JORF n°0188 du 15 août 2009

Décision n° 2009-467 du 20 juillet 2009

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel,

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, notamment son article 17-1 ;

Vu le décret n° 2006-1084 du 29 août 2006 pris pour l'application de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 et relatif à la procédure de règlement des différends par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ;

Vu le règlement intérieur du Conseil supérieur de l'audiovisuel ;

Vu la décision n° 2005-478 du Conseil supérieur de l'audiovisuel en date du 19 juillet 2005 ayant autorisé la société Canal J à utiliser une ressource radioélectrique pour l'exploitation d'un service de télévision à caractère national diffusé sous condition d'accès par voie hertzienne terrestre en mode numérique ;

Vu la demande de règlement de différend, enregistrée le 24 février 2009, présentée par la société TV Numéric, dont le siège social est 24-26, rue Louis-Armand, 75015 Paris, représentée par Me Pierre Masquart, cabinet Delaporte Briard Trichet SCP ;

Le différend porte sur les modalités de résiliation du contrat de commercialisation par le distributeur TV Numéric de la chaîne Canal J sous condition d'accès par voie hertzienne terrestre en mode numérique (ci-après « TNT payante ») ;

La société TV Numéric demande au conseil d'ordonner à la société Canal J :

― d'établir qu'elle serait dans l'obligation de prendre la décision de mettre fin à la diffusion du service Canal J en TNT payante ;

― de respecter les conditions de résiliation prévues par le contrat de commercialisation ;

― de ne pas mettre fin à la diffusion de la chaîne le 30 avril 2009 dès lors que la résiliation ne serait pas intervenue dans les conditions prévues au contrat ;

― de prolonger le préavis de rupture du contrat jusqu'à l'issue d'une nouvelle procédure d'appel à candidatures ;

Elle soutient :

― que sa demande est recevable dès lors qu'il appartient notamment au conseil d'inviter l'éditeur à respecter les termes du contrat et la procédure prévue au contrat afin que ses décisions soient compatibles avec les objectifs prévus par les articles 17-1 et 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 ;

― que Canal J entend résilier le contrat de commercialisation dans des conditions ne figurant pas parmi celles qui étaient limitativement prévues au contrat, duquel il résulte que la simple notification par l'éditeur de son souhait de renoncer à son autorisation ne puisse suffire à justifier la résiliation, en l'absence d'intervention d'une décision d'abrogation ;

― que le retrait du service Canal J, qui s'ajouterait à celui du service AB1, modifierait de manière importante le marché de la TNT payante ; que l'article 31 de la loi de 1986 implique qu'un nouvel appel à candidatures soit ouvert ; que la chaîne Canal J est, sur la TNT, le seul service à destination des jeunes de 8 à 12 ans ; que l'absence d'un délai de préavis raisonnable pourrait entraîner des conséquences économiques graves pour TV Numéric comme pour l'ensemble de la TNT payante ;

Vu la décision du 2 mars 2009 par laquelle le directeur général du Conseil supérieur de l'audiovisuel a désigné M. Nicolas Bouy en qualité de rapporteur et M. Clément Bariéty en qualité de rapporteur adjoint pour l'instruction du présent règlement de différend ;

Vu la décision du 3 mars 2009 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel a arrêté un calendrier prévisionnel de procédure ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 16 mars 2009, présenté par la société Canal J, dont le siège social est situé 28, rue François-1er, 75008 Paris, représentée par Me Eric Lauvaux, cabinet Nomos SELARL ;

La société Canal J conclut au rejet des demandes de la société TV Numéric et demande au conseil :

― de dire qu'à la suite de sa décision de renoncer à l'autorisation que le conseil lui avait délivrée le 19 juillet 2005, la diffusion du service Canal J cessera le 30 avril 2009 ;

― de déclarer la société TV Numéric irrecevable à demander la poursuite de la diffusion du service Canal J ;

― de dire que la résiliation est intervenue selon des modalités objectives et équitables ;

― de constater qu'en application du contrat, la société TV Numéric est débitrice en sa faveur de la somme de 358 800, 05 € (TTC) au 28 février 2009 ;

Elle soutient :

― que les demandes de TV Numéric tendent, en réalité, à contraindre Canal J à assurer la diffusion de ses programmes en TNT, ce que le conseil n'a pas le pouvoir de faire ; qu'une telle mesure n'est pas concevable faute d'obligation à la charge de l'éditeur et, par suite, de manquement possible de sa part ; que le conseil a pris acte de la décision de Canal J de renoncer à l'utilisation de son autorisation ;

