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20 ans après la loi de 2005 : La situation des femmes en situation de handicap en France
Adoptée lors de l'assemblée plénière le 13 février 2025 (Adoption à l'unanimité)
- Le 11 février 2005, la France faisait évoluer ses dispositions juridiques en matière d'accès aux droits pour les personnes handicapées grâce à la loi n° 2005-102 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes (dite « loi handicap ») (1). Son adoption s'inscrivait dans une dynamique engagée au niveau international autour de l'élaboration d'une Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (2), adoptée le 13 décembre 2006. 20 ans plus tard, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) dresse un bilan mitigé d'une loi pourtant ambitieuse qui a marqué un tournant dans la politique française du handicap visant à organiser de manière systématique l'accès des personnes handicapées au droit commun.
- La loi a eu notamment deux apports majeurs avec d'une part une réponse individuelle et personnalisée ouvrant la possibilité de bénéficier de la solidarité nationale via la prestation de compensation du handicap (PCH) (3), et d'autre part une réponse collective et globale résidant dans la mise en œuvre du principe d'accessibilité généralisée à toutes les activités de la société quel que soit le handicap. Cette loi a également créé les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), voulues comme un guichet unique pour les personnes handicapées et leurs familles, ayant des compétences en matière d'information, d'évaluation des besoins, d'orientation et de suivi des réponses proposées au niveau local. Elle a donc contribué à faire évoluer, incomplètement, le regard de la société sur les personnes en situation de handicap sans pour autant pleinement parvenir à améliorer leurs conditions de vie malgré une augmentation significative du nombre d'enfants scolarisés (4) en milieu ordinaire et une progression, toujours insuffisante, du taux d'emploi des personnes en situation de handicap (5).
- La CNCDH joue un rôle essentiel dans le domaine du handicap en France en adoptant une approche fondée sur les droits et en agissant comme rapporteur national indépendant depuis le 3 décembre 2020. Depuis la loi de 2005, la CNCDH n'a cessé de promouvoir une conscience sociale plus poussée à l'égard des personnes en situation de handicap. Si cette loi a apporté des avancées certaines sur la question de l'accessibilité, de la compensation et de l'égalité des droits et des chances, elle n'intègre pas le changement de paradigme appelé par la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH), ratifiée par la France en 2010, dans l'élaboration, la mise en œuvre et l'évaluation des politiques publiques (6).
- La CNCDH n'a ainsi eu de cesse de recommander aux pouvoirs publics de remplacer la définition du handicap inscrite dans la loi de 2005 par celle retenue par la CIDPH. La définition française du handicap persiste à ne retenir qu'une vision médicale du handicap centrée sur la notion d'invalidité tout en mettant l'accent sur le principe de solidarité : « toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant. » (article L. 114 du code de l'action sociale et des familles). In fine, elle apparaît dépassée dès 2006 avec la CIDPH qui met en exergue la nécessité de proposer des aménagements raisonnables (7) pour réduire l'impact des environnements inadaptés dans la constitution et/ou la persistance de situations de handicap : « Par personnes handicapées on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l'interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l'égalité avec les autres. » (CIDPH, article 1er).
- La CIDPH adopte effectivement une approche par les droits des personnes qui se distingue de l'approche promue par la loi de 2005, dont la philosophie est basée sur l'assistanat et le soin. Elle préconise de passer d'une logique d'intégration à une logique d'inclusion. Or, en France, les personnes en situation de handicap demeurent trop souvent dans les représentations collectives des « objets de soins avant d'être des sujets de droits ».
- Ainsi, la notion de projet de vie qui apparaît dans la loi de 2005, que la CNCDH voudrait voir substituer par celle « d'auto-détermination », ou de « vie autonome », demeure non effective au quotidien. De fait, les pouvoirs publics ne parviennent toujours pas à dépasser une approche chiffrée du handicap reposant sur des mesures cotées des invalidités plutôt que sur l'adaptation de la société, nécessaire à l'autonomisation des personnes dans leur choix de vie.
