Monsieur le Président de la République,
La présente ordonnance est prise en application de l'article 8 de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. A ce titre, afin de moderniser, de simplifier, d'améliorer la lisibilité, de renforcer l'accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la sécurité juridique et l'efficacité de la norme, le Gouvernement est autorisé, selon les termes de l'habilitation, à prendre par voie d'ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi pour :
1° Affirmer les principes généraux du droit des contrats tels que la bonne foi et la liberté contractuelle ; énumérer et définir les principales catégories de contrats ; préciser les règles relatives au processus de conclusion du contrat, y compris conclu par voie électronique, afin de clarifier les dispositions applicables en matière de négociation, d'offre et d'acceptation de contrat, notamment s'agissant de sa date et du lieu de sa formation, de promesse de contrat et de pacte de préférence ;
2° Simplifier les règles applicables aux conditions de validité du contrat, qui comprennent celles relatives au consentement, à la capacité, à la représentation et au contenu du contrat, en consacrant en particulier le devoir d'information et la notion de clause abusive et en introduisant des dispositions permettant de sanctionner le comportement d'une partie qui abuse de la situation de faiblesse de l'autre ;
3° Affirmer le principe du consensualisme et présenter ses exceptions, en indiquant les principales règles applicables à la forme du contrat ;
4° Clarifier les règles relatives à la nullité et à la caducité, qui sanctionnent les conditions de validité et de forme du contrat ;
5° Clarifier les dispositions relatives à l'interprétation du contrat et spécifier celles qui sont propres aux contrats d'adhésion ;
6° Préciser les règles relatives aux effets du contrat entre les parties et à l'égard des tiers, en consacrant la possibilité pour celles-ci d'adapter leur contrat en cas de changement imprévisible de circonstances ;
7° Clarifier les règles relatives à la durée du contrat ;
8° Regrouper les règles applicables à l'inexécution du contrat et introduire la possibilité d'une résolution unilatérale par notification ;
9° Moderniser les règles applicables à la gestion d'affaires et au paiement de l'indu et consacrer la notion d'enrichissement sans cause ;
10° Introduire un régime général des obligations et clarifier et moderniser ses règles ; préciser en particulier celles relatives aux différentes modalités de l'obligation, en distinguant les obligations conditionnelles, à terme, cumulatives, alternatives, facultatives, solidaires et à prestation indivisible ; adapter les règles du paiement et expliciter les règles applicables aux autres formes d'extinction de l'obligation résultant de la remise de dette, de la compensation et de la confusion ;
11° Regrouper l'ensemble des opérations destinées à modifier le rapport d'obligation ; consacrer, dans les principales actions ouvertes au créancier, les actions directes en paiement prévues par la loi ; moderniser les règles relatives à la cession de créance, à la novation et à la délégation ; consacrer la cession de dette et la cession de contrat ; préciser les règles applicables aux restitutions, notamment en cas d'anéantissement du contrat ;
12° Clarifier et simplifier l'ensemble des règles applicables à la preuve des obligations ; en conséquence, énoncer d'abord celles relatives à la charge de la preuve, aux présomptions légales, à l'autorité de chose jugée, aux conventions sur la preuve et à l'admission de la preuve ; préciser, ensuite, les conditions d'admissibilité des modes de preuve des faits et des actes juridiques ; détailler, enfin, les régimes applicables aux différents modes de preuve ;
13° Aménager et modifier toutes dispositions de nature législative permettant d'assurer la mise en œuvre et de tirer les conséquences des modifications apportées en application des 1° à 12°.
Genèse de la réforme
Alors que de nombreuses parties du code civil des Français issu de la loi du 30 ventôse an XII, devenu par la suite code Napoléon puis code civil, ont, au cours des dernières années, fait l'objet d'adaptation et de modernisation, le droit commun des obligations, à l'exception de quelques textes issus de la transposition de directives communautaires, n'a pas été modifié depuis plus de deux siècles. Ces règles ont certes été depuis complétées par une jurisprudence abondante, mais cette dernière est par essence fluctuante, voire incertaine, et peut être ressentie par les acteurs économiques comme difficilement accessible et complexe dans son appréhension. La seule lecture du code civil ne permet plus dans ces conditions de donner une vision claire et précise de l'état du droit positif qui, devenu en grande partie prétorien, a changé depuis 1804, la jurisprudence ayant tenu compte de l'évolution des mœurs, des technologies et des pratiques.
