JORF du 29 janvier 2003

1. Comprendre notre environnement de défense et de sécurité

Article ANNEXE

Conformément aux analyses évoquées dans le Livre blanc de 1994, l'évolution du contexte stratégique tout au long de la décennie 1990 a démontré que notre pays bénéficiait désormais d'une profondeur stratégique à l'Est, se chiffrant en milliers de kilomètres, situation qu'il n'avait jamais connue tout au long de son histoire. Mais, contrairement à certains espoirs, crises et conflits n'ont guère cessé à travers le monde, selon des logiques, dans des cadres et avec des acteurs souvent inédits et inattendus, générant une fragmentation et une multiplicité des menaces, souvent asymétriques, c'est-à-dire exercées par des acteurs étatiques ou non, disposant d'un potentiel militaire inférieur et qui cherchent à contourner nos défenses et à exploiter nos vulnérabilités par tous les moyens possibles, y compris non militaires. Suivant les circonstances, ces menaces peuvent prendre la forme du terrorisme, de conflits infra-étatiques aux logiques complexes, de la prolifération balistique ou nucléaire, radiologique, biologique ou chimique (NRBC), des agissements de la criminalité organisée ou de trafics aussi multiples que variés.
1.1. Des menaces qui touchent directement les Français

La période ouverte par les attentats du 11 septembre 2001, par leur violence et le nombre des victimes, a consacré l'émergence d'un terrorisme de masse. Ces attentats ont ouvert la voie à des conflits d'un type nouveau, sans champ de bataille et sans armée clairement identifiée, où l'adversaire, prêt à utiliser des armes de destruction massive, vise clairement les populations.

La France est une société développée, ouverte et à haut niveau technologique. Elle est donc particulièrement vulnérable aux nouveaux types de menaces. Engagée par ailleurs dans un ensemble de solidarités politiques, de communautés d'intérêts et d'alliances, elle constitue une cible potentielle.

L'accroissement de nos vulnérabilités sur le territoire, en matière d'infrastructures et de centres de décision, ou en ce qui concerne les populations, devra être pris en compte dans toutes ses dimensions. C'est ainsi que le caractère urbanisé et technologique de nos sociétés nous expose plus facilement aux attaques, par la concentration des populations, le fonctionnement en réseaux interconnectés (eau, électricité, télécommunications), et le développement spectaculaire de l'usage des moyens informatiques.

La distinction entre terrorisme interne et international s'estompe. Les réseaux sont transnationaux, avec des implantations ou des soutiens à l'étranger mais également dans nos pays occidentaux. Ils disposent de financements importants provenant partiellement du crime organisé, d'une large autonomie d'action et sont motivés par une hostilité profonde à l'égard des Etats occidentaux. Ils exploitent les frustrations de certaines populations, reposant sur des situations de crise régionales - historiques, économiques ou sociales -, ainsi que sur les difficultés de certains éléments de communautés expatriées à s'intégrer dans nos pays.

Ces réseaux peuvent, comptant sur l'effet de surprise, voire de saturation, déclencher simultanément plusieurs attaques massives sur un même espace ou territoire. Les populations sont ainsi menacées tant à l'extérieur (Français à l'étranger) qu'à l'intérieur, par des acteurs implantés indistinctement sur notre territoire ou dans des zones très éloignées et difficilement identifiables.

L'abolition des distances, l'abaissement des frontières et le développement du terrorisme en une forme de guerre contribuent à un effacement partiel de la limite entre sécurité intérieure et extérieure.
1.2. Un monde durablement imprévisible

Les facteurs d'instabilité internationale vont continuer à se manifester pour longtemps encore.

Les sociétés en transition dans les régions situées à la périphérie de l'Europe resteront marquées par des tensions fortes, aggravées par les difficultés économiques et d'importants flux migratoires (migrations). Les intérêts de sécurité des pays européens s'en trouveront affectés. L'instabilité dans ces régions, comme dans d'autres plus lointaines, continuera de se traduire par des réactions identitaires violentes, teintées de nationalisme ou de fondamentalisme religieux.

Des Etats défaillants, résultant d'un processus de désintégration politique, sociale et économique, dans l'incapacité de contrôler leur territoire et d'assurer leurs fonctions régaliennes, tendent à devenir des havres où se développent les activités illicites (trafics de stupéfiants, d'êtres humains, criminalité), générant des déstabilisations internes ou dans les pays voisins, provoquant dans certains cas des désastres humanitaires, voire exportant diverses formes de violence particulièrement menaçantes.

