JORF n°0230 du 20 septembre 2020

Délibération n°2020-222 du 10 septembre 2020

Participaient à la séance : Jean-François CARENCO, président, Christine CHAUVET, Catherine EDWIGE, Ivan FAUCHEUX et Jean-Laurent LASTELLE, commissaires.
La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie pour avis par RTE, le 28 août 2020, d'une proposition de modification des règles du mécanisme de capacité, en application de l'article R. 335-2 du code de l'énergie.

  1. Contexte et objet

Afin d'assurer la sécurité d'approvisionnement du système électrique français, la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (« NOME »), par la suite codifiée aux articles L. 335-1 et suivants du code de l'énergie, instaure un mécanisme de capacité.
En application de l'article L. 335-2 du code de l'énergie, « les obligations faites aux fournisseurs sont déterminées de manière à inciter au respect à moyen terme du niveau de sécurité d'approvisionnement en électricité retenu pour l'élaboration du bilan prévisionnel pluriannuel mentionné à l'article L. 141-8. » Le mécanisme de capacité doit donc envoyer des signaux économiques pertinents aux acteurs afin de les inciter à investir dans des moyens de production, d'effacement ou de maîtrise de la consommation permettant d'atteindre l'objectif de sécurité d'approvisionnement fixé par les pouvoirs publics.
Aux termes de l'article L. 141-7 du code de l'énergie, « L'objectif de sécurité d'approvisionnement […] implique que soit évitée la défaillance du système électrique, dont le critère est fixé par voie réglementaire. »
Le critère de défaillance du système électrique, en application des dispositions de l'article D. 141-12-6 du code de l'énergie, est tel que la durée moyenne de défaillance annuelle est inférieure à trois heures. Le mécanisme de capacité est paramétré de telle sorte que l'obligation cumulée de tous les acteurs est cohérente avec un dimensionnement de parc permettant de respecter ce critère.
Les mesures de confinement mises en place pour lutter contre l'épidémie de covid‐19 ont conduit à une disponibilité réduite des ressources nécessaires à la réalisation des activités de maintenance sur le parc nucléaire et ont altéré la capacité à réaliser normalement les opérations programmées. La limitation des déplacements des personnels EDF et prestataires et les mesures sanitaires appliquées ont eu des impacts directs sur la dynamique de réalisation des activités sur les installations nucléaires pendant les arrêts de tranche. Les retards pris dans la réalisation des travaux conduisent à un allongement de durée des arrêts.
L'analyse de RTE (1) de l'équilibre offre-demande en France consécutif à cette baisse de disponibilité du parc nucléaire montre que le critère de défaillance du système électrique pourrait ne pas être respecté au cours de l'hiver 2020/2021 en l'état actuel du parc.
L'architecture du mécanisme de capacité permet en théorie d'envoyer un signal au marché afin de développer les leviers (effacement, stockage, mise en service d'unité sous cocon, etc.) nécessaires au rétablissement de la sécurité d'approvisionnement. Cette incitation se matérialise notamment par une hausse du prix de la capacité, reflet de la tension sur le marché des garanties de capacité, comme cela s'est vérifié lors des enchères de capacité du 25 juin 2020 portant sur l'année de livraison 2021.
Au regard des enjeux sur la sécurité d'approvisionnement pour le prochain hiver, RTE souhaite renforcer les signaux envoyés par le mécanisme de capacité et propose, à titre exceptionnel, d'adapter certaines modalités des règles du mécanisme de capacité actuellement en vigueur (2) afin d'assouplir certaines contraintes réglementaires pouvant peser sur les exploitants de capacité souhaitant augmenter leur disponibilité pendant la période de tension 2020-2021.
Ces modifications des règles du mécanisme de capacité, objet de la présente saisine, ont été proposées par RTE à la CRE le 28 août 2020 après une consultation des acteurs du 16 juin 2020 au 29 juin 2020. En application des dispositions de l'article R. 335-2 du code de l'énergie, elles devront ensuite être approuvées par le ministre chargé de l'énergie.

  1. Proposition de RTE

La proposition de RTE s'articule autour de trois modifications des règles du mécanisme de capacité ayant pour objectif d'inciter les exploitants de capacités de production et d'effacement à maximiser leur disponibilité pour l'hiver 2020/2021 : suppression des frais de rééquilibrage à la hausse pour les années de livraison 2020 et 2021, suppression des frais pour certification tardive de nouveaux sites d'effacement en cours d'année pour 2020 et 2021 et simplification des modalités de partage des niveaux de capacité certifié et effectif en cas d'entrée/sortie d'un site de production du mécanisme d'obligation d'achat.

