Sur le contexte du recours et les faits :
L'article 15 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 dispose que les producteurs établissent des programmes d'appel de manière à satisfaire les programmes de consommation et d'approvisionnement de leurs clients et que les organismes en charge de l'approvisionnement et les consommateurs éligibles établissent respectivement des programmes d'approvisionnement et de consommation. RTE, chargé d'assurer à tout instant l'équilibre des flux d'électricité sur le réseau, peut, à cette fin, modifier les programmes d'appel. Il peut demander ou attribuer une compensation financière aux utilisateurs en situation d'écart.
Le dispositif de règlement des écarts appliqué par RTE vise à permettre à RTE d'en recouvrer le coût en fonction de leur ampleur auprès des utilisateurs en écart. Contrairement à ce que soutient la SNET, RTE n'y assure donc aucun rôle d'assureur collectif et payant contre des aléas imprévisibles. C'est, au contraire, aux responsables d'équilibre qu'il incombe de mutualiser le risque financier lié au règlement des écarts et le coût de leur gestion, ainsi que d'en réduire le volume par le recours, en cas d'imprévu, à des moyens de substitution : RTE a proposé aux utilisateurs de son réseau de désigner dans leur contrat d'accès au réseau un « responsable d'équilibre » auquel est facturé le coût de la somme des écarts des sites qui lui sont rattachés. Ce dispositif permet de foisonner au sein d'un périmètre d'équilibre les écarts aléatoires des sites, de mutualiser les marges d'écart hors dépassement des sites rattachés au périmètre d'équilibre et de compenser un écart important par la modification du programme d'un autre site rattaché au même périmètre d'équilibre.
Le différend oppose la SNET à RTE. Il porte sur les dispositions contractuelles d'accès au réseau et, plus particulièrement, sur les règles de compensation financière des écarts appliquées au périmètre d'équilibre de la SNET.
Le contrat de responsable d'équilibre, signé par la SNET, qui a pris effet le 1er décembre 2001, prévoit le versement de 62,05 EUR par MWh d'écart négatif, lorsque l'écart de puissance est inférieur à 10 % de la somme des puissances nominales des sites d'injection rattachés au périmètre, et de 152,45 EUR par MWh d'écart négatif, lorsque l'écart de puissance est supérieur à 10 %. La SNET soutient que ces dispositions financières, appliquées à tous les responsables d'équilibre, ont des conséquences graves et discriminatoires dans le cas de la SNET car, contrairement aux autres responsables d'équilibre, la défaillance d'un seul groupe suffit pour la placer en écart négatif supérieur à 10 % et l'exposer, si ces défaillances sont fréquentes, à devoir à RTE une compensation financière pour écart prolongé. Elle demande à RTE l'application du prix de 62,05 EUR par MWh d'écart négatif pour les écarts inférieurs à 600 MW, qui est la puissance nominale de son plus gros groupe de production. RTE refuse de faire droit à cette demande.
Sur la nature et le prix de la compensation financière demandée par RTE aux utilisateurs en écarts :
Contrairement à ce que soutient la SNET, la compensation financière que la loi autorise RTE à demander aux utilisateurs du réseau n'est pas un dispositif de sanction ayant le caractère d'une clause pénale de l'inexécution par les responsables d'équilibre de leur obligation de minimiser les écarts, mais un dispositif de compensation financière des modifications des programmes d'appel auxquelles procède RTE. Son objet est non d'interdire au responsable d'équilibre de franchir les limites du tunnel, mais de compenser les charges induites pour le gestionnaire de réseau par les écarts de ses utilisateurs. Sa valeur est progressive afin d'inciter les entités responsables des sites raccordés aux réseaux publics à réaliser des prévisions d'injection et de soutirage raisonnables et fiables et à conduire leurs injections comme leurs soutirages de façon à limiter les écarts réels et à faciliter ainsi le maintien de l'équilibre du réseau qui, aux termes de l'article 15 de la loi du 10 février 2000, relève de la responsabilité de RTE.
