JORF n°0006 du 8 janvier 2022

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Rapatriement urgent des enfants français détenus en Syrie

Résumé On demande à la France de rapatrier les enfants français et leurs mères de Syrie.

Assemblée plénière du 16 décembre 2021 (adoption à l'unanimité)

  1. Une Française de 28 ans, détenue au camp de Roj dans le Nord-Est syrien, est décédée ce mardi 14 décembre 2021 des suites d'un diabète pour lequel elle ne pouvait pas être soignée sur place. Bien qu'informées de la gravité de son état depuis plusieurs années, les autorités françaises ont refusé de la rapatrier avec sa fille de 6 ans, toujours détenue dans ce camp et désormais orpheline. Ce drame, qui aurait dû être évité, met en lumière les impasses de la position française de refus du rapatriement de ces enfants et de leurs mères dont la détention, illicite au regard de nombreux principes juridiques et humanitaires fondamentaux, se prolonge sans aucune perspective d'issue.

  2. Plus de deux années se sont écoulées depuis l'avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) du 24 septembre 2019, dans lequel celle-ci appelait le gouvernement à rapatrier au plus vite les enfants français retenus dans les camps du Rojava (1), mais seuls 18 d'entre eux ont bénéficié d'une telle mesure au cours de cette période. Ainsi, environ 200 enfants (pour la plupart âgés de moins de 6 ans) s'apprêtent à passer un hiver de plus en détention, principalement dans le camp de Roj, dans des conditions inhumaines portant gravement atteinte à leur intégrité physique et psychique.

  3. Ayant été emmenés par leurs parents dans leur fuite, à la suite de la chute de l'organisation dite " État islamique au Levant " (EI), ils avaient été regroupés dans ces camps du nord-est de la Syrie, zone contrôlée par les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) qui détiennent ainsi plusieurs milliers de ressortissants occidentaux que certains de leurs États d'origine, dont la France, ne semblent pas souhaiter rapatrier.

  4. Ces deux dernières années, la CNCDH n'a cessé, aux côtés de la société civile, du Défenseur des droits (2), des instances internationales, d'appeler les autorités à procéder au rapatriement des mineurs et du parent présent auprès d'eux. Récemment, du 30 octobre au 3 novembre 2021, la CNCDH a participé, aux côtés du Conseil National des Barreaux, de l'association Avocats Sans Frontières (ASF) France et du député du Rhône Monsieur Hubert Julien-Laferrière, à une mission au Kurdistan irakien et au Rojava (Kurdistan syrien) en vue d'échanger avec les autorités kurdes sur le sort des ressortissants français actuellement arbitrairement détenus au Rojava (3). Forte des informations recueillies à cette occasion auprès des dirigeants de l'Administration Autonome du Nord et de l'Est de la Syrie (AANES), et d'un certain nombre d'évolutions survenues depuis septembre 2019, la CNCDH réaffirme l'urgence d'un rapatriement de ces enfants et de leurs mères et réitère son appel pressant au gouvernement en ce sens.

Des atteintes de plus en plus graves à l'intégrité physique et psychique des enfants

  1. Chaque jour qui passe dans ces camps est un jour de trop pour ces enfants, déjà tant éprouvés par plusieurs années de guerre et de captivité. Indépendamment des conditions de vie inadaptées à leur jeune âge, dans des tentes insusceptibles de faire rempart au froid de l'hiver qui s'annonce, la tension monte dangereusement ces derniers temps dans le camp de Roj, entre des femmes radicalisées et celles qui ont pris leur distance avec l'EI. Diverses formes de violences ont été rapportés à la CNCDH (notamment incendies volontaires de tentes, exploitation et mauvais traitements, y compris sexuels, sur les enfants). Afin de les limiter, les gardes kurdes restreignent encore plus fortement la liberté de circulation des femmes et des enfants. Lors d'altercations entre les mères, ces gardes procèdent également à des arrestations arbitraires et à des punitions collectives. Les femmes sont incarcérées dans des " prisons noires " où les conditions de vie sont contraires à la dignité humaine (accès aléatoire à l'eau et à la nourriture, absence de sanitaires…). Pendant l'incarcération de leurs mères, les enfants sont laissés dans les camps, dépendant de la bonne volonté des autres mères de s'occuper d'eux. Par conséquent, l'urgence à les rapatrier ne fait qu'augmenter à mesure que le temps passe.