Par ailleurs, dans une économie mondialisée où les droits eux-mêmes sont mis en concurrence, l'absence d'évolution du droit des contrats et des obligations pénalisait la France sur la scène internationale.
Tout d'abord, des pays qui s'étaient autrefois grandement inspirés du code Napoléon ont réformé leur propre code civil, en s'affranchissant du modèle français, trop ancien pour demeurer source d'inspiration, comme le Portugal, les Pays-Bas, le Québec, l'Allemagne ou l'Espagne, et il est apparu à cette occasion que le rayonnement du code civil français passait par sa rénovation.
Mais en dehors même de cette dimension politique, l'enjeu au niveau international d'une telle réforme du droit français est économique : les rapports « Doing business » publiés par la Banque mondiale, mettant régulièrement en valeur les systèmes juridiques de Common law, ont notamment contribué à développer l'image d'un droit français complexe, imprévisible, et peu attractif. Dans ce contexte, se doter d'un droit écrit des contrats plus lisible et prévisible, en s'attachant à adopter une rédaction dans un style simple ainsi qu'une présentation plus claire et didactique, constitue un facteur susceptible d'attirer les investisseurs étrangers et les opérateurs souhaitant rattacher leur contrat au droit français.
Dans le même temps, au cours de ces vingt dernières années, les projets européens et internationaux d'harmonisation du droit des contrats se sont multipliés : les principes Unidroit relatifs aux contrats du commerce international publiés en 1994 et complétés en 2004, les principes du droit européen des contrats (PDEC) élaborés par la commission dite Lando, publiés entre 1995 et 2003, le projet de code européen des contrats ou code Gandolfi, publié en 2000, le projet de cadre commun de référence (DCFR), qui couvre tout le droit privé et a été remis officiellement au Parlement européen le 21 janvier 2008, et enfin les travaux menés par la société de législation comparée et l'association Henri Capitant des amis de la pensée juridique française qui ont abouti à la rédaction de principes contractuels communs (PCC) publiés en février 2008.
Il est donc apparu nécessaire, conformément au vœu émis non seulement par la doctrine, mais également par de nombreux praticiens du droit, non pas de refondre totalement le droit des contrats et des obligations, mais de le moderniser, pour faciliter son accessibilité et sa lisibilité, tout en conservant l'esprit du code civil, à la fois favorable à un consensualisme propice aux échanges économiques et protecteur des plus faibles.
Plusieurs projets académiques ont ainsi été élaborés ces dernières années : celui du groupe de travail réuni autour de Pierre Catala puis celui du groupe de travail de l'académie des sciences morales et politiques sous l'égide de François Terré. Par la publicité donnée à ces projets, les acteurs de la vie économique et juridique ont été mis en mesure d'émettre des observations. La Chancellerie a également préparé des avant-projets qui ont été largement diffusés et commentés. Enfin, à la suite de l'habilitation accordée au Gouvernement pour procéder à cette réforme par voie d'ordonnance, un nouveau texte, nourri de l'ensemble de ces travaux, a été soumis à consultation publique. Celle-ci a permis de recueillir les observations des professionnels du droit et des acteurs du monde économique qui, complétées par les nombreux articles de doctrine publiés sur le sujet, ont permis au Gouvernement d'aboutir à un texte répondant aux objectifs fixés de modernisation, de simplification, d'accessibilité et d'efficacité du droit commun des contrats et du régime des obligations, et susceptible de répondre aux attentes des praticiens.
Objectifs de la réforme
La sécurité juridique est le premier objectif poursuivi par l'ordonnance, qui vise tout d'abord à rendre plus lisible et plus accessible le droit des contrats, du régime des obligations, et de la preuve. En effet, en la matière, le code civil, quasiment inchangé depuis 1804, ne reflète plus, dans sa lettre, l'état du droit.
