JORF n°0053 du 4 mars 2010

Délibération du 23 juillet 2009

Participaient à la séance : M. Philippe de LADOUCETTE, président, M. Michel LAPEYRE, vice-président, M. Eric DYEVRE, M. Hugues HOURDIN, M. Emmanuel RODRIGUEZ et M. Jean-Christophe LE DUIGOU, commissaires.
Conformément à l'article 7-1 de la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003, précisé par le décret n° 2005-877 du 29 juillet 2005 relatif aux dérogations pour l'accès à certaines infrastructures gazières, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie pour avis, le 6 juillet 2009, par le ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, de la demande d'exemption à l'accès régulé des tiers déposée par la société Dunkerque LNG le 26 juin 2009 pour son projet de terminal méthanier dans le port de Dunkerque.

I. ― Le contexte

  1. Le cadre réglementaire européen : la directive 2003/55/CE

L'article 22 de la directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel prévoit la possibilité pour les nouvelles grandes infrastructures gazières, c'est-à-dire les interconnexions entre Etats membres, les installations de GNL ou les stockages, de bénéficier, sur demande, d'une dérogation à l'accès des tiers, sous réserve que soient respectés 5 critères :
a) L'investissement doit renforcer la concurrence dans la fourniture de gaz et améliorer la sécurité d'approvisionnement ;
b) Le niveau de risque lié à l'investissement est tel que cet investissement ne serait pas réalisé si une dérogation n'était pas accordée ;
c) L'infrastructure doit appartenir à une personne physique ou morale qui est distincte, au moins sur le plan de la forme juridique, des gestionnaires des systèmes au sein desquels elle sera construite ;
d) Des droits d'accès sont perçus auprès des utilisateurs de l'infrastructure concernée ;
e) La dérogation ne porte pas atteinte à la concurrence ou au bon fonctionnement du marché intérieur du gaz ni à l'efficacité du fonctionnement du réseau réglementé auquel l'infrastructure est reliée.
La Commission européenne peut demander à l'autorité de régulation ou à l'Etat membre concerné de modifier sa décision d'accorder une dérogation ; elle est compétente pour prendre elle-même une décision en dernier lieu.

  1. Le cadre réglementaire national : la loi du 9 août 2004
    et le décret du 29 juillet 2005

L'article 22 de la directive 2003/55/CE est transposé par l'article 7-1 de la loi du 3 janvier 2003, dans sa rédaction issue de l'article 44 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, qui prévoit que « le ministre chargé de l'énergie peut autoriser l'exploitant d'une installation de gaz naturel liquéfié ou de stockage de gaz naturel ou d'un ouvrage d'interconnexion avec un réseau de transport de gaz naturel situé sur le territoire d'un autre Etat membre de la Communauté européenne à déroger, pour tout ou partie de cette installation ou de cet ouvrage, aux dispositions des articles [...] » relatifs à l'accès régulé aux infrastructures, à la régulation tarifaire et aux modalités d'accès aux stockages souterrains de gaz.
« Cette dérogation est accordée à l'occasion de la construction ou de la modification de cette installation [...] à la condition que cette construction ou que cette modification contribue au renforcement de la concurrence [...] et à l'amélioration de la sécurité d'approvisionnement et qu'elle ne puisse être réalisée à des conditions économiques acceptables sans cette dérogation.
La décision de dérogation est prise après avis de la Commission de régulation de l'énergie [...].
L'avis de la Commission de régulation de l'énergie est publié avec la décision du ministre.
Cette décision définit [...] les conditions dans lesquelles le bénéficiaire est autorisé à refuser de conclure un contrat d'accès à l'installation ou à l'ouvrage concerné. »
Le décret d'application n° 2005-877 du 29 juillet 2005 précise que :
― le ministre saisit pour avis la Commission de régulation de l'énergie, qui se prononce dans un délai d'un mois à compter de sa saisine ;
― le ministre chargé de l'énergie notifie à la Commission européenne, dans un délai de trois mois à compter de la réception du dossier, son projet de décision sur la demande de dérogation ;
― et que « [...] La dérogation devient caduque de plein droit si le projet de construction ou de modification de l'installation ou de l'ouvrage n'a pas reçu un début de réalisation dans les trois années suivant la date de publication de la dérogation. [...] »

II. - La demande d'exemption de Dunkerque LNG

La société Dunkerque LNG, filiale à 100 % du groupe EDF, a sollicité auprès du ministre chargé de l'énergie le 26 juin 2009 une exemption totale à l'accès régulé des tiers pour un projet de terminal méthanier situé dans le port autonome de Dunkerque. Elle demande que cette exemption soit accordée pour une période de 20 ans, à compter de la date de mise en service commerciale du terminal prévue au printemps 2014.