― que Canal J tirait du contrat de commercialisation du 23 juillet 2007 la faculté de résilier unilatéralement ce contrat dès lors qu'elle avait décidé de cesser sa diffusion en TNT ;

― que la résiliation était objectivement justifiée, eu égard à l'absence de perspective de rentabilité de la diffusion en TNT payante et, en particulier, à des pertes cumulées, qui ne lui permettaient pas d'investir dans l'acquisition de programmes et donc de maintenir la qualité de ceux-ci et l'attractivité de la chaîne, à la faible croissance du nombre d'abonnés et à l'augmentation des charges de diffusion du fait de l'extension de la couverture ;

― que le préavis de quatre mois qu'elle a observé est suffisant, et qu'il a été le même pour les autres distributeurs commerciaux ;

― qu'eu égard à son nombre d'abonnés et à ce que le service Canal J ne revêt pas une place déterminante dans son offre, TV Numéric ne subirait aucun préjudice ; qu'au contraire, la décision d'arrêter la diffusion du service Canal J lui permettrait de réduire ses pertes d'exploitation ;

― que TV Numéric a cessé, depuis mai 2008, de verser à la société Canal J les redevances dues en application du contrat.

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 6 avril 2009, par lequel la société TV Numéric maintient les conclusions de sa requête et demande en outre au conseil :

― de dire que la résiliation est intervenue en violation du contrat de commercialisation selon des modalités non objectives et non équitables ;

― de dire que la résiliation ne pourra intervenir que postérieurement à la décision du conseil portant abrogation de la décision d'autorisation de Canal J ;

― de dire que le préavis de quatre mois observé par la société Canal J ne peut courir qu'à partir de la date de résiliation qui suivra la décision d'abrogation par le conseil ;

― de constater que la renonciation de la société Canal J à son autorisation n'est pas opportune au regard de l'intérêt général qui s'attache au développement de la télévision numérique terrestre, et, dans l'hypothèse où la décision d'autorisation du 19 juillet 2005 et la convention seraient abrogées, de dire que l'abrogation ne pourra prendre effet que le jour où la fréquence libérée sera à nouveau attribuée ou, à tout le moins, à une date ultérieure qu'il reviendra au Conseil de déterminer.

La société TV Numéric soutient :

― que, dans la mesure où sont en jeu les conditions de la mise à disposition du public du service Canal J, le différend se rapporte bien au pluralisme, à la qualité et à la diversité des programmes, ainsi qu'au caractère objectif, équitable et non discriminatoire des relations contractuelles entre un éditeur et un distributeur de services ;

― qu'en l'absence de décision d'abrogation prise par le conseil Canal J ne saurait résilier le contrat sans méconnaître les stipulations de celui-ci ;

― qu'il appartient au conseil d'apprécier l'opportunité d'une abrogation, laquelle ne saurait constituer un droit pour Canal J, et de refuser de faire droit à la demande présentée en ce sens par cette dernière, ou de moduler les effets dans le temps d'une telle décision, eu égard à ses effets sur l'économie de TV Numéric et sur l'intérêt général qui s'attache au développement de la TNT, aux principes de mise en concurrence des projets de services et d'égalité de traitement, aux principes de sécurité juridique et de proportionnalité, et à l'absence de modification dans les données au vu desquelles l'autorisation avait été délivrée ;

― que Canal J n'établit pas que la TNT ne présenterait aucune perspective de rentabilité, et n'apporte pas d'élément suffisant pour démontrer que la viabilité économique de la chaîne serait définitivement compromise si elle se maintenait sur la TNT payante ; qu'elle ne démontre pas, au regard de ses pertes, une atteinte grave et irrémédiable à la qualité et à la diversité des programmes ; qu'elle ne saurait sérieusement prétendre que la décision d'arrêter la diffusion de Canal J pourrait induire un bénéfice pour TV Numéric ; que, contrairement à ce que la société Canal J allègue, l'extension de la couverture devrait conduire à une augmentation du nombre d'abonnés ; que la faible croissance dont fait état Canal J peut s'expliquer par son absence d'effort de promotion de sa chaîne sur la TNT ;

― que la question de la dette qui pèserait sur TV Numéric au titre du contrat est étrangère au différend ; que, par un courrier adressé à la défenderesse le 31 mars 2009, elle a reconnu lui devoir une partie des sommes dont celle-ci lui réclame le paiement ;

