JORF n°188 du 15 août 2007

Avis

La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie pour avis le 3 août 2007 par le ministre d'Etat, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables, et la ministre de l'économie, des finances et de l'emploi d'un projet d'arrêté relatif aux prix de l'électricité prévoyant d'augmenter, à compter du 16 août 2007, les tarifs de vente hors taxes de l'électricité mentionnés à l'article 4 de la loi du 10 février 2000. La hausse proposée est différenciée par catégorie tarifaire : + 1,1 % sur les tarifs bleus, + 1,5 % sur les tarifs jaunes et les tarifs verts.

Cette augmentation concerne l'ensemble des tarifs réglementés de vente appliqués par EDF et les entreprises locales de distribution (ELD). Elle est effectuée à structure tarifaire inchangée.

Pour élaborer son avis, la CRE a auditionné, le 9 août 2007, les différents acteurs concernés.

  1. Contexte
    1.1. Cadre législatif et réglementaire

La loi du 10 février 2000 dispose, en son article 4, que les tarifs réglementés de vente « couvrent l'ensemble des coûts supportés à ce titre par EDF et les distributeurs non nationalisés » et que « les avis de la Commission de régulation de l'énergie sont fondés sur l'analyse des coûts techniques et de la comptabilité générale des opérateurs ».
Le décret n° 88-850 du 29 juillet 1988 dispose, en son article 3, que l'évolution des tarifs réglementés de vente « traduit la variation du coût de revient de l'électricité, qui est constitué des charges d'investissement et d'exploitation du parc de production et du réseau de transport et de distribution ainsi que des charges de combustibles ».
Les coûts liés à l'acheminement étant, par principe, couverts par le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, la CRE doit vérifier que les coûts de la fourniture sont couverts par la part fourniture des tarifs réglementés de vente, obtenue en déduisant de ces tarifs le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité et la contribution tarifaire acheminement (CTA).
La loi du 7 décembre 2006 a modifié la loi du 10 février 2000 pour imposer qu'EDF et les ELD tiennent une comptabilité interne permettant de distinguer, à partir du 1er juillet 2007, la fourniture aux consommateurs finals ayant exercé leur éligibilité et la fourniture aux consommateurs finals n'ayant pas exercé leur éligibilité.

1.2. Historique

Le 15 août 2006, le Gouvernement a décidé une hausse uniforme des tarifs réglementés de vente de 1,7 %. Dans son avis du 9 août 2006, la CRE avait demandé que la hausse tarifaire soit différenciée par tarif, afin de refléter les coûts et d'éviter les subventions croisées entre tarifs. Elle avait, ainsi, considéré que l'augmentation des tarifs jaunes et verts devait être supérieure à celle des tarifs bleus.
La Commission avait aussi considéré que, pour se prononcer sur le niveau exact de l'augmentation nécessaire, elle devait disposer des éléments de comptabilité analytique propres à chaque tarif. EDF a transmis progressivement à la CRE entre avril et juillet 2007 des données analytiques sur l'activité de production en 2006, ainsi que des données détaillées sur les coûts commerciaux et frais de gestion clientèle affectés à chaque catégorie tarifaire en 2006.
La CRE avait demandé que les défauts importants de la structure actuelle de la tarification soient corrigés, pour supprimer les distorsions de concurrence qu'ils engendrent. Aucune modification de la structure n'a été effectuée à ce jour.
Enfin, la CRE avait rappelé que toute hausse appliquée aux tarifs réglementés de vente devait être répercutée sur les tarifs de cession auxquels les ELD achètent l'électricité pour fournir leurs clients aux tarifs de vente réglementés. Ce rappel n'a pas été suivi d'effet.
Par ailleurs, la Commission européenne a adressé à la République française une lettre de mise en demeure en avril 2006, puis un avis motivé en décembre 2006, en raison de la « mise en oeuvre incomplète par la France » de la directive 2003/54/CE, portant en particulier sur les tarifs réglementés de vente d'électricité. En juin 2007, la Commission européenne a ouvert une enquête sur les tarifs réglementés verts et jaunes appliqués aux grandes et moyennes entreprises et sur le tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché applicable aux grandes et moyennes entreprises qui ont exercé leur éligibilité et qui en ont fait la demande avant le 1er juillet 2007.

