JORF du 12 février 2002

Décision n°2002-458 DC du 7 février 2002

LOI ORGANIQUE PORTANT VALIDATION DE L'IMPÔT FONCIER
SUR LES PROPRIÉTÉS BÂTIES EN POLYNÉSIE FRANÇAISE

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 15 janvier 2002 par le Premier ministre, conformément aux dispositions des articles 46 et 61, alinéa 1er, de la Constitution, de la loi organique portant validation de l'impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 modifiée portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;
Vu le code de justice administrative, notamment son article R. 772-4 ;
Vu l'ordonnance n° 98-581 du 8 juillet 1998 portant actualisation et adaptation des règles relatives aux garanties de recouvrement et à la procédure contentieuse en matière d'impôts en Polynésie française ;
Vu le décret du 5 août 1881 concernant l'organisation et la compétence des conseils du contentieux administratif dans les colonies, en son article 100, dans sa rédaction issue du décret n° 57-890 du 1er août 1957 ;
Vu le décret du 30 décembre 1912 sur le régime financier des colonies, en son article 173, dans sa rédaction issue du décret n° 57-646 du 23 mai 1957 ;
Vu le jugement n° 99-459 du tribunal administratif de Papeete en date du 19 décembre 2000 ;
Vu l'avis de l'assemblée territoriale de la Polynésie française en date du 8 novembre 2001 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

  1. Considérant qu'aux termes de l'article unique de la loi organique portant validation de l'impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française : « Sous réserve des décharges ou dégrèvements prononcés par décision de justice passée en force de chose jugée, les impositions perçues sur le territoire de la Polynésie française au titre de la contribution foncière sur les propriétés bâties sont validées, d'une part, pour les années 1992 à 1999 en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce que la détermination des valeurs locatives par application de la méthode d'évaluation directe s'est opérée sans base légale et, d'autre part, pour les années 2000 et 2001 en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce que l'autorité ayant pris l'arrêté n° 1274/CM du 17 septembre 1999 n'était pas compétente pour déterminer leur base » ;
  2. Considérant, d'une part, que les dispositions précitées, qui interviennent dans le champ des compétences dévolues aux autorités territoriales en application des dispositions des articles 5 et 6 de la loi du 12 avril 1996 susvisée, ont un caractère organique ; que la procédure législative suivie a été régulière au regard des articles 46 et 74 de la Constitution ;
  3. Considérant, d'autre part, que, si le législateur peut, comme lui seul est habilité à le faire, valider un acte administratif dans un but d'intérêt général suffisant, c'est sous réserve du respect des décisions de justice ayant force de chose jugée et du principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ; que l'acte validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d'intérêt général visé par la validation soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu'en outre, la portée de la validation doit être strictement définie, sous peine de méconnaître l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que c'est à la lumière de l'ensemble de ces principes que doit être appréciée la conformité à la Constitution des dispositions soumises à l'examen du Conseil constitutionnel ;
    En ce qui concerne la validation portant sur les années 2000 et 2001 :
  4. Considérant que, par cette validation, le législateur organique a entendu éviter que ne se développent des contestations pouvant entraîner des conséquences gravement dommageables en Polynésie française ; qu'en effet, près d'un millier de réclamations sont d'ores et déjà déposées ; que pourraient se trouver ainsi compromis la continuité du service public des impôts ainsi que le bon fonctionnement du service public de la justice administrative dans le territoire, eu égard aux moyens dont disposent ces services ; que l'intérêt général qui s'attache à une telle validation l'emporte sur la mise en cause des droits des contribuables qui résulterait de l'irrégularité de pure forme que la validation a pour effet de faire disparaître ; que la disposition critiquée n'a ni pour objet ni pour effet de valider des impositions annulées par des décisions juridictionnelles ayant force de chose jugée ; qu'elle est strictement limitée dans sa portée ; qu'elle ne déroge pas davantage au principe de non-rétroactivité des textes à caractère répressif plus sévères, ni à son corollaire qui interdit de faire renaître une prescription légalement acquise ; qu'enfin, à défaut de validation, la restitution aux intéressés d'impositions dont ils sont redevables en vertu des règles de fond de la loi fiscale pourrait constituer un enrichissement injustifié ; qu'ainsi, en tant qu'il concerne les années 2000 et 2001, l'article unique précité n'est contraire à aucune règle non plus qu'à aucun principe de valeur constitutionnelle ;
    En ce qui concerne la validation portant sur les années 1992 à 1999 :
  5. Considérant, en premier lieu, que les montants des sommes concernées par la validation représentent, pour chacune des années en cause, une faible part des recettes de toute nature figurant aux budgets du territoire et des communes de la Polynésie française ; qu'en second lieu, eu égard aux règles de forclusion applicables en matière fiscale dans le territoire, les réclamations portant sur les années 1992 à 1999 ne seraient pas de nature à compromettre la continuité et le bon fonctionnement des services publics sur le territoire ; que, par suite, la loi de validation, en tant qu'elle porte sur ces années, n'est pas justifiée par un motif d'intérêt général autorisant le législateur à faire obstacle aux effets de décisions de justice à venir ; que, dès lors, doivent être déclarés contraires à la Constitution, dans l'article unique de la présente loi organique, les mots : « , d'une part, pour les années 1992 à 1999 en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce que la détermination des valeurs locatives par application de la méthode d'évaluation directe s'est opérée sans base légale et, d'autre part, »,
    Décide :