Le style du code civil, dont l'élégance n'est pas contestable, n'est toutefois plus facilement compréhensible pour l'ensemble des citoyens, et certaines formulations sont aujourd'hui désuètes. L'ordonnance rend ces dispositions plus accessibles, par l'usage d'un vocabulaire contemporain, et des formulations plus simples, plus explicites, tout en conservant la concision et la précision qui caractérisent le code civil.
Ensuite, l'ordonnance propose de simplifier le plan du livre III du code civil en adoptant un plan plus pédagogique. Le plan actuel, qui repose notamment sur des distinctions depuis discutées, doit être entièrement repensé et restructuré aux fins de conférer à chaque texte un champ d'application bien déterminé et d'en renforcer la clarté. L'ordonnance fait ainsi le choix de modifier les titres III à IV bis du livre III, pour les consacrer respectivement aux différentes sources d'obligations, au régime général des obligations, et à la preuve des obligations. Chacun de ces titres est également restructuré, l'exposé du droit commun des contrats suivant par exemple un plan chronologique, de la formation du contrat jusqu'à sa fin.
Par ailleurs, l'ordonnance abandonne certaines notions présentes dans le code actuel et historiquement très ancrées dans le droit français, mais qui ne sont pas définies, dont le régime n'est pas déterminé par la loi, et dont le maintien ne paraît pas nécessaire, telles que les obligations de faire, de ne pas faire, et de donner. A l'inverse, il est apparu nécessaire de consacrer certains mécanismes juridiques essentiels pour les praticiens. Par exemple, l'ordonnance définit et prévoit le régime juridique de notions bien connues de la pratique mais absentes du code civil actuel, comme l'offre ou la promesse unilatérale de contrat.
La sécurité juridique impose également la prise en considération de la jurisprudence développée depuis deux cents ans. Force est de constater que les textes actuels ne permettent pas d'appréhender le droit positif, tant la jurisprudence a dû les interpréter, par analogie, a contrario, voire contra legem. La compréhension de nombreuses dispositions passe ainsi nécessairement par la consultation des décisions rendues par les tribunaux, voire par l'interprétation qu'en fait la doctrine. Par ailleurs, la jurisprudence est par essence fluctuante, et ne permet pas d'assurer la sécurité juridique que seul peut offrir un droit écrit. C'est la raison pour laquelle l'ordonnance prévoit, pour sa majeure partie, une codification à droit constant de la jurisprudence, reprenant des solutions bien ancrées dans le paysage juridique français bien que non écrites. Il restitue ainsi au droit commun des contrats, sans bouleversement, la caractéristique essentielle des systèmes de droit continental. L'ordonnance prévoit notamment de reconnaître expressément la réticence dolosive aux côtés du dol comme cause de vice du consentement, la faculté de fixation unilatérale du prix, ou encore l'enrichissement injustifié. L'ordonnance met également fin à certaines hésitations jurisprudentielles nuisibles à la sécurité juridique, en déterminant par exemple à quelle date se forme le contrat.
Le deuxième objectif poursuivi par l'ordonnance est de renforcer l'attractivité du droit français, au plan politique, culturel, et économique. La sécurité juridique conférée à notre droit des obligations, qui constitue le socle des échanges économiques, devrait ainsi faciliter son application dans des contrats de droit international. A cet égard, l'abandon formel de la notion de cause, qui a suscité de nombreux débats, permettra à la France de se rapprocher de la législation de nombreux droits étrangers, tout en consacrant dans la loi les différentes fonctions, dont celle de rééquilibrage du contrat, que la jurisprudence lui avait assignées.
L'ordonnance propose également de consacrer dans la loi certains mécanismes juridiques issus de la pratique, en leur conférant un régime juridique précis et cohérent, tels que la cession de contrat ou la cession de dette. L'ordonnance simplifie en outre d'autres dispositifs pour en favoriser l'utilisation : ainsi est-il prévu d'alléger la procédure des offres réelles, longue et coûteuse, qui permettait de faire obstacle au créancier refusant l'exécution de l'obligation, en la remplaçant par une mise en demeure dont les conséquences sont détaillées, ou encore d'assouplir les formalités nécessaires à l'opposabilité de la cession de créance. L'ordonnance introduit enfin des solutions innovantes, qui permettront aux parties de mettre fin à une incertitude pesant sur le contrat, telles que les actions interrogatoires relatives à l'existence d'un pacte de préférence, à l'étendue des pouvoirs du représentant conventionnel ou encore à la volonté du cocontractant de se prévaloir de la nullité du contrat.
