5.1.2. Principe de proportionnalité
Au cas d'espèce de la terminaison d'appel vocal mobile, de son caractère de facilité essentielle, de son mode de commercialisation par un acteur structurellement en monopole et dans la continuité de la régulation de ces marchés actuellement en place, l'Autorité estime justifié et proportionné de maintenir et prolonger les obligations existantes.
Dans la continuité de son action précédente sur ces marchés, l'Autorité estime que les obligations imposées aux opérateurs déclarés puissants doivent tenir compte notamment de la taille de l'acteur considéré (nombre de clients) et de la position concurrentielle de l'acteur au sein de sa zone géographique (part de marché).
Le tableau suivant présente les parts de marché des opérateurs métropolitains (en parcs de clients) au 31 mars 2007 :
Selon ces deux critères, il convient donc de distinguer, d'une part, les trois opérateurs de métropole (Bouygues Telecom, Orange France et SFR), ainsi qu'Orange Caraïbe et SRR, et, d'autre part, les opérateurs ayant une taille significativement plus faible (Dauphin Télécom, Digicel, Orange Réunion, Outremer Télécom, SPM Télécom et Saint-Martin & Saint-Barthélémy Tel Cell) qui sont soumis à des obligations proportionnées à leur taille.
Orange France s'interroge sur la proportionnalité tenant à ce que les obligations imposées tiennent compte de la taille de l'acteur et de la part de marché de l'opérateur, dans la mesure où l'Autorité note que les volumes de minutes échangées sont les principaux inducteurs de coûts. A cet égard, l'Autorité note que les volumes de minutes sont, en première analyse, directement fonction de la taille du marché et de la part de marché de l'opérateur en cause. Les deux éléments ne sont donc pas contradictoires.
5.2. Obligations d'interconnexion et d'accès
L'article L. 38-I (3°) du CPCE prévoit que l'Autorité peut imposer des obligations d'accès à un opérateur disposant d'une influence significative sur le marché considéré.
L'existence de marchés de gros de l'accès et de l'interconnexion permet à des opérateurs qui ne possèdent pas l'ensemble des infrastructures nécessaires à l'acheminement de trafic de bout en bout de s'appuyer sur les réseaux existants pour intervenir sur les marchés de détail. Par conséquent, ces marchés de gros sont indispensables à l'existence et au bon fonctionnement d'une concurrence durable sur les marchés de communications électroniques. L'Autorité constate que tous les opérateurs mobiles font déjà droit à ce type de demande. Imposer une telle obligation n'est donc pas disproportionné pour eux.
Par ailleurs, afin de permettre l'interopérabilité des services et des investissements efficaces au titre de l'interconnexion ou de l'accès et compte tenu de la position monopolistique de chaque opérateur mobile sur le marché de la terminaison d'appel vocal vers ses numéros mobiles, l'Autorité estime nécessaire d'imposer à chaque opérateur mobile visé dans la section 1.3 une obligation de faire droit à toute demande raisonnable d'interconnexion et d'accès, à des fins de terminer du trafic à destination des numéros mobiles ouverts à l'interconnexion sur son réseau, ce conformément à l'article D. 310 (1°) du CPCE.
Il est également nécessaire et proportionné, au regard notamment de l'objectif de développement efficace dans les infrastructures et de compétitivité du secteur mentionné au 3° de l'article L. 32-1 du code précité, que les opérateurs mobiles présentent les conditions techniques et tarifaires de fourniture des prestations qu'ils offrent de façon suffisamment claire et détaillée et qu'ils ne subordonnent pas l'octroi d'une prestation à une autre, afin de ne pas conduire les acteurs à payer pour des prestations qui ne leur seraient pas nécessaires.
En outre, l'Autorité estime également nécessaire que les opérateurs désignés puissants dans le chapitre précédent négocient de bonne foi, conformément à l'article D. 310 (2°) du CPCE, afin, d'une part, de minimiser les cas de litige et, d'autre part, de ne pas profiter de l'influence significative qu'ils exercent sur ces marchés pour durcir les négociations avec les opérateurs. Enfin, compte tenu des investissements réalisés par les acteurs qui demandent l'interconnexion, il est également justifié que les opérateurs puissants soient soumis à l'obligation de ne pas retirer un accès déjà accordé, hors accord de l'Autorité ou de l'opérateur concerné.
Compte tenu de l'impossibilité pour un opérateur souhaitant terminer un appel sur le réseau de déployer ses propres infrastructures, ces obligations d'accès et d'interconnexion sont justifiées et proportionnées, notamment au regard de l'objectif fixé à l'article L. 32-1-II du CPCE visant à définir des « conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence ».
