JORF n°0082 du 7 avril 2024

Avis

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Résumé /

Assemblée plénière du 28 mars 2024
(Adoption à l'unanimité)

Introduction

  1. Un phénomène avéré mais peu investi par les pouvoirs publics
    1.1. Un phénomène multiforme
    1.1.1. Des profils multiples
    1.1.2. Aucun territoire n'est épargné et les mineurs sont particulièrement ciblés
    1.1.3. Une urgence à changer le regard
    1.2. Des pouvoirs publics peu mobilisés et mal coordonnés
    1.2.1. Des textes français insuffisants et des services peu investis dans cette forme d'exploitation spécifique
    1.2.2. Une prise en charge inadaptée par des agents peu ou prou sensibilisés
    1.2.3. De multiples freins institutionnels
    1.3. Des enjeux majeurs multiformes qui nécessitent une approche par les droits
    1.3.1. Un enjeu politique spécifique pour les mineurs
    1.3.2. Un enjeu éthique
    1.3.3. Un enjeu sanitaire et éducatif
    1.3.4. Un enjeu de justice
  2. Agir en faveur des victimes plutôt que les invisibiliser
    2.1. Une absence de réponse pénale adaptée
    2.1.1. Un cadre juridique qui impose un devoir de protection
    2.1.2. Un devoir de protection malmené par une stratégie de déni
    2.1.3. Une réponse pénale inadaptée
    2.2. Les grands évènements médiatiques : l'opportunité d'aller vers les victimes, de les protéger, de les accompagner, de remonter les réseaux et d'engager des poursuites pénales à l'encontre des exploiteurs
    2.2.1. Identifier, orienter, accompagner et protéger les victimes
    2.2.2. Une opportunité d'expérimenter à grande échelle une démarche « d'aller vers »
    2.2.3. Une opportunité de sensibiliser les différents acteurs et de faire évoluer le regard porté sur les victimes
    2.3. Pour être efficace, le troisième plan national d'action doit renforcer les moyens mis sur la prévention, la protection, l'accompagnement et la démarche de réduction des risques
    2.3.1. Disposer d'une stratégie centrée sur les victimes
    2.3.2. Coopérer avec tous les acteurs et les impliquer
    2.3.3. Elargir les mécanismes d'action
    2.3.4. Mettre enfin en place un grand plan d'hébergement sécurisé et sécurisant
    2.3.5. Mieux protéger les personnes étrangères victimes d'exploitation
    Conclusion
    Recommandations

Introduction

  1. En janvier 2024, devant le tribunal judiciaire de Paris, s'est tenu le procès, dit du Trocadéro, à l'issue duquel sept hommes ont été condamnés, notamment pour « traite d'êtres humains aggravée » et « trafic de stupéfiants », condamnations assorties d'une interdiction du territoire français (ITF). Ils encourageaient en effet de jeunes mineurs non accompagnés d'origine marocaine ou algérienne à se droguer pour pouvoir ensuite les contraindre à commettre des vols (i). Ce procès fut l'occasion de mettre en exergue les mécanismes propres à cette forme d'exploitation dont on craint la recrudescence à l'occasion des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, à l'instar de celle des autres formes de traite des êtres humains. Conscients de la réalité de ce phénomène onze députés transpartisans ont, dans un courrier du 26 février 2024, consulté pour avis la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), « aux fins de poser un diagnostic sur l'ampleur, les contours et les spécificités de cette forme et organisation de traite en France, comme sur les modalités de la réponse apportée par les pouvoirs publics ». L'objet du présent avis est de répondre à cette sollicitation en dressant un état des lieux de la traite à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit et en formulant plusieurs recommandations afin d'améliorer les réponses des pouvoirs publics en matière de prévention, d'accompagnement des victimes et de sanction des exploiteurs.

| Le procès du Trocadéro | |:---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------| |Suite à des maraudes menées fin 2021 par l'association Hors la Rue sont signalées, au parquet de Paris, plusieurs situations préoccupantes de mineurs non accompagnés (MNA) dans le quartier du Trocadéro. Une première enquête est alors menée par la brigade de protection des mineurs mais il faut attendre mars 2022 pour qu'une seconde enquête soit ouverte pour des faits de traite des êtres humains en bande organisée, recel de vol, transport, détention, acquisition, offre ou cession de produits stupéfiants et psychotropes, provocation directe à l'usage de stupéfiants sur un mineur de moins de 15 ans ou plus. Cette enquête est menée de mars à juin 2022 par les enquêteurs de la sous-direction de la lutte contre l'immigration irrégulière (SDLII) de la préfecture de police de Paris.
En juin 2022, 7 hommes algériens sont mis en examen et placés en détention provisoire. 6 d'entre eux sont suspectés d'avoir, entre janvier 2021 et juin 2022, forcé des mineurs non accompagnés, âgés de 8 à 17 ans au moment des faits, à commettre des délits sur le parvis du Trocadéro. Ces six hommes ont comparu devant la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris du 9 au 12 janvier 2024 pour « Traite d'êtres humains aggravée commise à l‘encontre d'un mineur » (17 victimes au final), et pour avoir « acquis, transporté, détenu, offert ou cédé de manière illicite de la prégabaline et du clonazépam ». Ils ont tous été reconnus coupables, condamnés à des peines allant de 4 à 6 ans d'emprisonnement, à des amendes de 5 000 à 8 000 euros, à une interdiction du territoire français pour 5 des 6 prévenus, et à verser 20 000 euros à chacun des enfants. Plusieurs prévenus ont fait appel de la décision.|

  1. Pour rappel, la traite des êtres humains désigne le processus par lequel des personnes sont placées ou maintenues en situation d'exploitation pour en tirer un bénéfice. L'objectif de la traite est donc l'exploitation et pour atteindre cet objectif, des moyens et des activités sont mis en œuvre (ii). Les actes résident dans le recrutement, le transport, le transfert, l'hébergement ou l'accueil de la victime, et les moyens pour imposer l'exploitation, la menace, la contrainte, la violence, les manœuvres dolosives, etc. L'exploitation des victimes peut prendre différentes formes (exploitation sexuelle, travail forcé, réduction en esclavage…), qui ne sont pas limitatives et peuvent comprendre la contrainte à commettre tout crime ou délit. Ainsi, la directive européenne 2011/36/UE précise dans son article 2 que « l'exploitation comprend, au minimum, l'exploitation de la prostitution d'autrui ou d'autres formes d'exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, y compris la mendicité, l'esclavage ou les pratiques analogues à l'esclavage, la servitude, l'exploitation d'activités criminelles, ou le prélèvement d'organes » (iii). « L'exploitation d'activités criminelles », consiste en l'exploitation d'une personne en vue de commettre, entre autres, des vols à la tire, des vols à l'étalage, des infractions à la réglementation sur les stupéfiants et d'autres activités analogues passibles de sanctions pénales. En conformité avec la directive, le droit pénal français mentionne explicitement le fait de contraindre la victime à commettre tout crime ou délit comme une forme d'exploitation susceptible d'être constitutive de l'infraction de traite des êtres humains (iv).

  2. D'après l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), le nombre de victimes contraintes à commettre un crime ou un délit (v), masculines, pour l'essentiel, a augmenté de 3 % entre 2019 et 2021 dans le monde (vi) : cette forme d'exploitation représente 10 % des cas de traite recensés en 2020 (vii). Pour la première fois, en 2020, en Europe occidentale, l'ONUDC a enregistré davantage de victimes de traite des êtres humains masculines que féminines et une augmentation nette du nombre de victimes mineures (viii).

  3. Le procès du Trocadéro démontre que la France n'est pas épargnée par le phénomène. En 2022, 7 % des 2.675 victimes accompagnées par 69 associations ont été contraintes à commettre tout crime ou délit, soit 195 victimes, en augmentation d'un point par rapport à 2021 (ix). Alors que les autorités concentrent leurs efforts sur la lutte contre les exploitations sexuelle et économique, les victimes de contrainte à commettre tout crime ou délit demeurent souvent perçues comme des personnes délinquantes, parties prenantes de leur exploitation.

  4. Les affaires de traite des êtres humains sont souvent extrêmement complexes et impliquent des relations multiformes entre les trafiquants et leurs victimes. C'est particulièrement le cas pour les victimes de traite à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit, si bien que ces dernières sont avant tout perçues par les forces de l'ordre comme des personnes délinquantes. La caractérisation de l'infraction de traite (x) peut s'avérer difficile lorsque les enquêteurs peinent à rassembler des preuves de la contrainte, qu'elle soit physique, psychologique ou chimique (stupéfiants, médicaments, alcool, etc.) (xi). La CNCDH note par ailleurs que, très souvent, la victime elle-même ne se considère pas comme telle du fait notamment d'un lien parfois familial ou affectif avec les exploiteurs, de sa dépendance à leur égard ou encore de l'emprise exercée par ces derniers. L'identification et l'accompagnement précoces des victimes doivent leur permettre de prendre conscience qu'elles sont ou ont été exploitées.

  5. S'il s'agit d'un mineur, la question de son consentement à l'exploitation ne se pose pas pour caractériser une situation de traite des êtres humains, conformément aux dispositions de l'article 225-4-1 (II) du code pénal. Dans la même logique. la contrainte qu'il subit pour commettre des infractions devrait faire obstacle à des poursuites menées contre lui du chef desdites infractions (xii).

  6. Au-delà de la nécessité d'une meilleure réponse pénale à l'encontre des exploiteurs, c'est plus largement l'enjeu de la prise en compte des préjudices subis par les victimes de traite, de leur réparation, de leur reconstruction physique et psychique ou encore de leur réinsertion qui demeure peu pris en considération. Le troisième plan national d'action de lutte contre la traite des êtres humains ne précise, à ce jour, ni moyens proportionnés ni véritable coordination entre les services dès l'enquête préliminaire, tout au long de la procédure pénale et au-delà, faute d'indicateurs définis et partagés (xiii). La primauté de l'approche par les droits, que défend avec force la CNCDH, consiste notamment à considérer les personnes contraintes à commettre tout crime ou délit comme des victimes et à les inclure au cœur des différents processus qui les concernent. Plutôt que d'exiger que les victimes s'adaptent aux dispositifs existants, c'est à ceux-ci qu'il appartient de s'adapter à la diversité des profils de victimes.

  7. A quelques mois des jeux Olympiques et Paralympiques, au cours desquels ces pratiques risquent d'augmenter, la CNCDH appelle à un portage politique de la lutte contre cette forme spécifique de traite des êtres humains en adoptant une approche par les droits seule capable de faire évoluer les regards sur les victimes pour une meilleure prise en charge globale et une plus grande efficacité de la réponse pénale.

  8. La CNCDH constate que, malgré la disponibilité de témoignages, d'études et de rapports, la contrainte à commettre tout crime ou délit demeure mal connue et peu investie par les pouvoirs publics (1) alors qu'il est urgent d'adopter une stratégie d'action mettant les victimes au cœur d'une approche par les droits et fondée sur la réduction des risques (2).

  9. Un phénomène avéré mais peu investi par les pouvoirs publics

  10. La contrainte à commettre tout crime ou délit est un phénomène documenté en particulier par les associations (xiv), mais encore très mal appréhendé par les pouvoirs publics. Ainsi le manque d'implication des offices centraux et des équipes d'enquête territoriales, mais aussi le manque de coordination entre les services nuisent à la connaissance du phénomène par les acteurs de terrain. De plus, la prise en charge, faute de mettre la victime d'exploitation au cœur des procédures, est défaillante.

