JORF n°0127 du 3 juin 2014

LOI RELATIVE À L'INTERDICTION DE LA MISE EN CULTURE
DES VARIÉTÉS DE MAÏS GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉ

Mesdames et messieurs les conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 adoptée définitivement par le Parlement le 5 mai 2014.
Les députés auteurs de la présente saisine considèrent en effet que cette proposition de loi méconnaît le principe de primauté du droit européen qui est défini dans la Constitution et est contraire à plusieurs dispositions de droit communautaire.
I. ― La proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 méconnaît le principe de primauté du droit européen défini à l'article 55 de la Constitution
L'alinéa 1 de l'article unique de la proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 interdit la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié sur le territoire national.
L'autorisation de mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 a été délivrée le 22 avril 1998 par la Commission européenne sur les fondements des dispositions de la directive 90/220/CEE du Conseil du 23 avril 1990 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement.
Cette variété a ensuite été notifiée en tant que produit existant dans les conditions énoncées à l'article 20 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés.
Les députés auteurs de la présente saisine considèrent que cette proposition de loi est contraire à l'article 55 de la Constitution, qui prévoit que :
« Les traités et accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. »
Cet article inscrit dans la Constitution française la primauté du droit européen et implique que les règles et les actes de droit national ne peuvent contredire les règles de droit communautaire, puisque, comme le dit l'article 88-1 de la Constitution :
« La République participe à l'Union européenne constituée d'Etats qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. »
Selon le principe de primauté, le droit européen a une valeur supérieure aux droits nationaux des Etats membres. Le principe de primauté vaut pour tous les actes européens disposant d'une force obligatoire. Les Etats membres ne peuvent donc pas appliquer une règle nationale qui serait contraire au droit européen.
La déclaration 17 relative à la primauté, annexée à l'Acte final du traité de Lisbonne, précise que :
« Les traités et le droit adopté par l'Union sur la base des traités priment le droit des Etats membres. »
Le principe de primauté garantit la supériorité du droit européen sur les droits nationaux. Il est un principe fondamental du droit européen. Tout comme le principe d'effet direct, il n'est pas inscrit dans les traités mais a été consacré par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).
La CJUE a consacré le principe de primauté dans l'arrêt Costa contre Enel du 15 juillet 1964.
Dans cet arrêt, la Cour déclare que le droit issu des institutions européennes s'intègre aux systèmes juridiques des Etats membres, qui sont obligés de le respecter. Le droit européen a alors la primauté sur les droits nationaux. Ainsi, si une règle nationale est contraire à une disposition européenne, les autorités des Etats membres doivent appliquer la disposition européenne. Le droit national n'est ni annulé ni abrogé mais sa force obligatoire est suspendue.
La Cour a par la suite précisé que la primauté du droit européen s'applique à tous les actes nationaux, qu'ils aient été adoptés avant ou après l'acte européen concerné.
La primauté du droit européen sur les droits nationaux est absolue. Ainsi, tous les actes européens ayant une force obligatoire en bénéficient, qu'ils soient issus du droit primaire ou du droit dérivé.
De même, tous les actes nationaux sont soumis à ce principe, quelle que soit leur nature : loi, règlement, arrêté, ordonnance, circulaire, etc. Peu importe que ces textes aient été émis par le pouvoir exécutif ou législatif de l'Etat membre.
Le pouvoir judiciaire est également soumis au principe de primauté. En effet, le droit qu'il produit, la jurisprudence, doit respecter celui de l'Union.
La Cour de justice a estimé que les Constitutions nationales sont également soumises au principe de primauté. Il revient ainsi au juge national de ne pas appliquer les dispositions d'une Constitution contraire au droit européen.
En conséquence de ce qui précède, les effets du droit communautaire s'imposent à toutes les autorités des Etats membres, y compris aux autorités juridictionnelles.
Dans l'arrêt Simmenthal du 9 mars 1978, la Cour européenne a jugé que :
« Le juge national chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure. »
En 1973, Simmenthal, société importatrice de viande bovine, a dû, lors d'un contrôle sanitaire de viande de bœuf importée vers l'Italie depuis la France, verser une taxe d'un montant de 581 480 lires.
Le juge italien a posé une question préjudicielle à la CJCE afin de pouvoir juger de la compatibilité de cette taxe avec le droit communautaire, notamment le règlement du Conseil n° 805/68 du 27 juin 1968.
Suite à la réponse donnée par la Cour dans son arrêt 35/76, le juge estimant la taxe incompatible avec le droit communautaire a adressé une injonction de restitution à l'administration italienne, qui a fait opposition.
Ce conflit entre le droit communautaire et une loi nationale postérieure devait, en accord avec la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne, être soumis à la Cour constitutionnelle : le juge ne pouvait décider lui-même de l'incompatibilité de la loi contestée avec la norme constitutionnelle.
Le juge italien a alors posé deux questions préjudicielles à la Cour de justice :
L'applicabilité directe d'une norme de droit communautaire a-t-elle pour conséquence que toute disposition nationale ultérieure contraire à cette norme devrait être considérée de plein droit comme inapplicable, sans qu'il soit nécessaire d'attendre son élimination par le législateur national lui-même (abrogation) ou par d'autres organes constitutionnels (déclaration d'inconstitutionnalité) ?
Dans la négative, cette abrogation doit-elle être dans tous les cas assortie d'une rétroactivité pleine et entière de façon à éviter que les droits subjectifs ne subissent un préjudice quelconque ?
La Cour répond « oui » à la première question.
Le juge devra donc laisser « inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la loi nationale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la règle communautaire ».
Suite à cette réponse, la deuxième question est devenue sans objet.
Le juge national se voit donc soumis à l'obligation de faire prévaloir cette primauté, quels que soient les obstacles de son propre droit interne. En effet, le contraire reviendrait à nier le caractère effectif d'engagements inconditionnellement et irrévocablement assumés par les Etats membres, en vertu du traité, et mettrait ainsi en question les bases mêmes de la Communauté.
Pour ces raisons, les députés auteurs de cette saisine considèrent que la proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 méconnaît le principe de primauté du droit européen défini aux articles 58 et 88-1 de la Constitution.
II. ― La proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 est contraire à plusieurs dispositions du droit communautaire
L'autorisation de mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 a été délivrée le 22 avril 1998 par la Commission européenne sur les fondements des dispositions de la directive 90/220/CEE du Conseil du 23 avril 1990 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement.
Cette variété a ensuite été notifiée en tant que produit existant dans les conditions énoncées à l'article 20 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés.
Ces dispositions de droit communautaire sont directement applicables dans tous les Etats de l'Union européenne. La seule possibilité pour un Etat de l'Union européenne d'interdire provisoirement sur son territoire un OGM bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché au niveau européen est de faire jouer « la clause de sauvegarde » prévue par l'article 23 de la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001, qui a remplacé la directive 90/220/CE précitée.
Que dit cet article ?
Article 23 de la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001 :
« Clause de sauvegarde :