- La loi de 2005 prévoyait, avec un calendrier précis, la mise en accessibilité des bâtiments recevant du public mais elle n'a, dans les faits, initié qu'une dynamique peu ambitieuse. En 2022, seuls 56 % des établissements étaient accessibles ou entrés dans une démarche d'accessibilité (8). Des avancées sont certes à souligner notamment en ce qui concerne l'accessibilité des bâtiments culturels ou encore de certains transports en communs. Beaucoup d'espoirs ont été exprimés à l'occasion des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 afin que cette dynamique reprenne et s'accélère. Force est de constater que Paris demeure l'une des capitales européennes les plus inaccessible et que de nombreux territoires demeurent oubliés des pouvoirs publics, en particulier les espaces ruraux et ultramarins, où l'Etat se décharge de sa responsabilité au dépend des élus locaux et de la société civile sans leur en donner les moyens.
- Au-delà de l'accessibilité insuffisante des lieux publics et des transports, le taux de chômage des personnes en situation de handicap demeure très largement supérieur à la moyenne nationale (9). Les démarches administratives toujours plus complexes, du fait de la digitalisation des services publics et de l'hétérogénéité des modes de fonctionnement des MPDH, entraînent des non-recours aux droits et aux prestations sociales et toujours plus de précarisation des personnes en situation de handicap. De plus, le montant de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) demeure inférieur au seuil de pauvreté (10). Le rapport de la CNCDH sur les politiques publiques du handicap, paru en 2023, dresse le constat du manque de réel portage politique depuis 2005 en particulier en matière d'accès à un logement adapté, de scolarisation en milieu ordinaire, d'insertion professionnelle, d'accès à la justice et de participation à la vie de la cité. Les quelques avancées notables ne sont pas à la hauteur des enjeux identifiés par la CIDPH depuis 2006 (11).
- Les femmes en situation de handicap sont les premières à subir les conséquences de la permanence de stéréotypes et de préjugés du fait d'une loi de 2005 inadaptée et du manque de considération des pouvoirs publics à l'égard de leurs besoins spécifiques. Les femmes en situation de handicap font face à une double discrimination, liée à la fois à leur genre et à leur handicap, ce qui entrave considérablement l'effectivité de leurs droits dans de nombreux domaines de la vie quotidienne. Par exemple, le taux d'inactivité des femmes en situation de handicap est plus élevé que celui des hommes et lorsqu'elles sont actives, près de la moitié d'entre-elles sont embauchée à temps partiel (12). Cela participe à leur plus grande précarisation en accentuant de fait leur dépendance aux prestations sociales ou à un tiers (13). L'accès aux soins, en particulier en matière de santé féminine leur est également compliqué notamment en raison de l'inaccessibilité des cabinets médicaux et du manque de formation des professionnels de santé (14).
- Pour améliorer l'effectivité des droits des femmes en situation de handicap, 20 ans après la loi de 2005, il demeure donc crucial de prendre en compte leurs besoins particuliers dans l'élaboration des politiques publiques afin que le respect de leurs droits soit effectif au quotidien dans tous les aspects de leur vie.
- La loi de 2005 n'a pas entraîné de dynamique systémique visant à disposer de données quantitatives et qualitatives qui auraient permis de mieux ajuster les politiques publiques en vue d'une société réellement inclusive. En particulier, les études combinant le genre et le handicap sont quasiment inexistantes en France (15). Par ailleurs, la quasi absence de représentation féminine, en situation de handicap, dans les lieux de pouvoir, ne permet pas d'éclairer les causes profondes des discriminations dont elles sont victimes ni d'apporter des réponses à leurs besoins. De plus, les travaux de la CNCDH, du Défenseur des droits, du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), et du Comité des droits des personnes handicapées (CDPH), visant à éliminer les discriminations croisées, restent embryonnaires et gagneraient à être partagés (16).
- La CNCDH suit donc avec attention l'inscription à l'agenda politique des débats du Conseil national consultatif des personnes handicapées autour d'une consultation citoyenne sur une nouvelle « loi handicap » (17) et le lancement, par la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, d'une mission d'évaluation de la loi 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (18).
- Une évolution de la loi du 11 février 2005, ou une nouvelle loi, devront impérativement revoir la définition française du handicap en s'appuyant sur la définition internationale proposée par la CIDPH. La CNCDH recommande effectivement de ne pas limiter la définition du handicap aux restrictions et de l'élargir à l'interaction avec les diverses barrières qui peuvent faire obstacle à la pleine et effective participation à la société. Ce serait de nature à promouvoir les droits des personnes en situation de handicap.