― que la modification de l'offre de TV Numéric conduirait de nombreux abonnés à résilier leur abonnement et d'autres éditeurs de chaînes du bouquet à remettre en cause leurs contrats de commercialisation avec TV Numéric, et que cette modification risquerait d'entraîner une perte de revenu pour TV Numéric qui pourrait devoir baisser ses tarifs ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 16 avril 2009, par lequel la société Canal J maintient ses conclusions et demande au conseil :

― de déclarer la société TV Numéric irrecevable à demander dans le présent litige la suspension de l'abrogation de l'autorisation ou de ses effets ;

― de dire que la résiliation est intervenue selon des modalités non discriminatoires ;

― de constater qu'en application du contrat, la société TV Numéric est débitrice en sa faveur de la somme de 169 433, 36 € (TTC) au 15 avril 2009 ;

La société Canal J soutient :

― que les demandes de TV Numéric tendant à faire différer ou à suspendre l'abrogation de l'autorisation accordée à Canal J ou ses effets sont irrecevables dans le cadre d'une procédure de règlement de différend, dans la mesure où elles ne relèvent pas des « relations contractuelles » entre un éditeur et un distributeur de services et constituent, en réalité, un recours administratif ; que la poursuite de la distribution d'un service dont l'autorisation aurait été abrogée constituerait une infraction ; que la résiliation et l'abrogation par le conseil de l'autorisation d'émettre doivent prendre effet à la même date, soit le 30 avril 2009 ; que la décision d'autorisation de Canal J n'a créé aucun droit au bénéfice de TV Numéric ; que les dispositions de l'article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986 ne sont pas applicables en l'espèce ; que l'autorisation délivrée par le conseil est un acte administratif créateur de droits auquel le bénéficiaire peut renoncer à tout moment sans avoir à en justifier ;

― que le contrat doit être interprété comme lui permettant de résilier le contrat dans les hypothèses distinctes, d'une part, où elle déciderait de se retirer définitivement de la TNT payante et, d'autre part, où elle ne bénéficierait plus de son autorisation en raison d'un retrait, d'une suspension ou d'une annulation ; qu'en tout état de cause, le conseil a pris acte de ce que sa décision de renonciation prendrait effet le 30 avril 2009 ;

― qu'elle a mis en œuvre les moyens nécessaires pour assurer l'attractivité du programme Canal J grâce à des investissements dans les programmes et la promotion du service ;

― que le développement du nombre d'abonnés est très éloigné des hypothèses qui avaient fondé la candidature de Canal J et justifié son investissement ; que l'abandon des projets de distribution commerciale de Groupe AB et de Neotion, les retards apportés au lancement de TNTop et TV Numéric et l'échec des diverses offres commerciales font peser sur Canal J une charge considérable ;

― que l'abrogation de l'autorisation constitue une cause permettant à Canal J de résilier le contrat sans préavis ; que les conditions générales d'abonnement de TV Numéric ne prévoient pas de préavis mais une simple notification préalable ;

Vu la décision n° 2009-271 du 21 avril 2009 du Conseil supérieur de l'audiovisuel portant extension du délai prévu à l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 ;

Vu l'ordonnance n° 09 / 53477 du 28 avril 2009 du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris ;

Vu la décision n° 2009-273 du 28 avril 2009 du Conseil supérieur de l'audiovisuel portant abrogation de la décision n° 2005-478 du 19 juillet 2005 susvisée ;

Vu le nouveau mémoire enregistré le 30 avril 2009, par lequel la société TV Numéric maintient ses conclusions et fait valoir que le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a relevé dans son ordonnance qu'aucune décision d'abrogation n'avait encore été prise par le conseil, et qu'il découle des motifs de cette ordonnance que toute décision d'arrêt de la diffusion du service Canal J le 30 avril 2009 caractériserait à elle seule pour TV Numéric un véritable dommage si elle était d'application immédiate ;

Vu les pièces établissant que le moyen d'ordre public tiré de ce qu'il n'y aurait pas lieu de statuer sur les demandes relatives à la date de cessation de la diffusion du service Canal J a été communiqué aux parties, qui n'ont pas produit d'observations ;

