(M. NAOUFEL E.)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 juillet 2025 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1066 du 24 juin 2025), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Naoufel E. par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-1165 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 187-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2000-1354 du 30 décembre 2000 tendant à faciliter l'indemnisation des condamnés reconnus innocents et portant diverses dispositions de coordination en matière de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 96-1235 du 30 décembre 1996 relative à la détention provisoire et aux perquisitions de nuit en matière de terrorisme ;
- la loi n° 2000-1354 du 30 décembre 2000 tendant à faciliter l'indemnisation des condamnés reconnus innocents et portant diverses dispositions de coordination en matière de procédure pénale ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 15 juillet 2025 ;
- les observations présentées pour le requérant par Me Bertrand Périer, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, et Me Thomas Bidnic, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 16 juillet 2025 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Bidnic, pour le requérant, et M. Thibault Cayssials, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 16 septembre 2025 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui suit :
- L'article 187-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2000 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« En cas d'appel d'une ordonnance de placement en détention provisoire, la personne mise en examen ou le procureur de la République peut, si l'appel est interjeté au plus tard le jour suivant la décision de placement en détention, demander au président de la chambre de l'instruction ou, en cas d'empêchement, au magistrat qui le remplace, d'examiner immédiatement son appel sans attendre l'audience de la chambre de l'instruction. Cette demande doit, à peine d'irrecevabilité, être formée en même temps que l'appel devant la chambre de l'instruction. La personne mise en examen, son avocat ou le procureur de la République peut joindre toutes observations écrites à l'appui de la demande. A sa demande, l'avocat de la personne mise en examen présente oralement des observations devant le président de la chambre de l'instruction ou le magistrat qui le remplace, lors d'une audience de cabinet dont est avisé le ministère public pour qu'il y prenne, le cas échéant, ses réquisitions, l'avocat ayant la parole en dernier.
« Le président de la chambre de l'instruction ou le magistrat qui le remplace statue au plus tard le troisième jour ouvrable suivant la demande, au vu des éléments du dossier de la procédure, par une ordonnance non motivée qui n'est pas susceptible de recours.
« Le président de la chambre de l'instruction ou le magistrat qui le remplace peut, s'il estime que les conditions prévues par l'article 144 ne sont pas remplies, infirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention et ordonner la remise en liberté de la personne. La chambre de l'instruction est alors dessaisie.
« Dans le cas contraire, il doit renvoyer l'examen de l'appel à la chambre de l'instruction.
« S'il infirme l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, le président de la chambre de l'instruction ou le magistrat qui le remplace peut ordonner le placement sous contrôle judiciaire de la personne mise en examen.
« Si l'examen de l'appel est renvoyé à la chambre de l'instruction, la décision est portée à la connaissance du procureur général. Elle est notifiée à la personne mise en examen par le greffe de l'établissement pénitentiaire qui peut, le cas échéant, recevoir le désistement d'appel de cette dernière.
« La déclaration d'appel et la demande prévue au premier alinéa du présent article peuvent être constatées par le juge des libertés et de la détention à l'issue du débat contradictoire prévu par le quatrième alinéa de l'article 145. Pour l'application du deuxième alinéa du présent article, la transmission du dossier de la procédure au président de la chambre de l'instruction peut être effectuée par télécopie ».
- Le requérant reproche à ces dispositions de ne pas prévoir, lorsque le magistrat n'a pas fait droit à une demande d'examen immédiat de l'appel formé contre une ordonnance de placement en détention provisoire, qu'il lui est interdit de participer ensuite à la décision de la chambre de l'instruction statuant sur cet appel. Ce magistrat ayant, selon lui, déjà porté une appréciation sur le bien-fondé de la détention, il en résulterait une méconnaissance du principe d'impartialité des juridictions.
- Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le quatrième alinéa de l'article 187-1 du code de procédure pénale.
- Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il en résulte un principe d'impartialité, indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles.
- Selon l'article 137 du code de procédure pénale, la personne mise en examen peut, à titre exceptionnel, être placée en détention provisoire en raison des nécessités de l'instruction ou à titre de mesure de sûreté. Une telle mesure privative de liberté ne peut être ordonnée que s'il est notamment démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs mentionnés à l'article 144 du même code.
- Selon l'article 187-1 de ce code, lorsque la personne mise en examen forme appel d'une ordonnance du juge des libertés et de la détention la plaçant en détention provisoire, elle peut, à certaines conditions, demander au président de la chambre de l'instruction ou, en cas d'empêchement, au magistrat qui le remplace d'examiner immédiatement son appel sans attendre l'audience de la chambre de l'instruction.
- Le magistrat saisi d'une telle demande se prononce au vu des seuls éléments du dossier de la procédure. Il peut, s'il estime que les conditions prévues par l'article 144 ne sont pas remplies, infirmer l'ordonnance déférée et ordonner la remise en liberté de la personne, le cas échéant sous contrôle judiciaire. Dans le cas contraire, en application des dispositions contestées, il doit renvoyer l'examen de l'appel à la chambre de l'instruction.
- D'une part, selon l'article 187-1 du code de procédure pénale, lorsque le président de la chambre de l'instruction ou le magistrat qui le remplace renvoie l'affaire à la chambre de l'instruction, il rend une ordonnance insusceptible de recours qui n'a pas à être motivée.
- D'autre part, il résulte des travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 1996 mentionnée ci-dessus qu'en prévoyant la possibilité d'un renvoi devant la chambre de l'instruction, le législateur a entendu permettre, lorsque le magistrat l'estime nécessaire, un examen collégial de la contestation précédé d'un débat contradictoire dans les conditions du droit commun de la procédure d'appel.
- Dès lors, il ne peut se déduire de la seule décision prise par ce magistrat de renvoyer l'affaire à la chambre de l'instruction qu'il aurait déjà porté une appréciation préjugeant le bien-fondé de la contestation et lui interdisant, de ce fait, de participer à l'examen de l'appel au fond.
- Toutefois, sauf à méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, le président de la chambre de l'instruction ou le magistrat qui le remplace ne saurait participer à la décision de la chambre de l'instruction statuant sur l'appel formé par la personne mise en examen dans le cas où il apparaît, compte tenu notamment des termes de son ordonnance, que ce magistrat, excédant son office, a pris position sur le bien-fondé de l'appel.
- Il résulte de ce qui précède que, sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'impartialité des juridictions doit être écarté.
- Par conséquent, sous cette même réserve, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel décide :
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