La reconnaissance par le Comité des droits de l'enfant de l'Organisation des Nations unies (ONU) de la juridiction de la France sur ces enfants

  1. Le Gouvernement français estime qu'il n'exerce pas de juridiction, au sens des conventions internationales, sur ces ressortissants français. Ces derniers ne pourraient donc pas se prévaloir de ses engagements internationaux. Or, dans sa décision de novembre 2020 relative à l'examen de la recevabilité de plusieurs requêtes émanant de familles, le Comité des droits de l'enfant de l'ONU a considéré " qu'en tant qu'État de nationalité des enfants détenus dans ces camps, l'État partie a la capacité et le pouvoir de protéger les droits des enfants en question, en prenant des mesures pour rapatrier les enfants ou d'autres mesures consulaires ", étant donné " les relations de l'État avec les autorités kurdes, la volonté de ces dernières de coopérer et le fait que, depuis mars 2019, l'État partie a déjà rapatrié au moins 17 enfants français qui étaient détenus dans des camps dans le Rojava " (4). Il a donc admis que ces enfants relevaient effectivement de la juridiction de la France (5). En 2019, la CNCDH plaidait en ce sens, en s'appuyant notamment sur des déclarations des autorités kurdes appelant les États à rapatrier leurs ressortissants.

L'appel des autorités kurdes au rapatriement

  1. Dans le cadre de la mission récente au Rojava à laquelle la CNCDH a participé, les autorités kurdes ont réaffirmé clairement qu'elles souhaitent le rapatriement des enfants et de leurs mères par les États dont ils sont ressortissants, y compris la France. A cet égard, ces autorités avancent que la surveillance des camps mobilise des forces de sécurité importantes, alors qu'elles doivent par ailleurs faire face à la menace récurrente d'offensives de la part de la Turquie ; elles rappellent que la situation humanitaire prévalant dans le Rojava est extrêmement critique ; elles soutiennent enfin que ces femmes et ces enfants ne peuvent être retenus indéfiniment contre leur gré alors qu'il ne leur est rien reproché et qu'elles n'ont aucune intention de juger les femmes en l'absence de grief particulier à leur encontre.

L'évolution des autres États en faveur du rapatriement

  1. La France se retrouve de plus en plus isolée au sein de l'Europe dans son obstination à ignorer les appels au retour de ces enfants et de leurs mères. La Belgique, l'Allemagne, l'Italie, le Danemark, ou encore la Finlande ont décidé au cours de l'année 2021 de rapatrier la plus grande partie de leurs ressortissants présents dans les camps (6). Les autorités de ces pays invoquent non seulement le respect des droits fondamentaux des enfants, mais aussi l'impératif de sécurité : faute d'une prise en charge par les services de protection de l'enfance, ces mineurs se retrouvent aujourd'hui au contact de personnes radicalisées et sont susceptibles d'être demain récupérés par des djihadistes, notamment enfuis de leurs prisons étant donné l'instabilité de la région, ce qui représenterait une menace pour la communauté internationale.

La nécessité d'une prise en charge adaptée des enfants rapatriés

  1. La CNCDH insiste à nouveau sur le fait que ces enfants sont des victimes : victimes de la guerre, victimes des choix de leurs parents, et désormais victimes d'une captivité inhumaine, dont la prolongation aggrave leurs traumatismes. Dans ces conditions, elle ne saurait souscrire à l'approche au " cas par cas " mise en avant par le gouvernement qui, tout en refusant de rapatrier les parents, renonce également à rapatrier les enfants lorsque les mères ne consentent pas à en être séparés. Or tous ces enfants sans exception ont droit à une prise en charge immédiate et adaptée par l'État.