Vu la décision du 19 mai 2009 par laquelle le conseil a décidé de considérer comme tiers intéressés à la procédure les sociétés TF1, TF6, M6, Groupe Canal + et Vest @ vision, et les réponses, enregistrées les 12 et 15 juin 2009, des sociétés TF1, TF6 et M6 aux questionnaires que leur a adressés à ce titre le conseil ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 7 mai 2009, par lequel la société Canal J soutient que la décision d'abrogation du 30 avril 2009 a rendu caduques l'ordonnance du juge des référés et les demandes de TV Numéric tendant à la poursuite de la diffusion du service Canal J au-delà du 30 avril 2009 ;

Vu la réponse, enregistrée le 12 juin 2009, de la société Canal J au questionnaire que lui a adressé le Conseil supérieur de l'audiovisuel le 20 mai 2009 ; elle soutient qu'il appartenait au distributeur d'assurer la publicité et la promotion de son offre et du service Canal J ;

Vu la réponse, enregistrée le 15 juin 2009, de la société TV Numéric au questionnaire que lui a adressé le Conseil supérieur de l'audiovisuel le 20 mai 2009 ; elle soutient qu'au regard des procédures devant le conseil et devant le juge des référés, elle n'a été en mesure d'informer ses abonnés qu'à compter de l'arrêt effectif de Canal J ; que le premier critère objectif, équitable et non discriminatoire de résiliation du contrat est celui de la conformité de la résiliation aux conditions prévues par celui-ci ; qu'une lettre-accord du 25 janvier 2007 prévoyait que la dénonciation du contrat devait faire l'objet d'un préavis de trois mois ; que Canal J a reconnu qu'un préavis de quatre mois était raisonnable ; qu'un tel préavis ne pouvait courir que postérieurement à une décision d'abrogation prise par le conseil ; que le critère d'objectivité aurait nécessité que Canal J soit en difficulté financière certaine pour décider de son retrait, lequel ne pouvait être uniquement fondé sur des considérations d'opportunité ; qu'il convient de prendre en compte les appels de consommateurs suscités par la modification de l'offre ; que la chaîne Gulli est destinée à un public différent de celui de Canal J et relève d'un modèle économique distinct ; que le retrait de Canal J et les conditions dans lesquelles il a été opéré méconnaissent le « principe de liberté commerciale » ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 25 juin 2009, par lequel la société Canal J soutient que le seul différend dont le conseil demeure encore régulièrement saisi concerne le paiement des factures qu'elle a émises en vertu du contrat et qui s'élèveraient à 219 266, 70 € (TTC), et demande au conseil de confirmer le caractère objectif et équitable de ce montant compte tenu des stipulations contractuelles et des conditions de résiliation.

Elle fait valoir que TV Numéric ne démontre pas l'existence de perspectives pour un éditeur indépendant, et n'établit aucune incidence sensible du retrait de Canal J sur ses propres recettes ; que Canal J a respecté les stipulations contractuelles en informant sans délai TV Numéric de son intention de cesser la diffusion du programme en TNT payante et en ménageant un préavis supérieur à trois mois ;

Après avoir entendu le 8 juillet 2009, lors de l'audience devant le collège, non publique à la demande des parties :

― le rapport de M. Nicolas Bouy ;

― les observations de M. Marc Olivier et Me Pierre Masquart, pour la société TV Numéric ;

― les observations de Mme Emmanuelle Guilbart et Me Eric Lauvaux, pour la société Canal J.

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* *

La société Canal J, éditrice du service de télévision destiné aux enfants dénommé Canal J, diffusait ce dernier en TNT payante en vertu de l'autorisation que le Conseil supérieur de l'audiovisuel lui avait délivrée le 19 juillet 2005.

Elle avait notamment conclu, le 23 juillet 2007, un contrat de commercialisation avec la société TV Numéric, distributeur de services de télévision sur ce même support de diffusion.

Le 5 janvier 2009, la société Canal J a signifié à la société TV Numéric sa décision de mettre fin à sa diffusion en TNT à compter du 30 avril 2009, eu égard à une absence de rentabilité et à un manque de perspective de rentabilité de cette activité.

Estimant que la société Canal J entendait résilier le contrat de commercialisation en méconnaissance des stipulations de celui-ci, et au mépris des exigences d'objectivité, d'équité et de non-discrimination posés par l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, la société TV Numéric a saisi, le 24 février 2009, le Conseil supérieur de l'audiovisuel d'une demande de règlement de différend sur le fondement de cette dernière disposition.

