Article 1
L'article 6 de la « loi du pays » n° 2009-1 LP/APF du 6 janvier 2009 portant diverses mesures fiscales à l'importation et à l'exportation pour l'année 2009 est annulé.
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Sur le rapport de la 10e sous-section de la section du contentieux,
Vu 1°, sous le numéro 324206, la requête, enregistrée le 19 janvier 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. René Kohumoetini, demeurant assemblée de la Polynésie française, BP 28, à Papeete (98713), M. René Temeharo, demeurant assemblée de la Polynésie française, BP 28, à Papeete (98713), Mme Minarii Chantal Galenon, demeurant assemblée de la Polynésie française, BP 28, à Papeete (98713), Mme Unutea Hirshon, demeurant assemblée de la Polynésie française, BP 28, à Papeete (98713), Mme Juliana Mati, demeurant assemblée de la Polynésie française, BP 28, à Papeete (98713), et Mme Maryse Ollivier, demeurant assemblée de la Polynésie française, BP 28, à Papeete (98713) ; M. Kohumoetini et autres demandent au Conseil d'Etat d'annuler l'article 6 de la « loi du pays » n° 2009-1 LP/APF du 6 janvier 2009 portant diverses mesures fiscales à l'importation et à l'exportation pour l'année 2009 ;
Vu 2°, sous le numéro 324777, la requête, enregistrée le 4 février 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Mainui Temarii, demeurant avenue Georges-Clemenceau, à Papeete (98713) ; M. Temarii demande au Conseil d'Etat d'annuler l'article 6 de la « loi du pays » n° 2009-1 LP/APF du 6 janvier 2009 portant diverses mesures fiscales à l'importation et à l'exportation pour l'année 2009 ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
― le rapport de M. Brice Bohuon, auditeur ;
― les observations de Me Balat, avocat du président de la Polynésie française ;
― les conclusions de M. Julien Boucher, rapporteur public ;
― la parole ayant été à nouveau donnée à Me Balat, avocat du président de la Polynésie française ;
Considérant que, d'une part, M. Kohumoetini et autres sous le n° 324206 et, d'autre part, M. Temarii sous le n° 324777 demandent l'annulation de l'article 6 de la « loi du pays » n° 2009-1 LP/APF du 6 janvier 2009 portant diverses mesures fiscales à l'importation et à l'exportation pour l'année 2009, qui suspend à compter du 1er octobre 2008 la perception du droit spécifique sur les perles exportées ; qu'il y a lieu de joindre ces deux requêtes pour statuer par une seule décision ;
Sur les fins de non-recevoir opposées par le président de la Polynésie française et le président de l'assemblée de la Polynésie française :
Considérant que le I de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française dispose : « A l'expiration de la période de huit jours suivant l'adoption d'un acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays” ou au lendemain du vote intervenu à l'issue de la nouvelle lecture prévue à l'article 143, le haut-commissaire, le président de la Polynésie française, le président de l'assemblée de la Polynésie française ou six représentants à l'assemblée de la Polynésie française peuvent déférer cet acte au Conseil d'Etat (...) » ; qu'aux termes de l'article R. 411-5 du code de justice administrative : « Sauf si elle est signée par un mandataire régulièrement constitué, la requête présentée par plusieurs personnes physiques ou morales doit comporter, parmi les signataires, la désignation d'un représentant unique. A défaut, le premier dénommé est avisé par le greffe qu'il est considéré comme le représentant mentionné à l'alinéa précédent, sauf à provoquer, de la part des autres signataires qui en informent la juridiction, la désignation d'un autre représentant unique choisi parmi eux » ;
Considérant, en premier lieu, qu'il est constant que la requête de M. Kohumoetini et autres a été présentée par six représentants à l'assemblée de la Polynésie française, conformément à l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ; que, contrairement à ce que soutient le président de la Polynésie française, aucune disposition de cette loi ne fait obstacle à ce que M. Kohumoetini et autres fassent, par ailleurs, usage de la faculté, prévue par l'article R. 411-5 du code de justice administrative, de désigner l'un des signataires de la requête comme leur représentant unique ; qu'ainsi, la fin de non-recevoir tirée de ce que M. Kohumoetini et autres ne pouvaient désigner, en application de l'article R. 411-5 du code de justice administrative, M. Kohumoetini comme leur représentant unique, doit être écartée ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'alors même que M. Temarii ne serait pas personnellement assujetti au droit spécifique sur les perles exportées dont les dispositions attaquées suspendent la perception, la qualité de contribuable du budget de la Polynésie française dont il se prévaut sans être sérieusement contredit suffit à lui conférer un intérêt à agir contre une décision qui, en suspendant la perception d'un impôt ou d'une taxe, réduit les recettes de cette collectivité territoriale ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par le président de l'assemblée de la Polynésie française à la requête de M. Temarii doit être écartée ;