1.1. Un phénomène multiforme
1.1.1. Des profils multiples

  1. La diversité des profils des victimes de traite à des fins de commettre tout crime ou délit résulte de facteurs complexes.
  2. Les données statistiques fournies par le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), comme par la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) (xv), se révèlent très insuffisantes pour caractériser les profils des victimes de cette forme de traite. Les associations fournissent des chiffres relatifs aux personnes qu'elles accompagnent mettant en évidence que de nombreux mineurs non accompagnés (xvi) seraient concernés (xvii). Toutefois, il s'avère que ces chiffres ne permettent pas d'en déduire une prévalence particulière compte tenu des biais de sélection dès lors que ces associations s'attachent à accompagner des personnes en fonction de leur objet social. Il en résulte que, faute de données disponibles, il est impossible de connaître la part des victimes de cette forme de traite ventilée selon le genre, l'âge, le statut administratif, la nationalité, etc. Des enfants sont par exemple rendus invisibles par les exploiteurs via notamment l'utilisation de faux documents, d'alias ou documents d'emprunt pour le passage des frontières. Il est toutefois établi que cette forme de traite ne concerne pas que des mineurs ou des personnes de genre masculin.
  3. Selon les données disponibles, en plus des victimes françaises, celles de nationalités étrangères sont essentiellement originaires d'Afrique du Nord et de l'Ouest, d'Afrique Subsaharienne et d'Europe de l'Est et l'on constate, depuis la crise sanitaire, une augmentation significative du nombre de Marocains et d'Algériens (xviii). 70 % sont des mineurs non accompagnés (xix). Par ailleurs, des filles ou des jeunes femmes, principalement originaires d'Europe de l'Est, sont victimes du système de la contre-dot qui les contraint à commettre des délits pour pouvoir s'acquitter du remboursement de leur dot (xx).
  4. En 2022, 81 % des victimes de contrainte à commettre tout crime ou délit étaient exploitées par un membre de leur entourage, et 16 % par leur famille. 68 % des victimes de traite étaient exploitées par un réseau (xxi). La contrainte peut être obtenue par la violence, souvent sexuelle, la consommation addictive d'alcool, de drogues ou de médicaments, l'existence d'une dette et enfin la menace, pesant notamment sur la famille restée dans le pays d'origine (xxii). Au-delà, des phénomènes d'emprise également à l'œuvre renforcent la dépendance de la victime vis-à-vis de son exploiteur et sa peur de témoigner. Dans le cas de la contrainte à commettre des crimes et des délits, les réseaux abusent de la législation nationale française et parfois de l'absence d'état civil dans les pays d'origine pour recruter des mineurs, le risque pénal étant moindre (xxiii).
  5. Les victimes dont il est question sont celles qui ont été recrutées, transportées, transférées et hébergées à des fins d'exploitation par la contrainte à commettre tout crime ou délit. Ces crimes ou délits ne se résument pas aux vols divers et aux cambriolages. Sont aussi concernés l'usage, le transport ou la vente de stupéfiants, parfois aussi la vente de cigarettes à la sauvette et le recel de ces infractions. Des remontées de terrain révèlent que ces pratiques de traite peuvent concerner également de nouvelles formes de délinquance numérique, telle la commission d'arnaques organisées. Enfin, la contrainte à commettre des délits concerne souvent des personnes se trouvant en situation irrégulière que les employeurs contraignent ainsi à l'utilisation de faux papiers (xxiv) pour lesquels elles sont passibles de poursuites pour faux et usage de faux (xxv). La porosité des différents types de contrainte qui, souvent, s'enchevêtrent, trouble la perception du phénomène de traite des êtres humains notamment la contrainte à commettre des délits. Or, les poursuites potentiellement suivies de condamnations vont nuire tant au recueil de témoignages de la part de ces personnes qu'à leur réinsertion, leur reconstruction et la réparation des préjudices qu'elles ont subis.
  6. Une meilleure prise en compte par les enquêteurs des facteurs de vulnérabilité des victimes de traite et ainsi un changement de regard sur les personnes interpellées, car contraintes à commettre des crimes ou des délits, sont impératifs. Des facteurs migratoires, économiques et sociaux conduisent souvent à l'isolement, la précarité et la dépendance dont se servent les exploiteurs pour contraindre leurs victimes. Or, au niveau politique, le troisième plan national d'action contre l'exploitation et la traite des êtres humains ne prend pas suffisamment en compte les multiples facteurs de risques d'être exploité à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit (telles la pauvreté et les politiques migratoires répressives). Si la CNCDH salue le caractère interministériel de la coordination, elle déplore l'absence d'une véritable stratégie holistique. L'insuffisance de l'action politique contre tout ce qui génère de la précarité pousse les plus vulnérables, mineurs comme majeurs, français comme étrangers, quel que soit leur genre, vers les exploiteurs.
  7. Des exemples concrets illustrent les conséquences des actes des exploiteurs. Le procès du Trocadéro a ainsi permis la médiatisation de la lutte contre la traite à des fins de contrainte à commettre des crimes et des délits commis à Paris et dans sa proche banlieue. L'initiative de l'enquête diligentée par les services de lutte contre l'immigration irrégulière de la préfecture, telle qu'évoquée par les parties prenantes au procès, visait toutefois surtout à sécuriser la place du Trocadéro, vitrine de la France, à quelques mois des jeux Olympiques et Paralympiques. C'est la sensibilité personnelle à la traite des êtres humains d'un enquêteur qui a cependant permis le recueil des preuves nécessaires à la caractérisation de l'infraction, à la condamnation des exploiteurs, à la reconnaissance du statut de victimes des jeunes exploités et à leur indemnisation en première instance.
    Recommandation 1 : la CNCDH recommande que le grand public et les professionnels soient sensibilisés au fait que, dans le cas de la traite des êtres humains, ceux qui sont contraints à commettre un acte de délinquance sont en fait des victimes (xxvi).

1.1.2. Aucun territoire n'est épargné et les mineurs sont particulièrement ciblés

  1. Cette forme de traite est un phénomène national qui dépasse les frontières métropolitaines et vise en particulier un grand nombre de mineurs. Un récent rapport d'information de l'Assemblée nationale relève d'autres exemples dans les principales métropoles françaises (Paris, Bordeaux, Nantes, Rennes, Montpellier, Toulouse, Marseille etc.) (xxvii) d'où les victimes de traite prennent le train pour commettre des crimes et/ou des délits dans des villes moyennes (Amiens, Creil, Compiègne par exemple) (xxviii). Les réseaux font en sorte que leurs jeunes victimes soient très mobiles : certaines, ciblées dès leur pays d'origine, ont été exploitées en Espagne avant d'être exploitées en France puis en Suède (xxix). Cette forme de traite est également repérée à Mayotte, où des mineurs non accompagnés sont réquisitionnés par les passeurs pour conduire les embarcations depuis les Comores : les organisations criminelles semblent cibler particulièrement des mineurs présentant des troubles psychologiques, voire psychiatriques (xxx). Dans une déclaration au Sénat d'Adrien Taquet, alors secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, le 9 février 2021, la Guyane apparaît également concernée (xxxi).
  2. Les auditions menées par la CNCDH sont unanimes : la contrainte à commettre tout crime ou délit repose de plus en plus sur la construction d'un système d'emprise chimique par la consommation de psychotropes extrêmement puissants et dangereux administrés à de jeunes enfants, parfois dès l'âge de 8-10 ans, souvent avant l'arrivée en France pour les mineurs étrangers, et qui se poursuit ensuite pendant plusieurs années. Les adolescents suivis par les associations et les centres pédiatriques d'addictologie sont détruits physiquement et psychiquement. Nombre d'entre eux décèdent également d'overdose dans l'indifférence générale des pouvoirs publics qui, légitimement préoccupés par la répression pénale des exploiteurs, tendent à négliger la mise à l'abri et la prise en charge médico-psychologique des victimes. De plus, dans le cas de victimes étrangères s'ajoutent des parcours migratoires traumatisants au cours desquels les violences sexuelles sont quasi systématiques tant pour les filles que pour les garçons.
  3. La diversité des profils, des parcours des victimes et des territoires concernés entraîne une disparité dans les modalités d'intervention. L'identification formelle des victimes, qui ne pourra concrètement débuter qu'après un signalement au parquet, à l'initiative de l'écosystème associatif pour l'essentiel, sera différente à Paris ou à Mayotte. Les dispositifs « d'aller vers » dans une approche de réduction des risques, ou encore la médiation par des pairs, sont encore trop peu investis par les pouvoirs publics malgré des exemples de réussites notamment auprès des victimes d'exploitation sexuelle.
    Recommandation 2 : la CNCDH recommande de former tous les services d'urgence à repérer les faits de soumission chimique. Le renforcement des compétences en addictologie dans ces services est impératif et urgent.

1.1.3. Une urgence à changer le regard

  1. La CNCDH exhorte l'ensemble des acteurs à changer de regard sur ces victimes encore trop souvent qualifiées « d'auteurs et de victimes ». Ce ne sont que des victimes qui ont commis des délits ou des crimes sous la contrainte et qui relèvent donc du principe de « non-sanction » (xxxii). Il est totalement irréaliste d'attendre d'une victime qu'elle coopère, témoigne ou adhère aux dispositifs proposés dès lors qu'on lui rappelle tout au long de la procédure qu'elle est auteure de crimes ou de délits, bien que commis sous la contrainte, et qu'elle est sous la menace d'une obligation à quitter le territoire français (OQTF) pour les victimes étrangères. Il n'est pas acceptable de banaliser le placement en détention des victimes au prétexte de les protéger.
  2. Les impacts, notamment psychiques, des traumatismes subis ne sont par ailleurs jamais évalués. Dès l'enquête préliminaire, la CNCDH estime qu'il est de la responsabilité des magistrats de nommer un administrateur ad hoc (xxxiii) pour les mineurs et de demander, pour tout signalement, une expertise judiciaire afin de diagnostiquer d'éventuelles séquelles, consécutives à la consommation de stupéfiants sous la contrainte. Il y a un véritable enjeu de santé publique, dès le début de l'enquête, qui demeure un impensé des pouvoirs publics, en particulier au sein du troisième plan national d'action de lutte contre la traite des êtres humains.
  3. La lutte contre la traite à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit est généralement menée dans le but de combattre l'insécurité, la criminalité et l'immigration irrégulière. L'approche transversale comprenant la lutte contre la précarité, et celle contre les discriminations, la prise en compte des questions de santé physique et mentale (y compris en détention) impose une approche par les droits et par la réduction des risques.
    Recommandation 3 : la CNCDH recommande de constituer les dossiers de demande de titre de séjour suffisamment en amont de la majorité des victimes pour éviter la délivrance d'une OQTF (obligation à quitter le territoire français) qui empêche en outre celles-ci de dénoncer leurs exploiteurs et les services d'enquête de démanteler les réseaux.
    Recommandation 4 : la CNCDH recommande la diffusion d'une circulaire de politique pénale à l'attention des parquets afin qu'un représentant légal, ou un administrateur ad hoc, soit systématiquement désigné, en l'absence d'un adulte référent, dès l'enquête préliminaire ouverte contre un mineur.
    Recommandation 5 : la CNCDH recommande la formation aux « indicateurs de la traite à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit » de tous les acteurs de la chaîne pénale et de l'administration pénitentiaire.

1.2. Des pouvoirs publics peu mobilisés et mal coordonnés
1.2.1. Des textes français insuffisants et des services peu investis dans cette forme d'exploitation spécifique

  1. Le cadre législatif et réglementaire national ne respecte pas complètement les engagements internationaux et européens de la France. La traite des êtres humains a été clairement définie en 2000 dans le protocole de Palerme visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes (xxxiv) en complément de la Convention des Nations unies contre la criminalité organisée. La France a ratifié la Convention de Varsovie (2005) sur la lutte contre la traite des êtres humains (xxxv) et a transposé dans le droit français la directive européenne 2011/36/UE du Parlement européen qui lui impose des obligations de prévention et de protection (xxxvi). Pourtant, en 2024, la France ne dispose toujours pas de mécanisme national d'identification, d'orientation et de protection des victimes et aucun office central ne traite spécifiquement de la contrainte à commettre tout crime ou délit. Néanmoins, le garde des sceaux a adopté la circulaire du 28 mars 2023 relative à la politique pénale en matière de lutte contre les violences faites aux mineurs. Il y est rappelé expressément le devoir de protection qui incombe aux services dès lors qu'il y a une suspicion de traite des êtres humains (xxxvii) et par exemple, lorsque les conditions en sont remplies, le jeu de l'article 122-2 du code pénal (contrainte morale) dont doit bénéficier le mineur victime de ce type de traite.
  2. Le propos de la CNCDH n'est aucunement d'accuser les pouvoirs publics et les agents d'inaction. Bien au contraire, les auditions ont mis en exergue des services motivés, plutôt formés et proactifs, animés d'une réelle envie d'agir et d'adopter l'approche par les droits, et dotés d'une réelle conscience de l'état de santé inquiétant des victimes.
  3. De plus, nombre de services sollicités ont clairement indiqué que la contrainte à commettre des crimes ou des délits n'entre pas dans leur champ de compétences. La direction nationale de la sécurité publique ne s'en occupe plus depuis la réforme de la police judiciaire en date du 1er janvier 2024. L'Office central de lutte contre la traite des êtres humains (OCRTEH), office spécialisé censé être le principal interlocuteur des agents de terrain, ne s'estime compétent que sur l'exploitation sexuelle conformément au décret qui le gouverne. De même, le nouvel office des mineurs (OFMIN) ne se dit pas davantage compétent en matière de traite des êtres humains (xxxviii). Le plus souvent, la brigade de protection des mineurs ne se trouve pas à l'origine des enquêtes alors même que cette forme d'exploitation concerne pour l'essentiel des mineurs (xxxix). Les seuls interlocuteurs institutionnels potentiels actuels sont la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et l'office de lutte contre le trafic illicite de migrants (OLTIM). Par ailleurs, l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) pourrait utilement être saisi pour mener des études sur le sujet.
    Recommandation 6 : la CNCDH recommande que soit clairement précisé le rôle des associations et des institutions en matière d'identification des victimes dans le futur mécanisme national d'identification précoce, d'orientation et de protection (MNIOP) des victimes. En particulier, celui-ci devra permettre de rassembler un faisceau d'indices suggérant l'existence d'un doute raisonnable que la personne est contrainte et s'assurer qu'elle a un accès effectif à des droits et à un accompagnement (administratif, juridique, sanitaire, social, avec au premier chef un hébergement…) (xl).