La fin des années 1990 a par ailleurs été marquée par un développement accéléré des potentiels balistiques et d'armes de destruction massive dans certaines régions du monde particulièrement sensibles. Dans le même temps, le processus de désarmement s'est ralenti et la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive reste insuffisante.

Les stratégies ayant recours à des menaces asymétriques, menées par des acteurs étatiques ou non étatiques, peuvent aussi bien viser le territoire national que les forces en opérations. Les risques correspondants comprennent les agressions contre les systèmes d'information, les diverses formes de prolifération, la menace terroriste de niveau stratégique, le développement de la criminalité organisée.

La suprématie militaire occidentale rend l'affrontement direct peu probable. Les adversaires potentiels s'attacheront dorénavant, afin de contourner nos défenses, à développer toutes les capacités possibles de nuisance, hors de toute contrainte du droit international. Ils seront prêts, par exemple, à exploiter les potentiels de nos propres équipements civils ou à se servir d'armes de destruction massive détournées pour frapper les populations au coeur même de nos sociétés. Ils pourraient disposer un jour d'armes nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques (NRBC). La diffusion rapide des savoirs (Internet) ou des techniques et la disponibilité des matériels (technologies duales notamment dans le domaine des missiles, précurseurs chimiques) leur permettront d'avoir plus facilement accès à ces capacités.
1.3. Un environnement stratégique en mutation

Depuis 1996, le cadre international de notre politique de défense se transforme.

L'Europe de la défense a pris une dimension nouvelle depuis les initiatives prises par la France avec ses principaux partenaires. Leurs propositions, soumises et approuvées par les Quinze, ont permis de concrétiser les fondements institutionnels de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) et de fixer les objectifs militaires d'une capacité européenne de gestion de crises.

Au sommet d'Helsinki de décembre 1999, les Européens se sont en effet fixés des objectifs de capacités militaires concrets, permettant de couvrir l'ensemble des missions dites de Petersberg (maintien et rétablissement de la paix en particulier) pour disposer d'une capacité autonome de décider, de lancer et de conduire des opérations militaires sous leur propre direction en réponse à des crises internationales, là où l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), en tant que telle, n'est pas engagée. Cet engagement européen s'exprime sous la forme :

- d'un objectif global de capacités, selon lequel les Etats membres doivent être en mesure, d'ici à 2003, de déployer dans un délai de soixante jours et de soutenir pendant au moins une année une force militaire pouvant atteindre 60 000 hommes avec les moyens maritimes et aériens associés ;

- d'objectifs collectifs de capacités, notamment en matière de commandement et de contrôle, de renseignement et de transport stratégique, qui devront s'appuyer sur des initiatives nationales ou multinationales.

La déclaration d'opérationnalité adoptée à Laeken en décembre 2001 traduit la capacité politique et militaire de l'Union à agir. Les contributions des Etats membres, annoncées lors des conférences d'engagement de capacités, ont concrétisé la montée en puissance de cette capacité militaire.

Notre engagement dans l'Europe de la défense se conçoit en harmonie avec la solidarité transatlantique. Les actions entreprises en vue de renforcer les capacités européennes contribuent à faire progresser celles de l'Alliance. L'Alliance atlantique, tout en demeurant le fondement de la défense collective du continent, a engagé une réflexion de fond sur l'évolution de ses structures, de ses capacités et de ses missions. Les réflexions en cours à l'OTAN et les développements futurs du rôle de l'Union européenne dans la défense de l'Europe auront une influence sur le devenir de notre politique de défense.

Les Etats-Unis modifient leurs choix stratégiques. En témoignent leurs décisions de compléter leur arsenal de défense par un ensemble de moyens défensifs (antimissiles) et offensifs, conventionnels et nucléaires. Après le 11 septembre 2001, ils ont annoncé l'accélération de la transformation de leurs forces. Il s'agit, pour eux, face à des menaces moins prévisibles et qui peuvent les toucher directement, de disposer d'une large gamme de capacités rapidement projetables, d'accéder aux théâtres en toutes circonstances et de s'assurer une maîtrise totale de l'information depuis le territoire national américain, notamment avec l'appui de leurs réseaux spatiaux.

Un des éléments essentiels de cette nouvelle donne américaine réside dans la volonté de disposer de moyens d'agir seuls, le cas échéant, sans contrainte liée à des alliances ou des engagements multilatéraux. Cette stratégie n'exclut cependant pas des actions en coalition.

A cette ambition mondiale répond un renforcement massif de l'effort de défense qui bénéficie principalement à la recherche et au développement de nouveaux systèmes de défense, accentuant le fossé technologique et militaire entre l'Europe et les Etats-Unis.