  1. Le dimensionnement du projet

Le dossier présenté par Dunkerque LNG prévoit deux variantes :
― projet 1 : construction d'un terminal GNL d'une capacité de 10 Gm³ de gaz par an ;
― projet 2 : construction d'un terminal GNL d'une capacité de 13 Gm³ de gaz par an.

| | PROJET 1 | PROJET 2 | |--------------------------------------------|-------------------------------------------|-------------------------------------------| | Capacités de traitement du GNL | 10 Gm³/an | 13 Gm³/an | |Capacités d'émission sur le réseau de GRTgaz|1,4 million m³ par heure, soit 363 GWh/jour|1,9 million m³ par heure, soit 492 GWh/jour| | Nombre de jetées (appontement) | 1 | 1 | | Nombre de réservoirs | 2 × 190 000 m³ de GNL | 3 × 190 000 m³ de GNL |

Le terminal de Dunkerque LNG sera dimensionné pour accueillir des navires méthaniers de 75 000 m³ à 267 000 m³.

  1. La démarche commerciale du projet

Dunkerque LNG prévoit de vendre une partie des capacités du terminal à des sociétés du groupe EDF afin de pouvoir garantir la rentabilité de cet investissement.
Les scénarii de souscription de la capacité du terminal présentés par Dunkerque LNG dans son dossier sont les suivants :

| |PROJET 1 : 10 Gm³|PROJET 2 : 13 Gm³| |------------------|-----------------|-----------------| | Groupe EDF | 5-8 Gm³ | 5-8 Gm³ | |Producteurs de GNL| 2 Gm³ | 2 Gm³ | | Autres | 0-3 Gm³ | 3-6 Gm³ |

Dunkerque LNG indique que le nombre de souscripteurs de capacités ne dépassera pas 3 ou 4, afin d'optimiser la gestion opérationnelle du terminal. Dunkerque LNG offrira à l'ensemble des utilisateurs du terminal une enveloppe de droits fermes comprenant des fenêtres de réception de navires, une capacité de stockage de GNL et une capacité de regazéification et d'émission sur le réseau de transport.
Dunkerque LNG indique que « l'absence de souscription hors du groupe EDF n'est pas envisagée ni souhaitée ».
Toutefois, aucun contrat de réservation des capacités de regazéification n'a été signé à ce jour.
Dunkerque LNG a contacté directement, au cours du premier semestre 2009, certains acteurs énergéticiens, en particulier des producteurs de GNL.
A la suite de ces premiers contacts, il est apparu nécessaire d'organiser un test de marché pour s'assurer d'une réservation exhaustive des capacités du terminal. Dunkerque LNG prévoit de lancer ce test avec une large publicité, qui visera :
― les producteurs et fournisseurs de GNL ;
― les acteurs énergéticiens disposant d'une autorisation de fourniture de gaz sur le marché français ;
― d'autres acteurs énergéticiens européens.
Dunkerque LNG indique que la liste des entreprises et le format de publicité (courriers, publication...) pour cet appel au marché seront communiqués à la CRE.
A la suite de la déclaration d'intérêt des acteurs du marché, Dunkerque LNG procèdera à la sélection des souscripteurs, parmi les candidats présentant les garanties financières suffisantes, en privilégiant :

  1. Les entreprises qui rechercheront la double qualité de souscripteur de capacités de regazéification et de fournisseur de GNL, dans la limite des capacités dédiées à ce profil de souscripteur ;
  2. Les entreprises qui souhaiteront être associées au développement du projet et partager ainsi les risques du projet en prenant une part au capital de Dunkerque LNG ;
  3. Les entreprises qui manifesteront un intérêt pour des capacités de regazéification supérieures à 2 Gm³/an, par ordre de taille, afin de faciliter la gestion opérationnelle du terminal (les groupements d'entreprises sont possibles).
    Les modalités opérationnelles et le caractère non discriminatoire de ce processus seront validés par la CRE, en amont de l'opération de commercialisation, et pourront, le cas échéant, être audités par cette dernière.
    Dans tous les cas, il est prévu que Dunkerque LNG offre indistinctement à l'ensemble des parties qui entreront en négociation avec elle, une enveloppe de droits fermes, gérés selon une méthode transparente et non discriminatoire par l'opérateur du terminal.