  1. Lorsqu'un Etat membre, en raison d'informations nouvelles ou complémentaires, devenues disponibles après que l'autorisation a été donnée et qui affectent l'évaluation des risques pour l'environnement ou en raison de la réévaluation des informations existantes sur la base de connaissances scientifiques nouvelles ou complémentaires, a des raisons précises de considérer qu'un OGM en tant que produit ou élément de produit ayant fait l'objet d'une notification en bonne et due forme et d'une autorisation écrite conformément à la présente directive présente un risque pour la santé humaine ou l'environnement, il peut limiter ou interdire, à titre provisoire, l'utilisation et/ou la vente de cet OGM en tant que produit ou élément de produit sur son territoire.
    L'Etat membre veille à ce qu'en cas de risque grave, des mesures d'urgence consistant, par exemple, à suspendre la mise sur le marché ou à y mettre fin soient prises, y compris en ce qui concerne l'information du public.
    L'Etat membre informe immédiatement la Commission et les autres Etats membres des actions entreprises au titre du présent article et indique les motifs de sa décision, en fournissant sa réévaluation des risques pour l'environnement et en indiquant si les conditions de l'autorisation doivent être modifiées et comment ou s'il convient de mettre fin à l'autorisation et, le cas échéant, les informations nouvelles ou complémentaires sur lesquelles il fonde sa décision.

  2. Dans un délai de soixante jours, une décision est prise en la matière selon la procédure prévue à l'article 30, paragraphe 2. Pour calculer ce délai de soixante jours, on ne tient pas compte des périodes durant lesquelles la Commission attend les informations complémentaires qu'elle a éventuellement demandées au notifiant ou demande l'avis d'un ou de plusieurs comités scientifiques qui ont été consultés. Le délai durant lequel la Commission attend l'avis du ou des comités scientifiques consultés ne peut dépasser soixante jours.
    De même, on ne tient pas compte du temps mis par le Conseil pour statuer conformément à la procédure prévue à l'article 30, paragraphe 2. »
    En effet, le droit européen ne permet pas aux Etats de prendre une mesure d'interdiction générale de la mise en culture de variétés de maïs génétiquement modifié sur son territoire national.
    Pour prendre de telles mesures de suspension ou d'interdiction de l'utilisation ou de la mise sur le marché d'un OGM tel que le MON 810, l'Etat membre doit informer la Commission des mesures envisagées et établir, « outre l'urgence, l'existence d'une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement » (cf. art. 34 du règlement [CE] n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés).
    Deux règlements communautaires fixent les conditions et les procédures qu'un Etat de l'Union européenne doit respecter pour prendre des dispositions en cas d'urgence :
    Le règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, dans ses articles 53 et 54 :
    Article 53 :
    « Mesures d'urgence applicables aux denrées alimentaires et aux aliments pour animaux d'origine communautaire ou importés d'un pays tiers.

  3. Lorsqu'il est évident que des denrées alimentaires ou des aliments pour animaux d'origine communautaire ou importés d'un pays tiers sont susceptibles de constituer un risque sérieux pour la santé humaine, la santé animale ou l'environnement et que ce risque ne peut être maîtrisé de façon satisfaisante par le biais de mesures prises par le ou les Etats membres concernés, la Commission, agissant conformément à la procédure prévue à l'article 58, paragraphe 2, arrête sans délai, de sa propre initiative ou à la demande d'un Etat membre, en fonction de la gravité de la situation, une ou plusieurs des mesures suivantes :
    a) Pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux d'origine communautaire :
    i) Suspension de la mise sur le marché ou de l'utilisation des denrées alimentaires en question ;
    ii) Suspension de la mise sur le marché ou de l'utilisation des aliments pour animaux en question ;
    iii) Fixation de conditions particulières pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux en question ;
    iv) Toute autre mesure conservatoire appropriée ;
    b) Pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux importés d'un pays tiers :
    i) Suspension des importations des denrées alimentaires ou aliments pour animaux en question en provenance de tout ou partie du pays tiers concerné et, le cas échéant, du pays tiers de transit ;
    ii) Fixation de conditions particulières pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux en question provenant de tout ou partie du pays tiers concerné ;
    iii) Toute autre mesure conservatoire appropriée.