2.1. Suppression des frais de rééquilibrage pour les exploitants déclarant une hausse de leur disponibilité en cours d'année pour 2020 et 2021

Les règles du mécanisme de capacité incitent les acteurs à déclarer leur meilleure vision de la disponibilité de leurs moyens de production ou d'effacement avant le début de l'année de livraison afin de refléter au mieux l'équilibre offre/demande sur le marché et renforcer le signal prix à moyen terme.
En particulier, un acteur qui déclarerait à RTE une hausse ou une baisse de la disponibilité d'une capacité certifiée en cours d'année de livraison se voit pénaliser d'un montant pouvant varier entre 10 et 20 % du prix de règlement des écarts (PREC). Le niveau de cette pénalité est fonction du nombre de jours de plus forte consommation (dits « jours PP1 ») observés à la date du rééquilibrage.
RTE propose de rendre gratuit l'ensemble des rééquilibrages à la hausse au titre des années de livraison 2020 et 2021. Cette mesure s'appliquerait à l'ensemble des rééquilibrages à la hausse qu'ils aient été reçus avant ou après l'approbation du présent projet de règles. En revanche, cette mesure ne concerne pas les rééquilibrages à la baisse ni les rééquilibrages au titre des années de livraison autres que 2020 et 2021.

2.2. Suppression des frais pour certification tardive de nouveaux sites d'effacement en cours d'année pour 2020 et 2021

En cohérence avec la logique sous-jacente à la mise en place de frais pour rééquilibrage, les règles du mécanisme de capacité prévoient que les sites d'effacement (3) doivent se certifier auprès de RTE avant le 31 octobre précédant le début de l'année de livraison afin de fournir la meilleure vision au marché de l'équilibre offre/demande en vue d'une formation cohérente des prix de la capacité. Toutefois, un exploitant conserve la possibilité de certifier des nouveaux sites d'effacement en cours d'année moyennant le paiement de frais de certification tardive. Ces frais varient entre 0 % et 20 % du prix de référence des écarts (PREC) en fonction du nombre de jours PP1 écoulés dans l'année de livraison.
RTE propose la suspension de l'application de ces frais pour la certification de nouveaux sites d'effacement en cours d'année pour les années de livraison 2020 et 2021 afin d'encourager la certification de nouveaux gisements d'effacement.

2.3. Simplification des mesures de partage du niveau de capacité certifié et effectif en cas d'entrée/sortie d'obligation d'achat

Le niveau de capacité certifié (NCC), c'est-à-dire le volume de garanties de capacité que l'exploitant de la capacité peut valoriser sur le marché, est calculé en fonction de la méthode de certification retenue et dépend du caractère fatal (4) ou non de la production d'énergie.
La méthode de certification dite « normative » est adaptée aux capacités de production d'énergie fatale. Elle s'applique nécessairement aux capacités des filières solaire, éolien onshore et éolien offshore. Les capacités justifiant d'un caractère fatal ainsi que les capacités sous obligation d'achat sont également éligibles à cette méthode. Le NCC d'une capacité certifiée sous cette méthode ne dépend pas de la disponibilité de la capacité pendant les jours de pointe de consommation (jours dits « PP2 ») mais uniquement d'un historique de disponibilité.
Ce calcul du NCC est différent de celui utilisé dans le cadre de la méthode dite « basée sur le réalisé » qui prend pour référence la disponibilité effective de la capacité pendant les jours PP2.
Le choix de la méthode de certification a des conséquences particulières dans l'éventualité d'un changement d'exploitant en cours d'année. En effet, dans le cas d'une certification basée sur le réalisé, un NCC est calculé par exploitant et déterminé en fonction du nombre de jours PP2 survenus après la date officielle de changement de contrat et de la disponibilité effective de la capacité sur ces jours PP2.
Toutefois, s'agissant des capacités sous obligation d'achat, les règles du mécanisme de capacité prévoyaient des conditions spécifiques de partage en cas d'entrée ou sortie d'obligation d'achat. Un seul niveau de capacité certifié est calculé à la maille du site et, indépendamment de la méthode de certification, le volume de garanties de capacité est ventilé entre l'exploitant et l'acheteur obligé (ou l'organisme agréé) en fonction de coefficients de pondération normatifs dépendants du mois du changement de contrat. Ainsi, un effort sur la disponibilité de la capacité réalisé en fin d'année par le nouvel exploitant serait partagé avec l'acheteur obligé.
Afin d'inciter (5) les exploitants de capacité sortant d'obligation et certifiés selon la méthode du réalisé à se rendre disponibles et dans une optique de simplification des règles du mécanisme de capacité, RTE propose la suppression du partage des niveaux de capacité certifiés par les coefficients de pondération normatifs pour les capacités certifiées selon la méthode basée sur le réalisé. Le niveau de capacité effectif sera donc calculé pour les capacités entrant ou sortant d'obligation d'achat de la même manière que pour les capacités n'ayant pas été sous obligation d'achat.