III. - L'analyse de la demande d'exemption de Dunkerque LNG

L'analyse de la demande d'exemption par la CRE est fondée sur le dossier remis par Dunkerque LNG au ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer. La CRE a analysé les 5 critères prévus par la directive 2003/55/CE en s'appuyant en particulier sur :
― la note interprétative de la Commission européenne présentée lors du 15e forum de Madrid ;
― les guides de bonnes pratiques de l'ERGEG sur les exemptions au titre de l'article 22 et sur les procédures d'« open season » ;
― les conclusions du groupe de travail sur la régulation des terminaux méthaniers en France présidé par Mme Colette Lewiner ;
― la synthèse de la consultation publique organisée par la CRE entre le 16 février et le 4 mars 2009, relative au prédossier de demande d'exemption déposé par Dunkerque LNG le 5 février 2009, pour laquelle 19 réponses ont été reçues. Ce document est publié sur le site de la CRE simultanément à la transmission de la présente délibération au ministre.
La CRE a également auditionné Dunkerque LNG les 11 février et 23 juillet 2009.

  1. Critères a : l'investissement doit renforcer la concurrence dans la fourniture de gaz et améliorer la sécurité d'approvisionnement et e : la dérogation ne porte pas atteinte à la concurrence ou au bon fonctionnement du marché intérieur du gaz ni à l'efficacité du bon fonctionnement du réseau réglementé auquel l'infrastructure est reliée

1.1. Impact du projet de terminal méthanier sur la sécurité d'approvisionnement

Au moment du dépôt du dossier d'exemption, Dunkerque LNG n'a pas finalisé la commercialisation des capacités de regazéification et, par ailleurs, EDF indique ne pas avoir signé de contrat d'approvisionnement de GNL pour le futur terminal. Par conséquent, les sources d'approvisionnement en gaz des futurs utilisateurs du terminal de Dunkerque ne sont pas connues.
Dans son dossier, Dunkerque LNG indique qu'« EDF ne souscrira des capacités auprès de Dunkerque LNG que si une couverture significative de ces capacités par des contrats long terme d'approvisionnement en GNL peut être garantie ». La possibilité pour EDF de sécuriser son approvisionnement en GNL est cruciale pour l'arrivée effective de gaz sur le terminal de Dunkerque et la contribution à la sécurité d'approvisionnement de la France. La négociation de contrats long terme d'approvisionnement sera facilitée par la possibilité pour les producteurs de GNL de souscrire prioritairement des capacités sur le terminal de Dunkerque, dans la limite des capacités qui leur sont dédiées.
La note interprétative de la Commission européenne présentée lors du 15e forum de Madrid précise qu'une infrastructure contribue au renforcement de la sécurité d'approvisionnement dès lors qu'elle participe à la diversification des sources d'approvisionnement du marché considéré.
A ce titre, la CRE considère qu'un nouveau terminal méthanier constitue intrinsèquement un nouveau point d'entrée sur le marché et contribue, par définition, à diversifier les sources d'approvisionnement en permettant l'arrivée de cargaisons de GNL provenant de divers pays, que ce soit par des engagements à long terme ou par des cargaisons « spot ». Il améliore ainsi la sécurité d'approvisionnement en réduisant l'exposition de la France à une rupture d'approvisionnement prolongée sur un des autres points d'entrée du gaz et fait bénéficier le marché français de conditions d'accès et d'usage plus flexibles que celles généralement observées pour les réseaux de transport de gaz.
Les acteurs ayant répondu à la consultation publique de la CRE, relative au prédossier de demande d'exemption de Dunkerque LNG, partagent très majoritairement cette analyse de la CRE. Ils approuvent également la proposition de la CRE de procéder à un réexamen du dossier d'exemption si un service d'exportation du GNL, représentant plus de 10 % de la capacité de regazéification du terminal, est mis en place après l'obtention de l'exemption, car ce service modifierait substantiellement les caractéristiques du projet.
En conclusion, la CRE estime que le critère relatif à l'amélioration de la sécurité d'approvisionnement est satisfait, sous les deux réserves suivantes :
― le dossier de Dunkerque LNG prévoit la possibilité d'un service de réexportation du gaz par rechargement des méthaniers. Un tel service, en fonction du niveau d'utilisation qui en sera fait, est de nature à modifier la contribution du projet à l'amélioration de la sécurité d'approvisionnement. La CRE recommande que l'octroi de l'exemption fasse l'objet d'un nouvel examen si le service de réexportation du gaz par rechargement des méthaniers devait représenter plus de 10 % de la capacité de regazéification du terminal ;
― Dunkerque LNG ne prévoit pas dans son dossier la réémission de gaz par l'exploitation d'une canalisation partant directement du terminal. Un tel service serait de nature à modifier substantiellement les caractéristiques du projet. Aussi, la CRE recommande que l'octroi de l'exemption fasse l'objet d'un nouvel examen si un tel service devait être proposé par l'opérateur du terminal.

