Il n'a pas de valeur légale et peut contenir des erreurs.
Conditions indignes de détention au centre pénitentiaire de Bois-d'Arcy
L'article 9 de la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) permet à cette autorité, lorsqu'elle constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de communiquer sans délai aux autorités compétentes ses observations, de leur impartir un délai pour y répondre et, à l'issue de ce délai, de constater s'il a été mis fin à la violation signalée. S'il l'estime nécessaire, le CGLPL rend immédiatement public le contenu de ses observations et des réponses reçues. Le garde des sceaux, ministre de la justice, a apporté des observations en réponse aux présentes recommandations, ci-après reproduites.
Du 7 au 16 septembre 2022, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté et une équipe de six contrôleurs ont visité pour la troisième fois le centre pénitentiaire de Bois-d'Arcy (Yvelines). Ils y ont constaté des conditions de détention indignes : surpopulation, désœuvrement, entraves à l'accès aux soins, recours excessif aux mesures de contrôle et de contrainte, désorganisation générale de la détention. Ces conditions de détention ne permettent de garantir ni la sécurité des personnes écrouées, ni celle des personnes qui travaillent au centre pénitentiaire.
- Un établissement surpeuplé et des conditions d'enfermement indignes
1.1. La surpopulation est endémique et préoccupante
Le quartier maison d'arrêt du centre pénitentiaire de Bois-d'Arcy hébergeait au premier jour du contrôle 833 personnes, pour 503 cellules individuelles et 19 cellules doubles (1), soit un taux d'occupation s'élevant à 165 % ; 466 détenus sont hébergés à deux dans des cellules individuelles, 201 détenus sont hébergés à trois, toujours en cellule individuelle.
Cette situation, endémique au centre pénitentiaire de Bois-d'Arcy comme dans d'autres établissements d'Ile-de-France, n'en est pas moins alarmante au regard des conditions générales d'enfermement. La durée des peines qui y sont mises en œuvre est courte. En dépit des objectifs affichés par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (2), il est relevé que 37 % des peines purgées au centre pénitentiaire de Bois-d'Arcy sont inférieures à six mois et 44 % des détenus y exécutent des peines dont le quantum est compris entre six mois et un an (3). Cette situation perdure en dépit d'une information régulière des magistrats par l'administration pénitentiaire de la surpopulation.
La prise en charge des condamnés par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) ne s'effectue qu'au rythme des demandes d'aménagements de peines, sans politique active de mise en œuvre des libérations sous contrainte. A moins d'une demande expresse, le SPIP n'assure pas le suivi des prévenus.
1.2. Les conditions de détention sont attentatoires à la dignité et ne garantissent pas la sécurité des détenus
La population détenue est accueillie dans des conditions dégradées et inadaptées.
Les détenus ne disposent pas d'un espace suffisant pour vivre et se mouvoir en cellule. Après retrait de l'emprise au sol du mobilier commun (4), les cellules simples dans lesquelles sont hébergées deux détenus offrent à chacun d'eux un espace de 2,92 m2 tandis que les cellules simples hébergeant trois détenus offrent à chacun d'eux un espace de 1,4 m2. L'espace toilettes n'est séparé du reste de la cellule que par des cloisons incomplètes. Faute d'équipement en cellule, les détenus ne se douchent que trois fois par semaine, y compris après une activité sportive ou une journée de travail. Sans eau chaude en cellule, ils lavent leur linge et la cellule à l'eau froide.
Le système électrique de l‘établissement ne permet pas d'équiper les cellules d'un réfrigérateur ou de plaques chauffantes ; seules sont autorisées à en disposer les personnes affectées au quartier d'isolement ou qui bénéficient d'une prescription médicale à cette fin. Cette situation est source de trafics entre détenus et favorise le recours à des pratiques infra-disciplinaires par le personnel de surveillance, toujours susceptible de procéder au retrait de ces équipements - retraits qui ne sont ni tracés, ni motivés.
Les diners étant distribués à partir de 17 heures, la plupart des détenus mangent froid. Il n'y a pas de distribution d'eau chaude le matin, hormis au quartier des arrivants, au quartier d'isolement et au quartier disciplinaire.