  1. Observations
    2.1. Mouvement proposé

La hausse proposée se traduit par une augmentation de la part fourniture du tarif de vente moyen de 1,0 EUR/MWh pour le tarif bleu, 1,0 EUR/MWh pour le tarif jaune et 0,8 EUR/MWh pour le tarif vert A (1).

Source : calculs CRE sur la base de données EDF

La hausse proposée entraînera une augmentation équivalente en pourcentage du tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché (tarif de retour), dont le montant, fixé par un arrêté du 3 janvier 2007, est égal au tarif réglementé de vente majoré respectivement de 10 % pour les tarifs bleus, 20 % pour les tarifs jaunes et 23 % pour les tarifs verts.

2.2. Analyse du niveau
2.2.1. Principes de l'analyse

Pour vérifier que les tarifs couvrent les coûts d'EDF, la CRE a, comme l'année précédente, utilisé le modèle financier qu'elle a développé depuis juillet 2004. Ce modèle permet d'estimer, pour une année donnée, le compte de résultat de l'activité de fourniture aux tarifs réglementés sur les différents segments de clientèle.
Pour 2006, le modèle intègre partiellement les données comptables transmises par EDF jusqu'en juillet 2007. Ces données sont plus pertinentes que celles issues de la dissociation comptable utilisées en 2005 par la CRE. Toutefois, compte tenu des délais, ces données ont été simplement analysées par la CRE. Elles feront l'objet d'un audit approfondi dans les prochains mois. Pour 2007 et 2008, le modèle prend en compte des hypothèses économiques sur les facteurs d'évolution des charges. En conséquence, seuls les ordres de grandeur des estimations obtenues sont à considérer.
La CRE a aussi analysé la part production des tarifs. Celle-ci est obtenue en déduisant de la part fourniture les coûts commerciaux et les frais de gestion de la clientèle exposés par EDF. Pour un tarif donné, la part production, pour le parc de production considéré, est composée :
- d'une « part ruban », qui, compte tenu du tarif de vente réglementé annuel, évalue les recettes « production » devant couvrir les coûts de production imputables à la consommation d'un client théorique qui consommerait la même quantité d'électricité à chaque instant pendant toute une année ;
- d'un « facteur de forme », qui, compte tenu du tarif de vente réglementé annuel, évalue les recettes « production » devant couvrir les coûts de production imputables à l'écart entre la consommation effective du client moyen du tarif considéré et la consommation en ruban du client théorique.
Par définition, la « part ruban » devrait être identique pour tous les tarifs. Les écarts constatés entre les « parts ruban » des tarifs constituent ainsi un indicateur utile pour juger de la pertinence du niveau des tarifs.

2.2.2. Résultats de l'analyse

Sur la base des conclusions du modèle qu'elle a développé, la CRE considère que la part fourniture des tarifs bleus proposés permet de couvrir les charges du fournisseur EDF sur ce segment sur les années 2007 et 2008, avec une rentabilité raisonnable, calculée sur la base d'une estimation des capitaux engagés comptables.
Inversement, le modèle permet de conclure de manière certaine que la hausse ne permet pas pour les tarifs verts A de dégager une rentabilité raisonnable, calculée sur la base d'une estimation des capitaux engagés comptables. La hausse à appliquer devrait, donc, être très supérieure à celle proposée.
Pour les tarifs jaunes, les résultats du modèle sont très sensibles aux hypothèses retenues. Ils ne permettent pas, à eux seuls, de conclure que la hausse proposée permet de dégager une rentabilité raisonnable, calculée sur la base d'une estimation des capitaux engagés comptables. Des expertises et audits complémentaires sont nécessaires sur ce segment. Toutefois, l'analyse montre que les « parts ruban » des tarifs jaunes et verts A sont comparables. Or, la forte évolution recommandée pour les tarifs verts A se traduirait par une augmentation de la « part ruban » de ces tarifs. Cette part devant être identique pour tous les tarifs, cela impliquerait, donc, que les tarifs jaunes soient également augmentés de façon plus significative que ce qui est proposé.
Au cours des prochains mois, la CRE définira, en liaison avec EDF, le niveau de la « part ruban » qui doit être pris en compte dans la fixation des tarifs réglementés de vente.