  4. Toutefois, dans des situations d'urgence, la Commission peut, à titre provisoire, arrêter les mesures visées au paragraphe 1 après avoir consulté les Etats membres concernés et informé les autres Etats membres.
    Aussi rapidement que possible et dans un délai maximum de dix jours ouvrables, les mesures adoptées sont confirmées, modifiées, abrogées ou prorogées conformément à la procédure visée à l'article 58, paragraphe 2, et les raisons motivant la décision de la Commission sont rendues publiques sans délai. »
    Article 54 :
    « Autres mesures d'urgence.

  5. Lorsqu'un Etat membre informe officiellement la Commission de la nécessité de prendre des mesures d'urgence et que la Commission n'a pris aucune mesure conformément à l'article 53, cet Etat membre peut prendre des mesures conservatoires. Dans ce cas, il en informe immédiatement les autres Etats membres et la Commission.

  6. Dans un délai de dix jours ouvrables, la Commission saisit le comité institué à l'article 58, paragraphe 1, conformément à la procédure prévue à l'article 58, paragraphe 2, en vue de la prorogation, de la modification ou de l'abrogation des mesures conservatoires nationales.

  7. L'Etat membre peut maintenir les mesures conservatoires qu'il a prises au niveau national jusqu'à l'adoption des mesures communautaires. »
    Les députés auteurs de la présente saisine considèrent que la proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 méconnaît les dispositions prévues aux articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés car, même si l'urgence avait été avérée, ce qui n'est pas le cas pour la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810, la France n'a pas respecté les procédures prévues en cas de mesures d'urgence (notamment informer officiellement la Commission et les autres Etats membres) mais a eu recours à une loi nationale qui, de surcroît, est incompatible avec le droit communautaire en vigueur.
    Le règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés dans son article 34 :
    Article 34 :
    « Mesures d'urgence :
    Lorsqu'un produit autorisé par le présent règlement ou conformément à celui-ci est, de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l'environnement ou si, au regard d'un avis de l'Autorité délivré conformément aux articles 10 et 22, il apparaît nécessaire de suspendre ou de modifier d'urgence une autorisation, des mesures sont arrêtées conformément aux procédures visées aux articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 178/2002. »
    En vertu de ce règlement, pour prendre des mesures de suspension ou d'interdiction de l'utilisation ou de la mise sur le marché d'un OGM tel que le MON 810, l'Etat membre doit informer la Commission des mesures envisagées et établir, outre l'urgence, l'existence d'une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement.
    La France a essayé de faire jouer cette clause de sauvegarde à deux reprises :
    Par un arrêté en date du 7 février 2008, signé par le ministre de l'agriculture, qui a suspendu une première fois la mise en culture des variétés du MON 810.
    Cet arrêté a été annulé par le Conseil d'Etat le 28 novembre 2011, faisant suite à un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne en date du 8 septembre 2011, dans lequel elle dit que :
    « En vue de l'adoption de mesures d'urgence, l'article 34 du règlement n° 1829/2003 impose aux Etats membres d'établir, outre l'urgence, l'existence d'une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement. »
    Le Conseil d'Etat a considéré, après avoir posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, que, en vertu de l'article 34 du règlement n° 1829/2003 précité, l'urgence n'était pas justifiée (cf. Conseil d'Etat, 28 novembre 2011, Monsanto SAS et autres) :
    « Sur l'invocation du règlement (CE) n° 1829/2003 :
    Considérant que, pour fonder sa décision, le ministre se borne à invoquer l'attente des résultats de la mission d'évaluation des effets du MON 810 sur l'environnement et la santé publique confiée au comité de préfiguration de la Haute Autorité des organismes génétiquement modifiés ; que le ministre ne saurait être regardé comme ayant établi, par ce seul motif, l'existence de circonstances de nature à caractériser une urgence et d'une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement ; que, dès lors, l'arrêté contesté ne saurait être légalement fondé sur les dispositions combinées de l'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 et de l'article 54 du règlement (CE) n° 178/2002. »
    Par un nouvel arrêté, publié le 16 mars 2012, la France a essayé à nouveau de suspendre la mise en culture de la même variété MON 810.
    Cet arrêté a été également annulé par le Conseil d'Etat le 1er août 2013 (cf. Conseil d'Etat, 1er août 2013, Association générale des producteurs de maïs [AGPM] et autres).
    S'appuyant sur l'avis du 8 décembre 2011 de l'Autorité européenne de sécurité des aliments, le juge administratif a estimé que le maïs génétiquement modifié MON 810 n'est pas susceptible de soulever davantage de préoccupations pour l'environnement que le maïs conventionnel et qu'il n'existe aucun risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement constaté sur la base d'éléments nouveaux et reposant sur des données scientifiques fiables. ll en découle qu'aucune situation d'urgence ne peut être déclarée nécessitant la suspension ou l'interdiction des dispositions en vigueur dans tous les Etats de l'Union européenne.
    On peut citer ici les considérants 10, 11 et 12 :
    « 10. Considérant qu'en estimant qu'il apparaissait nécessaire, au regard de l'avis du 8 décembre 2011 de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), dont il ne résulte pas que le maïs MON 810 présenterait un risque important pour l'environnement, qui ne fait état d'aucune urgence et qui n'adresse aucune recommandation à la Commission, de suspendre ou de modifier d'urgence l'autorisation de mise sur le marché du maïs MON 810, le ministre a commis une erreur manifeste d'appréciation ;