En outre, l'Autorité estime qu'il n'y a pas lieu d'aller au-delà de l'obligation générale d'accès et d'imposer par avance des obligations spécifiques et en particulier un ensemble minimal de prestations d'accès associées, dans la mesure où les opérateurs de téléphonie mobile continuent à offrir des services de terminaison d'appel vocal et d'accès aux sites d'interconnexion de qualité ou de caractéristiques au moins équivalentes à celles qui étaient proposées par le passé.
Enfin, d'une manière générale, tout refus de l'opérateur exerçant une influence significative de fournir ces prestations doit être dûment motivé.
5.3. Obligation de non-discrimination
L'article L. 38-I (2°) du CPCE prévoit la possibilité d'imposer une obligation de non-discrimination.
Conformément à l'article D. 309 du CPCE, les obligations de non-discrimination visent notamment à garantir que les opérateurs appliquent des conditions équivalentes dans des circonstances équivalentes aux autres opérateurs fournissant des services équivalents et qu'ils fournissent aux autres des services et informations dans les mêmes conditions et avec la même qualité que ceux qu'ils assurent pour leurs propres services, ou pour ceux de leurs filiales ou partenaires.
Comme le précise le considérant 17 de la directive « accès », l'application d'une obligation de non-discrimination permet de garantir que les entreprises puissantes sur un marché de gros ne faussent pas la concurrence sur un marché de détail, notamment lorsqu'il s'agit d'entreprises intégrées verticalement qui fournissent des services à des entreprises avec lesquelles elles sont en concurrence sur des marchés en aval.
La grande technicité des prestations d'interconnexion ou d'accès rend aisée pour un opérateur puissant l'offre de conditions techniques et tarifaires différentes pour ses différents clients, ses partenaires et ses propres services.
Par ailleurs, la terminaison d'appel mobile ayant le caractère de facilité essentielle, des conditions techniques et tarifaires discriminatoires sur le marché de gros seraient préjudiciables à la concurrence sur les marchés de détail faisant intervenir de la terminaison d'appel vocal.
L'obligation de non-discrimination vise principalement dans ce cas à éviter que les opérateurs mobiles n'augmentent leurs charges vis-à-vis d'opérateurs acheteurs dont le pouvoir de négociation serait moindre, ou qu'ils n'avantagent leurs propres unités d'affaires, leurs partenaires ou leurs filiales en concurrence avec les autres acheteurs de terminaison d'appel vocal. De telles pratiques auraient pour effet de fausser le jeu de la concurrence entre les opérateurs sur les marchés de détail.
Il est donc justifié et proportionné d'imposer une obligation de non-discrimination, d'une part, entre clients, et, d'autre part, entre clients et services internes, notamment au regard de l'objectif visant à garantir « l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques ».
Ainsi, un opérateur puissant n'est pas autorisé à pratiquer des conditions artificiellement différenciées, notamment lorsque la prestation d'interconnexion fournie est la même, et ce quels que soient le type d'acheteur ou la provenance de l'appel (métropole, outre-mer, international). Cette obligation n'exclut toutefois pas la possibilité, pour un opérateur, de différencier ses prestations en fonction de critères objectifs, notamment d'ordre technique, liés à la nature des réseaux.
5.4. Obligation de transparence
L'article L. 38-I (1°) du CPCE prévoit que l'Autorité peut demander à un opérateur disposant d'une influence significative de rendre publiques certaines informations relatives à l'interconnexion et à l'accès. Les modalités définies à la suite précisent la nature de l'obligation de transparence imposée. Ces modalités diffèrent en fonction de la taille de l'opérateur concerné.
5.4.1. Conventions d'interconnexion
S'agissant des conventions d'interconnexion ou d'accès, l'article L. 34-8 du CPCE prévoit que toute convention doit être transmise à l'Autorité à sa demande. Afin de donner la pleine mesure à cette disposition, et d'avoir la possibilité de vérifier le respect de l'obligation de non-discrimination, l'Autorité estime nécessaire d'imposer une obligation d'informer l'Autorité de la signature d'une nouvelle convention d'interconnexion ou d'accès ou d'un avenant à une convention existante, dans un délai de sept jours à compter de la signature du document.
5.4.2. Information préalable des modifications contractuelles
Les acheteurs de terminaison d'appel ont besoin de visibilité sur cet élément essentiel de leur plan d'affaires. Conformément à l'article D. 307 du CPCE, l'Autorité impose donc à chaque opérateur identifié comme exerçant une influence significative sur le marché de sa terminaison d'appel de prévenir les opérateurs acheteurs dans un délai raisonnable des modifications de ses conditions techniques et tarifaires.