Dans une perspective d'efficacité économique du droit, l'ordonnance offre également aux contractants de nouvelles prérogatives leur permettant de prévenir le contentieux ou de le résoudre sans nécessairement recourir au juge (faculté de résolution unilatérale par voie de notification, exception d'inexécution, faculté d'accepter une prestation imparfaite contre une réduction du prix). Est ainsi créé un cadre juridique clair, efficace et adapté aux enjeux d'une économie mondialisée et en perpétuelle évolution. Cette partie du code civil ne sera plus « le symbole du temps arrêté » (selon l'expression de Jean Carbonnier « Le Code civil », dans P. Nora (dir.), Les lieux de mémoire, t. 2.2) et sa refondation répondra aussi à une forte attente en dehors de nos frontières.
Renforcer l'attractivité de notre droit n'implique pas pour autant de renoncer à des solutions équilibrées, protectrices des parties, mais aussi efficaces et adaptées aux évolutions de l'économie de marché. Ainsi, conformément aux 1° et 2° de l'article 8 de la loi d'habilitation, l'ordonnance propose des solutions propres à assurer un équilibre des droits et devoirs entre les parties. Sont ainsi consacrés à titre autonome dans un chapitre intitulé « Dispositions liminaires », destinés à servir de cadre de référence au droit commun des contrats, les principes de liberté contractuelle, de force obligatoire du contrat et de bonne foi. L'ordonnance propose également de sanctionner l'abus de dépendance assimilé à la violence et les clauses abusives dans les contrats d'adhésion, afin de préserver les intérêts de la partie la plus faible. Ce mouvement vers un droit commun des contrats français plus juste le rapprocherait des autres droits et projets d'harmonisation européens, qui proposent des dispositions similaires. On peut enfin rappeler que cet objectif de justice contractuelle ne peut être atteint que si le droit applicable est lisible et accessible, et donc susceptible d'être compris sans l'assistance d'un spécialiste. La sécurité juridique est ainsi à la fois l'un des objectifs de l'ordonnance et le moyen d'atteindre les autres buts, dont celui de la justice contractuelle.
Présentation générale
Conformément aux termes de l'habilitation, la présente ordonnance modifie en profondeur la structure des titres III, IV, et V du livre III du code civil, relatifs aux contrats et obligations conventionnelles et aux engagements formés sans convention.
L'intitulé, le plan, et le contenu de ces titres sont entièrement restructurés afin de répondre notamment aux exigences des 10° et 12° de l'article 8 de la loi d'habilitation, tendant à l'introduction d'un régime général des obligations d'une part, et à la clarification et la simplification des règles applicables à la preuve des obligations d'autre part.
Le titre III s'intitule désormais « Des sources d'obligations », le titre IV « Du régime général des obligations », et le titre IV bis « De la preuve des obligations ».
Il en résulte une restructuration complète des titres concernés qui permet l'instauration d'un régime général des obligations et de règles probatoires dédiées, autonomes au regard de la source de l'obligation, qui n'est pas nécessairement contractuelle. Cette présentation didactique à forte visée pratique clarifie les règles applicables aux obligations, dont la jurisprudence avait étendu le champ d'application au-delà des obligations nées d'un contrat, jusqu'alors seules visées par les textes, puisque les dispositions relatives à leur régime et leur preuve sont intégrées au titre III du code civil actuel intitulé « Des contrats ou des obligations conventionnelles en général ».
Présentation des articles
L'ordonnance comprend quatre titres et dix articles. Le titre Ier traite du fond de la matière conformément à l'article 8 précité de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, et les titres II, III, et IV regroupent des dispositions de coordination, d'application outre-mer et transitoires.
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