  2. Il est donc impératif d'organiser sans délai le retour en France des enfants et du parent présent auprès d'eux. La CNCDH renouvelle ses préconisations de 2019 : il ne saurait être envisagé d'ajouter le traumatisme de la séparation aux souffrances de la guerre, quand bien même ce parent devrait faire l'objet de poursuites à son arrivée en France. L'intérêt supérieur des enfants, principe international et constitutionnel (7), commande de les rapatrier ensemble et d'assurer, une fois qu'ils sont présents sur le territoire français, les modalités de prise en charge appropriées, en fonction de chaque situation.

  3. A cet égard, selon les textes en vigueur, le juge des enfants ne peut être saisi pour ordonner les enquêtes permettant de déterminer les mesures d'assistance éducative adéquates qu'une fois les mineurs arrivés sur le territoire français. Plusieurs mois peuvent ainsi s'écouler entre cette arrivée en France et la stabilisation de la situation des enfants, notamment lorsqu'ils peuvent être confiés à leur famille élargie (grands-parents, oncles ou tantes…). La CNCDH recommande une modification des textes pour que, à l'instar de ce que font certains États européens, ces enquêtes puissent être initiées en amont des rapatriements afin d'écourter ce délai.

  4. Par ailleurs, la prise en charge des enfants devrait être confiée aux services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) des départements où les enfants disposent de liens familiaux pour faciliter, le cas échéant, les rencontres avec la famille. De même, en cas de détention provisoire ou, le cas échéant, de condamnation, les mères devraient être incarcérées dans un établissement pénitentiaire proche de l'endroit où les enfants résident, afin de maintenir ce lien parental. La CNCDH insiste également sur la nécessité de préserver les fratries.

  5. En conclusion, la CNCDH déplore que son avis du 24 septembre 2019 n'ait pas été pris en considération et que la privation de liberté de ces enfants se prolonge aussi longuement et inutilement. Elle réaffirme que le maintien d'un refus de rapatrier l'ensemble des enfants français retenus dans les camps du Rojova caractérise une violation manifeste de leurs droits fondamentaux et une atteinte grave portée aux valeurs de la République.

Elle appelle donc le gouvernement, une fois de plus, à procéder au rapatriement sans délai de ces enfants et du parent présent auprès d'eux.

(1) Avis sur les mineurs français retenus dans les camps syriens, Assemblée plénière du 24 septembre 2019, JORF n° 0237 du 11 octobre 2019.

(2) Défenseur des droits, Décision n° 2019-129 de recommandations générales, 22 mai 2019.

(3) Une présentation de cette mission a fait l'objet d'une conférence de presse le 18 novembre dernier : https://www.cncdh.fr/fr/actualite/conference-de-presse-rapatriement-durgence-des-enfants-et-des-femmes-en-syrie.

(4) Comité des droits de l'enfant, Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant les communications n° 79/2019 et n° 109/2019, 2 novembre 2020.

(5) De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme, également saisie par plusieurs familles, ne s'est pas encore prononcée sur cette question : après l'audience du 29 septembre dernier, l'affaire a été mise en délibéré.

(6) Voir not. : Finlande : https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/20/rapatriement-depuis-la-syrie-pour-la-finlande-les-droits-des-enfants-passent-en-priorite_6073853_3210.html

Belgique : https://www.vrt.be/vrtnws/fr/2021/07/22/rapatriement-des-belges-de-syrie-cetait-plus-sur-pour-notre-p/

(7) Convention relative aux droits de l'enfant, article 3, §1 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Au niveau national, en 2019, en se fondant sur les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946, le Conseil constitutionnel a reconnu l'existence d' une exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant : CC, Décision n° 2018-768 QPC du 21 mars 2019, § 6.