Le conseil, qui était parallèlement saisi par la société Canal J d'une demande tendant à l'abrogation de son autorisation, a fait droit à cette demande le 28 avril 2009 ; la société Canal J a ainsi mis fin à sa diffusion le 30 avril 2009, ce dont la société TV Numéric lui contestait la possibilité.

Par ailleurs, la société TV Numéric avait demandé au juge des référés du tribunal de grande instance de Paris d'ordonner à la société Canal J de poursuivre la diffusion jusqu'au prononcé par le conseil de sa décision sur le règlement de différend.

Par ordonnance du 28 avril 2009, le juge des référés a relevé que la décision d'abrogation de l'autorisation de la société Canal J n'avait pas encore été prise et, estimant que l'arrêt de la chaîne Canal J le 30 avril avant que ne soient rendues les décisions du Conseil supérieur de l'audiovisuel caractériserait pour la société TV Numéric un dommage imminent, a ordonné à la société Canal J de poursuivre la diffusion de sa chaîne sur la TNT payante, sous astreinte à compter du 30 avril 2009, jusqu'au prononcé de la décision du conseil statuant sur le règlement de différend, mais sous réserve du maintien jusqu'à cette date de l'autorisation de Canal J.

L'intervention, le 28 avril 2009, de la décision du conseil portant abrogation de l'autorisation de Canal J a ainsi rendu caduque l'injonction du juge des référés, comme il découle de la précision que celui-ci avait lui-même apportée.

I. - Sur le non-lieu à statuer

Les conclusions de la société TV Numéric tendant à la poursuite de la diffusion du service Canal J au-delà du 30 avril 2009 ont été privées d'objet par l'intervention de la décision du 28 avril 2009 par laquelle le conseil a abrogé l'autorisation qu'il avait accordée le 19 juillet 2005 à la société Canal J pour la diffusion du service Canal J en TNT payante.
Le conseil considère donc qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces conclusions, comme sur celles de la société Canal J ayant trait à la détermination de la date de cessation de la diffusion.

II. - Sur la compétence du conseil et la recevabilité des conclusions des parties

Si la compétence du conseil pour statuer sur les conclusions des parties ne fait l'objet d'aucune contestation de part ou d'autre, certaines de ces conclusions doivent faire l'objet d'un examen particulier dans la mesure où, par leurs écritures, les parties semblent entendre faire purement et simplement interpréter et appliquer les clauses du contrat de commercialisation.

  1. Sur le reliquat de la demande de TV Numéric

La société requérante demande notamment au conseil d'ordonner à la société Canal J de respecter les conditions de résiliation prévues au contrat, lequel fait l'objet d'une divergence d'interprétation entre les parties.
Si, comprises aussi strictement qu'elles ont été énoncées, ces conclusions paraissent relever de la seule compétence du juge du contrat, il ressort des mémoires produits par la société TV Numéric que celle-ci souhaite que soient appréciés au regard des principes posés à l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 le bien-fondé des motifs de la résiliation invoqués par la société Canal J, les modalités de cette résiliation, notamment en ce qui concerne la durée du préavis que la société Canal J lui a accordé, et les conséquences qu'elle pourrait avoir sur l'économie de la société requérante et sur le marché de la TNT payante.
Dans ces conditions, et au regard des conclusions et de l'argumentation présentées par la société TV Numéric, le conseil considère que l'ensemble de la demande de la requérante doit être regardé comme tendant à ce qu'il constate que les conditions de la résiliation par la société Canal J du contrat de commercialisation méconnaissent les exigences, posées à l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, d'objectivité, d'équité et de non-discrimination des relations contractuelles entre éditeurs et distributeurs.

  1. Sur les conclusions reconventionnelles de la société Canal J relatives au paiement des sommes
    que lui devrait la société TV Numéric au titre de la redevance