1.2.2. Une prise en charge inadaptée par des agents peu ou prou sensibilisés

  1. Une difficulté supplémentaire réside dans le fait que les offices spécialisés disposant d'une compétence nationale ne sont pas compétents pour une affaire intéressant, par exemple, une seule commune ; dans ce cas, l'affaire sera confiée à des forces de l'ordre locales plus ou moins formées à la traite des êtres humains et à la spécificité de la contrainte à commettre tout crime ou délit. A moins d'être un expert de l'organisation interne des services de police et de gendarmerie, il est impossible de savoir qui est compétent. Cette situation ne favorise pas les signalements, l'identification des victimes puis leur mise à l'abri.
  2. De manière symptomatique, c'est un service en charge de la lutte contre l'immigration illégale qui est à l'origine de l'enquête du Trocadéro. Cette focale mise sur la lutte contre l'immigration illégale nuit à la protection et à la coopération des victimes interpellées (xli) et gardées à vue dans les structures dédiées, sans suivi sanitaire lié au risque de décompensation violente du fait de leur dépendance aux psychotropes et du sevrage brutal qu'entraine le placement en garde à vue. Par ailleurs, cela essentialise la problématique de la contrainte à commettre des crimes et des délits exercée sur les personnes étrangères alors même qu'une partie des victimes est française (xlii).
  3. En outre, les agents de terrain potentiellement sensibilisés à la traite des êtres humains peuvent éprouver des difficultés à se tourner vers les offices a priori compétents. Par exemple, malgré sa dénomination générale, l'Office central de répression contre la traite des êtres humains (OCRTEH) n'est en charge, dans les faits, que de la lutte contre l'exploitation sexuelle. Une coordination entre les services est d'autant plus nécessaire que souvent les victimes subissent concomitamment plusieurs formes d'exploitation. Cependant, l'enjeu demeure d'identifier un ou plusieurs offices centraux (mineurs, majeurs), spécifiquement compétents pour l'exploitation par la contrainte à commettre tout crime ou délit, afin de permettre aux brigades de police et de gendarmerie de disposer d'une instance de référence.
  4. Au fil des auditions, la CNCDH a également constaté une problématique récurrente : le changement régulier des interlocuteurs (enquêteurs, magistrats, etc.) qui demeurent généralement de trois à cinq ans à leur poste. Seule une affectation dans la durée permet de construire des liens de confiance et des habitudes de travail entre les divers intervenants. Or ces liens et habitudes sont à reconstruire à chaque mutation d'autant qu'il n'existe pas d'annuaire régulièrement mis à jour des « référents traite des êtres humains » au sein des différents ministères ou encore des parquets et des préfectures. Les mutations régulières empêchent de remplir l'objectif de maintenir dans le temps un haut degré de savoir-faire des enquêteurs. Cela génère une certaine inertie, d'autant que les enquêtes et les procédures judiciaires sont longues, alors que les exploiteurs n'ont de cesse de modifier leurs modes opératoires. L'enjeu principal est donc de disposer d'interlocuteurs clairement identifiés pour tous les agents de terrain susceptibles de faire un signalement.
    Recommandation 7 : la CNCDH recommande que la contrainte à commettre tout crime ou délit entre réglementairement dans le périmètre d'intervention d'un ou plusieurs offices centraux. Cette évolution permettra une meilleure identification par les agents de terrain des missions de chaque office et une meilleure coordination entre les offices centraux pour la prise en compte des situations d'exploitations multiples.

1.2.3. De multiples freins institutionnels

  1. A ces difficultés s'ajoutent des problèmes de communication entre magistrats au sein des juridictions en fonction de la spécialité de chacun (stupéfiants, immigration illégale, mineurs, etc.). Des difficultés similaires sont constatées entre juridictions alors même que les victimes se déplacent par-delà les limites des ressorts juridictionnels. Effectivement, alors que les mineurs domiciliés relèvent d'un seul juge pour enfants qui connaît l'ensemble de leurs dossiers, les mineurs en errance cumulent des audiences devant des juges différents qui ne connaissent pas leur situation. Ainsi, il arrive que des mesures de protection et d'accompagnement prises au niveau d'une juridiction à l'égard d'une même personne, ne soient pas connues des autres juridictions en l'absence de coordination entre elles.
  2. Dans le même temps, malgré le travail effectué par le service statistique du ministère de l'intérieur en lien avec les associations, il s'avère que, non seulement chaque ministère dispose de son propre logiciel, mais encore que les logiciels n'ont pas été prévus pour documenter la contrainte à commettre tout crime ou délit. Par exemple, le mode de traite ici étudié n'est pas prévu dans la nomenclature des infractions (Natinf) utilisée par les forces de sécurité et la justice. Il existe bien l'infraction de traite des êtres humains mais celle-ci n'est nullement ventilée par forme d'exploitation. Par ailleurs, les victimes de contrainte à commettre des crimes ou des délits sont rarement identifiées comme victimes de traite des êtres humains par les forces de l'ordre dans les logiciels de rédaction de procédure de la police nationale (LRPPN) et de la gendarmerie (LRGPN), ce qui conduit à une sous-évaluation des victimes de ce type d'exploitation dans les chiffres existants.
  3. Les acteurs de la justice, les chercheurs et les associations qui accompagnent les victimes dénoncent une grande difficulté d'accès aux décisions, ou des délais de transmission aléatoires souvent très longs et très éloignés de la date du délibéré. Il apparait encore plus difficile d'avoir accès à des jugements rendus dans d'autres ressorts que celui dans lequel exerce le professionnel, qui découvre trop souvent encore l'existence d'un dossier de traite des êtres humains, la date d'audience ainsi que la date de délibéré à la faveur d'un article de presse ou fortuitement grâce à un collègue. Pourtant, la consultation des décisions est particulièrement précieuse pour l'ensemble des acteurs afin de mieux appréhender l'infraction, et l'ensemble des infractions connexes, tant dans leurs éléments constitutifs que du point de vue de la nature et du quantum des peines prononcées.
  4. De plus, les frictions entre le Gouvernement et les départements sur la question de la prise en charge financière des dispositifs de mise à l'abri des victimes ne permettent pas à la France de remplir son devoir de protection. Selon une personne auditionnée par la CNCDH, il est arrivé que l'hébergement dans un département de victimes en provenance d'un autre département (conformément au principe d'éloignement de la victime du lieu de l'exploitation) cesse sans que soit proposée une solution de secours à la personne hébergée. En conséquence, certaines victimes se retrouvent en errance, placées en garde à vue à plusieurs reprises, sans suivi médico-psychologique, et courent le risque de retomber sous l'emprise des réseaux. Les médecins appelés en garde à vue devraient pouvoir questionner la personne sur la contrainte éventuellement subie à la prise de psychotropes, celle-ci étant encore trop souvent considérée comme volontaire par les officiers de police judiciaire.
  5. En outre, malgré une augmentation en cours de ses effectifs, la Miprof, qui assure la coordination de la lutte contre la traite des êtres humains sous toutes ses formes, n'est aujourd'hui pas dimensionnée à la hauteur de ses besoins, notamment au regard des connexions étroites existant entre la contrainte à commettre des crimes et des délits, le grand banditisme, le trafic de stupéfiants, de cigarettes, etc. Le projet d'observatoire porté par la Miprof, qui devrait consacrer son activité à toutes les formes de traite, est en revanche encourageant s'agissant de disposer de données homogènes qualitatives et quantitatives provenant tant des institutions que des partenaires de la société civile (associations, syndicats, etc.).
  6. Cependant, au regard de la maigre place qu'occupe la traite à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit dans le troisième plan d'action national, les pouvoirs publics ne semblent pas avoir encore pleinement pris conscience de l'ampleur du phénomène en particulier à l'approche d'un grand événement international tel que les jeux Olympiques et Paralympiques.
    Recommandation 8 : la CNCDH recommande que, en cas de suspicion de traite des êtres humains, soit rendue possible la remontée, a minima au niveau régional, de tous les dossiers du mineur, le tout centralisé dans une seule et même juridiction, avec un seul magistrat référent et un même avocat pour toutes les procédures, qu'elles soient criminelles et/ou correctionnelles. Il est alors également nécessaire de désigner un coordinateur référent pour faciliter les échanges entre ressorts.
    Recommandation 9 : la CNCDH recommande de décliner la nomenclature de nature des infractions (Natinf) utilisée par la justice et les forces de sécurité en permettant de ventiler la Natinf de traite des êtres humains en plusieurs sous-catégories selon les formes d'exploitation associées, reprenant les formes d'exploitation identifiées par la nouvelle directive européenne sur la lutte contre la traite des êtres humains. Cette recommandation est par ailleurs indispensable à la remontée de statistiques déclinées par forme d'exploitation, comme le prévoit la directive européenne sur la lutte contre la traite des êtres humains.
    Recommandation 10 : la CNCDH recommande d'inciter l'identification des victimes de contrainte à commettre tout crime ou délit par les forces de sécurité comme des victimes de traite des êtres humains dans les logiciels de rédaction de procédure (LRPPN et LRPGN), en reprenant les codes Natinf évoqués dans la recommandation précédente.
    Recommandation 11 : la CNCDH recommande la centralisation nationale des décisions jurisprudentielles pour permettre une analyse complète et exhaustive de leur teneur, pour mieux appréhender le phénomène de la traite des êtres humains, sous toutes ses formes, sur le territoire français et partager les bonnes pratiques utiles aux acteurs de la chaine judiciaire, et ainsi renforcer l'efficacité des réponses pénales.

1.3. Des enjeux majeurs multiformes qui nécessitent une approche par les droits (xliii)

  1. Le troisième plan national d'action aborde toutes les formes de traite, malgré une regrettable confusion entre la contrainte à commettre tout crime et délit et la contrainte à la mendicité, cette dernière activité n'étant plus pénalement sanctionnée en France, sauf interdiction locale. Toutefois, ce plan n'adopte pas suffisamment l'approche holistique nécessaire à lutter contre les facteurs de vulnérabilité, non seulement économique et sociale mais également sanitaire et éducative notamment, qui affectent ces victimes.

1.3.1. Un enjeu politique spécifique pour les mineurs

  1. Sur l'ensemble du territoire français sont constatées de nombreuses défaillances dans la mise en œuvre du dispositif de la protection de l'enfance, que ce soit au stade de la mise à l'abri immédiate d'un mineur isolé, lors de l'évaluation de la minorité et de l'isolement ou au niveau de la prise en charge de ces jeunes vulnérables au sein des services de protection de l'enfance.
  2. Cet état de fait est d'autant plus alarmant que la situation des mineurs isolés étrangers les rend particulièrement vulnérables et les expose aux abus et à la maltraitance (racket, mendicité et délinquance forcées, ateliers clandestins, etc.), ce qui devrait au contraire inciter les autorités à protéger ces enfants qui dorment dehors, dans des squats et sont à la merci de personnes mal intentionnées.
  3. Par ailleurs, tenus pour fraudeurs (faux mineurs), il leur est généralement proposé une prise en charge a minima, en particulier un accès aux cours de langue ou aux études de plus en plus rare, les empêchant d'accéder ensuite au marché du travail et à la possibilité d'une régularisation. Les organisations criminelles, quant à elles, font valoir leurs activités rémunératrices immédiates et/ou des perspectives d'avenir en leur sein.
    Recommandation 12 : la CNCDH recommande que les décideurs politiques se saisissent de la question des mineurs non accompagnés, afin d'organiser leur prise en charge et leur accompagnement pour prévenir la récupération de ces jeunes par des réseaux criminels.

1.3.2. Un enjeu éthique

  1. C'est un enjeu éthique que de se saisir de la question de la traite à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit. Le même degré d'attention doit être porté à toutes les victimes, sans condition d'âge, de genre et de nationalité. Toute forme de traite est une violation flagrante des droits humains du fait qu'elle porte atteinte à la dignité et à l'intégrité des victimes.
  2. Il est essentiel que les associations, les syndicats, les ministères et les autres institutions associés à l'élaboration du plan puissent poursuivre leur collaboration sous la coordination de la Miprof. En ce sens, un comité de suivi, réuni pour la première fois le 21 mars 2024, doit s'assurer de la mise en œuvre d'une approche par les droits conformément aux engagements internationaux de la France.
  3. Les conventions internationales exigent une approche effective par les droits qui place la victime au cœur des processus visant à la mettre à l'abri, à l'accompagner et à lui obtenir une réparation en proportion des préjudices subis. Lors des enquêtes, l'objectif des forces de l'ordre ne doit donc pas s'inscrire exclusivement dans une démarche de sécurité publique.
  4. La volonté de garantir la sécurité publique doit inclure l'anticipation et la satisfaction des besoins des personnes lésées pour éviter toute victimisation secondaire a posteriori ou au cours des procédures. Une démarche holistique, peu perceptible dans le troisième plan national d'action, devrait inclure un objectif d'accompagnement et de réinsertion éducative, sociale puis professionnelle.
    Recommandation 13 : la CNCDH recommande la mise en place d'hébergements adaptés dans le cadre d'une approche globale des droits des victimes.

