le moins élevé outre-mer (SRR) étant 34 % supérieur à celui du plus élevé métropolitain (Bouygues Telecom).
Orange Caraïbe, Bouygues Telecom Caraïbe, SRR et Orange Réunion ont, dans leur réponse à la consultation publique, indiqué qu'ils subissaient des coûts supplémentaires à ceux des opérateurs de métropole. Ceux-ci auraient trois principales sources : l'éloignement de la métropole, les intempéries et la taille des marchés. Concernant la zone Antilles-Guyane, il a aussi été indiqué que l'exploitation d'un réseau sur des territoires non contigus était un facteur de coût supplémentaire.
L'Autorité estime qu'en effet il peut exister des facteurs de coûts supplémentaires à ceux de la métropole. Néanmoins, il existe aussi des facteurs de réduction de coûts. Ainsi, les parts de marché en parc d'abonnés d'Orange Caraïbe (83 %) et de SRR (72 %) sont très nettement supérieures à celles des opérateurs mobiles de métropole (Orange France détient 50 % de parts de marché).
Ces éléments sont confirmés par les niveaux de coûts fournis par Orange Caraïbe et SRR pour l'année 2002 qui ne sont que légèrement supérieurs à ceux estimés pour Orange France et SFR pour la même année.
S'agissant d'Orange Réunion, Bouygues Telecom Caraïbe, SMM, Dauphin Telecom et SPM Télécom, les modélisations réalisées conduisent l'Autorité à considérer que les tarifs de terminaison d'appel pratiqués sont sensiblement supérieurs aux coûts de référence définis en IV-1.
L'Autorité en conclut qu'il existait pour chacun des opérateurs des marges réelles de baisse.
L'ART considère qu'en l'absence de régulation de la charge de terminaison d'appel Orange Réunion est en mesure d'agir indépendamment des acheteurs sur le marché de la terminaison d'appel vocal sur son réseau. Le système dans lequel le client de détail d'Orange Réunion n'est pas facturé pour les appels qu'il reçoit n'introduit quasiment aucune pression concurrentielle sur le prix de la terminaison d'appel vocal facturé par Orange Réunion à un opérateur tiers.
I-4. Evolution prévisible de la situation concurrentielle
Les obstacles au développement d'une concurrence effective sur le marché de la terminaison d'appel mobile sont structurels et ne sont donc pas susceptibles d'évoluer a priori sur l'horizon de la période d'analyse (2005-2007).
L'Autorité estime que la faible élasticité de la demande de services téléphoniques par rapport au prix des appels entrants n'évoluera pas dans une proportion susceptible de créer une pression concurrentielle significative sur les charges de terminaison d'appel.
L'Autorité observera néanmoins avec attention le fonctionnement du marché et anticipera le prochain exercice d'analyse du marché si cette analyse prospective ne se vérifiait pas.
I-5. Avis du Conseil de la concurrence
Dans son avis n° 2004-A-17 en date du 14 octobre 2004, le conseil soutient l'analyse développée par l'Autorité :
« Comme le conseil l'a constaté pour la métropole, la terminaison d'appel sur le réseau de chaque opérateur mobile [outre-mer] constitue un marché distinct. Les opérateurs mobiles sont donc détenteurs d'une infrastructure incontournable, ce qui est un élément allant dans le sens de l'exercice d'une influence significative de chaque opérateur sur le marché de gros de la TA vocale sur son réseau. Toutefois, des éléments spécifiques aux sociétés opérant dans ces départements ou aux marchés concernés pourraient remettre en cause l'exercice effectif de ce pouvoir de marché.
« Seuls deux opérateurs de téléphonie mobile sont présents sur la zone géographique Réunion-Mayotte : SRR (filiale de SFR), avec 74 % du marché de détail, et Orange Réunion (filiale d'Orange France), avec 26 %. Cette répartition du marché est stable ainsi que le niveau de la CTA depuis au moins deux ans.
« SRR a obtenu une licence dès 1995. Sa forte part de marché, sa position de premier arrivant et l'effet de "club qui en résulte sont des éléments de nature à confirmer que, comme la présomption en a été faite de façon générale, SRR exerce une influence significative sur le marché de gros de la TA sur son propre réseau.