  8. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'arrêt Monsanto SAS et autres de la Cour de justice de l'Union européenne du 8 septembre 2011, C-58/10 à C-68/10, que la première hypothèse mentionnée par l'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 impose aux Etats membres de démontrer, outre l'urgence, l'existence d'une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement ; qu'un tel risque doit être constaté sur la base d'éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables ;

  9. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que tant l'avis de l'AESA du 30 juin 2009 relatif à la demande de renouvellement de l'autorisation de mise sur le marché du maïs génétiquement modifié MON 810 que l'avis du 22 décembre 2009 du comité scientifique du Haut Conseil des biotechnologies sur les réponses de l'AESA aux questions posées par les Etats membres au sujet du maïs MON 810 et l'avis de ce comité du 21 octobre 2011 sur le rapport de surveillance de culture du MON 810 en 2010 ont conclu à l'absence de risque important pour l'environnement ; que, si une étude publiée le 15 février 2012 par des chercheurs de l'Institut fédéral suisse de technologie de Zurich constate une augmentation de la mortalité de larves de coccinelles nourries constamment en laboratoire avec la toxine Bt, cette étude relève que ses résultats n'ont pas été retrouvés dans des études en plein champ et ne conclut pas à l'existence d'un risque mais uniquement à la nécessité de mener des études complémentaires ; »
    Depuis le dernier arrêt du Conseil d'Etat du 1er août 2013, qui a annulé pour la deuxième fois l'arrêté de suspension de la mise en culture du MON 810, la seule raison qui justifierait une interdiction de la mise en culture du MON 810 est l'existence d'une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement. Ce risque devant être fondé sur des données scientifiques fiables et de nouvelles études.
    Encore faudrait-il, si tel était le cas, que la France respecte les dispositions et les procédures définies à l'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés et aux articles 53 et 54 du règlement n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire.
    En aucun cas la France ne pourrait recourir à sa législation nationale pour ne pas appliquer une disposition relevant du droit communautaire qui s'impose à elle conformément au principe de primauté du droit européen défini aux articles 55 et 88-1 de la Constitution.
    Mais encore, il aurait fallu, si la France avait agi en conformité avec le droit communautaire en vigueur, pouvoir invoquer la clause de sauvegarde et démontrer la situation d'urgence par la présence d'éléments scientifiques nouveaux et fiables prouvant l'existence d'un risque avéré posé par le maïs génétiquement modifié MON 810 mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement.
    Or, la proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 ne se fonde sur aucune étude nouvelle depuis le dernier arrêt du Conseil d'Etat du 1er août 2013 concluant à un risque avéré du MON 810 sur la santé animale, la santé humaine ou l'environnement.
    En effet, les publications scientifiques récentes évoquées dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, à savoir l'étude publiée par Campagne et al., 2013, expressément citée ― c'est d'ailleurs la seule ― dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, n'apportent pas de nouvel élément scientifique probant.
    Et pour cause, l'insecte ravageur Busseola fusca auquel cette publication se réfère est un papillon présent uniquement en Afrique subsaharienne. Cette référence n'a donc pas de rapport avec le cas, comme l'a très bien rappelé Georges Pelletier, ancien directeur de l'INRA et membre de l'Académie des sciences, dans la lettre ouverte qu'il a adressée au Gouvernement le 20 janvier dernier.
    Le Conseil d'Etat s'était appuyé sur l'avis des agences publiques européennes telles que l'Autorité européenne de sécurité des aliments. Or, si la France s'est elle aussi dotée d'agences, c'est pour disposer d'avis scientifiques objectifs offrant le maximum de garanties. Aucun de ces avis conclut à ce jour à un risque avéré du MON 810 sur la santé humaine, la santé animale ou l'environnement.
    Cette interdiction se fonde donc sur une approche purement hypothétique du risque, sur de simples suppositions scientifiquement jamais vérifiées.
    En réalité, aucune situation d'urgence ni aucun risque pour la santé ni l'environnement ne justifie une telle interdiction parce que nous disposons en France d'un arsenal juridique d'encadrement des mises en culture des espèces OGM pleinement respectueux du principe de précaution et élaboré après un travail approfondi.
    La loi du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés qui transpose la directive 98/8/CE a permis de doter la France de dispositions législatives équilibrées et complètes. Avec l'affirmation de la liberté de produire ou de consommer avec ou sans OGM, la volonté de l'agriculteur et celle du consommateur sont respectées. Ce texte fondateur a instauré un régime de responsabilité sans faute à l'égard du préjudice éventuel dû à une dissémination fortuite d'OGM. Il a également mis en place une information des citoyens par le biais d'un registre national des cultures OGM. Les questions de dissémination et de pollinisation croisée ont été traitées par l'instauration de distances appropriées entre différents types de cultures.
    Enfin, le législateur a pris soin de créer une instance unique, indépendante et pluridisciplinaire, le Haut Conseil des biotechnologies. Au sein de cet organisme, il a bien distingué l'avis des experts, réunis au sein du comité scientifique, de la parole de la société civile, représentée par le comité économique, éthique et social, dans le respect des points de vue de chacun.
    Pour conclure, les députés auteurs de cette saisine considèrent que la proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 est contraire :
    ― à des principes et valeurs constitutionnelles tels que la primauté du droit européen définie aux articles 55 et 88-1 de la Constitution ;
    ― aux dispositions du droit communautaire suivantes :
    ― considérant :
    ― la directive 90/220/CEE du Conseil du 23 avril 1990 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement ;
    ― l'article 20 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés ;
    ― l'article 23 de la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001, qui a remplacé la directive 90/220/CE précitée ;
    ― aux articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires ;
    ― à l'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés.
    Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la compétence et la fonction que lui confère la Constitution.