1.3.3. Un enjeu sanitaire et éducatif

  1. La démarche sécuritaire et répressive que l'on constate aujourd'hui passe par un « nettoyage des rues », par une invisibilisation de « ceux qui dérangent » (xliv) à quelques mois des jeux Olympiques et Paralympiques et du projecteur médiatique qui sera porté sur la France. Une telle démarche qui s'enorgueillit de rétablir l'ordre public ne fait que déplacer sur d'autres territoires les réseaux criminels et accroît les problématiques de santé publique. Le déni renforce les vulnérabilités existantes faute de s'attaquer aux causes mêmes de ces vulnérabilités (précarité, exclusion sociale, discriminations, dégradation de la santé physique et mentale, addictions, trafic de drogues, recherche alternative de moyens de subsistance…).
  2. La démarche de minoration du phénomène par les pouvoirs publics ne permet pas de s'attaquer au cœur du problème, à savoir que la traite à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit est un secteur lucratif moins risqué que le trafic d'armes ou de stupéfiants. Les coûts induits pour la société sont certainement plus élevés que l'approche par la réduction des risques prônée par les associations et la CNCDH.
  3. Certes, s'attaquer aux réseaux, en saisissant notamment les avoirs et les recettes, nécessite le plus souvent une coopération internationale renforcée qui ne repose pas que sur la France. En ce sens, on constate la présence d'une magistrate déléguée à la traite des êtres humains à la délégation permanente de l'ONU à Vienne qui, à la suite de son prédécesseur, construit une relation de confiance avec les autorités de certains pays d'Europe centrale et orientale. Il est dommageable qu'une telle bonne pratique ne soit pas reproduite avec d'autres partenaires, en particulier dans des Etats d'Asie et d'Amérique latine où des réseaux criminels sont identifiés.
  4. Les conventions envisagées entre la Miprof et ses homologues en Roumanie, au Maroc, en Colombie afin d'adopter une approche par la réduction des risques et une mise à l'abri dès le pays d'origine pourraient en revanche contribuer utilement à la lutte contre la traite à des fins de contrainte à commettre des délits mais aussi contre la mise en place de mécanismes de soumission chimique dès le plus jeune âge des victimes.
  5. Les enjeux de santé publique (addictions, santé mentale, maladies…) sont effectivement à prendre en compte dans l'élaboration de protocoles de collaboration internationale. Mais cela nécessite aussi, au niveau national, de dimensionner les services pédiatriques et d'addictologie en conséquence.
  6. Il est par ailleurs crucial d'adapter la prise en charge aux besoins spécifiques des victimes, en tenant compte de leur âge, de leur genre, de leur origine, de leur situation familiale, de leur éventuel handicap, etc., et en leur offrant un accompagnement personnalisé et durable visant à la co-construction d'un projet personnalisé. Cela nécessite des moyens humains et financiers dédiés. Le manque d'implication du ministère de l'éducation nationale est ici particulièrement inquiétant au-delà du fait que les risques d'exploitation ne sont abordés que sous l'angle historique, sous-entendant ainsi indirectement et sans doute involontairement qu'il ne s'agit plus d'un risque contemporain.
    Recommandation 14 : la CNCDH recommande d'augmenter le nombre de services pédiatriques et d'addictologie afin de mieux répondre aux enjeux de santé publique (addictions, santé mentale, maladies…).
    Recommandation 15 : la CNCDH recommande d'intégrer aux programmes scolaires d'éducation morale et civique les risques liés à l'exploitation moderne des êtres humains.

1.3.4. Un enjeu de justice

  1. Il est également impératif de former les magistrats à la pluralité des enjeux et à la diversité des profils des victimes afin de pouvoir engager une réponse pénale plus rapide, adaptée et dissuasive. L'absence d'une approche par les droits au profit d'une approche fondée sur la sécurité publique, ainsi que la méconnaissance par les magistrats du principe de « non sanction » (xlv) défendu par les Nations unies, impliquent que nombre de victimes de traite à des fins de contrainte à commettre des crimes ou des délits, ne bénéficient pas de la présomption de non-responsabilité pénale qui peut résulter de l'article 122-2 du code pénal.

  2. Cette présomption de non-responsabilité pénale permettrait pourtant d'éviter le placement en garde à vue ou en détention provisoire ou encore l'expulsion de victimes d'exploitation qui ne seront plus en mesure de témoigner. Si le placement en garde à vue est parfois perçu par les forces de l'ordre comme un moyen d'éloignement de la victime du réseau permettant de favoriser son témoignage, en réalité ce mode opératoire est contre-productif, le traumatisme qu'il cause étant d'autant plus important que les avocats et les administrateurs ad hoc sont rarement conviés dès l'enquête préliminaire. En cas de suspicion de traite, une audition libre devrait être privilégiée, notamment au sein des unités d'accueil pédiatriques enfants en danger (UAPED) pour les mineurs. Dans tous les cas, la CNCDH rappelle que l'article 706-52, alinéa 1er, du code de procédure pénale prévoit que, au cours de l'enquête et de l'information, l'audition d'un mineur victime de toute forme de traite « fait l'objet d'un enregistrement audio-visuel ». Par ailleurs, l'actuel protocole d'audition des mineurs NICHD (xlvi), utilisé depuis les années 90 pour auditionner des mineurs de 4 à 12 ans victimes ou témoins, n'apparaît pas adapté pour recueillir la parole d'un mineur d'abord entendu à de multiples reprises en tant qu'auteur avant que la question de sa possible exploitation ne soit soulevée.

  3. De manière générale, la garde-à-vue mais aussi la détention provisoire ou la notification d'une OQTF au cours de la procédure ne sont pas de nature à faciliter le recueil des témoignages et des preuves nécessaires à la caractérisation de l'infraction.

  4. La CNCDH appelle à appliquer la loi, en interprétant l'article 122-2 du code pénal : une suspicion de traite des êtres humains doit fonder une cause d'irresponsabilité pénale au profit de la victime contrainte de commettre un crime ou délit. Cela relève effectivement des obligations positives de l'Etat.
    Recommandation 16 : la CNCDH recommande que les auditions de présumés mineurs soient réalisées obligatoirement en présence d'un avocat dans des services spécialisés dotés de personnels de soins.
    Recommandation 17 : la CNCDH recommande la création d'un groupe de travail pluridisciplinaire et pluri institutionnel afin d'envisager l'adaptation du protocole NICHD (xlvii) aux enfants victimes de traite des êtres humains, en particulier ceux contraints à commettre des crimes ou des délits, afin qu'ils soient entendus dans un lieu, dans des conditions et selon des modalités adaptées tenant compte de leur particulière vulnérabilité, et notamment de l'emprise psychique et chimique à laquelle ils sont soumis.

  5. Agir en faveur des victimes plutôt que les invisibiliser

  6. A quelques mois des jeux Olympiques et Paralympiques et au-delà de cet évènement, il y a urgence à agir en allant vers les victimes afin de les protéger et de les accompagner et en engageant davantage de poursuites pénales à l'encontre des exploiteurs.

2.1. Une absence de réponse pénale adaptée
2.1.1. Un cadre juridique qui impose un devoir de protection

  1. La directive 2011/36/UE, transposée par la France, prévoit des mesures de protection des victimes, notamment le droit à un titre de séjour, l'accès à l'aide sociale et l'accès à la justice. Ces dispositifs juridiques prévoient donc des mesures de prévention, de répression et de protection des victimes sous réserve qu'elles soient identifiées comme telles. Au procès du Trocadéro, des mineurs contraints à commettre des délits se sont portés partie civile, ont été juridiquement reconnus comme victimes et ont obtenu une réparation financière.
  2. En outre, il demeure difficile pour les enquêteurs de caractériser la contrainte à commettre tout crime ou délit faute de preuves. Les exploiteurs, les intermédiaires et les victimes soumises à la contrainte, ont recours à de nombreux alias sur des messageries cryptées aisément effaçables. Les identités réelles des exploiteurs sont donc rarement connues des victimes. De plus, ces dernières n'ont parfois pas conscience d'être victimes. La peur de représailles, les menaces, les modes d'interrogatoire, la barrière de la langue ou encore les capacités cognitives dégradées et/ou les troubles psychiques, du fait de la prise régulière de psychotropes, ne facilitent pas le recueil des témoignages. Les victimes sont par ailleurs rarement présentes au cours des procès de peur notamment des représailles.
  3. Toutes ces difficultés sont renforcées par l'attitude des pouvoirs publics à l'approche de grands évènements sportifs, tels les jeux Olympiques et Paralympiques. La CNCDH s'inquiète de la volonté actuelle du ministère de l'intérieur de chercher à invisibiliser le phénomène en mobilisant ponctuellement des forces de l'ordre et des agents de sécurité afin de repousser le risque loin des sites olympiques. On ne constate aucune volonté d'identifier, de mettre à l'abri et d'accompagner les victimes dans cette initiative. La dimension « ordre public » prime sur l'approche par les droits alors même que les jeux Olympiques et Paralympiques sont une opportunité, parmi d'autres, d'alerter et de sensibiliser.
  4. L'insuffisance de vision à long terme est d'autant plus à déplorer qu'une dynamique positive est en train d'émerger : davantage de procès, une infraction de traite des êtres humains de plus en plus caractérisée, des forces de l'ordre, des magistrats et des avocats de plus en plus sensibilisés, une coordination interministérielle qui commence à atteindre certains de ses objectifs… Le maintien de cette dynamique et son accélération sont primordiaux pour améliorer la réponse pénale à l'encontre des exploiteurs et le démantèlement des réseaux.
    Recommandation 18 : la CNCDH recommande que des dispositions soient prises et appliquées pour garantir la protection des victimes et des témoins qui coopèrent avec les services enquêteurs dans le cadre de ces procédures.

2.1.2. Un devoir de protection malmené par une stratégie de déni

  1. Alors que des progrès ont été constatés et que des coups forts ont été portés, notamment en matière de saisie des avoirs, la volonté de minorer la contrainte à commettre tout crime ou délit pourrait favoriser le développement voire la résurgence de certains réseaux. Or cette stratégie ne traite pas de manière satisfaisante le problème de santé publique que posent l'existence d'ateliers clandestins inondant la France de stupéfiants, y compris de contrefaçon, et l'essor du trafic de ces derniers ou celui de cigarettes de contrebande.
  2. La médiatisation de cette forme d'exploitation devrait au contraire encourager l'Etat à créer par exemple une nouvelle brigade dont les enquêteurs seraient chargés de remonter les filières clandestines de production de psychotropes ou de leurs contrefaçons. A raison de huit pilules de substances illicites par jour pour chacune des 17 victimes identifiées dans le cadre du procès du Trocadéro, on estime à près de 20 000 pilules au minimum ingérées par les jeunes victimes au cours des faits ayant conduit à l'ouverture de l'enquête. Cela implique nécessairement un réseau de production et d'importation. Au regard des saisies par les douanes toujours plus nombreuses, des investigations approfondies s'imposent (xlviii).
  3. Enfin, l'éloignement des victimes d'exploitation hors des sites olympiques, par les actions coordonnées au nom du maintien de l'ordre public, fait obstacle à l'action des travailleurs sociaux et des associations en matière de sensibilisation, d'identification, d'accompagnement et de protection.
  4. La CNCDH considère au contraire que les grands évènements internationaux et médiatiques sont l'occasion de sensibiliser le plus grand nombre à la situation réelle des victimes de contrainte à commettre tout crime ou délit et de faire ainsi évoluer le regard porté sur elles, en particulier celui des forces de l'ordre et des magistrats. En choisissant de lutter contre ce fléau, les pouvoirs publics pourraient envoyer un message fort et donner l'exemple au monde entier.
    Recommandation 19 : la CNCDH recommande que le ministère de la santé et de la prévention et le ministère de la justice poursuivent les investigations sur le trafic de médicaments. L'analyse de la composition chimique des saisies doit permettre de déterminer si des produits de contrefaçon circulent et s'il y a un lien entre la mobilité des jeunes et les types de substances en circulation.