Pour conserver leurs aliments au frais ou chauffer leurs repas, les détenus ont recours à divers expédients : d'onéreuses glacières de camping dont la durée de vie est courte et l'efficacité aléatoire, des dispositifs de « chauffes » bricolés à l'aide de cannettes, de tubes de sauce tomate et de mouchoirs imbibés d'huile auxquels on met feu, ou grâce au cumul de thermoplongeurs. Ces pratiques, qui contreviennent aux normes applicables en matière de prévention du risque d'incendie, entraînent fumées et coupures régulières du courant. Par surcroit, aucun dispositif d'appel en fonctionnement ne permet aux détenus d'attirer l'attention du personnel ou d'appeler au secours.
En dépit du risque d'incendie inhérent à de telles pratiques, les contrôleurs relèvent qu'il n'est pas tenu compte de la surpopulation au titre de la sécurité incendie. Le procès-verbal de visite de la sous-commission départementale de sécurité de novembre 2020 indique un « avis favorable sous réserve de nombreuses prescriptions » : « l'établissement est susceptible d'accueillir 530 détenus encadrés par 78 personnels. L'effectif réel dépasse parfois les 700 détenus ». Or, l'établissement héberge en permanence plus de 700 détenus et au moment du contrôle il comptait 865 détenus et 78 membres du personnel, ce qui amène le total à 973 personnes présentes pour 608 théoriques.
La cuisine est insalubre : murs et revêtement en carrelage brisé, peinture écaillée, moisissures et local poubelle non ventilé source d'odeurs pestilentielles. Elle compromet la sécurité sanitaire des détenus et devra faire l'objet d'une inspection des services vétérinaires.
Enfin, l'établissement est inadapté à l'accueil de personnes à mobilité réduite, qu'il s'agisse des personnes détenues ou de leurs proches, les parloirs ne leur étant pas accessibles.
- L'indignité des conditions d'hébergement est aggravée par une prise en charge défaillante
2.1. Les détenus sont désœuvrés et leurs droits fondamentaux ne sont pas respectés
A ces conditions d'hébergement dégradées s'ajoute le désœuvrement de la population carcérale : à part deux heures de promenade par jour, la plupart des détenus passent l'essentiel de la journée en cellule. L'offre de travail ne bénéficie qu'à 220 détenus, soit un peu plus d'un quart de l'effectif. Bien que les infrastructures sportives soient satisfaisantes, l'ensemble des personnes détenues reçues en entretien (5) ont indiqué ne bénéficier que d'une seule activité sportive par mois. L'offre n'est pourtant pas inexistante en théorie mais la population détenue en ignore la quasi-totalité, faute d'en être informée.
Les difficultés d'organisation entravent également l'accès aux soins. L'absence de surveillants freine voire paralyse l'organisation des mouvements et jusqu'à 40 % des rendez-vous médicaux ne sont pas honorés. De la même façon, des horaires de promenades peuvent être décalés d'une heure et demie par défaut de surveillant sans que les détenus n'en soient informés. La surpopulation entraîne également une réduction de la durée des parloirs à trente minutes. Les parloirs doubles ne sont plus autorisés.
Par ailleurs, le délai de traitement des permis de visite (6) des prévenus par les magistrats en charge de leur dossier, qui peut atteindre plusieurs mois, prive non seulement les détenus concernés de la visite de leurs proches, mais leur interdit également de percevoir des mandats. Sans ressources, les arrivants sont vulnérables aux pressions et trafics, notamment de cigarettes. Ils ne peuvent pas davantage téléphoner pour effectuer leurs démarches.
2.2. Un personnel pénitentiaire désorienté dont les pratiques doivent être encadrées
Lors de la visite, il était relevé que de nombreuses coursives sont vides de surveillant - jusqu'à plusieurs heures par jour - ce qui entraîne un risque grave pour la sécurité des détenus, livrés à eux-mêmes. L'absence de surveillants ralentit, voire entrave, les mouvements, ce qui est source de tension parmi les détenus.