« Orange Réunion n'a obtenu une licence qu'en 2001 et a une base de clientèle essentiellement constituée de cartes prépayées, donc plus fragile. Compte tenu de son appartenance au groupe France Télécom, ces éléments ne sont cependant pas de nature à remettre en cause son influence significative sur le marché de gros de la TA vocales sur son propre réseau.
« Le Conseil de la concurrence est donc d'avis que seul Orange Réunion et SRR exercent une puissance significative sur le marché de la TA vocale sur leur réseau dans la zone Réunion-Mayotte. »
I-6. Observations des autorités réglementaires nationales
et de la Commission européenne
Aucune autorité réglementaire nationale n'a transmis d'observation à l'ART.
La Commission européenne a transmis le 19 janvier 2005 ses observations :
« La Commission a examiné la notification et formule les observations suivantes :
« (1) Définition de marché et "hérissons
« Bien qu'il subsiste des doutes sur l'inclusion de la terminaison des appels fixe vers mobile par le biais des "hérissons (le cas échéant) dans le marché pertinent, son exclusion de la définition de marché dans ce cas particulier n'aurait pas conduit à un résultat différent de l'analyse PSM. Par conséquent, la Commission considère qu'une conclusion sur la délimitation exacte du marché de produits n'a pas d'impact dans le cas présent pour les besoins de l'examen PSM.
« (2) Obligations de séparation comptable
et de contrôle des prix
« La Commission rappelle à l'ART que les décision précisant les modalités de l'obligation de séparation comptable et de la comptabilisation des coûts doivent être notifiées conformément à l'article 7, paragraphe 3, de la directive "Cadre. »
La Commission européenne conclut que :
« Conformément à l'article 7, paragraphe 5, de la directive "Cadre, l'ART doit tenir le plus grand compte des observations formulées par les autres ARN et par la Commission, peut adopter le projet de mesure final et, le cas échéant, le communiquer à la Commission. »
I-7. Conclusion pour Orange Réunion
En conséquence de l'analyse présentée, l'Autorité considère qu'Orange Réunion doit être réputé exercer une influence significative sur le marché pertinent de gros de terminaison d'appel vocal sur son réseau à destination de ses clients.
II. - OBJECTIFS DE L'ACTION RÉGLEMENTAIRE,
INFLUENCE SIGNIFICATIVE ET OBLIGATIONS IMPOSÉES
L'imposition d'obligations ex ante, prévue à l'article L. 38 du code des postes et des communications électroniques, doit être motivée et proportionnée au regard des objectifs de l'action réglementaire listés à l'article L. 32-1 du code (II-1). Ces obligations ne doivent être imposées que sur la seule terminaison d'appel vocal « directe » et non sur les hérissons (II-2) pour remédier aux obstacles au bon fonctionnement du marché découlant de la capacité d'Orange Réunion à exercer une influence significative sur ce marché (II-3).
II-1. Principes généraux
La finalité de la conduite des analyses de marchés est d'identifier les marchés pertinents, les opérateurs réputés exercer une influence significative sur un de ces marchés et de déterminer les obligations spécifiques qui doivent être imposées de manière motivée et proportionnée au regard des objectifs de l'action réglementaire. Concrètement, il peut s'agir soit d'imposer de nouvelles obligations, soit de maintenir les obligations qui existent déjà, soit de procéder à leur levée si la situation concurrentielle le justifie.
II-1.1. Objectifs de l'ART
L'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques précise les objectifs qui doivent guider l'action générale de l'ART et donc en particulier son intervention dans le cadre des analyses de marché :
« Dans le cadre de leurs attributions respectives, le ministre chargé des communications électroniques et l'Autorité de régulation des télécommunications prennent, dans des conditions objectives et transparentes, des mesures raisonnables et proportionnées aux objectifs poursuivis et veillent :
- A la fourniture et au financement de l'ensemble des composantes du service public des communications électroniques.
- A l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques.
- Au développement de l'emploi, de l'investissement efficace dans les infrastructures, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques.
- A la définition de conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence.
- Au respect par les opérateurs de communications électroniques du secret des correspondances et du principe de neutralité au regard du contenu des messages transmis, ainsi que de la protection des données à caractère personnel.
- Au respect, par les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques, de l'ordre public et des obligations de défense et de sécurité publique.