Considérant, en troisième lieu, que l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française dispose « (...) II. ― A l'expiration de la période de huit jours suivant l'adoption d'un acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays” ou au lendemain du vote intervenu à l'issue de la nouvelle lecture prévue à l'article 143, l'acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays” est publié au Journal officiel de la Polynésie française à titre d'information pour permettre aux personnes physiques ou morales, dans le délai d'un mois à compter de cette publication, de déférer cet acte au Conseil d'Etat. (...)./ III. ― Le Conseil d'Etat se prononce sur la conformité des actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays” au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit. La procédure contentieuse applicable au contrôle juridictionnel spécifique de ces actes est celle applicable en matière de recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat. Les actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays” ne peuvent plus être contestés par voie d'action devant aucune autre juridiction » ; qu'aux termes de l'article 178 de la même loi : « A l'expiration du délai d'un mois mentionné au II de l'article 176 pour saisir le Conseil d'Etat ou à la suite de la publication au Journal officiel de la Polynésie française de la décision de ce conseil constatant la conformité totale ou partielle de l'acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays” aux normes mentionnées au deuxième alinéa de l'article 177, le président de la Polynésie française dispose d'un délai de dix jours pour le promulguer (...) » ; que selon l'article 180 : « Les actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays” ne sont susceptibles d'aucun recours par voie d'action après leur promulgation (...). » ;
Considérant que selon le deuxième alinéa de l'article 145 de la loi organique du 27 février 2004, les actes dénommés « lois du pays », lorsqu'ils sont relatifs aux impôts et taxes, « par dérogation au premier alinéa des I et II de l'article 176 et au premier alinéa des articles 178 et 180 », « sont publiés au Journal officiel de la Polynésie française et promulgués par le président de la Polynésie française au plus tard le lendemain de leur adoption et peuvent, à compter de la publication de leur acte de promulgation, faire l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat au titre du contrôle juridictionnel spécifique des actes dénommés "lois du pays” prévu par la présente loi organique » ; que selon le troisième alinéa du même article : « S'il est saisi à ce titre, (...) le Conseil d'Etat annule toute disposition contraire à la Constitution, aux lois organiques, aux engagements internationaux ou aux principes généraux du droit » ; qu'aux termes du premier alinéa de ce même article 145 : « Lorsque le budget de la Polynésie française a été adopté, les actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays”, relatifs aux impôts et taxes, entrent en vigueur le 1er janvier qui suit la date de la première réunion de l'assemblée de la Polynésie française consacrée à l'examen du projet de budget alors même qu'ils n'auraient pas été publiés avant cette date » ;
Considérant que si l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française prévoit que les « lois du pays », autres que celles relatives aux impôts et aux taxes qui sont soumises au régime dérogatoire fixé par l'article 145 de la même loi organique, sont promulguées par le président de la Polynésie française dans un délai de dix jours à compter de l'expiration du délai d'un mois prévu par l'article 176 pour saisir le Conseil d'Etat, ou à la suite de la publication au Journal officiel de la Polynésie française de la décision de ce conseil constatant la conformité totale ou partielle de cet acte aux normes applicables, il est constant que la « loi du pays » litigieuse a été promulguée, d'une part, avant qu'aucune décision du Conseil d'Etat ne se soit prononcée sur sa conformité aux normes applicables, et, d'autre part, avant l'expiration du délai fixé par l'article 176 pour saisir le Conseil d'Etat d'une requête dirigée contre les « lois du pays » autres que celles relatives aux impôts et aux taxes ; que, par suite, cette « loi du pays », promulguée avant l'expiration des délais prévus par l'article 176 de la loi organique, doit être regardée comme entrant dans le champ d'application de l'article 145 de la loi organique ; qu'ainsi, la fin de non-recevoir tirée de ce que, en application de l'article 180 de la loi organique, la « loi du pays » attaquée ne serait susceptible d'aucun recours par voie d'action après sa promulgation ne peut qu'être écartée, dès lors que cet article 180 n'est pas applicable aux « lois du pays », relatives aux impôts et aux taxes, entrant dans le champ d'application de l'article 145 de la loi organique du 27 février 2004 ; que la circonstance que la « loi du pays » attaquée a été votée avant l'adoption du budget de la Polynésie française pour l'année 2009, si elle peut affecter la date d'entrée en vigueur de cette « loi du pays », est sans incidence sur le champ d'application de l'article 145 ; que la fin de non-recevoir tirée de ce que la « loi du pays » attaquée n'entrerait pas dans le champ d'application de l'article 145 en raison de la date de son adoption doit donc être, elle aussi, écartée ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen des requêtes ;