Historique des versions

Version 1

Assemblée plénière du 16 décembre 2021 (adoption à l'unanimité)

1. Une Française de 28 ans, détenue au camp de Roj dans le Nord-Est syrien, est décédée ce mardi 14 décembre 2021 des suites d'un diabète pour lequel elle ne pouvait pas être soignée sur place. Bien qu'informées de la gravité de son état depuis plusieurs années, les autorités françaises ont refusé de la rapatrier avec sa fille de 6 ans, toujours détenue dans ce camp et désormais orpheline. Ce drame, qui aurait dû être évité, met en lumière les impasses de la position française de refus du rapatriement de ces enfants et de leurs mères dont la détention, illicite au regard de nombreux principes juridiques et humanitaires fondamentaux, se prolonge sans aucune perspective d'issue.

2. Plus de deux années se sont écoulées depuis l'avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) du 24 septembre 2019, dans lequel celle-ci appelait le gouvernement à rapatrier au plus vite les enfants français retenus dans les camps du Rojava (1), mais seuls 18 d'entre eux ont bénéficié d'une telle mesure au cours de cette période. Ainsi, environ 200 enfants (pour la plupart âgés de moins de 6 ans) s'apprêtent à passer un hiver de plus en détention, principalement dans le camp de Roj, dans des conditions inhumaines portant gravement atteinte à leur intégrité physique et psychique.

3. Ayant été emmenés par leurs parents dans leur fuite, à la suite de la chute de l'organisation dite " État islamique au Levant " (EI), ils avaient été regroupés dans ces camps du nord-est de la Syrie, zone contrôlée par les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) qui détiennent ainsi plusieurs milliers de ressortissants occidentaux que certains de leurs États d'origine, dont la France, ne semblent pas souhaiter rapatrier.

4. Ces deux dernières années, la CNCDH n'a cessé, aux côtés de la société civile, du Défenseur des droits (2), des instances internationales, d'appeler les autorités à procéder au rapatriement des mineurs et du parent présent auprès d'eux. Récemment, du 30 octobre au 3 novembre 2021, la CNCDH a participé, aux côtés du Conseil National des Barreaux, de l'association Avocats Sans Frontières (ASF) France et du député du Rhône Monsieur Hubert Julien-Laferrière, à une mission au Kurdistan irakien et au Rojava (Kurdistan syrien) en vue d'échanger avec les autorités kurdes sur le sort des ressortissants français actuellement arbitrairement détenus au Rojava (3). Forte des informations recueillies à cette occasion auprès des dirigeants de l'Administration Autonome du Nord et de l'Est de la Syrie (AANES), et d'un certain nombre d'évolutions survenues depuis septembre 2019, la CNCDH réaffirme l'urgence d'un rapatriement de ces enfants et de leurs mères et réitère son appel pressant au gouvernement en ce sens.

Des atteintes de plus en plus graves à l'intégrité physique et psychique des enfants

5. Chaque jour qui passe dans ces camps est un jour de trop pour ces enfants, déjà tant éprouvés par plusieurs années de guerre et de captivité. Indépendamment des conditions de vie inadaptées à leur jeune âge, dans des tentes insusceptibles de faire rempart au froid de l'hiver qui s'annonce, la tension monte dangereusement ces derniers temps dans le camp de Roj, entre des femmes radicalisées et celles qui ont pris leur distance avec l'EI. Diverses formes de violences ont été rapportés à la CNCDH (notamment incendies volontaires de tentes, exploitation et mauvais traitements, y compris sexuels, sur les enfants). Afin de les limiter, les gardes kurdes restreignent encore plus fortement la liberté de circulation des femmes et des enfants. Lors d'altercations entre les mères, ces gardes procèdent également à des arrestations arbitraires et à des punitions collectives. Les femmes sont incarcérées dans des " prisons noires " où les conditions de vie sont contraires à la dignité humaine (accès aléatoire à l'eau et à la nourriture, absence de sanitaires…). Pendant l'incarcération de leurs mères, les enfants sont laissés dans les camps, dépendant de la bonne volonté des autres mères de s'occuper d'eux. Par conséquent, l'urgence à les rapatrier ne fait qu'augmenter à mesure que le temps passe.