1.2. Impact du projet de terminal méthanier sur la concurrence

L'horizon retenu par Dunkerque LNG pour l'analyse des impacts du projet sur la concurrence est l'année prévisionnelle de mise en service du terminal, soit 2014. Cette étude est complétée par une analyse concurrentielle à l'horizon 2020.
Ce dernier horizon d'étude semble pertinent compte tenu des perspectives de stabilisation de la consommation française de gaz à l'horizon 2020, mises en avant dans le plan indicatif pluriannuel présenté par le gouvernement en 2009.

1.2.1. Le dimensionnement du terminal

Dunkerque LNG précise que le résultat des phases de commercialisation conditionnera le dimensionnement final du projet (10 Gm³/an ou 13 Gm³/an).
Si le projet à 13 Gm³/an devait être retenu, le terminal serait proche de la taille limite envisageable (superficie du terrain, nombre d'appontements, seuil de développement, ...).
En revanche, si le projet à 10 Gm³/an était retenu, il conviendra de s'assurer que ce choix de dimensionnement minimal par Dunkerque LNG ne conduit pas à restreindre l'accès à son terminal, alors que certains acteurs de marché auraient pu souscrire des capacités au-delà de 10 Gm³/an.
Dans sa position préliminaire, exprimée dans la note de consultation du 16 février 2009, la CRE a recommandé que, pour le projet à 10 Gm3/an, l'octroi de l'exemption soit conditionné à l'organisation par Dunkerque LNG d'un appel au marché transparent et non discriminatoire, afin de démontrer que la demande du marché n'est pas suffisante pour valider le projet à 13 Gm³/an. Comme cela a été demandé par la Commission européenne dans plusieurs décisions d'exemption, la CRE souhaite que les modalités pratiques de la commercialisation des capacités de regazéification lui soient soumises en amont pour en assurer le caractère non discriminatoire et puissent être auditées a posteriori, le cas échéant.
Cette recommandation a recueilli le soutien de la majorité des contributeurs à la consultation publique du 16 février 2009.
La CRE constate que le processus de commercialisation (décrit au paragraphe II.2) retenu dans le dossier final par Dunkerque LNG prend en compte ses recommandations. En effet, le porteur de projet envisage d'organiser un test de marché largement ouvert au-delà des acteurs énergéticiens actifs en France. Les modalités opérationnelles et le caractère non discriminatoire de ce processus seront validés par la CRE, en amont de l'opération de commercialisation, et pourront, le cas échéant, être audités par cette dernière.

1.2.2. La répartition des capacités de regazéification

Comme indiqué ci-dessus, lors du dépôt du dossier, Dunkerque LNG n'a pas finalisé la commercialisation des capacités de regazéification et n'est donc pas en mesure de préciser l'identité des souscripteurs engagés sur le terminal prévu à Dunkerque.
Dans le scénario à 10 Gm³/an, EDF et ses sociétés liées détiendraient jusqu'à 8 Gm³/an de capacités de regazéification, soit 80 % des capacités commercialisables. Dans le scénario à 13 Gm³/an, EDF et ses sociétés liées détiendraient là aussi jusqu'à 8 Gm³/an de capacités de regazéification, soit 61,5 % des capacités commercialisables.
Dans le cas où la demande serait inférieure à l'offre, Dunkerque LNG s'engage à ce que le groupe EDF ne détienne pas à long terme plus de 8 Gm³/an des capacités du terminal, pour les deux variantes.
La CRE prend acte de cet engagement et recommande au ministre que le non-respect de cette condition conduise à la révocation de l'exemption accordée. Elle recommande également que l'octroi de l'exemption soit conditionné à l'absence de revente au groupe EDF des capacités de regazéification souscrites par des tiers.
En outre, dans l'hypothèse où une partie de la capacité du terminal n'aurait pas été souscrite après les phases initiales de commercialisation, la CRE recommande que Dunkerque LNG s'engage à proposer régulièrement cette capacité résiduelle aux acteurs de marché, jusqu'à ce qu'elle trouve acquéreur, sous forme d'un appel au marché transparent et non discriminatoire, dont la fréquence et les modalités opérationnelles seront validées par la CRE. Dunkerque LNG pourra commercialiser cette capacité résiduelle dans la période intermédiaire sous forme d'engagement à court terme, y compris auprès du groupe EDF.
Les acteurs ayant répondu à la consultation publique de la CRE étaient majoritairement favorables à une commercialisation régulière des capacités non souscrites, suivant une fréquence variant entre 6 mois et 2 ans.