2.1.3. Une réponse pénale inadaptée

  1. En France, la contrainte à commettre tout crime ou délit peut relever de la traite des êtres humains : elle est alors définie juridiquement par l'article 225-4-1 du code pénal (xlix). La traite des êtres humains est un délit grave, puni de 7 ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende, et, si elle est commise à l'égard d'un mineur, de dix ans d'emprisonnement et 1 500 000 euros d'amende. Elle devient même un crime lorsqu'elle est commise avec l'une ou l'autre des circonstances aggravantes suivantes : à l'égard de plusieurs personnes (l), en bande organisée (li) ou en recourant à des tortures ou à des actes de barbarie (lii) etc.
  2. La réponse pénale apparaît totalement inadaptée dès lors que des victimes de traite sont incarcérées pour les infractions qu'elles ont commises sous la contrainte. C'est une situation anormale que celle de la victime se retrouvant dans le box des mis en cause aux côtés de son exploiteur. La CNCDH rappelle que l'article 26 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains impose aux Etats de prévoir la possibilité de ne pas imposer de sanctions aux victimes pour avoir pris part à des activités illicites lorsqu'elles y ont été contraintes. L'absence de protection au cours de la procédure, telle que la dissimulation de l'identité de la victime qui témoigne, fait courir à cette dernière le risque de représailles sur elle ou sa famille. Une telle démarche ne facilite ni le recueil des témoignages ni la présence des victimes au procès. Ainsi, lors du procès du Trocadéro, seules trois victimes identifiées sur douze constituées parties civiles étaient présentes à l'audience.
  3. S'agissant des mineurs, la CNCDH considère que la circulaire précitée du 28 mars 2023 ne protège pas suffisamment les victimes de traite à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit puisqu'elle met en avant l'éventualité d'un engagement volontaire du mineur dans un réseau de traite des êtres humains. Or, la CNCDH rappelle que l'adhésion du mineur à son exploitation, quelles qu'en soient les formes, ne doit pas entrer en ligne de compte pour caractériser l'infraction de traite des êtres humains. Dès lors que le texte d'incrimination prévoit que son jeune âge suffit à caractériser l'exploitation dont est victime un mineur recruté/hébergé/transféré/accueilli par quelqu'un qui va l'exploiter ou le faire exploiter d'une manière ou d'une autre (liii), cela devrait également valoir pour le mettre à l'abri de toute poursuite judiciaire concernant les infractions qu'il aurait commises à cette occasion. Une « présomption de contrainte », inscrite dans la loi, devrait ainsi s'appliquer aux infractions commises par le mineur exploité.
  4. Le procès du Trocadéro peut faire jurisprudence avec des condamnations à de l'emprisonnement ferme assorties de condamnations financières et de peines complémentaires telles que l'interdiction de territoire. Toutefois, pour être efficaces et dissuasives, de telles condamnations doivent se multiplier et être médiatisées. Un procès similaire est prévu devant le tribunal judiciaire de Bobigny en mars 2024 dans une affaire concernant un mineur roumain contraint à commettre des délits sous l'emprise de sa famille, et actuellement placé en détention provisoire. On peut craindre au contraire que la stratégie actuelle visant à « nettoyer les rues » n'entraîne une invisibilisation de cette forme d'exploitation le temps des jeux Olympiques et Paralympiques voire au-delà sans une réelle volonté d'y mettre un terme ni de remonter les filières de production illégale de psychotropes alors que, dans le même temps, la sensibilisation des enquêteurs à la traite des êtres humains conduit à une augmentation des affaires judiciaires liées à la traite à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit.
    Recommandation 20 : la CNCDH recommande qu'une circulaire de politique pénale du garde des sceaux incite les parquets et les services d'enquête à considérer que les mineurs ayant commis des infractions dans ce qui s'apparente, au stade de l'enquête, à un cas de traite des êtres humains, sont en situation de contrainte, au sens de l'article 122-2 du code pénal.
    Recommandation 21 : la CNCDH recommande que, s'agissant des mineurs victimes, la présomption permettant de caractériser la commission à leur encontre de l'infraction de traite des êtres humains (article 225-4-1 [II] du code pénal), soit accompagnée, de lege ferenda, de la prévision, au sein de l'article 225-4-1 du même code, d'une présomption de contrainte, cause d'irresponsabilité pénale, pour le mineur ayant commis un crime ou un délit dans ce cadre.
    Recommandation 22 : la CNCDH recommande, de lege ferenda, de renforcer la protection des victimes en modifiant l'article 225-4-1, alinéa 6 dans les termes suivants : « L'exploitation mentionnée au premier alinéa du présent I est le fait de mettre la victime à sa disposition ou à la disposition d'un tiers, même non identifié afin de permettre soit la commission contre la victime des infractions de […], soit la commission par la victime de tout crime ou délit ».
    Recommandation 23 : la CNCDH recommande de compléter l'article 225-4-1 (3°) du code pénal par la prévision de « la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de la situation économique ou sociale de la victime ».

2.2. Les grands évènements médiatiques : l'opportunité d'aller vers les victimes, de les protéger, de les accompagner, de remonter les réseaux et d'engager des poursuites pénales à l'encontre des exploiteurs
2.2.1. Identifier, orienter, accompagner et protéger les victimes

  1. L'organisation de grands évènements internationaux devrait être une opportunité pour mieux protéger les victimes et pour mieux observer le phénomène de la contrainte à commettre tout crime ou délit et non simplement celle de rendre notre pays attrayant pour de nombreux visiteurs. Les grands évènements médiatiques, tels que les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, devraient être perçus comme des occasions d'appliquer concrètement les plans nationaux d'actions, d'expérimenter d'autres approches que la répression (liv) ou la minoration du phénomène, de médiatiser les procès et de sensibiliser le plus grand nombre.
  2. Les dispositifs juridiques ne peuvent pas à eux seuls lutter contre ce phénomène. Ils doivent être accompagnés de mesures de prévention du risque, d'identification et de protection des victimes. L'insuffisance de ces mesures équivaut à un refus de prise en charge des victimes. C'est une attitude contraire aux engagements internationaux de la France mais cela constitue également un facteur d'accroissement de la vulnérabilité entretenant les différentes formes de traite des êtres humains. La priorité est d'aller vers les victimes, de créer les conditions de la confiance avant de pouvoir envisager tout témoignage, toute dénonciation. Cette étape ne peut être franchie sans le concours des travailleurs sociaux, des associations ou des syndicats.
  3. L'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques serait par ailleurs l'opportunité d'expérimenter certaines recommandations portées par la CNCDH, tel que le recueil de la parole des mineurs dans des lieux dédiés aux soins que sont les unités d'accueil pédiatriques enfants en danger (UAPED), plutôt que dans les commissariats.
  4. La CNCDH recommande que la stratégie reposant sur le maintien de l'ordre public aux fins d'offrir une vitrine au public des jeux Olympiques et Paralympiques, cède la place à une stratégie de réduction des risques notamment en matière d'usage de psychotropes et/ou de stupéfiants. Cette stratégie doit reposer sur une approche par les droits en mettant les victimes au cœur du processus et en respectant leurs choix. L'information, plutôt que l'accusation ou la condamnation, doit permettre à la victime de faire des choix éclairés sans contrainte. Outre le fait que cette démarche reposant sur la confiance permet l'identification et peut favoriser a posteriori la plainte et le témoignage, elle permet de réduire le risque de surdose médicamenteuse, de détérioration de la santé physique et psychique ainsi que le risque de mort prématurée.

2.2.2. Une opportunité d'expérimenter à grande échelle une démarche « d'aller vers »

  1. L'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques 2024, et plus généralement celle de grands évènements sportifs et culturels, offre l'opportunité de changer le regard des forces de l'ordre qui seront fortement sollicitées à cette occasion. Le procès du Trocadéro a révélé que, lors de la finale de la Ligue des champions en mai 2022, au cours de laquelle les forces de l'ordre ne purent faire face aux désordres, des mineurs ont été contraints à se rendre aux abords du stade de France pour y commettre des vols.
  2. On peut donc craindre que l'afflux de touristes et la multiplication des lieux de rassemblement lors des Jeux n'entraînent une augmentation des délits et une forte contrainte exercée sur les victimes pour « faire du chiffre » à cette occasion (lv). Par ailleurs, dissimuler le phénomène dans les villes mobilisées pour les Jeux risque de déplacer les problèmes et les exploiteurs vers les villes moyennes.
  3. Il est donc important pour anticiper le risque, de sensibiliser, d'informer et de former l'ensemble des acteurs de terrain à la détection et à l'accompagnement des victimes de la traite à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit afin qu'ils adoptent de bonnes pratiques pour mettre à l'abri les victimes présumées dès les interpellations ou les signalements. Sur ce point, il est important de noter que les politiques pénales sont en-deçà des attentes et qu'il serait nécessaire de mieux traiter les signalements afin de permettre l'ouverture d'une enquête pénale sous cette qualification.
  4. Toutefois, c'est en réalité bien en amont que les pouvoirs publics tardent à intervenir de manière suffisante, en particulier sur les chantiers, notamment ceux des futurs sites olympiques (lvi). A l'occasion d'accidents du travail, l'inspection du travail constate l'emploi systémique de personnes en situation irrégulière contraintes par exemple à user de faux papiers (lvii), à couvrir les agissements d'entrepreneurs faute de connaissance du droit applicable en la matière et de peur de faire également l'objet, en cas de dénonciation, de poursuites judiciaires du fait de leur présence irrégulière sur le territoire français (lviii).
    Recommandation 24 : la CNCDH recommande de conforter les initiatives prises dans le cadre de la préparation de l'accueil des jeux Olympiques et Paralympiques, et leur future généralisation, en faveur d'une sensibilisation spécifique des magistrats, membres des forces de l'ordre, avocats, personnels de la santé ou du social… et de toutes personnes susceptibles de rencontrer des personnes victimes d'exploitation, en particulier celles contraintes à commettre tout crime ou délit (lix).

2.2.3. Une opportunité de sensibiliser les différents acteurs et de faire évoluer le regard porté sur les victimes

  1. En amont et au cours des Jeux, il importe de sensibiliser très largement les forces de l'ordre et les volontaires de l'organisation aux bonnes pratiques pouvant favoriser le signalement vers les autorités compétentes et l'orientation vers les associations spécialisées.
  2. A cela s'ajoute la nécessité d'une large campagne de communication pouvant cibler les touristes et spectateurs en particulier dans les aéroports, les gares et aux abords des sites sportifs. Une telle campagne de communication implique la mobilisation de la Miprof, des ministères concernés ainsi que leurs services déconcentrés, les départements, les associations spécialisées, les grandes chaines d'information, les réseaux sociaux, les équipes du 119 Allô enfance en danger…
  3. L'augmentation du nombre d'identifications qui pourrait en résulter doit être anticipée de manière à pouvoir proposer non seulement des hébergements d'urgence mais également un suivi médico-psychologique immédiat. Par ailleurs, il sera crucial de renforcer la coopération entre les autorités, les services sociaux, les associations spécialisées et les prestataires d'interprétariat. Après les Jeux, il sera utile que les associations spécialisées d'une part, et la Miprof d'autre part, effectuent un bilan quantitatif et qualitatif des mesures mises en place pour lutter contre la traite à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit et pour identifier les pistes d'amélioration.
  4. Les outils créés par le collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains » (lx) peuvent être utilisés dans le cadre de la formation des professionnels et des bénévoles susceptibles d'être en contact avec des personnes victimes.
    Recommandation 25 : la CNCDH recommande de prévoir des lieux aménagés et un accueil en différentes langues aux abords des lieux des compétitions sportives pour que les personnes victimes d'exploitation puissent être immédiatement mises à l'abri, accompagnées et protégées et qu'elles puissent porter plainte et faire valoir leurs droits.

2.3. Pour être efficace, le troisième plan national d'action doit renforcer les moyens mis sur la prévention, la protection, l'accompagnement et la démarche de réduction des risques
2.3.1. Disposer d'une stratégie centrée sur les victimes

  1. Il est essentiel d'avoir une stratégie à long terme au-delà d'évènements médiatiques conjoncturels afin que les efforts engagés, les formations et les campagnes de sensibilisation réalisées permettent aux acteurs de terrain de poursuivre et d'améliorer la prévention des risques auprès des personnes vulnérables, la protection des victimes et leur accompagnement.
  2. Le troisième plan national d'action de lutte contre la traite des êtres humains (2024-2027) prévoit un ensemble d'outils qui, sous réserve de l'application des mesures et de la mise à disposition des moyens humains et financiers nécessaires à leur réalisation, permettront de poursuivre le renforcement de l'action tant des institutions que de la société civile.
  3. Toutefois, la prévention dirigée vers les personnes présentant des vulnérabilités, susceptibles d'en faire des cibles pour les exploiteurs, paraît être le parent pauvre du plan. Certes, celui-ci prévoit bien un renforcement de la sensibilisation et de la formation d'une multitude d'acteurs ou encore la centralisation des informations et des données. C'est là un aspect positif du plan s'il devient effectif notamment via la mise en place concrète d'un mécanisme national d'identification, d'orientation et de protection des victimes. Pour autant, les sujets même du plan, à savoir les victimes d'exploitation, sont insuffisamment prises en compte dans la pluralité de leurs vulnérabilités.
  4. Lors de son audition, la Miprof a informé la CNCDH de sa volonté d'agir le plus tôt possible au plus près des victimes potentielles, en particulier dans les pays d'origine. C'est une démarche saluée par la CNCDH qui rappelle toutefois qu'une partie des victimes est française. Prévenir leur recrutement et leur exploitation passe inévitablement par des politiques publiques visant à réduire les facteurs de vulnérabilité que sont la précarité, l'isolement, les violences intrafamiliales mais également des parcours scolaires chaotiques par exemple.