Le caractère raisonnable du délai doit s'apprécier au regard des conséquences techniques, économiques, commerciales ou juridiques sur l'opérateur interconnecté ou bénéficiant d'un accès et de la nécessité pour ce dernier d'assurer la continuité de son service. Par exemple, les délais ne seront pas nécessairement identiques selon qu'il s'agisse d'une baisse ou d'une hausse des tarifs intervenant dans la fourniture de la terminaison d'appel.
L'Autorité considère qu'il n'est pas envisageable de fixer a priori ces délais, l'appréciation du délai raisonnable devant se faire pour chaque cas d'espèce. Pour assurer la transparence nécessaire, chaque opérateur mobile déclaré puissant doit mettre en oeuvre ce principe dans ses conventions.
5.4.3. Offre de référence
L'Autorité envisage de maintenir les obligations auxquelles Bouygues Telecom, Orange France et SFR sont actuellement soumis en matière de transparence et de non-discrimination, en particulier la publication d'une offre de référence.
Une offre technique et tarifaire ou offre de référence poursuit quatre objectifs :
- concourir à la mise en place de processus transparents, pour limiter la capacité de l'opérateur exerçant une influence significative à déstabiliser ses concurrents ou favoriser ses filiales ;
- donner de la visibilité aux acteurs sur les termes et les conditions dans lesquelles ils s'interconnectent avec l'opérateur sur qui pèse l'obligation ;
- pallier le déficit de pouvoir de négociation des opérateurs acheteurs ;
- permettre l'élaboration d'une offre cohérente de prestations aussi découplées que possible les unes des autres pour permettre à chaque opérateur de n'acheter que les prestations dont il a besoin.
L'offre de référence contribue ainsi grandement au fonctionnement harmonieux du marché et permet aux opérateurs de développer un plan d'affaires et de programmer leurs investissements avec une visibilité suffisante sur des paramètres qui conditionnent fortement leur structure de coûts. L'Autorité sera d'ailleurs attentive à ce que le contenu des offres de référence puisse effectivement apporter des informations suffisantes aux opérateurs acheteurs auprès de Bouygues Telecom, Orange France et SFR sur les conditions techniques et tarifaires des prestations d'acheminement du trafic, mais aussi des prestations d'accès aux sites associées (tel que le service de colocalisation et les liaisons de raccordement) que les opérateurs achètent à ces derniers.
Dans sa réponse à la consultation publique lancée le 24 juillet 2007, B3G approuve la volonté de l'Autorité de veiller à ce que les offres de référence apportent des informations suffisantes aux acheteurs. B3G souligne qu'il est, de plus, primordial que ces offres incluent une palette complète des prestations d'accès.
Par ailleurs, compte tenu de la baisse forte de l'usage de « hérissons » par les opérateurs fixes et de la croissance de leur activité, il est probable que ceux-ci seront amenés à développer leur capacité d'interconnexion avec les opérateurs mobiles.
Sur ce point, B3G rappelle à l'Autorité, dans sa réponse à la consultation publique lancée le 24 juillet 2007, que le coût d'une interconnexion avec un opérateur mobile ne se réduit pas au seul tarif de la terminaison d'appel, mais qu'il convient de prendre en compte l'ensemble du dispositif contractuel et tarifaire. B3G considère que nombre de conditions imposées par les opérateurs mobiles réduisent considérablement l'intérêt économique d'une interconnexion directe avec eux, comme à titre d'exemples les tarifs élevés des frais d'accès aux services, les clauses imposant un délai maximal pour passer une commande après signature de la convention, les clauses imposant un seuil minimal élevé de trafic et les durées minimum d'achat de prestations supérieures à deux ans. Sans se prononcer sur la pertinence de ces éléments, l'Autorité rappelle que les conditions de l'offre de référence ne doivent pas conduire les acteurs à payer des prestations qui ne leur seraient pas nécessaires.
L'Autorité considère que l'imposition de l'obligation de publication d'une offre de référence est nécessaire afin de limiter l'effet de la puissance de marché de ces trois opérateurs, en ce qu'elle renforce la transparence des offres de gros et permet notamment de prévenir d'éventuelles pratiques discriminatoires.
5.5. Obligations de séparation comptable
et de comptabilisation des coûts
5.5.1. Objectifs généraux
Les obligations de séparation comptable et de comptabilisation des coûts sont des obligations distinctes que peut imposer l'Autorité à un opérateur déclaré puissant sur un marché donné au terme des analyses de marché.