1.2.3. Impact sur les marchés de gros
et de détail du gaz naturel en France

Afin de démontrer que les critères a et e relatifs à la concurrence et au bon fonctionnement du marché intérieur sont remplis, Dunkerque LNG a étudié l'impact de son projet sur les marchés de gros et de détail du gaz. La méthode utilisée consiste à examiner l'effet de l'entrée en service du terminal en 2014 sur la concentration du marché mesurée par l'indice HHI.
Le marché pertinent retenu par Dunkerque LNG pour cette démonstration est le marché de gros du gaz à l'échelle géographique de la France entière. Des définitions alternatives du marché pertinent ont été également analysées par Dunkerque LNG :
― zone géographique élargie au nord-ouest de l'Europe ;
― marchés situés en amont du terminal (production, transport maritime) ;
― marchés situés en aval, avec la distinction de 5 segments de clientèle française (grands clients industriels, petits clients industriels, consommateurs domestiques, entreprises locales de fourniture et producteurs d'électricité). Dunkerque LNG prévoit que les parts de marché d'EDF sur les marchés de détail du gaz ne seront en aucun cas supérieures à 15 %.
Cette étude tend à démontrer à travers 90 simulations portant sur les différentes possibilités de répartition des capacités du terminal, que le projet réduira la concentration du marché français de gros du gaz naturel dans 60 % des cas ou n'aura pas d'effet perceptible dans 40 % des cas. Ces résultats sont confortés par 18 simulations supplémentaires en agrégeant sur les marchés dépassant le cadre géographique national les parts de capacité estimées d'EDF, d'EDF Energy et d'EnBW.
En outre, l'analyse de Dunkerque LNG montre que, compte tenu de la position dominante de GDF Suez sur les marchés de gros et de détail du gaz naturel en France, le seuil de souscription assigné à cet acteur devra être inférieur à 1 Gm³/an afin de ne pas porter atteinte à la concurrence.
La CRE a analysé de façon approfondie l'étude remise par Dunkerque LNG et estime que la méthodologie suivie est conforme à celle employée généralement dans ce type d'analyses.
Elle estime que le projet aura des effets positifs sur la concurrence sur le marché de gros du gaz et n'aura pas d'effet négatif sur la concurrence sur le marché de détail. En effet, en permettant à un ou plusieurs fournisseur(s) alternatif(s) de sécuriser ses (leurs) approvisionnements dans des proportions significatives, ce projet pourra avoir des effets positifs pour le développement de la concurrence sur le marché de détail, dans la mesure où la part de marché prévisionnelle d'EDF ne devrait pas lui permettre de devenir un acteur dominant sur le marché du gaz.
La CRE recommande que GDF Suez ou une de ses sociétés liées ne détienne pas plus de 1 Gm³/an de capacités primaires de regazéification dans le terminal afin de ne pas porter atteinte à la concurrence, comme Dunkerque LNG propose de s'y engager dans son dossier.