Par suite, dès lors que seul le volume des écarts, et non leur nature, détermine l'ampleur des modifications des programmes d'appel auxquelles il doit procéder, RTE ne serait pas fondé à calculer la compensation demandée aux utilisateurs du réseau selon que leurs écarts résulteraient ou non d'« aléas de fonctionnement ». Un tel dispositif serait, du reste, nécessairement subjectif, comme le montrent les observations des parties visant à déterminer la part des écarts de la SNET imputable à des défaillances de production et celle liée à ses choix de gestion « longue » ou « courte » de son périmètre ou à des aléas affectant d'autres sites rattachés à son périmètre.
En revanche, afin de faciliter l'accès au marché des producteurs en leur évitant d'être soumis au règlement des écarts de chacun de leurs sites de production pris indépendamment, RTE leur a proposé de bénéficier de la mutualisation du risque financier lié au règlement des écarts et de la réduction de leur volume par le recours, en cas d'imprévu, à des moyens de substitution que permet le rattachement à un périmètre d'équilibre adapté. Afin de faciliter l'accès au marché des producteurs disposant d'un nombre réduit d'unités, RTE a proposé aux producteurs de désigner un responsable d'équilibre différent d'eux-mêmes et de bénéficier ainsi de la mutualisation du risque financier sur un nombre supérieur de sites.
Il résulte donc clairement de ces finalités que, si le mécanisme a pour conséquence d'inciter les responsables d'équilibre à recourir à tous les moyens dont ils disposent pour éviter de payer le prix le plus élevé des écarts, il n'a pas pour objet d'inciter les responsables d'équilibre à procéder à des achats de précaution. En outre, contrairement à ce que soutient la SNET, de tels achats ne seraient nullement facilités par la mise en place du marché d'ajustement projeté par RTE, sur lequel seul ce dernier pourrait acheter et vendre de l'électricité et dont le seul effet serait de substituer, pour le règlement des écarts, des prix de marché aux prix contractuels qu'elle conteste.
Sur les conditions d'application du mécanisme de responsable d'équilibre aux signataires du contrat et sur le caractère négociable du contrat de responsable d'équilibre proposé par RTE :
La validation par la CRE du modèle de contrat de responsable d'équilibre employé par RTE avait pour objectif de s'assurer de la conformité générale du dispositif contractuel aux principes de l'accès aux réseaux. Elle ne saurait, toutefois, être regardée, tant par la forme de simple communication d'une opinion générale a priori dépourvue de toute valeur décisionnelle que par le fait que la CRE ne détient aucun pouvoir d'homologation de stipulations contractuelles, comme ayant imposé à RTE de ne discuter aucune des clauses du contrat pour les adapter, dans le respect des principes gouvernant sa mission de gestionnaire de réseau et les règles d'accès des tiers à celui-ci, aux particularités éventuelles de son cocontractant.
Contrairement à ce que soutient RTE, il n'est donc pas « juridiquement impossible de modifier le contrat type de responsable d'équilibre ». Au contraire, le refus de tenir compte dans la conclusion d'un contrat d'accès au réseau de la situation particulière d'un des utilisateurs, par exemple de la nécessité de préserver la confidentialité vis-à-vis de son responsable d'équilibre de certaines informations commercialement sensibles, pourrait être constitutif d'une discrimination dans les conditions d'accès au réseau.
Il convient donc de s'assurer, en l'espèce, que les stipulations du contrat qu'a signé la SNET, sans que RTE accepte de déroger au modèle qu'il s'était fixé, étaient conformes à ces règles.
Sur la possibilité pour la SNET de choisir le périmètre de rattachement de ses sites :
L'obligation faite à la SNET, par le comité pour la révision de son contrat avec EDF, de désigner, pour chacun de ses groupes de production, un responsable unique de la programmation, des services système et de l'ajustement, et un seul périmètre d'équilibre, qui s'impose, du reste, aux autres producteurs, n'impliquait pas que la SNET elle-même fût ce responsable d'équilibre et n'avait d'ailleurs pas de conséquence directe ou indirecte sur l'exercice de cette fonction, par la SNET ou par le tiers auquel elle l'aurait confiée. A ce propos, si la SNET soutient qu'aucun autre responsable d'équilibre n'était en mesure de prendre à sa charge le risque propre de ses sites de production, elle n'apporte aucun élément probant de nature à établir le bien-fondé de cette allégation.