Telles qu'elles sont exposées, ces conclusions, qui présentent une certaine ambiguïté, sont irrecevables, quelle que soit l'interprétation qui puisse en être faite.
D'une part, il n'appartient pas au conseil de statuer sur des conclusions par lesquelles la société Canal J se bornerait à lui demander de constater que la société TV Numéric serait débitrice à son égard d'une somme précise au titre de l'exécution du contrat, dans le but de faire appliquer les clauses de celui-ci indépendamment de la mise en œuvre des critères prévus à l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986. De telles conclusions seraient irrecevables dans le cadre d'un règlement de différend.
D'autre part, à supposer que la société Canal J ait entendu saisir de manière reconventionnelle le conseil de conclusions tendant à ce qu'il se prononce sur le caractère objectif et équitable du montant des factures dues par la société TV Numéric, il est constant, qu'en premier lieu, un tel différend n'a pas été préalablement constitué entre les parties sur ce point ; qu'en second lieu, ces conclusions relèvent d'un litige distinct de celui dont le conseil a été saisi et qui a trait au caractère objectif, équitable et non discriminatoire, au sens des dispositions de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, de la résiliation par Canal J du contrat de commercialisation qui la liait à TV Numéric.
Par conséquent, les conclusions de la société Canal J relatives au montant des sommes dues par TV Numéric au titre de la redevance doivent être rejetées comme irrecevables.

III. - Sur le fond du différend

La société TV Numéric soutient qu'il conviendrait, pour apprécier le caractère objectif, équitable et non discriminatoire de la résiliation du contrat, de vérifier la conformité de cette résiliation aux conditions prévues par le contrat. Cependant, dès lors que le respect des clauses contractuelles n'emporte pas nécessairement satisfaction des exigences que l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 entend imposer de manière objective, le conseil considère que, dans le cadre d'une demande de règlement de différend, il n'est pas lié par les stipulations contractuelles entre les parties et doit apprécier l'objectivité, l'équité et le caractère non discriminatoire des relations entre éditeurs et distributeurs dont il est appelé à connaître.
En l'espèce, une distinction peut être faite, dans les conditions générales de la résiliation du contrat de commercialisation, entre les motifs de la résiliation, ses modalités et les conséquences qu'elle peut produire.
L'examen des conditions de la résiliation au regard des principes posés à l'article 17-1 de loi du 30 septembre 1986 conduit le conseil à apprécier successivement les motifs de la résiliation au regard de l'exigence d'objectivité des relations contractuelles entre éditeurs et distributeurs, ses modalités au regard des exigences de non-discrimination et d'équité, et les conséquences de la résiliation au regard de la condition d'équité requise par la loi.

  1. Sur le caractère objectif des motifs de la résiliation
    Sur la diminution des recettes d'abonnement et de publicité

Du point de vue de l'économie générale de la société Canal J, le conseil constate, entre 2006 et 2008, une baisse du chiffre d'affaires total de [...], ce dernier passant de [...] en 2006 à [...] en 2008. Les deux principales sources de revenu de l'éditeur que sont l'abonnement et la publicité étaient en baisse durant cette période :
― les recettes d'abonnement ont diminué de [...] entre 2006 et 2007 [...], et de [...] entre 2007 et 2008 [...]. D'un montant de [...] pour l'année 2008, elles représentaient [...] des recettes de la chaîne. Au sein de ces recettes, le montant de la redevance versée à la société Canal J par les distributeurs de la TNT payante indiqué par l'éditeur était de [...], soit [...] ;
― les recettes publicitaires ont diminué de [...] entre 2006 et 2007 [...] et de [...] entre 2007 et 2008 [...]. Le surcroît d'abonnés à la TNT payante n'entraîne pas de recettes publicitaires supplémentaires. Le conseil considère dès lors comme nulles les recettes publicitaires directement liées à l'activité de la société Canal J en TNT payante.

Sur la diminution des coûts de programmes et de promotion
et l'augmentation des coûts de diffusion

Le conseil relève qu'en 2008, l'ensemble des coûts supportés par la chaîne Canal J était de [...], contre [...] en 2007, soit une diminution de [...].
Il constate que les coûts de programmes et de promotion ont baissé de [...] entre 2006 et 2007 [...] et de [...] entre 2007 et 2008 [...], mais que les coûts de diffusion ont sensiblement augmenté, notamment du fait de l'extension de la couverture de la TNT :
― les coûts de diffusion sur le câble, le satellite et l'ADSL ont progressé de [...] entre 2006 et 2007 [...], et de [...] entre 2007 et 2008 [...] ;
― les coûts de diffusion en TNT payante ont augmenté de [...] entre 2006 et 2007 [...] et de [...] entre 2007 et 2008 [...]. Ils se sont élevés à [...] en 2008, soit [...] du total des coûts de la requérante, contre [...] en 2006. Les coûts de diffusion sont donc en progression, tant en valeur absolue que rapportés au total des coûts supportés par la société Canal J.
S'agissant enfin de l'argument par lequel la requérante soutient que la faible croissance du nombre d'abonnés au service Canal J pourrait s'expliquer par une absence d'efforts de la part de cette dernière de promotion de la chaîne sur la TNT, le conseil constate que les éléments fournis par la société TV Numéric ne suffisent pas à en établir le bien-fondé.