1.2.4. Mécanismes de remise sur le marché des capacités primaires non utilisées

Les terminaux méthaniers jouent un rôle important pour le développement de la concurrence sur le marché de gros et de détail du gaz en France et en Europe. A ce titre, l'optimisation de l'utilisation des capacités de regazéification, à travers des mécanismes de types « Use it or lose it » (UIOLI) ou marché secondaire de capacités, est un enjeu majeur pour le marché.
Dans son dossier, Dunkerque LNG fait une description sommaire des principes envisagés pour le mécanisme de « Use it or lose it », qui ne permet pas de juger de son efficacité opérationnelle. Toutefois, la CRE comprend qu'il n'est pas possible de décrire précisément le mécanisme avant d'avoir défini en détail le service qui sera proposé aux expéditeurs.
En conséquence, la CRE recommande que l'exemption soit conditionnée à la mise en place et à la publication par Dunkerque LNG, avant la mise en service du terminal, de mécanismes d'UIOLI et d'un marché secondaire de capacités. Le dispositif d'UIOLI devra être validé par la CRE, qui organisera des retours d'expérience réguliers et pourra demander à Dunkerque LNG des modifications si nécessaire.
Sur ce point spécifique, les contributeurs à la consultation publique ont estimé que le mécanisme d'UIOLI est essentiel mais qu'il est trop peu explicite dans le dossier préliminaire de Dunkerque LNG mis à consultation. Ils approuvent le principe d'une validation préalable de la CRE du mécanisme finalement retenu et demandent un contrôle dans la durée.

1.2.5. La coexistence avec les terminaux régulés

L'exemption ne doit pas donner aux terminaux en bénéficiant, un avantage concurrentiel vis-à-vis des terminaux régulés.
A ce titre, Dunkerque LNG devra se conformer aux décisions de la CRE relatives aux terminaux régulés, en ce qui concerne les règles opérationnelles liées aux interfaces avec les autres infrastructures. En outre, le tarif d'utilisation des réseaux de transport de gaz naturel en vigueur prévoit que :
― la détention de capacités de regazéification, quels qu'en soient la durée et le niveau, entraîne l'obligation de souscrire les capacités d'entrée correspondantes sur le réseau de transport ;
― la réalisation d'un test économique est effectuée pour vérifier que les coûts de raccordement directement liés à chaque projet sont supportés par les expéditeurs concernés. Ce test repose sur le principe que les recettes générées par les souscriptions de capacités d'entrée sur le réseau de transport à partir du terminal méthanier doivent permettre de couvrir le coût des ouvrages à réaliser entre le terminal et le cœur du réseau de transport, sur une période de 20 ans.
En conséquence, les souscripteurs de capacités de regazéification dans le terminal de Dunkerque devront souscrire auprès de GRTgaz les capacités d'entrée sur le réseau correspondantes en niveau et en durée. GRTgaz devra en outre percevoir des recettes correspondant à la totalité des capacités créées au point d'entrée Dunkerque LNG, pour éviter que le raccordement du terminal méthanier ne soit subventionné par les autres utilisateurs du réseau. Dans ces conditions, la CRE recommande que Dunkerque LNG compense financièrement GRTgaz si toutes les capacités d'entrée sur le réseau de transport à partir du terminal de Dunkerque ne sont pas souscrites par les expéditeurs détenant les capacités de regazéification sur le terminal méthanier.
Ce principe est approuvé par la majorité des sociétés ayant répondu à la consultation publique relative au pré-dossier de demande d'exemption.
En outre, en application du tarif d'utilisation des réseaux de transport de gaz en vigueur, Dunkerque LNG devra couvrir, le cas échéant, l'éventuel différentiel entre le montant des coûts d'investissement prévu par GRTgaz pour raccorder le terminal et les recettes résultant du terme tarifaire applicable au point d'entrée sur le réseau de transport depuis le terminal de Dunkerque. Conformément à la convention d'étude signée avec GRTgaz et au dossier final de demande d'exemption, Dunkerque LNG remboursera également à GRTgaz l'intégralité des coûts d'études en cas d'abandon du projet.
En ce qui concerne la contribution à la flexibilité infra-journalière, la majorité des répondants à la consultation publique a estimé nécessaire d'assurer une égalité de traitement entre terminaux régulés et exemptés.
La CRE recommande que les décisions concernant la contribution des terminaux méthaniers à la flexibilité infra-journalière des réseaux de transport de gaz, qui pourraient être prises dans le futur, s'appliquent également aux terminaux bénéficiant d'une exemption. Cette contribution ne devra pas impacter les émissions quotidiennes des souscripteurs de capacités.

1.3. Conclusion sur les critères a et e

La CRE considère que les critères a et e sont remplis sous réserve que les conditions mentionnées ci-dessus soient respectées.