- La CNCDH recommande d'engager un changement de comportement des décideurs politiques visant à réellement associer les personnes concernées à l'élaboration des politiques publiques et à prévoir les modalités d'une meilleure articulation des actions portées par la société civile tant au niveau national qu'international. L'évolution de la loi actuelle ou l'élaboration d'une nouvelle loi devrait donc induire une politique de changement des représentations insistant sur la capacité des personnes concernées à agir et à être force de proposition, en particulier pour une meilleure prise en compte des droits pour les femmes.
(1) Le texte de la loi est consultable en ligne sur le site Légifrance.
(2) Organisation des Nations unies, Convention relative aux droits des personnes handicapées et Protocole facultatif, 2006.
(3) Dispositif d'aide ayant pour objectif principal la couverture de besoins aussi divers et concrets que les aides humaines et animalières, les aides techniques ou encore l'aménagement du logement.
(4) La loi de 2005 prévoit que chaque enfant en situation de handicap puisse s'inscrire dans une école de quartier et bénéficier d'une notification d'aide humaine par la CDAPH (Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées), une commission dépendant de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Près de 400 000 enfants en situation de handicap étaient ainsi scolarisés en 2020-2021 à l'école ordinaire (soit près de 85 % des élèves reconnus en situation de handicap). Voir les chiffres publiés dans le dossier de presse du comité interministériel du handicap (CIH), du 3 février 2022.Voir aussi DEPP, Elèves en situation de handicap, document de travail - série synthèses, n° 21.S02, août 2021.
(5) Avec notamment l'extension à la fonction publique de l'obligation d'emploi de 6 % de travailleurs en situation de handicap.
(6) Le 17 avril 2023, le Comité européen des droits sociaux a conclu, à l'unanimité, la violation par la France des articles 11.1 (accès aux services de santé), 15.1 (inclusion scolaire), 15.3 (accès à l'aide sociale, intégration sociale et participation citoyenne) et 16 (accessibilité universelle) de la Charte sociale européenne dans la mise en œuvre d'une véritable politique inclusive. Voir sur ce sujet, la déclaration de la CNCDH du 20 avril 2023.
(7) La CIDPH définit « l'aménagement raisonnable » comme « les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n'imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l'exercice, sur la base de l'égalité avec les autres, de tous les droits de l'homme et de toutes les libertés fondamentales » (CIDPH, article 2).
(8) Comité interministériel du handicap, dossier de presse, « Quand les enjeux du handicap progressent, c'est toute la société qui avance », 3 février 2022, p. 11.
(9) Voir Vanessa Bellamy (DREES), Le handicap en chiffres 2024, p. 88-89.
(10) Au 1er avril 2024, l'AAH est à 1 016,05 euros par mois quand le seuil de pauvreté est fixé à 1 216 euros par mois d'après les chiffres de l'INSEE.
(11) CNCDH, Les politiques publiques du handicap, Paris, 2023.
(12) https://www.euractiv.fr/section/politique/news/la-double-discrimination-des-femmes-en-situation-de-handicap-grande-oubliee-des-politiques-publiques/
(13) CNCDH, Avis sur la déconjugalisation de l'Allocation Adulte Handicapé, Assemblée plénière du 30 décembre 2021, JORF n° 0237 du 10 octobre 2021, texte n° 55.
(14) CNCDH, Les politiques publiques du handicap, Paris, 2023, p. 157-159, accessible en ligne sur le site de la CNCDH.
(15) L'association Femmes pour le dire, Femmes pour agir (FDFA), fondée par Maudy Piot, est pionnière dans l'articulation entre les droits des femmes et ceux des personnes handicapées.
(16) Ce sujet a fait l'objet d'un travail, en 2024, de l'initiative jeune porté par la CNCDH : https://www.cncdh.fr/education-droits-humains/linitiative-jeunes
(17) https://cncph.fr/je-donne-mon-avis-pour-la-nouvelle-loi-handicap-2025/
(18) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/organes/commissions-permanentes/affaires-sociales/missions-evaluation/egalite-droits-handicap
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