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LOI RELATIVE À L'INTERDICTION DE LA MISE EN CULTURE

DES VARIÉTÉS DE MAÏS GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉ

Mesdames et messieurs les conseillers,

Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 adoptée définitivement par le Parlement le 5 mai 2014.

Les députés auteurs de la présente saisine considèrent en effet que cette proposition de loi méconnaît le principe de primauté du droit européen qui est défini dans la Constitution et est contraire à plusieurs dispositions de droit communautaire.

I. ― La proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 méconnaît le principe de primauté du droit européen défini à l'article 55 de la Constitution

L'alinéa 1 de l'article unique de la proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 interdit la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié sur le territoire national.

L'autorisation de mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 a été délivrée le 22 avril 1998 par la Commission européenne sur les fondements des dispositions de la directive 90/220/CEE du Conseil du 23 avril 1990 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement.

Cette variété a ensuite été notifiée en tant que produit existant dans les conditions énoncées à l'article 20 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés.

Les députés auteurs de la présente saisine considèrent que cette proposition de loi est contraire à l'article 55 de la Constitution, qui prévoit que :

« Les traités et accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. »

Cet article inscrit dans la Constitution française la primauté du droit européen et implique que les règles et les actes de droit national ne peuvent contredire les règles de droit communautaire, puisque, comme le dit l'article 88-1 de la Constitution :

« La République participe à l'Union européenne constituée d'Etats qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. »

Selon le principe de primauté, le droit européen a une valeur supérieure aux droits nationaux des Etats membres. Le principe de primauté vaut pour tous les actes européens disposant d'une force obligatoire. Les Etats membres ne peuvent donc pas appliquer une règle nationale qui serait contraire au droit européen.

La déclaration 17 relative à la primauté, annexée à l'Acte final du traité de Lisbonne, précise que :

« Les traités et le droit adopté par l'Union sur la base des traités priment le droit des Etats membres. »

Le principe de primauté garantit la supériorité du droit européen sur les droits nationaux. Il est un principe fondamental du droit européen. Tout comme le principe d'effet direct, il n'est pas inscrit dans les traités mais a été consacré par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).

La CJUE a consacré le principe de primauté dans l'arrêt Costa contre Enel du 15 juillet 1964.

Dans cet arrêt, la Cour déclare que le droit issu des institutions européennes s'intègre aux systèmes juridiques des Etats membres, qui sont obligés de le respecter. Le droit européen a alors la primauté sur les droits nationaux. Ainsi, si une règle nationale est contraire à une disposition européenne, les autorités des Etats membres doivent appliquer la disposition européenne. Le droit national n'est ni annulé ni abrogé mais sa force obligatoire est suspendue.

La Cour a par la suite précisé que la primauté du droit européen s'applique à tous les actes nationaux, qu'ils aient été adoptés avant ou après l'acte européen concerné.

La primauté du droit européen sur les droits nationaux est absolue. Ainsi, tous les actes européens ayant une force obligatoire en bénéficient, qu'ils soient issus du droit primaire ou du droit dérivé.

De même, tous les actes nationaux sont soumis à ce principe, quelle que soit leur nature : loi, règlement, arrêté, ordonnance, circulaire, etc. Peu importe que ces textes aient été émis par le pouvoir exécutif ou législatif de l'Etat membre.

Le pouvoir judiciaire est également soumis au principe de primauté. En effet, le droit qu'il produit, la jurisprudence, doit respecter celui de l'Union.

La Cour de justice a estimé que les Constitutions nationales sont également soumises au principe de primauté. Il revient ainsi au juge national de ne pas appliquer les dispositions d'une Constitution contraire au droit européen.

En conséquence de ce qui précède, les effets du droit communautaire s'imposent à toutes les autorités des Etats membres, y compris aux autorités juridictionnelles.

Dans l'arrêt Simmenthal du 9 mars 1978, la Cour européenne a jugé que :

« Le juge national chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure. »

En 1973, Simmenthal, société importatrice de viande bovine, a dû, lors d'un contrôle sanitaire de viande de bœuf importée vers l'Italie depuis la France, verser une taxe d'un montant de 581 480 lires.

Le juge italien a posé une question préjudicielle à la CJCE afin de pouvoir juger de la compatibilité de cette taxe avec le droit communautaire, notamment le règlement du Conseil n° 805/68 du 27 juin 1968.

Suite à la réponse donnée par la Cour dans son arrêt 35/76, le juge estimant la taxe incompatible avec le droit communautaire a adressé une injonction de restitution à l'administration italienne, qui a fait opposition.

Ce conflit entre le droit communautaire et une loi nationale postérieure devait, en accord avec la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne, être soumis à la Cour constitutionnelle : le juge ne pouvait décider lui-même de l'incompatibilité de la loi contestée avec la norme constitutionnelle.

Le juge italien a alors posé deux questions préjudicielles à la Cour de justice :

L'applicabilité directe d'une norme de droit communautaire a-t-elle pour conséquence que toute disposition nationale ultérieure contraire à cette norme devrait être considérée de plein droit comme inapplicable, sans qu'il soit nécessaire d'attendre son élimination par le législateur national lui-même (abrogation) ou par d'autres organes constitutionnels (déclaration d'inconstitutionnalité) ?

Dans la négative, cette abrogation doit-elle être dans tous les cas assortie d'une rétroactivité pleine et entière de façon à éviter que les droits subjectifs ne subissent un préjudice quelconque ?

La Cour répond « oui » à la première question.