  1. Critère b : le niveau de risque lié à l'investissement est tel que cet investissement
    ne serait pas réalisé si une dérogation n'était pas accordée
    2.1. Analyse des risques liés au cadre régulé

Dunkerque LNG souligne la difficulté, dans le cadre d'un accès régulé des tiers, de :
― définir librement les services proposés et de les adapter si nécessaire ;
― retenir les souscripteurs selon des critères de son choix ;
― fixer les conditions d'utilisation pendant 20 ans.
Cette incertitude peut constituer, selon le porteur de projet, un facteur de risque dans la construction du plan d'affaires présenté aux entités susceptibles de financer le projet. Le porteur de projet indique dans son dossier que le modèle de développement de ce terminal n'est pas celui d'un gestionnaire d'infrastructure détenteur d'une facilité essentielle.
Dunkerque LNG considère que cette demande d'exemption est nécessaire, afin de garantir au groupe EDF de disposer d'un accès significatif à l'infrastructure et de lui permettre d'offrir une participation et un accès aux capacités à des partenaires sélectionnés selon des critères non discriminatoires, permettant ainsi de conclure des contrats de long terme.
La CRE considère que ces arguments sont recevables et que l'investissement risquerait de ne pas être réalisé si un cadre régulé lui était imposé.

2.2. Les risques financiers

Dunkerque LNG estime que le projet, pour être viable, doit trouver l'équilibre entre un retour sur investissement des actionnaires satisfaisant, un tarif qui ne s'écarte pas d'un niveau acceptable pour les expéditeurs et une sécurisation des flux de trésorerie correspondant au remboursement de la dette.
L'analyse menée par Dunkerque LNG conclut que seul le régime d'exemption sur une période d'au moins 20 ans, en permettant l'attractivité économique et commerciale du projet, assurera sa viabilité.
Dans la synthèse de la consultation publique, la CRE note que les expéditeurs sont majoritairement satisfaits de la démonstration faite par Dunkerque LNG dans son dossier public sur les risques financiers liés au projet. Les autres contributeurs, en particulier les consommateurs industriels, ne sont pas totalement convaincus des éléments de démonstration présentés, estimant que le cadre régulé en vigueur offre un niveau de rémunération confortable et pourrait s'adapter pour répondre aux besoins des investisseurs.
La CRE considère que les hypothèses retenues par Dunkerque LNG pour l'analyse des risques financiers liés à l'investissement sont acceptables.
La CRE considère que le critère b est rempli.

  1. Critère c : l'infrastructure doit appartenir à une personne physique ou morale qui est distincte,
    au moins sur le plan de la forme juridique, des gestionnaires des systèmes au sein desquels elle sera construite

La démonstration de l'absence de lien juridique entre Dunkerque LNG et GRTgaz, gestionnaire du réseau de transport de gaz auquel sera raccordé le terminal, est immédiate et n'appelle aucun commentaire de la part de la CRE.
L'ensemble des contributeurs à la consultation publique a considéré que ce critère était rempli.
En ce qui concerne le réseau électrique, Dunkerque LNG souligne qu'il est juridiquement distinct des gestionnaires des systèmes électriques RTE et ERDF. La démonstration de Dunkerque LNG est satisfaisante et n'appelle aucun commentaire de la part de la CRE.
La CRE considère que le critère c est rempli.

  1. Critère d : des droits d'accès sont perçus auprès
    des utilisateurs de l'infrastructure concernée

Dunkerque LNG indique qu'il mettra en place un tarif identique et connu des souscripteurs du terminal. Ce tarif couvrira les charges de construction et d'exploitation du terminal, permettra le remboursement de la dette et assurera une rentabilité satisfaisante sur les capitaux engagés.
L'ensemble des contributeurs à la consultation publique a considéré que ce critère était rempli.
La CRE recommande que, conformément à ce qui est indiqué dans le dossier de demande d'exemption, Dunkerque LNG lui transmette le tarif d'utilisation de l'infrastructure et les contrats de souscription de capacité signés.
Sous réserve que ces conditions soient respectées, la CRE considère que le critère d est rempli.

  1. Synthèse de l'analyse de la demande d'exemption

Parmi les 14 contributeurs à la consultation publique de la CRE ayant clairement répondu à la question relative à l'exemption, 7 sociétés sont favorables au principe d'une exemption totale pour 20 ans pour le projet du terminal de Dunkerque LNG (les expéditeurs étant majoritairement favorables à une exemption sur 20 ans), 2 sont favorables à une exemption partielle et 5 sont opposées au principe d'exemption (les consommateurs industriels principalement).
Au vu de l'analyse des 5 critères réalisée ci-dessus, la CRE considère qu'une exemption totale de l'accès régulé des tiers peut être accordée à ce projet pour 20 ans, sous réserve que certaines conditions soient remplies.