Pour qu'elle bénéficie au mieux de la possibilité offerte par le mécanisme de responsable d'équilibre de mutualiser le risque financier lié au règlement des écarts et d'en réduire le volume, il incombait au contraire à la SNET de rechercher le responsable d'équilibre le mieux adapté aux caractéristiques particulières de ses sites. La protection des informations commerciales sur l'activité de la SNET détenues par RTE, et que la SNET n'aurait pas souhaité voir divulguées au responsable d'équilibre qu'elle aurait choisi, aurait pu être assurée par des clauses contractuelles appropriées.
Sur le caractère discriminatoire du contrat de responsable d'équilibre proposé par RTE :
Sur l'égalité d'accès au service public :
Le prix des écarts qui est facturé à la SNET en tant que responsable d'équilibre, lors des défaillances d'un ou deux de ses moyens de production, est la conséquence directe de la structure du périmètre d'équilibre qu'elle a librement choisie. En outre, en tant que producteur, la SNET pouvait choisir librement son responsable d'équilibre. Dès lors, la SNET ne peut se fonder sur le montant des compensations pour écarts qui, compte tenu du périmètre d'équilibre qu'elle a choisi, lui sont demandées par RTE, lors des défaillances de ses unités de production, pour invoquer une rupture de l'égalité d'accès au service public de transport de l'électricité.
Facturer, comme le demande la SNET, les écarts de son périmètre d'équilibre au prix de 62,05 EUR par MWh d'écart négatif, dans la limite de la puissance nominale du groupe de production le plus puissant qui lui est rattaché ou en fonction de la cause des dépassements constatés, reviendrait à octroyer aux sites rattachés au périmètre d'équilibre de la SNET une marge d'écart hors dépassement supérieure à celle accordée aux autres sites raccordés aux réseaux publics, sur le seul fondement de la structure de ce périmètre d'équilibre. Or, il revient au responsable de ce périmètre de le constituer librement et, par un choix approprié des sites qui lui sont rattachés, de limiter le risque d'écart et de paiement des compensations afférentes. Dès lors, RTE est fondé à soutenir qu'une clause de cette nature serait discriminatoire.
A cet égard, les caractéristiques du parc de production de la SNET, tant en ce qui regarde la puissance des installations que les caractéristiques techniques du mode de production, ne présentent, par elles-mêmes, aucune particularité qui placerait la SNET, en principe, dans une situation différente de celle de n'importe quel autre producteur au regard du choix de son périmètre d'équilibre.
En ce qui concerne sa fonction, distincte, de responsable d'équilibre, il n'est pas contesté que la SNET est placée dans une situation où la défaillance d'un seul moyen de production du périmètre qu'elle a choisi suffit à entraîner la facturation des écarts au prix le plus élevé, comme, au demeurant, n'importe quel autre responsable d'équilibre au périmètre duquel serait rattaché un faible nombre d'unités de production. Ce désavantage résulte de la structure du marché et de la taille de la SNET, et non du mécanisme de responsable d'équilibre. Ce mécanisme a été conçu précisément afin d'améliorer la situation des acteurs de petite taille. La SNET pouvait, en outre, librement fixer la taille de son périmètre, décider des modalités de sa gestion, ou choisir un autre responsable d'équilibre qu'elle-même.
Sur les difficultés pour la SNET d'équilibrer son périmètre :
Lors du choix de la composition de son périmètre d'équilibre, la SNET avait connaissance des possibilités d'équilibrage qui existaient en J - 1 et au cours de la journée. Il appartenait à la SNET de choisir le périmètre de rattachement des sites de production dont la programmation lui incombe. La composition de ce périmètre peut être modifiée à tout moment. Le responsable d'équilibre peut ainsi tenir compte de l'état du marché, des caractéristiques de son parc de production et de ses engagements contractuels. La SNET pouvait donc choisir d'inclure ses sites dans son propre périmètre d'équilibre ou de les rattacher en tout ou partie à un autre périmètre. Elle pouvait également déterminer le volume de la capacité reprogrammable qu'elle se réserve pour faire face aux aléas lorsqu'elle soumet son programme d'appel à RTE.