Le juge devra donc laisser « inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la loi nationale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la règle communautaire ».

Suite à cette réponse, la deuxième question est devenue sans objet.

Le juge national se voit donc soumis à l'obligation de faire prévaloir cette primauté, quels que soient les obstacles de son propre droit interne. En effet, le contraire reviendrait à nier le caractère effectif d'engagements inconditionnellement et irrévocablement assumés par les Etats membres, en vertu du traité, et mettrait ainsi en question les bases mêmes de la Communauté.

Pour ces raisons, les députés auteurs de cette saisine considèrent que la proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 méconnaît le principe de primauté du droit européen défini aux articles 58 et 88-1 de la Constitution.

II. ― La proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 est contraire à plusieurs dispositions du droit communautaire

L'autorisation de mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 a été délivrée le 22 avril 1998 par la Commission européenne sur les fondements des dispositions de la directive 90/220/CEE du Conseil du 23 avril 1990 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement.

Cette variété a ensuite été notifiée en tant que produit existant dans les conditions énoncées à l'article 20 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés.

Ces dispositions de droit communautaire sont directement applicables dans tous les Etats de l'Union européenne. La seule possibilité pour un Etat de l'Union européenne d'interdire provisoirement sur son territoire un OGM bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché au niveau européen est de faire jouer « la clause de sauvegarde » prévue par l'article 23 de la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001, qui a remplacé la directive 90/220/CE précitée.

Que dit cet article ?

Article 23 de la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001 :

« Clause de sauvegarde :

1. Lorsqu'un Etat membre, en raison d'informations nouvelles ou complémentaires, devenues disponibles après que l'autorisation a été donnée et qui affectent l'évaluation des risques pour l'environnement ou en raison de la réévaluation des informations existantes sur la base de connaissances scientifiques nouvelles ou complémentaires, a des raisons précises de considérer qu'un OGM en tant que produit ou élément de produit ayant fait l'objet d'une notification en bonne et due forme et d'une autorisation écrite conformément à la présente directive présente un risque pour la santé humaine ou l'environnement, il peut limiter ou interdire, à titre provisoire, l'utilisation et/ou la vente de cet OGM en tant que produit ou élément de produit sur son territoire.

L'Etat membre veille à ce qu'en cas de risque grave, des mesures d'urgence consistant, par exemple, à suspendre la mise sur le marché ou à y mettre fin soient prises, y compris en ce qui concerne l'information du public.

L'Etat membre informe immédiatement la Commission et les autres Etats membres des actions entreprises au titre du présent article et indique les motifs de sa décision, en fournissant sa réévaluation des risques pour l'environnement et en indiquant si les conditions de l'autorisation doivent être modifiées et comment ou s'il convient de mettre fin à l'autorisation et, le cas échéant, les informations nouvelles ou complémentaires sur lesquelles il fonde sa décision.

2. Dans un délai de soixante jours, une décision est prise en la matière selon la procédure prévue à l'article 30, paragraphe 2. Pour calculer ce délai de soixante jours, on ne tient pas compte des périodes durant lesquelles la Commission attend les informations complémentaires qu'elle a éventuellement demandées au notifiant ou demande l'avis d'un ou de plusieurs comités scientifiques qui ont été consultés. Le délai durant lequel la Commission attend l'avis du ou des comités scientifiques consultés ne peut dépasser soixante jours.

De même, on ne tient pas compte du temps mis par le Conseil pour statuer conformément à la procédure prévue à l'article 30, paragraphe 2. »

En effet, le droit européen ne permet pas aux Etats de prendre une mesure d'interdiction générale de la mise en culture de variétés de maïs génétiquement modifié sur son territoire national.

Pour prendre de telles mesures de suspension ou d'interdiction de l'utilisation ou de la mise sur le marché d'un OGM tel que le MON 810, l'Etat membre doit informer la Commission des mesures envisagées et établir, « outre l'urgence, l'existence d'une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement » (cf. art. 34 du règlement [CE] n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés).

Deux règlements communautaires fixent les conditions et les procédures qu'un Etat de l'Union européenne doit respecter pour prendre des dispositions en cas d'urgence :

Le règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, dans ses articles 53 et 54 :

Article 53 :

« Mesures d'urgence applicables aux denrées alimentaires et aux aliments pour animaux d'origine communautaire ou importés d'un pays tiers.

1. Lorsqu'il est évident que des denrées alimentaires ou des aliments pour animaux d'origine communautaire ou importés d'un pays tiers sont susceptibles de constituer un risque sérieux pour la santé humaine, la santé animale ou l'environnement et que ce risque ne peut être maîtrisé de façon satisfaisante par le biais de mesures prises par le ou les Etats membres concernés, la Commission, agissant conformément à la procédure prévue à l'article 58, paragraphe 2, arrête sans délai, de sa propre initiative ou à la demande d'un Etat membre, en fonction de la gravité de la situation, une ou plusieurs des mesures suivantes :

a) Pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux d'origine communautaire :

i) Suspension de la mise sur le marché ou de l'utilisation des denrées alimentaires en question ;

ii) Suspension de la mise sur le marché ou de l'utilisation des aliments pour animaux en question ;

iii) Fixation de conditions particulières pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux en question ;

iv) Toute autre mesure conservatoire appropriée ;

b) Pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux importés d'un pays tiers :

i) Suspension des importations des denrées alimentaires ou aliments pour animaux en question en provenance de tout ou partie du pays tiers concerné et, le cas échéant, du pays tiers de transit ;

ii) Fixation de conditions particulières pour les denrées alimentaires ou aliments pour animaux en question provenant de tout ou partie du pays tiers concerné ;

iii) Toute autre mesure conservatoire appropriée.