IV. - Avis de la CRE

La CRE émet un avis favorable à la demande d'exemption à l'accès régulé des tiers déposée par la société Dunkerque LNG pour son projet de terminal méthanier à Dunkerque, pour une durée de 20 ans. Elle recommande que l'octroi de l'exemption soit assorti des conditions suivantes :
En premier lieu, Dunkerque LNG devra se conformer aux règles suivantes concernant l'allocation et l'utilisation des capacités de regazéification du terminal :

  1. Dunkerque LNG devra mettre en œuvre un appel au marché dans le respect des bonnes pratiques définies par l'ERGEG, pour tester la demande du marché de façon efficace, transparente et non discriminatoire. Les modalités de ce test de marché seront validées par la CRE, en amont de l'opération de commercialisation ;
  2. La part du groupe EDF souscrite à long terme sera limitée à 8 Gm³/an des capacités de regazéification du terminal ;
  3. Le groupe EDF s'engage à ne pas acheter, dans la cadre d'un accord de long terme, le gaz importé par les expéditeurs détenant le reste des capacités à long terme de regazéification du terminal ;
  4. Les capacités primaires de regazéification dans le terminal vendues à long terme à GDF Suez ne pourront pas être supérieures à 1 Gm³/an ;
  5. Dans l'hypothèse où une capacité résiduelle n'a pas été souscrite, Dunkerque LNG s'engage à proposer régulièrement cette capacité à long terme aux acteurs de marché jusqu'à ce qu'elle trouve acquéreur, sous la forme d'un appel au marché transparent et non discriminatoire, dont la fréquence et les modalités seront validées par la CRE ;
  6. Dunkerque LNG devra mettre en place et publier les conditions de remise sur le marché des capacités souscrites et non utilisées. Le mécanisme d'UIOLI adopté devra être soumis à la CRE pour validation ;
  7. Dunkerque LNG devra transmettre à la CRE son tarif d'accès aux capacités du terminal et les contrats de souscription de capacités signés ;
  8. Dunkerque LNG publiera, a minima, les mêmes informations que celles demandées aux opérateurs de terminaux méthaniers régulés.
    En deuxième lieu, Dunkerque LNG devra se conformer à la réglementation et, le cas échéant, aux décisions de la CRE pour les terminaux méthaniers, en ce qui concerne les interfaces avec les réseaux de transport de gaz :
  9. L'obligation pour les utilisateurs du terminal de Dunkerque de souscrire les capacités d'entrée sur le réseau de transport correspondant en niveau et en durée aux capacités de regazéification souscrites ;
  10. L'obligation pour Dunkerque LNG de compenser financièrement GRTgaz si des capacités d'entrée sur le réseau de transport ne sont pas souscrites par les expéditeurs utilisant le terminal ;
  11. L'obligation pour Dunkerque LNG de compenser la part du coût de raccordement du terminal au cœur du réseau de transport éventuellement non couverte par les recettes générées par le terme d'entrée sur le réseau de transport de gaz naturel. Cette obligation est fondée sur les montants prévisionnels du coût de raccordement communiqués par GRTgaz au moment du dépôt du dossier ;
  12. L'application des règles définies pour les terminaux méthaniers concernant la fourniture de flexibilité infra-journalière.
    En dernier lieu, la CRE recommande que Dunkerque LNG soit tenu de déposer un nouveau dossier de demande d'exemption en cas de modification substantielle des caractéristiques physiques ou commerciales du projet. Tel serait le cas d'une évolution de la configuration physique du terminal avec la réexportation du gaz naturel par méthaniers ou par canalisation pour plus de 10 % de la capacité de regazéification du terminal ou d'une évolution de l'actionnariat de l'exploitant du terminal ou des souscripteurs.
    Elle recommande que le non-respect d'une de ces conditions pendant la durée de l'exemption puisse conduire le ministre chargé de l'énergie à révoquer l'exemption, sur proposition de la CRE.
    Fait à Paris, le 23 juillet 2009.

Pour la Commission de régulation de l'énergie :

Le président,

P. de Ladoucette