  1. Analyse de la CRE
    Propositions de RTE

Sous les hypothèses d'un marché parfait, l'architecture du mécanisme de capacité et les règles du mécanisme de capacité actuellement en vigueur, dans la mesure où le prix plafond est convenablement calibré, permettent d'envoyer des signaux économiques suffisants pour assurer la sécurité d'approvisionnement en cas de situation de tension anticipée à moyen ou long terme.
En effet, dans une situation où l'offre serait substantiellement inférieure à la demande, le prix de la capacité devrait augmenter jusqu'à atteindre le coût du moyen de production ou d'effacement marginal nécessaire au respect du critère de sécurité d'approvisionnement, afin de permettre son développement.
Les règles définissant le prix plafond du mécanisme de capacité figurant à l'article 8.2.2 des règles du mécanisme de capacité sont en ligne avec ce principe : « [le prix plafond] correspond au revenu capacitaire annuel minimal qui permet d'assurer la viabilité économique du développement ou du maintien en service des capacités nécessaires au respect en espérance, sur l'horizon moyen-terme étudié par le Bilan prévisionnel, du critère de sécurité d'approvisionnement défini par les pouvoirs publics ».
Le prix plafond pour 2021 et 2022 a été fixé par délibération de la CRE du 18 décembre 2019 à 60 000 €/MW. Les acteurs qui ne sont pas en mesure de s'approvisionner en capacité lorsque le système est déséquilibré de plus de 2 GW sont pénalisés à hauteur du plafond de prix.
En outre, comme cela a été soulevé par plusieurs acteurs au cours de la consultation menée par RTE, une modification des règles exceptionnelle est de nature à perturber le cadre réglementaire établi et peut concourir à l'instabilité réglementaire de ce mécanisme alors que celui-ci doit par essence apporter de la visibilité aux acteurs.
Toutefois, compte tenu de l'impossibilité pour les acteurs d'anticiper la survenue de la crise sanitaire et de ses conséquences sur la disponibilité du parc de production, et au regard des dernières estimations de l'équilibre offre/demande de RTE, il est indispensable de mobiliser tous les moyens pour développer des capacités en cours de période de livraison afin de respecter le critère de sécurité d'approvisionnement pour les années 2020 et 2021.
Concernant tout d'abord les propositions de RTE de supprimer les frais de rééquilibrage à la hausse et les frais de certification tardive, les règles actuelles du mécanisme de capacité prévoient que ces capacités développées en cours d'année de livraison sont pénalisées pour inciter les exploitants de capacité à fournir une estimation précise de leurs capacités disponibles, en vue de renforcer la qualité du signal prix. Cependant, dans le contexte actuel, l'existence de ces pénalités pourrait affaiblir l'incitation économique pour le développement de nouvelles capacités et aussi affecter le niveau du prix sur le mécanisme de capacité et, par voie de conséquence, dès le début de l'année prochaine, le coût d'approvisionnement pour les consommateurs français.
Dans un souci de minimiser le coût du mécanisme pour le consommateur et d'assurer au mieux le respect du critère de sécurité d'approvisionnement, la CRE accueille favorablement la proposition de RTE de supprimer les frais de rééquilibrage à la hausse et les frais de certification tardive des sites d'effacement. La CRE est également favorable à limiter cet assouplissement aux années de livraison 2020.
La CRE rappelle qu'il n'est pas en l'état envisageable de supprimer définitivement les frais de rééquilibrage à la hausse en raison de l'engagement des autorités françaises auprès de la Commission européenne de renforcer l'incitation des acteurs à s'équilibrer avant l'année de livraison (6).
En complément, la CRE demande que RTE étudie d'autres leviers permettant d'améliorer les incitations au développement de nouvelles capacité, par exemple via la réduction de la durée du processus de rééquilibrage ou l'amélioration du traitement des demandes de dérogation au tunnel de certification.
Concernant ensuite la proposition de RTE portant sur les capacités en obligation d'achat, la CRE observe que celle-ci permet bien d'inciter davantage les acteurs à augmenter la disponibilité de leurs capacités. La CRE accueille favorablement cette mesure de simplification et d'uniformisation des règles.