La reconnaissance par le Comité des droits de l'enfant de l'Organisation des Nations unies (ONU) de la juridiction de la France sur ces enfants

6. Le Gouvernement français estime qu'il n'exerce pas de juridiction, au sens des conventions internationales, sur ces ressortissants français. Ces derniers ne pourraient donc pas se prévaloir de ses engagements internationaux. Or, dans sa décision de novembre 2020 relative à l'examen de la recevabilité de plusieurs requêtes émanant de familles, le Comité des droits de l'enfant de l'ONU a considéré " qu'en tant qu'État de nationalité des enfants détenus dans ces camps, l'État partie a la capacité et le pouvoir de protéger les droits des enfants en question, en prenant des mesures pour rapatrier les enfants ou d'autres mesures consulaires ", étant donné " les relations de l'État avec les autorités kurdes, la volonté de ces dernières de coopérer et le fait que, depuis mars 2019, l'État partie a déjà rapatrié au moins 17 enfants français qui étaient détenus dans des camps dans le Rojava " (4). Il a donc admis que ces enfants relevaient effectivement de la juridiction de la France (5). En 2019, la CNCDH plaidait en ce sens, en s'appuyant notamment sur des déclarations des autorités kurdes appelant les États à rapatrier leurs ressortissants.

L'appel des autorités kurdes au rapatriement

7. Dans le cadre de la mission récente au Rojava à laquelle la CNCDH a participé, les autorités kurdes ont réaffirmé clairement qu'elles souhaitent le rapatriement des enfants et de leurs mères par les États dont ils sont ressortissants, y compris la France. A cet égard, ces autorités avancent que la surveillance des camps mobilise des forces de sécurité importantes, alors qu'elles doivent par ailleurs faire face à la menace récurrente d'offensives de la part de la Turquie ; elles rappellent que la situation humanitaire prévalant dans le Rojava est extrêmement critique ; elles soutiennent enfin que ces femmes et ces enfants ne peuvent être retenus indéfiniment contre leur gré alors qu'il ne leur est rien reproché et qu'elles n'ont aucune intention de juger les femmes en l'absence de grief particulier à leur encontre.

L'évolution des autres États en faveur du rapatriement

8. La France se retrouve de plus en plus isolée au sein de l'Europe dans son obstination à ignorer les appels au retour de ces enfants et de leurs mères. La Belgique, l'Allemagne, l'Italie, le Danemark, ou encore la Finlande ont décidé au cours de l'année 2021 de rapatrier la plus grande partie de leurs ressortissants présents dans les camps (6). Les autorités de ces pays invoquent non seulement le respect des droits fondamentaux des enfants, mais aussi l'impératif de sécurité : faute d'une prise en charge par les services de protection de l'enfance, ces mineurs se retrouvent aujourd'hui au contact de personnes radicalisées et sont susceptibles d'être demain récupérés par des djihadistes, notamment enfuis de leurs prisons étant donné l'instabilité de la région, ce qui représenterait une menace pour la communauté internationale.

La nécessité d'une prise en charge adaptée des enfants rapatriés

9. La CNCDH insiste à nouveau sur le fait que ces enfants sont des victimes : victimes de la guerre, victimes des choix de leurs parents, et désormais victimes d'une captivité inhumaine, dont la prolongation aggrave leurs traumatismes. Dans ces conditions, elle ne saurait souscrire à l'approche au " cas par cas " mise en avant par le gouvernement qui, tout en refusant de rapatrier les parents, renonce également à rapatrier les enfants lorsque les mères ne consentent pas à en être séparés. Or tous ces enfants sans exception ont droit à une prise en charge immédiate et adaptée par l'État.