- A la prise en compte de l'intérêt des territoires et des utilisateurs, notamment handicapés, dans l'accès aux services et aux équipements.
- Au développement de l'utilisation partagée entre opérateurs des installations mentionnées aux articles L. 47 et L. 48.
- A l'absence de discrimination, dans des circonstances analogues, dans le traitement des opérateurs.
- A la mise en place et au développement de réseaux et de services et à l'interopérabilité des services au niveau européen.
- A l'utilisation et à la gestion efficaces des fréquences radioélectriques et des ressources de numérotation.
- A un niveau élevé de protection des consommateurs, grâce notamment à la fourniture d'informations claires, notamment par la transparence des tarifs et des conditions d'utilisation des services de communications électroniques accessibles au public.
- Au respect de la plus grande neutralité possible, d'un point de vue technologique, des mesures qu'ils prennent.
- A l'intégrité et la sécurité des réseaux de communications électroniques ouverts au public. »
II-1.2. Principales obligations
Les principales obligations spécifiques prévues par la directive « Accès » susvisée et l'article L. 38 du code des postes et des communications électroniques sont les suivantes :
- obligation relative à l'accès à des ressources de réseau spécifiques et à leur utilisation ;
- obligation de non-discrimination ;
- obligation de transparence, y compris l'obligation d'établir une offre de référence ;
- obligation relative à la séparation comptable ;
- contrôle des prix et obligations relatives au système de comptabilisation des coûts.
II-2. Les hérissons
Comme il a été exposé dans la décision « définition de marché », les hérissons constituent un substitut imparfait à la terminaison d'appel vocal mobile « directe ». Le développement de hérissons dans la zone d'activité d'Orange Réunion soulève trois types de problèmes au regard des objectifs de l'action réglementaire :
- ils constituent et engendrent des investissements inefficaces par rapport à l'optimum de premier rang que constituent les interconnexions directes entre réseaux. De ce fait ils dégradent la compétitivité du secteur ;
- ils engendrent une dégradation de la qualité de service pour les utilisateurs finals et donc une perte de bien-être pour la collectivité ;
- ils perturbent le fonctionnement, voire l'intégrité, des réseaux, la gestion et l'utilisation efficace des fréquences radioélectriques.
Mais l'Autorité observe que c'est la persistance d'un écart tarifaire très important entre certains prix de détail de la téléphonie mobile et les charges de terminaison d'appel mobile qui a engendré le développement des hérissons. Autrement dit, les hérissons sont un symptôme ou une réponse de marché à une distorsion du marché de la terminaison d'appel vocal.
Il convient donc de traiter la cause du problème et non le symptôme. Par ailleurs, une action directe au niveau des hérissons serait difficile à mettre en oeuvre.
Aussi, l'Autorité n'imposera d'obligations que sur les seules prestations de terminaison d'appel vocal « directe » fournies dans le cadre de l'interconnexion physique des réseaux. Une baisse du prix de la terminaison d'appel vocal (cf. partie IV) permet de refermer l'espace économique sous-tendant le développement des hérissons dans les années à venir.
II-3. Obstacles au développement d'une concurrence effective
En vertu des articles L. 37-1 et L. 38 du code des postes et communications électroniques, la mise en oeuvre, par l'Autorité, d'obligations ex ante au niveau des marchés de gros doit permettre « de lever ou d'atténuer les obstacles au développement d'une concurrence effective », ces obstacles étant identifiés au cours de l'analyse des marchés. Il convient donc de procéder à cet examen en ce qui concerne Orange Réunion.
Ces obstacles sont de trois ordres :
- la capacité d'Orange Réunion à faire obstruction lors des négociations des conventions d'interconnexion avec un opérateur tiers compte tenu de sa position monopolistique sur le marché ;
- la capacité d'Orange Réunion à mettre en oeuvre des discriminations abusives compte tenu de son intégration verticale sur le marché de la téléphonie mobile et horizontale sur le marché de la téléphonie fixe via son appartenance au groupe France Télécom (partie III) ;
- l'absence de pression concurrentielle sur les prix de terminaison d'appel (partie IV).