2.3.2. Coopérer avec tous les acteurs et les impliquer

  1. L'accès à l'éducation, à la santé, à l'emploi, aux droits doit être une priorité quels que soient le profil et la nationalité des victimes. Si le ministère du travail, de la santé et des solidarités semble proactif, la CNCDH s'inquiète en revanche du manque d'investissement, à date, du ministère de l'éducation nationale qui se juge incompétent dès lors que les trafics ont cours hors des établissements. Il est contreproductif de penser que les actes de la vie quotidienne n'impactent pas la scolarité et la santé des jeunes. Les établissements scolaires, en particulier lorsqu'ils sont dotés de personnels de santé, et les établissements de santé eux-mêmes, pourraient être des lieux de libération de la parole tout en permettant d'initier les prises en charge médicales, bien plus qu'un commissariat. D'autres lieux sont à soutenir pour les enfants non scolarisés ou déscolarisés.
  2. Il est évident que, pour les personnels de ces établissements, ce sont des situations très complexes à gérer et qu'il est difficile d'établir un lien de confiance. Toutefois, les institutions peuvent s'appuyer sur le savoir-faire des associations qui ont été pionnières dans les démarches visant à « aller vers » ou à faire intervenir des médiateurs pairs. Souvent, elles ont même été pionnières dans l'approche visant à la réduction des risques liés aux addictions.
  3. Ces protocoles mis en place par les associations sont fréquemment à l'origine des premières identifications. La réduction des risques prend du temps mais elle permet d'entamer le dialogue nécessaire à la construction du lien de confiance.
  4. Ainsi, les institutions auraient tout à gagner à ne pas agir en silos et à se saisir de l'opportunité qu'offrent l'existence d'une mission interministérielle dédiée et l'élaboration d'un mécanisme national qui devra tenir compte du rôle essentiel des associations spécialisées, des inspecteurs du travail, des syndicats et des éducateurs en termes non seulement d'identification mais également d'orientation et d'accompagnement des victimes.
  5. La CNCDH rappelle la diversité des formes d'exploitation et l'importance que revêt une bonne répartition des subventions afin de tenir compte tant de la diversité des formes d'exploitation que des profils des victimes. Les administrateurs ad hoc et les éducateurs jouent également un rôle essentiel tout au long des procédures en assurant le lien entre les victimes et les parties prenantes. Le défaut de désignation d'un administrateur ad hoc dès le début des procédures est encore trop souvent à déplorer.

2.3.3. Elargir les mécanismes d'action

  1. En ce qui concerne les exploiteurs, doter les inspecteurs du travail de pouvoirs d'investigation pourrait permettre une détection meilleure et plus rapide des filières criminelles dans le but de mettre à l'abri les victimes présumées de contrainte à commettre tout crime ou délit puis de poursuivre les responsables.
  2. La dimension numérique nécessite également des renforts vers les unités spécialisées notamment pour lutter contre le recrutement sur internet, en particulier sur les réseaux sociaux, mais également pour remonter les filières via les transferts d'argent.
  3. Le troisième plan national d'action développe le volet de la coopération internationale qui est effectivement essentiel. Développer les actions de coopération internationale, en participant aux initiatives régionales et multilatérales, en signant des accords bilatéraux, en soutenant les pays d'origine et de transit des victimes, et en renforçant les coopérations existantes ne pourra être que bénéfique.
  4. Il apparaît également important de mieux communiquer sur les procès menés et les sanctions prononcées pour tenter de dissuader les auteurs potentiels. Sensibiliser les auteurs et les impliquer dans les actions de réparation et de reconstruction des victimes peuvent être des pistes à travailler collectivement.
    Recommandation 26 : la CNCDH recommande de prendre des mesures visant à garantir la protection des victimes et des témoins, y compris ceux entendus par les inspecteurs du travail. Il s'agirait notamment de considérer les auditions des victimes et des témoins par ces derniers comme des récépissés de plaintes ouvrant droit à la délivrance d'un titre de séjour, en application de l'article L. 425-1 du CESEDA.
    Recommandation 27 : la CNCDH recommande de garantir des liens directs entre les services du parquet et l'inspection du travail afin de permettre des co-saisines. Pour garantir l'efficacité de celles-ci, les enquêteurs de police judiciaire doivent être formés à la traite des êtres humains pour répondre aux besoins des parquets.

2.3.4. Mettre enfin en place un grand plan d'hébergement sécurisé et sécurisant

  1. Les auditions menées par la CNCDH ont fait état de plusieurs faits préoccupants telles une incapacité des pouvoirs publics à créer un nombre suffisant d'hébergements sécurisés et sécurisants mais également, en ce qui concerne l'aide sociale à l'enfance, une incohérence des moyens mis en œuvre au regard des besoins. Les équipes éducatives sont en souffrance et l'on constate des difficultés récurrentes pour désigner des éducateurs référents de confiance que le recrutement d'éducateurs intérimaires ne saurait résoudre faute de formation.
  2. Les placements en hôtels, légalement interdits (lxi) pour les mineurs mais toujours pratiqués, ne garantissent pas la protection et l'accompagnement des jeunes exploités. Par ailleurs, les fugues des foyers sont nombreuses tandis que le recrutement des victimes se fait parfois directement en leur sein. L'ouverture du centre Koutcha et la constitution du réseau Satouk sont des mesures encourageantes mais insuffisantes. L'ouverture de places d'hébergement doit permettre une mise à l'abri d'urgence, l'éloignement des réseaux d'exploitation et de la pression des exploiteurs, d'une part. D'autre part, il faudrait pouvoir disposer d'abris pérennes, dotés de ressources visant à l'accompagnement médico-psychologique, le temps de la procédure judiciaire.
  3. Afin de pallier la saturation des hébergements d'urgence, il est nécessaire de répertorier les structures existantes et d'encourager la mise en réseau des parquets, des préfectures, des structures de type centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), ainsi que des associations spécialisées, afin d'orienter rapidement les personnes vers des structures adaptées aux personnels formés. Tout en s'accordant sur la nécessaire spécialisation des structures de places d'hébergement, toutes les victimes de la traite devraient bénéficier, sans condition, d'un hébergement sûr et adapté à leurs besoins. L'extension du dispositif doit spécifiquement tenir compte de la problématique des addictions qui demande un accompagnement adapté et requiert des compétences et des moyens particuliers.
    Recommandation 28 : la CNCDH recommande l'ouverture de centres dédiés à l'accueil d'urgence et d'orientation pour une prise en charge immédiate des victimes.

2.3.5. Mieux protéger les personnes étrangères victimes d'exploitation

  1. Aux termes de l'article L. 425-1 du CESEDA, une personne étrangère qui dépose plainte contre un tiers qu'il accuse d'avoir commis à son encontre des faits constitutifs de traite des êtres humains, ou de proxénétisme, ou qui livre un témoignage dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions, se voit délivrer (sous certaines conditions) une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » d'une durée d'un an.
  2. Dès 2017, la CNCDH relevait que certaines préfectures ne se contentent pas d'un récépissé de dépôt de plainte pour ouvrir un droit au séjour des victimes de traite des êtres humains, mais interrogent les services enquêteurs sur le fond du dossier. Les victimes de traite reçoivent ainsi parfois des refus de délivrance de titre de séjour aux motifs que la plainte pour traite des êtres humains paraît manifestement infondée.
  3. En raison de l'extrême complexité de l'infraction de traite des êtres humains, il n'est pas rare que la plainte déposée fasse finalement l'objet d'une enquête uniquement à l'égard de l'exploitation en elle-même, par exemple le proxénétisme ou les conditions de travail indignes. Il arrive même que le travail dissimulé soit la seule infraction retenue…
  4. La délivrance du titre demeure donc tributaire de la qualification retenue par les services de police/gendarmerie, puis par le procureur. Les victimes de proxénétisme peuvent ainsi plus facilement obtenir un titre dans la mesure où l'infraction de proxénétisme est également visée en tant que telle par l'article L. 425-1 du CESEDA. Or, ce n'est pas le cas des autres formes d'exploitation. Afin de ne pas faire de distinction entre les victimes d'exploitation, et mieux protéger ces dernières indépendamment des qualifications juridiques retenues par les autorités judiciaires, la CNCDH recommande de modifier cet article, en élargissant le champ de ses bénéficiaires aux victimes de toutes les formes d'exploitation visées par l'article 225-4-1 du code pénal.
  5. Par ailleurs, la CNCDH constate une discrimination spécifique à l'égard des victimes de nationalité algérienne qui, relevant des accords franco-algériens, ne bénéficient pas des dispositifs prévus par le CESEDA. Dans l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, modifié par un avenant du 11 juillet 2001, aucune disposition ne prévoit un droit au séjour pour les personnes victimes de violences, et donc de traite, y compris pour les victimes mineures. Les préfectures disposent d'une marge de manœuvre sur l'appréciation de la situation des victimes et des témoins de traite des êtres humains algériens, qui laisse craindre une grande hétérogénéité dans le traitement de ces situations (lxii).
  6. Cette situation s'est aggravée depuis le déploiement de la dématérialisation, et notamment le recours à l'administration numérique pour les étrangers en France (ANEF). Depuis le 2 octobre 2023, les victimes de traite sont concernées par cette procédure dématérialisée. Mais les victimes algériennes ne pouvant se prévaloir du CESEDA, il leur est impossible d'accéder à un rendez-vous en préfecture en tant que victime de traite. Par ailleurs, il est impossible de formuler des demandes de titre de séjour sur plusieurs fondements via l'ANEF, contrairement au droit en vigueur. C'est certainement lié à l'insuffisance, voire à l'absence, de formation des différents acteurs chargés des démarches relatives au dépôt des demandes de titres de séjour.
  7. La CNCDH considère enfin que la récente loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration (lxiii), qui vise à durcir les droits d'obtention d'un titre de séjour, va directement impacter les victimes étrangères exploitées sur le territoire national et dont les droits ne sont déjà pas respectés. Le nouveau motif d'attribution d'un titre de séjour salarié (lxiv), dans les « métiers en tension », s'il peut être considéré comme une évolution, car il ne sera plus soumis à la volonté de l'employeur d'accompagner la demande, apparaît trop restrictif : la brièveté du titre (un an) rend difficile l'accès à un logement décent, l'apprentissage approfondi de la langue française, l'obtention de prêts, et d'autres aspects essentiels à une vie stable et sécurisée. De plus, la pérennité de ce titre de séjour est incertaine dès lors qu'il pourrait être révoqué si le métier n'est plus considéré comme « en tension ». En outre, la CNCDH craint que la classification sélective des métiers ouvrant droit à un titre de séjour ne pénalise davantage les femmes immigrées, qui font déjà face à une double marginalisation, comme femmes et immigrées ainsi que les victimes de traite des êtres humains. La CNCDH considère que la loi ne va pas assez loin et qu'un système de régularisation trop strict engendre des risques accrus d'exploitation et de traite des êtres humains.
  8. Par ailleurs, les personnes sans papiers pouvant être contraintes à commettre un faux et usage de faux document pour pouvoir travailler, cela fera obstacle à leur régularisation, en contradiction avec les droits dont disposent les victimes de traite. La CNCDH regrette que l'obtention d'un titre de séjour pour les victimes de traite des êtres humains soit toujours conditionnée à un dépôt de plainte. Les victimes n'ont effectivement, dans ces conditions, aucun intérêt à témoigner au risque de voir leur vie menacée, au regard de l'incapacité des pouvoirs publics à proposer des hébergements sécurisés et sécurisants ainsi que de se voir notifier une obligation de quitter le territoire français.
  9. Cette même loi prévoit la possibilité de refuser l'octroi d'un contrat jeune majeur au jeune faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire (OQTF), ce qui risque de rendre encore plus vulnérables certains jeunes majeurs victimes de traite (lxv).
  10. Cette loi est donc à la fois contraire aux engagements internationaux de la France en matière de mise à l'abri et d'accompagnement des victimes, et contreproductive en ce qui concerne le traitement pénal des exploiteurs et le démantèlement des réseaux.
    Recommandation 29 : la CNCDH exhorte les pouvoirs publics à garantir aux victimes de la traite à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit un droit au séjour effectif sans condition de nationalité, y compris pour les ressortissants algériens relevant d'un accord bilatéral.
    Recommandation 30 : la CNCDH recommande de modifier l'article L. 425-1 du CESEDA afin de faciliter l'octroi d'un titre de séjour pour toutes les victimes d'exploitation.

Conclusion

  1. L'exploitation à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit est un phénomène qui n'épargne pas la France et qui demeure mal connu en particulier par les pouvoirs publics et les forces de l'ordre. Il concerne une grande diversité de profils et réduire cette forme d'exploitation à celle des mineurs non accompagnés peut nuire à l'identification des victimes. Si l'on constate des avancées en matière de lutte contre la traite à des fins d'exploitation sexuelle et économique, les autres formes d'esclavage moderne demeurent peu investies par les pouvoirs publics comme en atteste l'absence d'un office central dédié ou encore l'impossibilité de renseigner l'infraction dans les logiciels de rédaction de la procédure de la police et de la gendarmerie.
  2. Ce n'est pas sans conséquence sur l'identification, la mise à l'abri, l'orientation, l'accompagnement et la protection des victimes d'autant que l'on constate des difficultés de communication entre les différents services amenés à suivre les dossiers des victimes. Par ailleurs, l'inexistence d'un mécanisme dédié, pourtant requis par les accords internationaux, la stratégie de minoration du phénomène menée par les préfectures, surtout à l'approche des jeux Olympiques et Paralympiques, le manque de moyens humains et d'hébergement d'urgence renforcent non seulement la vulnérabilité de personnes susceptibles d'être victimes mais également la capacité des exploiteurs à les recruter et à prospérer sur leur misère.
  3. La CNCDH exhorte les pouvoirs publics à considérer toute personne contrainte à commettre tout crime ou délit comme une victime titulaire de droits et non comme l'auteur d'une infraction. Il s'agit d'appliquer le principe de non-sanction promu par les Nations unies. La CNCDH appelle également les politiques à prendre toutes les mesures qui s'imposent tant pour accompagner les victimes dans leur parcours de soin et de reconstruction physique et psychique que pour investiguer sur les réseaux et ateliers de production illégale de médicaments, contrefaits ou non. C'est un enjeu de santé publique majeur.
  4. Il est enfin urgent de poursuivre les initiatives de sensibilisation et de formation prises ces dernières années, et en particulier ces derniers mois, à l'approche des jeux Olympiques et Paralympiques. Pour faciliter le signalement, la création d'un numéro unique d'appel permettant aux victimes d'exploitation, leur famille et toute personne susceptible d'être témoin d'une situation d'exploitation de joindre des personnes formées aux spécificités de la traite des êtres humains serait particulièrement nécessaire.
  5. La CNCDH sera vigilante au regard des moyens humains, matériels et financiers déployés par les ministères afin que les mesures annoncées dans le troisième plan national d'action de lutte contre la traite des êtres humains soient effectives. Un flou subsiste effectivement au sujet du renforcement réel des moyens engagés sur la prévention, la protection, l'accompagnement et la réduction des risques et sur les modes de participation des associations, des syndicats et de nombreux professionnels, en particulier ceux des secteurs médico-social et de l'éducation ainsi que sur la création du futur mécanisme national d'identification, d'orientation et de protection des victimes.