Sur la baisse du résultat d'exploitation

Il résulte de l'instruction qu'en 2008, le résultat d'exploitation de la société Canal J était excédentaire de [...]. Du fait de la diminution plus rapide des recettes [...] entre 2007 et 2008 que des coûts [...] entre 2007 et 2008, le résultat d'exploitation de l'année 2008 a diminué de [...] par rapport à 2007, soit une baisse de [...].
Sur la seule activité de la société Canal J en TNT payante, les recettes de l'éditeur ont été en 2008 de [...], en progression de [...] par rapport à l'année 2007 [...]. Les charges directes, d'un montant de [...] en 2008 et [...] en 2007, ont été, sur ces deux années, trois fois supérieures aux recettes. La marge sur charges directes variable, négative depuis le lancement de la chaîne en TNT payante, est restée stable entre 2007 [...] et 2008 [...].
En TNT payante, l'économie de la société Canal J apparaît donc déficitaire, en raison de l'insuffisance des recettes, qui ne permettent pas de couvrir les coûts de diffusion, lesquels leur sont [...] supérieurs.
Le conseil constate par ailleurs qu'en 2008, les recettes marginales de Canal J en TNT payante, d'environ [...], ont représenté [...] de son chiffre d'affaires total, et que ses coûts marginaux en TNT payante, d'un peu plus de [...], ont représenté [...] du total des coûts de l'éditeur.
En raison de leur augmentation mécanique liée à l'accroissement de la couverture, les coûts de diffusion ne semblent modulables, pour l'éditeur, que marginalement et dans des proportions insuffisantes pour les diminuer. Le conseil estime que la marge sur charges variables directes négative constatée ne peut dès lors s'améliorer que par une augmentation des recettes d'abonnement, étant donné que, comme il a été dit ci-dessus, l'accroissement des recettes publicitaires liées à la présence de la chaîne en TNT payante est marginal et négligeable.

Sur l'insuffisance du nombre d'abonnés
à la société Canal J en TNT payante

Le conseil constate qu'en 2008 les recettes d'abonnement au service Canal J, soit [...], se répartissaient de la manière suivante :
― [...] versés par la société TV Numéric sous forme de minimum garanti ;
― [...] versés par la société Vest@vision sous forme de minimum garanti ;
― s'agissant du reste [...], l'intégralité de la somme peut correspondre à une quote-part attribuée à la TNT, calculée par la société Canal J, de la rémunération forfaitaire globale que la société Canal+ Distribution lui verse chaque année.
Le Conseil relève que la rémunération de la société Canal J en TNT payante est composée d'une part fixe correspondant à la quote-part TNT de la rémunération forfaitaire globale versée par la société Canal+ Distribution, et d'une part variable, d'un montant de [...], pour les sociétés TV Numéric et Vest@vision, assorties, durant les trois premières années d'exercice, de minimums garantis.
Sur la base de l'année 2008, l'ensemble des charges directes est de [...]. Pour atteindre le niveau de recettes permettant d'équilibrer ce montant, le nombre d'abonnés moyen minimum aux offres des sociétés TV Numéric et Vest@vision, calculé sur la base des éléments précités, devrait être d'un peu plus de [...].
Or, à la fin de l'année 2008, le nombre d'abonnés aux offres des sociétés TV Numéric et Vest@vision était d'environ [...]. A court et moyen terme, il semble improbable que le nombre d'abonnés aux offres de TNT payante de ces deux distributeurs progresse aussi significativement qu'il atteigne [...] abonnés, et permette ainsi à la société Canal J d'atteindre son équilibre d'exploitation dans le cadre de son activité hertzienne.
Il ressort de ce qui précède qu'en TNT payante, le coût de diffusion du service Canal J est [...] supérieur à ses recettes. Ce déficit affaiblit l'ensemble de l'économie de l'éditeur, qui doit également faire face à la baisse de ses recettes d'abonnement et de publicité et à la hausse de ses coûts de diffusion.
En conséquence, le conseil considère que la société Canal J a fondé sur des motifs objectifs son souhait de cesser la diffusion de son service sur la TNT.