L'article L. 38-I (5°) du CPCE dispose que « les opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché du secteur des télécommunications électroniques peuvent se voir imposer, (...) [d'] isoler sur le plan comptable certaines activités en matière d'interconnexion ou d'accès, ou tenir une comptabilité des services et des activités qui permette de vérifier le respect des obligations imposées au titre du présent article ».
Le caractère intégré, la taille et le positionnement concurrentiel de Bouygues Telecom, Orange France et SFR sur les marchés de la terminaison d'appel vocal sur leurs réseaux respectifs et sur les marchés de détail mobiles sous-jacents peuvent se traduire par des distorsions discriminatoires sur les marchés de gros et de détail, qui peuvent être mises sous surveillance grâce notamment à l'imposition d'une obligation de séparation comptable.
Par ailleurs, la mise en oeuvre de l'obligation d'orientation des tarifs vers les coûts (cf. supra) imposées à ces trois opérateurs nécessite que l'Autorité dispose d'un référentiel fiable de coûts. Il est donc nécessaire d'imposer à ces opérateurs une obligation de comptabilisation des coûts.
Cette obligation est proportionnée aux objectifs fixés à l'article L. 32-1 du CPCE, et en particulier les 2°, 3° et 4°. Cette obligation constitue le minimum nécessaire pour s'assurer notamment de l'absence de comportements anticoncurrentiels et de la mise en oeuvre de l'obligation de pratiquer des tarifs reflétant les coûts correspondants (cf. supra).
5.5.2. Spécifications et principes
La comptabilisation des coûts devra notamment permettre :
- de disposer d'informations cohérentes entre opérateurs indispensables pour le contrôle tarifaire ;
- d'identifier l'activité réseau, et notamment les conditions d'utilisation des différentes ressources par les services internes et externes de l'opérateur.
La séparation comptable devra quant à elle permettre :
- de distinguer les activités de détail des activités de gros de l'opérateur mobile, selon un détail et un format rendu nécessaire pour le suivi des obligations liées à ce marché ;
- de déterminer des prix de transfert internes (encore appelés prix de cession), qui interviennent dans la vérification du respect de l'obligation de non-discrimination.
Le format du rapport des comptes répondra au besoin du suivi spécifique des obligations portant sur le marché de gros analysé. Il devra par ailleurs fournir à l'Autorité une vision suffisamment exhaustive pour lui permettre de s'assurer de la cohérence d'ensemble du dispositif comptable mis en place.
Au titre de ces obligations, et afin de respecter une cohérence entre opérateurs, l'Autorité dispose de la possibilité d'établir, en vertu de l'article D. 312 du CPCE, les spécifications du système de comptabilisation des coûts ainsi que les méthodes de valorisation et les règles d'allocation des coûts. Elle précise par ailleurs le format et le degré de détail des comptes, pour permettre la vérification du respect des obligations de non-discrimination et de reflet des coûts, lorsqu'elles s'appliquent.
Afin d'assurer un degré d'information suffisant, les éléments pertinents du système d'information et les données comptables sont tenus à la disposition de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, à la demande de cette dernière.
Dans sa contribution à la consultation publique lancée le 24 juillet 2007, Orange France indique que « à la lecture du document, de nouvelles mesures sont évoquées qui vont dans le sens d'une régulation et d'un contrôle ex ante des prix de détail, que rien ne justifie, s'agissant du marché mobile ». L'Autorité souligne que la présente décision, en particulier l'imposition de l'obligation de séparation comptable, ne constitue ni une nouvelle mesure puisque les opérateurs de métropole y étaient déjà soumis, ni une régulation ex ante des prix de détail. Cette obligation de séparation comptable vise seulement à mettre en place un outil susceptible de permettre au Conseil de la concurrence d'exercer un contrôle ex post de la non-discrimination comme il l'avais évoqué dans son avis sur le présent projet (26) : « L'obligation de séparation comptable et de comptabilisation des coûts, déjà imposée aux opérateurs par l'ARCEP dans le cadre du premier cycle d'analyse des marchés et qu'elle envisage de reconduire, est indispensable pour assurer, dans des délais compatibles avec le rythme d'évolution des marchés, un contrôle par le Conseil du caractère non-discriminatoire des charges de terminaison d'appel facturées aux concurrents par rapport aux prix de transfert internes aux entreprises et par conséquent, un contrôle de l'absence d'effet de ciseau tarifaire entre les prix de détail et les charges de terminaison d'appel. »
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