Recommandations

  1. Former et sensibiliser largement

Recommandation 1 : la CNCDH recommande que le grand public et les professionnels soient sensibilisés au fait que, dans le cas de la traite des êtres humains, ceux qui sont contraints à commettre un acte de délinquance sont en fait des victimes (lxvi).
Recommandation 5 : la CNCDH recommande la formation aux « indicateurs de la traite à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit » de tous les acteurs de la chaîne pénale et de l'administration pénitentiaire.
Recommandation 24 : la CNCDH recommande de conforter les initiatives prises dans le cadre de la préparation de l'accueil des jeux Olympiques et Paralympiques, et leur future généralisation, en faveur d'une sensibilisation spécifique des magistrats, membres des forces de l'ordre, avocats, personnels de la santé ou du social… et de toutes personnes susceptibles de rencontrer des personnes victimes d'exploitation, en particulier celles contraintes à commettre tout crime ou délit (lxvii).

  1. Adopter une approche par les droits pour identifier, mettre à l'abri, orienter et protéger les victimes

Recommandation 2 : la CNCDH recommande de former tous les services d'urgence à repérer les faits de soumission chimique. Le renforcement des compétences en addictologie dans ces services est impératif et urgent.
Recommandation 3 : la CNCDH recommande de constituer les dossiers de demande de titre de séjour suffisamment en amont de la majorité des victimes pour éviter la délivrance d'une OQTF (obligation à quitter le territoire français) qui empêche en outre celles-ci de dénoncer leurs exploiteurs et les services d'enquête de démanteler les réseaux.
Recommandation 4 : la CNCDH recommande la diffusion d'une circulaire de politique pénale à l'attention des parquets afin qu'un représentant légal, ou un administrateur ad hoc, soit systématiquement désigné, en l'absence d'un adulte référent, dès l'enquête préliminaire ouverte contre un mineur.
Recommandation 6 : la CNCDH recommande que soit clairement précisé le rôle des associations et des institutions en matière d'identification des victimes dans le futur mécanisme national d'identification précoce, d'orientation et de protection (MNIOP) des victimes. En particulier, celui-ci devra permettre de rassembler un faisceau d'indices suggérant l'existence d'un doute raisonnable que la personne est contrainte et s'assurer qu'elle a un accès effectif à des droits et à un accompagnement (administratif, juridique, sanitaire, social, avec au premier chef un hébergement…) (lxviii).
Recommandation 16 : la CNCDH recommande que les auditions de présumés mineurs soient réalisées obligatoirement en présence d'un avocat dans des services spécialisés dotés de personnels de soins.
Recommandation 18 : la CNCDH recommande que des dispositions soient prises et appliquées pour garantir la protection des victimes et des témoins qui coopèrent avec les services enquêteurs dans le cadre de ces procédures.
Recommandation 20 : la CNCDH recommande qu'une circulaire de politique pénale du garde des sceaux incite les parquets et les services d'enquête à considérer que les mineurs ayant commis des infractions dans ce qui s'apparente, au stade de l'enquête, à un cas de traite des êtres humains, sont en situation de contrainte, au sens de l'article 122-2 du code pénal.
Recommandation 21 : la CNCDH recommande que, s'agissant des mineurs victimes, la présomption permettant de caractériser la commission à leur encontre de l'infraction de traite des êtres humains (article 225-4-1 [II] du code pénal), soit accompagnée, de lege ferenda, de la prévision, au sein de l'article 225-4-1 du même code, d'une présomption de contrainte, cause d'irresponsabilité pénale, pour le mineur ayant commis un crime ou un délit dans ce cadre.
Recommandation 22 : la CNCDH recommande, de lege ferenda, de renforcer la protection des victimes en modifiant l'article 225-4-1, alinéa 6, dans les termes suivants : « L'exploitation mentionnée au premier alinéa du présent I est le fait de mettre la victime à sa disposition ou à la disposition d'un tiers, même non identifié afin de permettre soit la commission contre la victime des infractions de […], soit la commission par la victime de tout crime ou délit ».
Recommandation 23 : la CNCDH recommande de compléter l'article 225-4-1 (3°) du code pénal par la prévision de « la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de la situation économique ou sociale de la victime ».

  1. Accompagner les victimes y compris pendant les jeux Olympiques et Paralympiques

Recommandation 25 : la CNCDH recommande de prévoir des lieux aménagés et un accueil en différentes langues aux abords des lieux des compétitions sportives pour que les personnes victimes d'exploitation puissent être immédiatement mises à l'abri, accompagnées et protégées et qu'elles puissent porter plainte et faire valoir leurs droits.

  1. Améliorer nos capacités d'agir

Recommandation 7 : la CNCDH recommande que la contrainte à commettre tout crime ou délit entre réglementairement dans le périmètre d'intervention d'un ou plusieurs offices centraux. Cette évolution permettra une meilleure identification par les agents de terrain des missions de chaque office et une meilleure coordination entre les offices centraux pour la prise en compte des situations d'exploitations multiples.
Recommandation 8 : la CNCDH recommande que, en cas de suspicion de traite des êtres humains, soit rendue possible la remontée, a minima au niveau régional, de tous les dossiers du mineur, le tout centralisé dans une seule et même juridiction, avec un seul magistrat référent et un même avocat pour toutes les procédures, qu'elles soient criminelles et/ou correctionnelles. Il est alors également nécessaire de désigner un coordinateur référent pour faciliter les échanges entre ressorts.
Recommandation 9 : la CNCDH recommande de décliner la nomenclature de nature des infractions (Natinf) utilisée par la justice et les forces de sécurité en permettant de ventiler la Natinf de traite des êtres humains en plusieurs sous-catégories selon les formes d'exploitation associées, reprenant les formes d'exploitation identifiées par la nouvelle directive européenne sur la lutte contre la traite des êtres humains. Cette recommandation est par ailleurs indispensable à la remontée de statistiques déclinées par forme d'exploitation, comme le prévoit la directive européenne sur la lutte contre la traite des êtres humains.
Recommandation 10 : la CNCDH recommande d'inciter l'identification des victimes de contrainte à commettre tout crime ou délit par les forces de sécurité comme des victimes de traite des êtres humains dans les logiciels de rédaction de procédure (LRPPN et LRPGN), en reprenant les codes Natinf évoqués dans la recommandation précédente.
Recommandation 11 : la CNCDH recommande la centralisation nationale des décisions jurisprudentielles pour permettre une analyse complète et exhaustive de leur teneur, pour mieux appréhender le phénomène de la traite des êtres humains, sous toutes ses formes, sur le territoire français et partager les bonnes pratiques utiles aux acteurs de la chaine judiciaire, et ainsi renforcer l'efficacité des réponses pénales.
Recommandation 12 : la CNCDH recommande que les décideurs politiques se saisissent de la question des mineurs non accompagnés, afin d'organiser leur prise en charge et leur accompagnement pour prévenir la récupération de ces jeunes par des réseaux criminels.
Recommandation 13 : la CNCDH recommande la mise en place d'hébergements adaptés dans le cadre d'une approche globale des droits des victimes.
Recommandation 14 : la CNCDH recommande d'augmenter le nombre de services pédiatriques et d'addictologie afin de mieux répondre aux enjeux de santé publique (addictions, santé mentale, maladies…).
Recommandation 15 : la CNCDH recommande d'intégrer aux programmes scolaires d'éducation morale et civique les risques liés à l'exploitation moderne des êtres humains.
Recommandation 17 : la CNCDH recommande la création d'un groupe de travail pluridisciplinaire et pluri institutionnel afin d'envisager l'adaptation du protocole NICHD (lxix) aux enfants victimes de traite des êtres humains, en particulier ceux contraints à commettre des crimes ou des délits, afin qu'ils soient entendus dans un lieu, dans des conditions et selon des modalités adaptées tenant compte de leur particulière vulnérabilité, et notamment de l'emprise psychique et chimique à laquelle ils sont soumis.
Recommandation 19 : La CNCDH recommande que le ministère de la santé et de la prévention et le ministère de la justice poursuivent les investigations sur le trafic de médicaments. L'analyse de la composition chimique des saisies doit permettre de déterminer si des produits de contrefaçon circulent et s'il y a un lien entre la mobilité des jeunes et les types de substances en circulation.
Recommandation 26 : la CNCDH recommande de prendre des mesures visant à garantir la protection des victimes et des témoins, y compris ceux entendus par les inspecteurs du travail. Il s'agirait notamment de considérer les auditions des victimes et des témoins par ces derniers comme des récépissés de plaintes ouvrant droit à la délivrance d'un titre de séjour, en application de l'article L. 425-1 du CESEDA.
Recommandation 27 : la CNCDH recommande de garantir des liens directs entre les services du parquet et l'inspection du travail afin de permettre des co-saisines. Pour garantir l'efficacité de celles-ci, les enquêteurs de police judiciaire doivent être formés à la traite des êtres humains pour répondre aux besoins des parquets.
Recommandation 28 : la CNCDH recommande l'ouverture de centres dédiés à l'accueil d'urgence et d'orientation pour une prise en charge immédiate des victimes.

  1. Rendre effectif le droit au séjour des victimes de nationalités étrangères

Recommandation 29 : la CNCDH exhorte les pouvoirs publics à garantir aux victimes de la traite à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit un droit au séjour effectif sans condition de nationalité, y compris pour les ressortissants algériens relevant d'un accord bilatéral.
Recommandation 30 : la CNCDH recommande de modifier l'article L. 425-1 du CESEDA afin de faciliter l'octroi d'un titre de séjour pour toutes les victimes d'exploitation.