Mise en service de l'interconnexion avec le Royaume-Uni IFA2

La CRE identifie une évolution supplémentaire des règles permettant au mécanisme de mieux refléter la contribution des interconnexions à la sécurité d'approvisionnement.
En effet, la contribution des interconnexions définie dans les règles constitue une borne supérieure du niveau de certification des interconnexions (dans le cadre de la procédure simplifiée). Cette borne a été établie sur la base d'une hypothèse prudente d'une mise en service de IFA2 en milieu d'année 2021. Or, il apparaît désormais de façon certaine que, hors aléas pendant les essais, l'interconnexion IFA2 avec le Royaume-Uni va être mise en service commercial au dernier trimestre 2020.
La CRE estime l'asymétrie actuelle de cette règle injustifiée car elle ne permet pas au mécanisme de capacité de refléter l'état réel de l'équilibre entre l'offre et la demande de garanties de capacité. La CRE recommande à RTE d'entreprendre une réflexion sur la possibilité de revoir également à la hausse la contribution des interconnexions dans le cadre de la procédure simplifiée. En ce qui concerne l'année de livraison 2021, il est nécessaire que la contribution de la frontière britannique à la sécurité d'approvisionnement en France soit rehaussée de 400 MW, de façon à représenter la contribution d'IFA 2 sur le 1er trimestre 2021, conformément aux estimations transmises par RTE à la demande de la CRE.
En conséquence, la CRE recommande à la ministre de modifier la proposition de règles de RTE pour (i) porter la contribution de la Grande-Bretagne à hauteur de 3 400 MW pour l'année de livraison 2021 et (ii) de faire évoluer la définition de la capacité maximale installée de transit correspondant aux interconnexions avec la Grande-Bretagne (7), afin que la contribution potentielle de l'interconnexion dérogatoire Eleclink, si elle est présente sur l'année de livraison 2021, ne soit pas modifiée par cette évolution.

Avis de la CRE

La CRE a été saisie pour avis par RTE, le 28 août 2020, d'une proposition de modification des règles du mécanisme de capacité, en application de l'article R. 335-2 du code de l'énergie.
RTE souhaite renforcer les signaux envoyés par le mécanisme de capacité et propose, à titre exceptionnel pour les années 2020 et 2021, de modifier les règles du mécanisme de capacité pour assouplir certaines contraintes réglementaires pesant sur les exploitants de capacité souhaitant augmenter leur disponibilité. Trois modifications sont proposées par RTE : suppression des frais de rééquilibrage à la hausse pour les années de livraison 2020 et 2021, suppression des frais pour certification tardive de nouveaux sites d'effacement en cours d'année pour 2020 et 2021 et simplification des modalités de partage des niveaux de capacité certifié et effectif en cas d'entrée/sortie d'un site de production du mécanisme d'obligation d'achat
La CRE émet un avis favorable sur le projet de modification des règles du mécanisme de capacité.
La CRE recommande à la ministre de modifier la proposition de RTE de façon à prendre en compte un rehaussement de la contribution de la frontière avec la Grande-Bretagne de 400 MW pour l'année de livraison 2021 pour prendre en compte la mise en service commercial de l'interconnexion IFA2 (d'une capacité nominale de 1 GW) avant la fin de l'année 2020.
La présente délibération est publiée sur le site internet de la CRE. Elle est transmise à la ministre de la transition écologique.

Délibéré à Paris, le 10 septembre 2020.

Pour la Commission de régulation de l'énergie :

Le président,

J.-F. Carenco

(1) Le 11 juin 2020, Elisabeth Borne (ministre de la transition écologique et solidaire) et François Brottes (président du directoire de RTE) ont communiqué sur les impacts de la crise sanitaire sur la sécurité d'approvisionnement en électricité et fait état d'une vigilance particulière pour l'hiver 2020/21 (https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/repercussions-crise-sanitaire-sur-lapprovisionnement-en-electricite-lhiver-2020-2021-elisabeth-borne).

(2) La version actuellement en vigueur des règles du mécanisme de capacité a été approuvée par l'arrêté du 5 décembre 2019 et modifiée par l'arrêté du 23 décembre 2019.

(3) Contrairement au site d'effacement, les sites de production ont une obligation légale de se certifier sur le mécanisme de capacité. Les frais en cas de certification tardive de sites de production font donc l'objet d'un calcul différent plus pénalisant.

(4) Capacité de production dont la source d'énergie primaire est soumise à un aléa météorologique conférant un caractère fatal à la production.

(5) Cette modification des règles aurait un impact fort en 2020 car aucun jour PP2 n'a été tiré en première partie d'année.

(6) Considérant (141) de la décision de la Commission du 8 novembre 2016 concernant le régime d'aides SA.39221 2015/C (ex 2015/NN).

(7) Ceci signifie de fixer la capacité maximale installée de transit de l'interconnexion régulée de la Grande-Bretagne vers la France à la valeur de 2 666,6 MW pour l'année de livraison 2021.