Article 1

Sont déclarés contraires à la Constitution, à l'article unique de la loi organique, les mots : « , d'une part, pour les années 1992 à 1999 en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce que la détermination des valeurs locatives par application de la méthode d'évaluation directe s'est opérée sans base légale et, d'autre part, ».

Article 2

Les autres dispositions de la loi organique portant validation de l'impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française sont déclarées conformes à la Constitution.

Article 3

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 février 2002, où siégeaient : MM. Yves Guéna, président, Michel Ameller, Jean-Claude Colliard, Olivier Dutheillet de Lamothe, Pierre Joxe, Pierre Mazeaud, Mmes Monique Pelletier, Dominique Schnapper et Simone Veil.

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 15 janvier 2002 par le Premier ministre, conformément aux dispositions des articles 46 et 61, alinéa 1er, de la Constitution, de la loi organique portant validation de l'impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française.

Le régime juridique applicable à l'impôt foncier a donc été défini par les articles 221-1 et suivants du code des impôts directs de la Polynésie française. L'assiette de la contribution foncière sur les propriétés bâties correspond à la valeur locative du bien diminuée d'un quart ; elle est établie par le service des contributions par référence aux baux authentiques ou aux accords verbaux ; à défaut de tels actes, elle est établie par la méthode de l'évaluation directe. Les modalités d'application de la méthode d'évaluation directes sont définies par l'article 225-2 du même code. Cet article renvoie à un arrêté pris en conseil des ministres qui pourra, le cas échéant, fixer un coefficient de réévaluation des valeurs locatives. Aucune mesure en ce sens n'est intervenue avant le 17 septembre 1999. La méthode d'évaluation directe mise en oeuvre par le service des contributions s'est ainsi retrouvée dépourvue de base légale pendant cette période. L'arrêté pris à compter de cette date par le conseil des ministres (n°1274/CM) est venu combler ce vide juridique en donnant une définition de la valeur foncière du bien et en fixant le taux d'intérêt qui lui est applicable.

Cet arrêté a fait l'objet d'un recours contentieux devant le tribunal administratif de Papeete qui l'a jugé illégal (19 décembre 2000) pour incompétence du conseil des ministres en la matière. En effet, si l'article 26 de la loi organique du 12 avril 1996 donne au conseil des ministres la compétence pour prendre les règlements nécessaires à la mise en oeuvre des délibérations de l'assemblée, l'article 60 donne à cette dernière institution une compétence de droit commun, tandis que le conseil des ministres n'a qu'une compétence d'attribution. En l'absence de disposition du statut autorisant l'assemblée à déléguer les compétences qui lui ont été confiées par le législateur, le tribunal administratif a considéré que celle-ci ne pouvait renvoyer au conseil des ministres le soin de définir la base des impositions et le taux d'intérêt qui leur est applicable.

Il apparaissait donc nécessaire, dans l'attente d'une nouvelle délibération de l'assemblée de la Polynésie française modifiant l'article 225-2 du code des impôts directs, de donner une base légale à la perception de l'impôt foncier sur les propriétés bâties intervenue depuis 1992 dès lors qu'il a été établi sur le mode de l'évaluation directe. C'est l'objet même de la présente loi.

Par la présente décision, le conseil constitutionnel invalide les dispositions prévoyant la validation de l'impôt foncier sur les propriétés bâties pour les années 1992 à 1999, et ce, au motif que les réclamations portant sur ces années n'étaient pas de nature à compromettre la continuité et le bon fonctionnement des services publics sur le territoire ; et qu'en conséquence la loi de validation portant sur ces années n'était pas justifiée par un motif d'intérêt général.

Le président,

Yves Guéna