(i) Voir sur ce sujet : https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/13/prison-ferme-pour-six-hommes-qui-exploitaient-les-petits-voleurs-du-trocadero-a-paris_6210649_3224.html. Trois des prévenus ont fait appel de la décision du tribunal en janvier 2024. Voir infra, §§ 56 et suivants.
(ii) Pour les définitions internationales de la traite des êtres humains, on peut se reporter à : article 3.a. Protocole additionnel à la Convention contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, dit Protocole de Palerme (2000) ; article 4. de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, dite Convention de Varsovie (2005).
Les deux textes ont été ratifiés par la France.
(iii) Directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil, art. 2, 3), éclairé par le considérant 11.
(iv) Code pénal, article 225-4-1 : « La traite des êtres humains est le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir à des fins d'exploitation dans l'une des circonstances suivantes :
« 1° Soit avec l'emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manœuvre dolosive visant la victime, sa famille ou une personne en relation habituelle avec la victime ;
« 2° Soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de cette personne ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ;
« 3° Soit par abus d'une situation de vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparente ou connue de son auteur ;
« 4° Soit en échange ou par l'octroi d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage.
« L'exploitation mentionnée au premier alinéa du présent I est le fait de mettre la victime à sa disposition ou à la disposition d'un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre la victime des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles, de réduction en esclavage, de soumission à du travail ou à des services forcés, de réduction en servitude, de prélèvement de l'un de ses organes, d'exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre la victime à commettre tout crime ou délit. »
(v) A l'instar de instances internationales, la CNCDH considère les personnes contraintes à commettre tout crime ou délit comme étant des victimes de traite des êtres humains plutôt que comme des auteurs d'un crime ou d'un délit. En conséquence, la CNCDH utilisera systématiquement le terme de « victimes » pour désigner les personnes contraintes à commettre tout crime ou délit tout en rappelant que les personnes lésées par ces crimes ou délits sont également des victimes.
(vi) ONUDC, Global report on trafficking in persons, 2022, p. XI.
(vii) Ibid., p. XV.
(viii) Ibid., p. 157 : 61 % des victimes recensés en Europe occidentale étaient des hommes ou des garçons et les mineurs comptaient pour 41 % des victimes (contre 32 % en 2019).
(ix) LE CAM Miti, BENADDOU Leila, GHARBI Garance, Le profil des victimes accompagnées par les associations en 2022, Paris : SSMSI/Miprof, 2023, p. 7, 22 : https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques-de-presse/traite-des-etres-humains-et-france-profil-des-victimes.
(x) Article 225-4-1 (II) : « La traite des êtres humains à l'égard d'un mineur est constituée même si elle n'est commise dans aucune des circonstances prévues aux 1° à 4° du I. »
(xi) Voir infra, § 19.
(xii) Article 225-4-1 (II) du code pénal. Pour une réécriture en ce sens de l'alinéa 6 de l'article 225-4-1 du code pénal et sur le traitement pénal des mineurs incités à commettre un crime ou un délit, voir infra, recommandation 22.
(xiii) La CNCDH accueille favorablement l'annonce d'un troisième plan national d'action qui s'accompagne d'une augmentation des effectifs de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) : https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/lancement-du-plan-national-de-lutte-contre-lexploitation-et-la-traite-des-etres-humains-2024-2027. Cette augmentation avait été demandée par la CNCDH lors de sa récente évaluation du second plan national d'action : https://www.cncdh.fr/publications/evaluation-du-2e-plan-daction-national-contre-la-traite-des-etres-humains-2023-1 ainsi que dans ses précédents avis sur l'exploitation sexuelle ( https://www.cncdh.fr/actualite/adoption-de-lavis-sur-la-prevention-et-la-lutte-contre-la-prostitution-la-traite-des-fins) et l'exploitation économique ( https://www.cncdh.fr/actualite/adoption-de-lavis-sur-la-traite-des-etres-humains-des-fins-dexploitation-economique-2020).
(xiv) Voir notamment les publications du collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains » : www.contrelatraite.org.
(xv) LE CAM Miti, BENADDOU Leila, GHARBI Garance, Le profil des victimes accompagnées par les associations en 2022, Paris : SSMSI/Miprof, 2023, p. 22.
(xvi) Un mineur est considéré comme non accompagné « lorsque aucune personne majeure n'en est responsable légalement sur le territoire national ou ne le prend effectivement en charge et ne montre sa volonté de se voir durablement confier l'enfant, notamment en saisissant le juge compétent ». Article 1er de l'arrêté du 20 novembre 2019 pris en application de l'article R. 221-11 du code l'action sociale et des familles relatif aux modalités de l'évaluation des personnes se présentant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille.
(xvii) LE CAM Miti, BENADDOU Leila, GHARBI Garance, Le profil des victimes accompagnées par les associations en 2022, Paris : SSMSI/Miprof, 2023, p. 22 : En 2022, 89 % des victimes accompagnées sont de sexe masculin et 92 % sont des mineurs non accompagnés.
(xviii) Ibid., la contribution écrite de la direction nationale de la police aux frontières mentionne également des victimes de nationalité tunisienne.
(xix) Hors la Rue, Qu'est-ce que la contrainte à commettre des délits : https://centre-ressources-teh.horslarue.org/la-contrainte/.
(xx) Pour plus de détails, voir : PEYROUX Olivier, « Bonnes feuilles : Délinquants et victimes - La traite des enfants d'Europe de l'Est en France », Journal du droit des jeunes, 1, 2014, p. 23-32 et plus récemment LE CAM Miti, BENADDOU Leila, GHARBI Garance, Le profil des victimes accompagnées par les associations en 2022, Paris : SSMSI/Miprof, 2023, p. 21-22 : https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques-de-presse/traite-des-etres-humains-et-france-profil-des-victimes.
(xxi) Ibid., p. 9.
(xxii) LE CAM Miti, BENADDOU Leila, GHARBI Garance, Le profil des victimes accompagnées par les associations en 2022, Paris : SSMSI/Miprof, 2023, p. 23.
(xxiii) Pour plus d'informations, voir : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1837#:~:text=La%20loi%20estime%20que%20la,reconnu%20coupable%20d'une%20infraction.
(xxiv) Contribution écrite de la Direction nationale de la police aux frontières.
(xxv) Loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049040245.
(xxvi) CNCDH, La traite des êtres humains : « les idées reçues t'aveuglent, ouvre les yeux ! », assemblée plénière du 18 octobre 2017 : https://www.cncdh.fr/publications/brochure-la-traite-des-etres-humains-les-idees-recues-taveuglent-ouvre-les-yeux.
(xxvii) ELIAOU Jean-François, SAVIGNAT Antoine, Rapport d'information n° 3974 sur les problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de mineurs non accompagnés, 10 mars 2021, p. 13.
(xxviii) Ibid., p. 15. La Direction nationale de la police aux frontières relate des affaires à Nice, Toulon, Perpignan et Limoges.
(xxix) D'après l'audition de la DPJJ.
(xxx) ELIAOU Jean-François, SAVIGNAT Antoine, Rapport d'information n° 3974 sur les problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de mineurs non accompagnés, 10 mars 2021, p. 11.
(xxxi) TAQUET Adrien, Déclaration sur les mineurs non accompagnés (hébergement, atteinte aux droits, lutte contre la délinquance, accompagnement…), Sénat, le 9 février 2021 : https://www.vie-publique.fr/discours/278725-adrien-taquet-09022021-les-mineurs-non-accompagnes.
(xxxii) Voir la Conférence des Parties à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée du 15 juin 2020 qui formule des orientations concernant l'adoption de mesures de justice pénale appropriées pour les personnes qui ont été contraintes de commettre des infractions du fait de leur condition de victimes de la traite. Voir en particulier l'article III.1 qui précise que : « Le principe de non-sanction peut être décrit de différentes manières. Globalement, on peut cependant considérer qu'il recouvre l'idée que les victimes de la traite ne devraient encourir ni arrestation, ni inculpation, ni détention, ni poursuites, ni peine, ni aucune autre forme de sanction pour des actes illégaux commis en conséquence directe de la traite dont elles ont été l'objet » : https://www.unodc.org/documents/treaties/WG_TIP/WEBSITE/CTOC_COP_WG.4_2020_2/CTOC_COP-WG.4_2020_2_F.pdf.
(xxxiii) Cet enjeu était déjà identifié dans le rapport de juin 2021 sur la prostitution des mineurs, piloté par Catherine Champrenault, voir la recommandation n° 44, p. 176 : https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/280745.pdf.
(xxxiv) https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/protocol-prevent-suppress-and-punish-trafficking-persons.
(xxxv) Consultable ici : https://rm.coe.int/1680083731.
(xxxvi) Consultable ici : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32011L0036.
(xxxvii) « Il conviendra en outre, tout au long de la procédure, de veiller à la bonne articulation entre les nécessités de l'enquête et les enjeux liés à la protection des mineurs victimes. » (p. 12) et « Lorsque les conditions juridiques posées par l'article 122-2 du code pénal sont pleinement réunies (et non lorsque des mineurs participent activement et volontairement à un réseau), la responsabilité pénale du mineur est exclue et il convient alors de renoncer aux poursuites. » (p. 13). Consultable ici : https://www.justice.gouv.fr/circulaire-du-28-mars-2023-relative-politique-penale-matiere-lutte-contre-violences-faites-aux-mineurs-son-annexe.
(xxxviii) D'après HAZAN Gabrielle, cheffe de l'OFMIN, dans sa réponse à une demande d'audition de la CNCDH.
(xxxix) Dans le cas du Trocadéro, une première enquête avait été menée par la brigade de protection des mineurs sans résultat. C'est une seconde enquête menée par le service de lutte contre l'immigration irrégulière (SDLII) qui a abouti au procès dit du Trocadéro.
(xl) CNCDH, Avis relatif à la création d'un « mécanisme national de référence » en France, pour l'effectivité des droits des personnes victimes de traite des êtres humains, assemblée plénière du 28 avril 2020, p. 5, JORF n° 0108 du 3 mai 2020, texte n° 48 : https://www.cncdh.fr/publications/avis-creation-dun-mecanisme-national-de-reference-concernant-la-traite-des-etres.
(xli) Le risque de se voir délivré une obligation de quitter le territoire français n'encourage pas les victimes à témoigner contre leurs exploiteurs, voir infra, § 53.
(xlii) Les auditions menées par la CNCDH confirment la présence de victimes françaises malgré la prédominance de victimes de nationalités étrangères.
(xliii) Cette approche exige le respect de tous les droits humains pour toutes et tous, ce qui implique une approche holistique dans la mise en place des politiques publiques. Voir CNCDH, Avis relatif à l'approche fondée sur les droits de l'homme, assemblée plénière du 3 juillet 2018, JORF n° 0161 du 14 juillet 2018, texte n° 104 : https://www.cncdh.fr/sites/default/files/2021-04/180703_Avis%20Approche%20fond%C3%A9e%20sur%20les%20droits%20de%20l%27homme%20pour%20impression.pdf.
(xliv) https://lereversdelamedaille.fr/.
(xlv) Voir la Conférence des Parties à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée du 15 juin 2020 qui formule des orientations concernant l'adoption de mesures de justice pénale appropriées pour les personnes qui ont été contraintes de commettre des infractions du fait de leur condition de victimes de la traite. Voir en particulier l'article III.1 qui précise que : « Le principe de non-sanction peut être décrit de différentes manières. Globalement, on peut cependant considérer qu'il recouvre l'idée que les victimes de la traite ne devraient encourir ni arrestation, ni inculpation, ni détention, ni poursuites, ni peine, ni aucune autre forme de sanction pour des actes illégaux commis en conséquence directe de la traite dont elles ont été l'objet » : https://www.unodc.org/documents/treaties/WG_TIP/WEBSITE/CTOC_COP_WG.4_2020_2/CTOC_COP-WG.4_2020_2_F.pdf.
(xlvi) National Institute of Child Health and Human Development.
(xlvii) National Institute of Child Health and Human Development.
(xlviii) https://www.douane.gouv.fr/actualites/recrudescence-des-saisies-douanieres-de-pregabaline.
(xlix) Hors situation de traite des êtres humains, la provocation directe d'un mineur à commettre un crime ou un délit est incriminée par l'article 227-21, alinéa 1er, du code pénal. L'alinéa second prévoit des circonstances aggravantes dont la minorité de 15 ans du mineur.
(l) Article 225-4-2 (II) du code pénal.
(li) Article 225-4-3 du code pénal.
(lii) Article 225-4-4 du code pénal.
(liii) Article 225-4-1 (II) du code pénal.
(liv) Plan « zéro délinquance » : https://www.interieur.gouv.fr/actualites/grands-dossiers/jeux-olympiques-et-paralympiques-de-paris-2024/j-500-avant-jeux.
(lv) Voir notamment le récent ouvrage « Agir contre l'exploitation en marge des grands événements sportifs » publié par le collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains » coordonné par le Secours Catholique Caritas France, et composé de 28 associations engagées sur toutes les formes d'exploitation et de traite des êtres humains : https://contrelatraite.org/campagne_jo_fr.
(lvi) https://www.francetvinfo.fr/les-jeux-olympiques/paris-2024-comment-des-ouvriers-sans-papiers-ont-travaille-sur-des-chantiers-des-jeux_6240894.html.
(lvii) Supra, §15.
(lviii) Ibid.
(lix) Des outils existent déjà, supra, note 54.
(lx) Collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains », Agir contre l'exploitation en marge des grands évènements sportifs, Paris, 2024.
(lxi) Loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFSCTA000045133773 et décret n° 2024-119 du 16 février 2024 relatif aux conditions d'accueil des mineurs et jeunes majeurs pris en charge par l'aide sociale à l'enfance hébergés à titre dérogatoire dans des structures d'hébergement dites jeunesse et sport ou relevant du régime de la déclaration : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049156376.
(lxii) CNCDH, Evaluation du Second plan national d'action de lutte contre la traite des êtres humains, assemblée plénière du 12 janvier 2023, JORF n° 0017 du 20 janvier 2023, texte n° 58 : https://www.cncdh.fr/publications/evaluation-du-2e-plan-daction-national-contre-la-traite-des-etres-humains-2023-1.
(lxiii) Loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049040245.
(lxiv) Voir nouvel article L. 435-4 du CESEDA, la carte de séjour temporaire portant la mention « travailleur temporaire » ou « salarié » d'une durée d'un an, pourra être délivrée aux personnes justifiant d'au moins 3 ans de résidence ininterrompue en France et d'au moins 12 mois (consécutifs ou non) d'activité au cours des 24 derniers mois dans un des métiers en tension, listés dans un arrêté renouvelé annuellement.
(lxv) Article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles.
(lxvi) CNCDH, La traite des êtres humains : « les idées reçues t'aveuglent, ouvre les yeux ! », assemblée plénière du 18 octobre 2017 : https://www.cncdh.fr/publications/brochure-la-traite-des-etres-humains-les-idees-recues-taveuglent-ouvre-les-yeux.
(lxvii) Des outils existent déjà, supra, note 54.
(lxviii) CNCDH, Avis relatif à la création d'un « mécanisme national de référence » en France, pour l'effectivité des droits des personnes victimes de traite des êtres humains, assemblée plénière du 28 avril 2020, p. 5, JORF n° 0108 du 3 mai 2020, texte n° 48 : https://www.cncdh.fr/publications/avis-creation-dun-mecanisme-national-de-reference-concernant-la-traite-des-etres.
(lxix) National Institute of Child Health and Human Development.