Considérant que l'article 172-2 de la loi organique du 27 février 2004 dispose : « Sont illégaux : 1° Les délibérations ou actes auxquels ont pris part un ou plusieurs membres du conseil des ministres ou de l'assemblée de la Polynésie française intéressés à l'affaire qui en fait l'objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires (...) » ; qu'il résulte de ces dispositions, dont le président de la Polynésie française ne saurait soutenir qu'elles ne seraient pas applicables aux « lois du pays », que la participation aux travaux préparatoires et aux débats précédant l'adoption d'un article contenu au sein d'une délibération de l'assemblée de la Polynésie française, par une personne intéressée à l'affaire qui fait l'objet de cet article, est de nature à vicier la légalité de l'article litigieux, alors même que cette participation préalable ne serait pas suivie d'une participation au vote de l'article ; que, de même, la participation d'un représentant au vote permettant l'adoption d'un article, contenu au sein d'une délibération, auquel il est intéressé est de nature, quels que soient la nature et le degré de sa participation aux travaux préparatoires, à entraîner l'illégalité de cet article ; qu'en revanche, sa participation au vote final de la délibération comportant, notamment, un article portant sur une affaire à laquelle il est intéressé, ne pourrait avoir à elle seule cet effet, dès lors que celui-ci s'est abstenu de participer à la fois aux travaux préparatoires de la délibération et au vote de l'article contenant les dispositions litigieuses ;
Considérant qu'il ressort des pièces des dossiers que M. Yip et Mme Parker, représentants de l'assemblée de la Polynésie française, sont propriétaires de fermes perlières situées en Polynésie française dont l'activité était soumise au droit spécifique sur les perles exportées ; qu'ils étaient, ainsi, intéressés, au sens des dispositions précitées, à l'adoption de l'article 6 de la « loi du pays » qui suspend à compter du 1er octobre 2008 la perception de ce droit spécifique sur les perles exportées ; que, d'une part, M. Yip a participé aux débats préparatoires au vote, en faisant état de son adhésion au projet comme perliculteur et en évoquant les conséquences qu'aurait son rejet, en présence de perliculteurs dans les tribunes, dont il indiqua qu'ils pourraient alors occuper les services de perception de la taxe litigieuse ; que, d'autre part, Mme Parker, en tant que rapporteur du projet de « loi du pays » devant l'assemblée de la Polynésie française, a exprimé un avis favorable à la suspension du droit spécifique sur les perles exportées ; qu'ainsi, leur participation active à l'élaboration de l'article 6 ne peut être regardée comme ayant été sans influence sur le résultat du vote de cet article ; que ces circonstances, dont chacune serait d'ailleurs seule suffisante, entraînent l'illégalité des dispositions de l'article attaqué, alors même que les intéressés, ainsi que l'atteste le procès-verbal de séance, ont quitté la séance de l'assemblée de la Polynésie française du 30 décembre 2008 au moment du vote de cet article, acquis à l'unanimité, et se sont bornés à participer, par la suite, au vote final de la délibération ; que, par suite, les requérants sont fondés à demander l'annulation de l'article 6 de la « loi du pays »,
Décide :
L'article 6 de la « loi du pays » n° 2009-1 LP/APF du 6 janvier 2009 portant diverses mesures fiscales à l'importation et à l'exportation pour l'année 2009 est annulé.
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La présente décision sera notifiée à M. René Kohumoetini, premier requérant dénommé pour la requête n° 324206 qui doit être regardé comme le mandataire de l'ensemble des requérants et chargé, à ce titre, de leur donner connaissance de cette décision, à M. Mainui Temarii, au président de l'assemblée de la Polynésie française, au président de la Polynésie française, au haut-commissaire de la République en Polynésie française et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.
Délibéré dans la séance du 13 mai 2009 où siégeaient : M. Philippe Martin, président adjoint de la section du contentieux, président ; M. Thierry Tuot, M. Jean-Pierre Jouguelet, présidents de sous-section ; Mme Mireille Imbert-Quaretta, M. François Loloum, Mme Anne-Marie Camguilhem, M. Hugues Hourdin, M. Jean-François Mary, conseillers d'Etat et M. Brice Bohuon, auditeur-rapporteur.
Lu en séance publique le 1er juillet 2009.
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Le président,
P. Martin