2. Toutefois, dans des situations d'urgence, la Commission peut, à titre provisoire, arrêter les mesures visées au paragraphe 1 après avoir consulté les Etats membres concernés et informé les autres Etats membres.

Aussi rapidement que possible et dans un délai maximum de dix jours ouvrables, les mesures adoptées sont confirmées, modifiées, abrogées ou prorogées conformément à la procédure visée à l'article 58, paragraphe 2, et les raisons motivant la décision de la Commission sont rendues publiques sans délai. »

Article 54 :

« Autres mesures d'urgence.

1. Lorsqu'un Etat membre informe officiellement la Commission de la nécessité de prendre des mesures d'urgence et que la Commission n'a pris aucune mesure conformément à l'article 53, cet Etat membre peut prendre des mesures conservatoires. Dans ce cas, il en informe immédiatement les autres Etats membres et la Commission.

2. Dans un délai de dix jours ouvrables, la Commission saisit le comité institué à l'article 58, paragraphe 1, conformément à la procédure prévue à l'article 58, paragraphe 2, en vue de la prorogation, de la modification ou de l'abrogation des mesures conservatoires nationales.

3. L'Etat membre peut maintenir les mesures conservatoires qu'il a prises au niveau national jusqu'à l'adoption des mesures communautaires. »

Les députés auteurs de la présente saisine considèrent que la proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 méconnaît les dispositions prévues aux articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés car, même si l'urgence avait été avérée, ce qui n'est pas le cas pour la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810, la France n'a pas respecté les procédures prévues en cas de mesures d'urgence (notamment informer officiellement la Commission et les autres Etats membres) mais a eu recours à une loi nationale qui, de surcroît, est incompatible avec le droit communautaire en vigueur.

Le règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés dans son article 34 :

Article 34 :

« Mesures d'urgence :

Lorsqu'un produit autorisé par le présent règlement ou conformément à celui-ci est, de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l'environnement ou si, au regard d'un avis de l'Autorité délivré conformément aux articles 10 et 22, il apparaît nécessaire de suspendre ou de modifier d'urgence une autorisation, des mesures sont arrêtées conformément aux procédures visées aux articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 178/2002. »

En vertu de ce règlement, pour prendre des mesures de suspension ou d'interdiction de l'utilisation ou de la mise sur le marché d'un OGM tel que le MON 810, l'Etat membre doit informer la Commission des mesures envisagées et établir, outre l'urgence, l'existence d'une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement.

La France a essayé de faire jouer cette clause de sauvegarde à deux reprises :

Par un arrêté en date du 7 février 2008, signé par le ministre de l'agriculture, qui a suspendu une première fois la mise en culture des variétés du MON 810.

Cet arrêté a été annulé par le Conseil d'Etat le 28 novembre 2011, faisant suite à un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne en date du 8 septembre 2011, dans lequel elle dit que :

« En vue de l'adoption de mesures d'urgence, l'article 34 du règlement n° 1829/2003 impose aux Etats membres d'établir, outre l'urgence, l'existence d'une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement. »

Le Conseil d'Etat a considéré, après avoir posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, que, en vertu de l'article 34 du règlement n° 1829/2003 précité, l'urgence n'était pas justifiée (cf. Conseil d'Etat, 28 novembre 2011, Monsanto SAS et autres) :

« Sur l'invocation du règlement (CE) n° 1829/2003 :

Considérant que, pour fonder sa décision, le ministre se borne à invoquer l'attente des résultats de la mission d'évaluation des effets du MON 810 sur l'environnement et la santé publique confiée au comité de préfiguration de la Haute Autorité des organismes génétiquement modifiés ; que le ministre ne saurait être regardé comme ayant établi, par ce seul motif, l'existence de circonstances de nature à caractériser une urgence et d'une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement ; que, dès lors, l'arrêté contesté ne saurait être légalement fondé sur les dispositions combinées de l'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 et de l'article 54 du règlement (CE) n° 178/2002. »

Par un nouvel arrêté, publié le 16 mars 2012, la France a essayé à nouveau de suspendre la mise en culture de la même variété MON 810.

Cet arrêté a été également annulé par le Conseil d'Etat le 1er août 2013 (cf. Conseil d'Etat, 1er août 2013, Association générale des producteurs de maïs [AGPM] et autres).

S'appuyant sur l'avis du 8 décembre 2011 de l'Autorité européenne de sécurité des aliments, le juge administratif a estimé que le maïs génétiquement modifié MON 810 n'est pas susceptible de soulever davantage de préoccupations pour l'environnement que le maïs conventionnel et qu'il n'existe aucun risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement constaté sur la base d'éléments nouveaux et reposant sur des données scientifiques fiables. ll en découle qu'aucune situation d'urgence ne peut être déclarée nécessitant la suspension ou l'interdiction des dispositions en vigueur dans tous les Etats de l'Union européenne.