10. Il est donc impératif d'organiser sans délai le retour en France des enfants et du parent présent auprès d'eux. La CNCDH renouvelle ses préconisations de 2019 : il ne saurait être envisagé d'ajouter le traumatisme de la séparation aux souffrances de la guerre, quand bien même ce parent devrait faire l'objet de poursuites à son arrivée en France. L'intérêt supérieur des enfants, principe international et constitutionnel (7), commande de les rapatrier ensemble et d'assurer, une fois qu'ils sont présents sur le territoire français, les modalités de prise en charge appropriées, en fonction de chaque situation.

11. A cet égard, selon les textes en vigueur, le juge des enfants ne peut être saisi pour ordonner les enquêtes permettant de déterminer les mesures d'assistance éducative adéquates qu'une fois les mineurs arrivés sur le territoire français. Plusieurs mois peuvent ainsi s'écouler entre cette arrivée en France et la stabilisation de la situation des enfants, notamment lorsqu'ils peuvent être confiés à leur famille élargie (grands-parents, oncles ou tantes…). La CNCDH recommande une modification des textes pour que, à l'instar de ce que font certains États européens, ces enquêtes puissent être initiées en amont des rapatriements afin d'écourter ce délai.

12. Par ailleurs, la prise en charge des enfants devrait être confiée aux services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) des départements où les enfants disposent de liens familiaux pour faciliter, le cas échéant, les rencontres avec la famille. De même, en cas de détention provisoire ou, le cas échéant, de condamnation, les mères devraient être incarcérées dans un établissement pénitentiaire proche de l'endroit où les enfants résident, afin de maintenir ce lien parental. La CNCDH insiste également sur la nécessité de préserver les fratries.

13. En conclusion, la CNCDH déplore que son avis du 24 septembre 2019 n'ait pas été pris en considération et que la privation de liberté de ces enfants se prolonge aussi longuement et inutilement. Elle réaffirme que le maintien d'un refus de rapatrier l'ensemble des enfants français retenus dans les camps du Rojova caractérise une violation manifeste de leurs droits fondamentaux et une atteinte grave portée aux valeurs de la République.

Elle appelle donc le gouvernement, une fois de plus, à procéder au rapatriement sans délai de ces enfants et du parent présent auprès d'eux.

(1) Avis sur les mineurs français retenus dans les camps syriens, Assemblée plénière du 24 septembre 2019, JORF n° 0237 du 11 octobre 2019.

(2) Défenseur des droits, Décision n° 2019-129 de recommandations générales, 22 mai 2019.

(3) Une présentation de cette mission a fait l'objet d'une conférence de presse le 18 novembre dernier : https://www.cncdh.fr/fr/actualite/conference-de-presse-rapatriement-durgence-des-enfants-et-des-femmes-en-syrie.

(4) Comité des droits de l'enfant, Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant les communications n° 79/2019 et n° 109/2019, 2 novembre 2020.

(5) De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme, également saisie par plusieurs familles, ne s'est pas encore prononcée sur cette question : après l'audience du 29 septembre dernier, l'affaire a été mise en délibéré.

(6) Voir not. : Finlande : https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/20/rapatriement-depuis-la-syrie-pour-la-finlande-les-droits-des-enfants-passent-en-priorite_6073853_3210.html

Belgique : https://www.vrt.be/vrtnws/fr/2021/07/22/rapatriement-des-belges-de-syrie-cetait-plus-sur-pour-notre-p/

(7) Convention relative aux droits de l'enfant, article 3, §1 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Au niveau national, en 2019, en se fondant sur les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946, le Conseil constitutionnel a reconnu l'existence d' une exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant : CC, Décision n° 2018-768 QPC du 21 mars 2019, § 6.