(M. EDDIR L. ET AUTRE)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 juin 2025 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 509 du 4 juin 2025), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Eddir L. et la société LM & fils par Mes Victor Steinberg et Frédérique Etevenard, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-1156 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l'article 41-5 du code de procédure pénale.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon ;
- la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 7 juillet 2025 ;
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 8 juillet 2025 ;
- les secondes observations présentées pour les requérants par la SCP Spinosi, enregistrées le 23 juillet 2025 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Steinberg, pour les requérants, et Mme Laure Durand-Viel, désignée par le Premier ministre, à l'audience publique du 6 août 2025 ;
Au vu de la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 2 septembre 2025 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui suit :
- La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du deuxième alinéa de l'article 41-5 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 14 mars 2011 mentionnée ci-dessus.
- Le deuxième alinéa de l'article 41-5 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, prévoit :
« Le juge des libertés et de la détention peut également autoriser la remise à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, en vue de leur aliénation, des biens meubles saisis dont la conservation en nature n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité et dont la confiscation est prévue par la loi, lorsque le maintien de la saisie serait de nature à diminuer la valeur du bien. S'il est procédé à la vente du bien, le produit de celle-ci est consigné. En cas de classement sans suite, de non-lieu ou de relaxe, ou lorsque la peine de confiscation n'est pas prononcée, ce produit est restitué au propriétaire des objets s'il en fait la demande ».
- Les requérants reprochent à ces dispositions de ne pas déterminer les conditions dans lesquelles l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués peut procéder à la vente des biens qui lui sont remis aux fins d'aliénation et de lui laisser ainsi un pouvoir discrétionnaire pour choisir le mode et le prix de cession. Selon eux, à défaut d'avoir fixé les garanties légales propres à protéger le patrimoine de leurs propriétaires, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant le droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
- Ils soutiennent en outre que, faute de prévoir la possibilité pour le propriétaire de contester devant un juge le montant de la mise à prix fixée par l'agence en cas de vente par adjudication des biens saisis, ces dispositions seraient entachées d'incompétence négative dans des conditions affectant le droit à un recours juridictionnel effectif.
- Enfin, pour les mêmes motifs, ces dispositions porteraient également, selon les requérants, une atteinte disproportionnée aux exigences constitutionnelles précitées.
- Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « S'il est procédé à la vente du bien » figurant à la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 41-5 du code de procédure pénale.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété :
- Aux termes de l'article 17 de la Déclaration de 1789 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».
- En application du deuxième alinéa de l'article 41-5 du code de procédure pénale, le juge des libertés et de la détention peut autoriser la remise à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, établissement public de l'Etat, de certains biens meubles saisis au cours de l'enquête pénale en vue de leur aliénation. Il résulte des dispositions contestées que l'agence peut procéder à la vente du bien ainsi remis.
- L'aliénation en cours de procédure par l'agence de certains biens remis sur autorisation du juge, qui ne constitue pas une peine de confiscation prononcée à l'encontre du propriétaire, entraîne pour ce dernier une privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789.
- Toutefois, en premier lieu, d'une part, la vente ne peut intervenir que dans l'hypothèse où le maintien de la saisie serait de nature à diminuer la valeur du bien. En cas de classement sans suite, de non-lieu ou de relaxe, ou lorsque la peine de confiscation n'est pas prononcée, le produit de cette vente, consigné par l'agence, est restitué au propriétaire qui en fait la demande. Une telle mesure revêt ainsi un caractère conservatoire, dans l'intérêt tant de la partie poursuivante que du propriétaire des biens saisis.
- D'autre part, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 29 octobre 2007 mentionnée ci-dessus, à l'origine des dispositions contestées, qu'en permettant la vente, dès la procédure d'enquête, de certains biens meubles saisis dans le cas où leur conservation en nature n'est plus nécessaire à la manifestation de la vérité et lorsque la peine de confiscation est prévue par la loi, le législateur a entendu prévenir la dépréciation de ces biens y compris dans l'éventualité du transfert de leur propriété à l'Etat et limiter les frais de leur stockage et de leur garde. Ces dispositions poursuivent ainsi les objectifs de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et de bon emploi des deniers publics.
- Dès lors, les dispositions contestées répondent à un motif de nécessité publique.
- En second lieu, d'une part, la remise à l'agence d'un bien saisi ne peut être autorisée par le juge qu'à la seule fin d'éviter une dépréciation de ce bien. Ainsi, lorsque l'agence procède à l'aliénation des biens qui lui ont été remis à cette fin, il lui appartient de procéder à leur vente et, le cas échéant, à la fixation du montant de leur mise à prix dans des conditions propres à s'assurer que le produit de cette vente corresponde à leur valeur. Dès lors, ces dispositions ne méconnaissent pas l'exigence d'une indemnisation juste de la privation de propriété.
- D'autre part, l'exigence d'un versement préalable de l'indemnité prévue à l'article 17 de la Déclaration de 1789 ne saurait faire obstacle à ce que celle-ci soit retenue à titre conservatoire en vue du paiement des amendes pénales auxquelles la personne mise en cause pourrait être condamnée ou en vue de l'indemnisation des victimes. Dès lors, en rendant indisponible, pendant la durée de la procédure, le produit de la vente des biens saisis, les dispositions contestées ne méconnaissent pas l'exigence d'une indemnisation préalable de la privation de propriété.
- Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit de propriété. Le grief tiré de la méconnaissance de ce droit doit donc être écarté.
- Sur la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif :
- Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
- En premier lieu, au cours de l'enquête, le propriétaire du bien saisi peut contester la décision de saisie. Il peut solliciter la restitution du bien et le cas échéant contester, dans les conditions prévues à l'article 41-4 du code de procédure pénale, la décision de non-restitution.
- En second lieu, en vertu du troisième alinéa de l'article 41-5 du code de procédure pénale, l'ordonnance autorisant la remise du bien saisi à l'agence aux fins d'aliénation doit être motivée et notifiée au ministère public et, s'ils sont connus, au propriétaire ainsi qu'aux tiers ayant des droits sur le bien. Ceux-ci peuvent contester cette décision devant la chambre de l'instruction dans les dix jours qui suivent la notification de la décision, par la voie d'un appel qui a un effet suspensif.
- Dans ce cadre, la juridiction se prononce sur la nécessité de conserver le bien pour la manifestation de la vérité et sur le risque de dépréciation de la valeur de ce dernier. Le propriétaire du bien est ainsi mis en mesure de contester le fait que son aliénation serait de nature à en préserver la valeur.
- Par ailleurs, dans l'hypothèse où le propriétaire du bien qui a demandé la restitution du produit de cette vente estime que les conditions de réalisation de celle-ci par l'agence lui auraient causé un préjudice, il peut solliciter de l'Etat la réparation du dommage causé par un fonctionnement défectueux du service public de la justice, auquel participe l'agence, dans les conditions prévues à l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire.
- Dès lors, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif. Le grief tiré de la méconnaissance d'un tel droit doit donc être écarté.
- Les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative et qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel décide :
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