Cette carence résulte d'un cumul de facteurs, dont une situation de sous-effectif (une quarantaine de postes non réellement disponibles), un absentéisme notable (plus de 10 %) et un nombre important de congés bonifiés. Ce sous-effectif est aggravé par d'importantes carences d'organisation. Il n'y a pas de fiches de poste, ni réunions entre l'encadrement et les surveillants. Les informations circulent mal et les directives ne font l'objet d'aucune explication auprès du personnel de surveillance.
Le personnel a fait état de son désarroi face à cette situation et les contrôleurs ont été confrontés à l'expression d'une souffrance au travail de nombreux fonctionnaires, tous grades confondus. Beaucoup ont fait état de vécus discriminatoires, de manque de considération, de leur épuisement professionnel.
2.3. La gestion de la sécurité ne respecte pas les droits des détenus
Dans ce contexte tendu, les détenus sont par surcroît soumis à de nombreuses mesures de contrôle et de contrainte. 88 % d'entre eux font l'objet de niveaux d'escorte avec systématisation des moyens de contraintes (menottes, entraves) et sont donc à ce titre toujours menottés ou entravés lors des extractions. Les escortes assistent systématiquement aux consultations et examens médicaux à l'hôpital, y compris comme l'ont constaté les contrôleurs, lors d'examen de proctologie. Rarement réévalués, ces niveaux d'escorte trouvent à s'appliquer à des détenus âgés de plus de 70 ans ou bénéficiant de permissions de sorties. Les fouilles intégrales, estimées à 10 000 par an (7), sont régulièrement mises en œuvre dans des lieux inadaptés (douches, salles d'activité), faute de salles dédiées en détention ordinaire.
Enfin, la gestion des incidents donne lieu à des pratiques infra-disciplinaires. Au moment du contrôle, plus de 1 300 comptes-rendus d'incidents étaient « en attente » depuis deux ans, 650 depuis janvier 2022. Or, il ressort des décisions de commissions pluridisciplinaires uniques consultées par les contrôleurs, que des comptes-rendus d'incidents prescrits motivent régulièrement des refus de classement ou sont mentionnés dans des avis de l'administration pénitentiaire destinés aux commissions d'application des peines ou aux audiences de débat contradictoire. Ainsi, des comptes-rendus d'incidents non établis, fautes d'avoir fait l'objet d'une enquête et d'une décision de la commission disciplinaire, sont susceptibles d'entraîner des refus de classements aux activités ou des rejets de réductions de peine.
Au regard des atteintes aux droits fondamentaux des détenus du centre pénitentiaire de Bois-d'Arcy, il est nécessaire de mettre en œuvre les recommandations suivantes dans les meilleurs délais :
- garantir aux détenus le respect de leur santé et de leur intégrité physique ; à cette fin, diligenter l'inspection des services vétérinaires et une visite de la commission départementale de sécurité incendie qui devra donner son avis au regard de l'effectif réel présent dans l'établissement ;
- suspendre les incarcérations jusqu'à ce qu'une inspection générale de la justice confirme que la sécurité des détenus est assurée au regard des situations décrites dans le présent courrier et que leurs conditions de travail permettent aux surveillants d'assurer l'ensemble de leurs missions ;
- garantir aux détenus l'accès, dans leur cellule, à une plaque chauffante, un réfrigérateur et à l'eau chaude ainsi qu'à une douche quotidienne.
(1) Créées à partir de deux cellules individuelles entre lesquelles le mur a été abattu.
(2) Pour éviter les courtes peines, la loi prévoit que la peine s'exécute par principe en dehors d'un lieu de détention sous la forme d'une détention à domicile sous surveillance électronique, d'un placement en centre de semi-liberté ou un placement extérieur pour les peines inférieures à six mois. Pour les peines inférieures à un an, la loi prévoit que le juge peut prononcer une peine autonome.
(3) 37 % des condamnés effectuent des peines inférieures à 6 mois, 44 % effectuent des peines dont la durée est comprise entre 6 mois et un an, 12% effectuent des peines dont la durée est comprise entre un et deux ans, 7 % enfin y exécutent des peines dont la durée est supérieure à deux ans.
(4) Lit, armoire, table, espace WC, lavabo, tabouret ou chaise.
(5) Plus d'une cinquantaine.
(6) Deux à trois mois.
(7) Pour 1 665 détenus écroués sur un an.
1 version