2.3. Analyse de la structure

Les tarifs réglementés de vente n'ont jamais pris en compte, depuis sa mise en place fin 2001, le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité. En conséquence, la part fourniture des tarifs, obtenue par différence entre les tarifs réglementés et le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, ne reflète pas toujours les coûts. Tel est le cas de certains clients, dont la part fourniture est quasiment nulle.
La structure doit, donc, être refondue pour refléter les coûts, comme la loi l'impose.

2.4. Analyse pour les ELD

Dans la mesure où les tarifs de cession, fixés par décret, ont été mis en place pour permettre aux ELD de fournir leurs clients aux tarifs réglementés de vente, toute hausse appliquée aux tarifs réglementés de vente doit être répercutée sur les tarifs de cession. Or, le niveau des tarifs de cession n'a pas évolué depuis leur mise en place fin janvier 2005 sur la base de calculs effectués en 2003.
Depuis 2003, les recettes issues de la part production des tarifs de vente réglementés perçues par les ELD ont augmenté, essentiellement du fait de la baisse moyenne du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, intervenue le 1er janvier 2006. La hausse tarifaire proposée augmentera encore ces recettes.
La marge des ELD entre les achats aux tarifs de cession et les recettes issues de la part production des tarifs réglementés de vente aura, à la suite du projet d'évolution des tarifs réglementés, plus que doublé par rapport à celle identifiée par la CRE dans sa délibération du 8 janvier 2004, en passant de 2,9 EUR/MWh à 7 EUR/MWh en moyenne. Cette hausse de la marge des ELD n'est pas justifiée.

  1. Avis de la CRE

3.1. La Commission rappelle que la loi du 10 février 2000 impose que les tarifs réglementés de vente « couvrent l'ensemble des coûts supportés à ce titre par EDF et les distributeurs non nationalisés ». Elle note avec satisfaction le fait que, même s'il conviendrait que les évolutions soient différenciées également entre les tarifs jaunes et verts, le Gouvernement propose, pour la première fois, une hausse des tarifs réglementés différenciée entre les tarifs bleus et les autres.
3.2. La Commission :
- émet un avis favorable sur la hausse de 1,1 % proposée sur les tarifs bleus, qui s'appliquent aux clients résidentiels et aux petits professionnels ;
- émet un avis défavorable sur la hausse de 1,5 % proposée sur les tarifs jaunes et verts, qui s'appliquent aux autres clients. Cette hausse de 1,5 % ne correspond pas à l'augmentation minimale nécessaire pour couvrir l'ensemble des coûts supportés par EDF pour fournir ces clients. L'augmentation doit être supérieure à 1,5 % sur les tarifs jaunes ; celle des tarifs verts A doit être plus élevée que celle des tarifs jaunes ;
- demande que les défauts de structure au sein de chaque catégorie tarifaire soient corrigés.
3.3. Au cours des prochains mois, après avoir audité les données relatives aux coûts transmises par EDF, la Commission définira, en liaison avec EDF, le niveau de la « part ruban » qui doit être pris en compte dans la fixation des tarifs réglementés de vente.
3.4. Les tarifs de cession ayant été mis en place pour permettre aux ELD de fournir leurs clients aux tarifs réglementés de vente, la Commission demande que les tarifs de cession soient augmentés pour prendre en compte la baisse du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité intervenue en 2006 et les évolutions des tarifs réglementés de vente décidées depuis 2003.
Fait à Paris, le 9 août 2007.

Pour la Commission de régulation de l'énergie :

Le président,

P. de Ladoucette