III. - CAPACITÉ D'OBSTRUCTION DES NÉGOCIATIONS ET DE DISCRIMINATION ABUSIVE COMPTE TENU DE L'INFLUENCE SIGNIFICATIVE, DE LA POSITION DE MONOPOLE ET DE L'INTÉGRATION VERTICALE D'ORANGE RÉUNION
Eu égard à la capacité d'Orange Réunion à faire obstruction lors des négociations des conventions d'interconnexion (et de leurs avenants successifs) et de mettre en oeuvre des discriminations abusives compte tenu de l'influence significative d'Orange Réunion sur le marché, de sa position de monopole structurel sur le marché de la terminaison d'appel vocal vers son réseau et de son intégration verticale sur le marché du mobile-mobile et du fixe-mobile, l'Autorité estime nécessaire de :
- permettre l'interconnexion et l'accès dans des conditions efficaces (obligation d'accès III-1) ;
- éviter que l'opérateur favorise ses propres services de détail sur la téléphonie mobile ou la société de détail de son groupe qui intervient sur le marché de détail de la téléphonie fixe, ou une société partenaire (obligation de non-discrimination III-2) ;
- donner de la visibilité aux acheteurs sur un élément essentiel de leur plan d'affaires (obligation de transparence III-3) ;
- contrôler la mise en oeuvre de la non-discrimination (obligation de séparation comptable III-4).
III-1. Prestations d'interconnexion et d'accès au réseau mobile
L'article L. 38 (1°) du CPCE et l'article 12 de la directive « Accès » prévoient que l'ART peut imposer des obligations d'accès à un opérateur disposant d'une influence significative.
L'Autorité avait envisagé lors de sa consultation publique préliminaire trois sous-obligations : l'obligation générale d'accéder à toute demande raisonnable, l'obligation de fournir une prestation minimale d'acheminement et l'obligation de fournir une prestation minimale d'accès aux sites. A la lumière des réponses à cette consultation publique, seule la première est finalement retenue.
Afin de permettre l'interopérabilité des services et des investissements efficaces au titre de l'interconnexion ou de l'accès et compte tenu de la position monopolistique d'Orange Réunion sur le marché, l'Autorité estime nécessaire d'imposer une obligation d'accepter toute demande raisonnable d'interconnexion et d'accès, à des fins de terminer « directement » du trafic vocal à destination des abonnés d'Orange Réunion, conformément à l'article D. 310 (1°) du code des postes et des communications électroniques. Compte tenu de l'impossibilité pour un opérateur souhaitant terminer un appel sur le réseau de déployer ses propres infrastructures, cette obligation est donc justifiée et proportionnée, notamment au regard de l'objectif visant à « [définir des] conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence ».
L'Autorité note à cet égard que les prestations d'interconnexion et d'accès, proposées aujourd'hui par Orange Réunion, que ce soit pour l'acheminement du trafic de terminaison ou pour l'accès à leurs sites, semblent a priori raisonnables puisqu'elles ont été proposées par l'opérateur mobile lui-même. De même, l'opérateur mobile a de lui-même ouvert à l'interconnexion certains sites de commutation, il semble donc a priori raisonnable que ces points restent ouverts à l'interconnexion (1). Cette obligation répond donc aux critères imposés par l'article L. 38-IV bis du code susvisé.
Dans le cadre de la présente analyse prospective, l'Autorité estime qu'il n'y a pas lieu d'aller au-delà de l'obligation générale et d'imposer par avance des obligations spécifiques et en particulier un ensemble minimal de prestations, dans la mesure où Orange Réunion continue à offrir des services de terminaison d'appel vocal et d'accès aux sites d'interconnexion de qualité ou de caractéristiques au moins équivalentes à celles que l'opérateur proposait jusqu'à présent.
En cas de modification d'une prestation existante par Orange Réunion, l'Autorité sera attentive à ce que l'évolution ne nuise pas à l'efficacité de l'interconnexion ou de l'accès entre opérateurs. Une telle évolution devra en conséquence être communiquée aux opérateurs interconnectés avec des préavis suffisants (cf. III-3).
L'Autorité estime que si un opérateur demandait à Orange Réunion un nouveau service d'interconnexion ou d'accès non couvert par l'offre d'interconnexion ou d'accès existante de l'opérateur mobile cette demande relèverait en premier lieu de la négociation entre les opérateurs.
1 version