On peut citer ici les considérants 10, 11 et 12 :

« 10. Considérant qu'en estimant qu'il apparaissait nécessaire, au regard de l'avis du 8 décembre 2011 de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), dont il ne résulte pas que le maïs MON 810 présenterait un risque important pour l'environnement, qui ne fait état d'aucune urgence et qui n'adresse aucune recommandation à la Commission, de suspendre ou de modifier d'urgence l'autorisation de mise sur le marché du maïs MON 810, le ministre a commis une erreur manifeste d'appréciation ;

11. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'arrêt Monsanto SAS et autres de la Cour de justice de l'Union européenne du 8 septembre 2011, C-58/10 à C-68/10, que la première hypothèse mentionnée par l'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 impose aux Etats membres de démontrer, outre l'urgence, l'existence d'une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement ; qu'un tel risque doit être constaté sur la base d'éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables ;

12. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que tant l'avis de l'AESA du 30 juin 2009 relatif à la demande de renouvellement de l'autorisation de mise sur le marché du maïs génétiquement modifié MON 810 que l'avis du 22 décembre 2009 du comité scientifique du Haut Conseil des biotechnologies sur les réponses de l'AESA aux questions posées par les Etats membres au sujet du maïs MON 810 et l'avis de ce comité du 21 octobre 2011 sur le rapport de surveillance de culture du MON 810 en 2010 ont conclu à l'absence de risque important pour l'environnement ; que, si une étude publiée le 15 février 2012 par des chercheurs de l'Institut fédéral suisse de technologie de Zurich constate une augmentation de la mortalité de larves de coccinelles nourries constamment en laboratoire avec la toxine Bt, cette étude relève que ses résultats n'ont pas été retrouvés dans des études en plein champ et ne conclut pas à l'existence d'un risque mais uniquement à la nécessité de mener des études complémentaires ; »

Depuis le dernier arrêt du Conseil d'Etat du 1er août 2013, qui a annulé pour la deuxième fois l'arrêté de suspension de la mise en culture du MON 810, la seule raison qui justifierait une interdiction de la mise en culture du MON 810 est l'existence d'une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement. Ce risque devant être fondé sur des données scientifiques fiables et de nouvelles études.

Encore faudrait-il, si tel était le cas, que la France respecte les dispositions et les procédures définies à l'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés et aux articles 53 et 54 du règlement n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire.

En aucun cas la France ne pourrait recourir à sa législation nationale pour ne pas appliquer une disposition relevant du droit communautaire qui s'impose à elle conformément au principe de primauté du droit européen défini aux articles 55 et 88-1 de la Constitution.

Mais encore, il aurait fallu, si la France avait agi en conformité avec le droit communautaire en vigueur, pouvoir invoquer la clause de sauvegarde et démontrer la situation d'urgence par la présence d'éléments scientifiques nouveaux et fiables prouvant l'existence d'un risque avéré posé par le maïs génétiquement modifié MON 810 mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement.

Or, la proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 ne se fonde sur aucune étude nouvelle depuis le dernier arrêt du Conseil d'Etat du 1er août 2013 concluant à un risque avéré du MON 810 sur la santé animale, la santé humaine ou l'environnement.

En effet, les publications scientifiques récentes évoquées dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, à savoir l'étude publiée par Campagne et al., 2013, expressément citée ― c'est d'ailleurs la seule ― dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, n'apportent pas de nouvel élément scientifique probant.

Et pour cause, l'insecte ravageur Busseola fusca auquel cette publication se réfère est un papillon présent uniquement en Afrique subsaharienne. Cette référence n'a donc pas de rapport avec le cas, comme l'a très bien rappelé Georges Pelletier, ancien directeur de l'INRA et membre de l'Académie des sciences, dans la lettre ouverte qu'il a adressée au Gouvernement le 20 janvier dernier.

Le Conseil d'Etat s'était appuyé sur l'avis des agences publiques européennes telles que l'Autorité européenne de sécurité des aliments. Or, si la France s'est elle aussi dotée d'agences, c'est pour disposer d'avis scientifiques objectifs offrant le maximum de garanties. Aucun de ces avis conclut à ce jour à un risque avéré du MON 810 sur la santé humaine, la santé animale ou l'environnement.

Cette interdiction se fonde donc sur une approche purement hypothétique du risque, sur de simples suppositions scientifiquement jamais vérifiées.

En réalité, aucune situation d'urgence ni aucun risque pour la santé ni l'environnement ne justifie une telle interdiction parce que nous disposons en France d'un arsenal juridique d'encadrement des mises en culture des espèces OGM pleinement respectueux du principe de précaution et élaboré après un travail approfondi.

La loi du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés qui transpose la directive 98/8/CE a permis de doter la France de dispositions législatives équilibrées et complètes. Avec l'affirmation de la liberté de produire ou de consommer avec ou sans OGM, la volonté de l'agriculteur et celle du consommateur sont respectées. Ce texte fondateur a instauré un régime de responsabilité sans faute à l'égard du préjudice éventuel dû à une dissémination fortuite d'OGM. Il a également mis en place une information des citoyens par le biais d'un registre national des cultures OGM. Les questions de dissémination et de pollinisation croisée ont été traitées par l'instauration de distances appropriées entre différents types de cultures.

Enfin, le législateur a pris soin de créer une instance unique, indépendante et pluridisciplinaire, le Haut Conseil des biotechnologies. Au sein de cet organisme, il a bien distingué l'avis des experts, réunis au sein du comité scientifique, de la parole de la société civile, représentée par le comité économique, éthique et social, dans le respect des points de vue de chacun.

Pour conclure, les députés auteurs de cette saisine considèrent que la proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 est contraire :

― à des principes et valeurs constitutionnelles tels que la primauté du droit européen définie aux articles 55 et 88-1 de la Constitution ;

― aux dispositions du droit communautaire suivantes :

― considérant :

― la directive 90/220/CEE du Conseil du 23 avril 1990 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement ;

― l'article 20 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés ;

― l'article 23 de la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001, qui a remplacé la directive 90/220/CE précitée ;

― aux articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires ;

― à l'article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés.

Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la compétence et la fonction que lui confère la Constitution.