Sur la subordination de la responsabilité d'équilibre de la SNET au caractère provisoire du mécanisme de règlement des écarts :
Les fonctions de production/responsable de programmation, d'une part, et de responsabilité d'équilibre, d'autre part, qu'assume la SNET, sont distinctes. Elles font l'objet de contrats différents, de telle sorte qu'un producteur puisse, notamment, confier la responsabilité d'équilibre de ses sites au responsable d'équilibre de son choix.
Or, la lettre du 18 février 2002, à laquelle se réfère la SNET, et qui, contrairement à ce que soutient RTE, ne comporte aucune indication sur le caractère définitif ou provisoire du mécanisme de responsable d'équilibre dans son ensemble, définit un mécanisme transitoire de rémunération des offres d'ajustement du producteur SNET. En revanche, les dispositions relatives à la gestion du périmètre d'équilibre SNET, contestées par la SNET, sont définies dans un contrat signé antérieurement qui est entièrement indépendant des conditions de rémunération des offres d'ajustement et même de l'existence ou non de la possibilité pour les producteurs de présenter de telles offres. Ce contrat est valable jusqu'au 31 décembre 2002 et la lettre du 18 février 2002 ne l'amende ni explicitement ni implicitement.
Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la mise en oeuvre du marché d'ajustement aurait pour effet de modifier les conditions de détermination du prix des écarts, sans remettre en cause la fonction de responsable d'équilibre, dont l'attrait pour la SNET résulte de la mutualisation qu'elle permet, quels que soient les prix facturés.
La circonstance que, au moment où le contrat a été conclu, RTE envisageait de mettre en place un marché d'ajustement au 1er avril 2002, ne peut donc être regardée comme constitutive de la volonté de la SNET de contracter, ni comme ayant pu avoir pour effet de subordonner son engagement, ou la durée de celui-ci, à la réalisation de cette prévision, qui ne peut être regardée comme une clause résolutoire.
Sur les obligations d'information de RTE :
Il résulte clairement des pièces du dossier que RTE a méconnu de façon répétée les obligations d'information auxquelles il est tenu par le contrat. La circonstance que ces violations patentes aient été commises également aux dépens d'autres cocontractants que la SNET ne peut, contrairement à ce que RTE soutient pour s'en exonérer et sans donc en contester la réalité, les faire regarder comme moins fautives.
Toutefois, la SNET ne demande pas à RTE de l'indemniser du préjudice que ces manquements ont dû lui causer, mais se borne à soutenir qu'elle a ainsi été empêchée de mesurer l'ampleur des écarts dont elle se rendait responsable et de prendre des mesures correctives. La SNET étant un producteur expérimenté, conduisant depuis de nombreuses années des installations de production importantes, ne peut soutenir sérieusement ne disposer d'informations sur le volume de sa production que sur la base des courriers que lui adresse RTE pour facturer ses écarts, sachant au surplus que ces informations lui avaient été communiquées par courrier électronique au plus cinq jours après la date contractuelle de communication des factures. En tout état de cause, la facturation des écarts a pour seule fonction de recouvrer les sommes dues et il incombe au responsable d'équilibre, lorsqu'il constitue son périmètre, de s'assurer de tous les moyens d'information utiles, notamment issus des comptages, sur les sites qu'il gère ou qui lui sont rattachés, pour prévoir et gérer l'équilibre recherché. A ce titre, il n'est pas allégué que la SNET n'aurait pas disposé des informations nécessaires, notamment en ce qui regarde ses propres sites.
Par suite, le retard de la transmission d'informations par RTE, pour irrégulière qu'elle soit, ne saurait en l'espèce être regardée comme ayant privé la SNET des moyens de prévoir, vérifier et rechercher l'équilibre de son périmètre,
Décide :
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