  1. Sur le caractère non discriminatoire et équitable des modalités de la résiliation
    Sur le caractère non discriminatoire des modalités de résiliation

Outre le fait que la rupture des relations contractuelles par la société Canal J s'applique aux contrats liant la chaîne à tous les distributeurs de TNT payante, il résulte de l'instruction que les notifications par la société Canal J de sa volonté de cesser la diffusion de la chaîne Canal J en TNT payante ont été effectuées le 29 décembre 2008 pour la société Canal+ Distribution, et le 5 janvier 2009 pour les sociétés TV Numéric et Vest@vision ; compte tenu de l'échéance du 30 avril indiquée par la société Canal J dans ses courriers, le décalage de quelques jours entre la date de la notification à la société Canal+ Distribution et celle de la notification aux sociétés TV Numéric et Vest@vision n'apparaît pas de nature à relever d'un comportement discriminatoire envers la société TV Numéric.

Sur le caractère équitable des relations contractuelles

Il est constant que la société Canal J a d'elle-même observé un délai de près de quatre mois, non prévu au contrat, entre la notification le 5 janvier 2009 à la société TV Numéric de son intention de résilier le contrat et la résiliation consécutive à l'arrêt effectif de sa diffusion, survenu le 30 avril 2009.
Ce délai est donc, en tout état de cause, supérieur au délai de trois mois prévu par la lettre-accord du 25 janvier 2007, à laquelle la société TV Numéric invite à se référer.
Le délai respecté en l'espèce peut être regardé comme raisonnable, dans la mesure où le distributeur a été mis à même d'informer les consommateurs et, le cas échéant, d'adapter son offre commerciale, et cela indépendamment des procédures qu'il a décidé d'engager postérieurement à la notification par la société Canal J de son intention de se retirer de la TNT payante.
De ce point de vue, le conseil estime qu'aucun défaut de diligence ne peut être reproché à la société Canal J sur le terrain de l'équité.

  1. Sur le caractère équitable de la résiliation, eu égard à ses conséquences
    Sur l'évolution du nombre d'abonnés

La société TV Numéric fait état d'une augmentation du taux de résiliation de ses abonnés de [...] en janvier 2009 à [...] en mai 2009 ; il résulte par ailleurs de l'instruction que ce taux a augmenté de [...] en février 2009 à [...] en mars 2009.
De même, l'observation du nombre d'abonnés recrutés par la société TV Numéric révèle un ralentissement, [...] nouveaux abonnés ayant été recrutés en mars 2009 contre un peu plus de [...] chaque mois de décembre 2008 à février 2009.
Il ne saurait pour autant être déduit de ces variations qu'elles seraient une conséquence directe de l'arrêt de la diffusion de chaîne Canal J, dès lors que, comme elle le souligne elle-même, la société TV Numéric n'a informé ses abonnés de l'arrêt de la diffusion de la chaîne Canal J que le jour de son arrêt effectif, intervenu le 30 avril 2009.
Par ailleurs, le dossier ne permet pas d'apprécier le nombre d'abonnés ayant effectivement résilié leur abonnement à la suite de l'arrêt de la diffusion de la chaîne Canal J.

Sur l'offre de la TNT payante privée du service Canal J

L'arrêt de la diffusion de la chaîne Canal J conduit à la disparition d'une des six chaînes qui composaient l'offre de base de la TNT payante, hors chaînes de la société Canal+ France et hors TPS Star.
En 2008, et avant l'arrêt de la diffusion de la chaîne AB1, la TNT payante était composée de sept chaînes. D'un point de vue strictement arithmétique, en formant l'hypothèse que chaque chaîne présente la même attractivité au sein du bouquet de TNT payante, la part de la redevance versée par la société TV Numéric à chacune des chaînes en 2008 aurait été de (100/7) 14,3%.
Or, le conseil relève que la part de la redevance versée à la société Canal J dans le montant total de la redevance versée par la société TV Numéric aux éditeurs était, en 2008, de [...]. Il peut être également souligné que l'offre de programmes de la chaîne Canal J, à destination de la jeunesse, n'a pas d'équivalent dans la programmation des autres chaînes de TNT payante (sport, fictions, documentaires, information), et, en ce qui concerne l'univers de la TNT gratuite, certains éléments tels que la différence de public visé par la chaîne Gulli et l'activité publicitaire de cette dernière vont dans le sens de l'argument de la société TV Numéric portant sur le caractère singulier de la chaîne Canal J au sein de l'offre en TNT.
Cependant, faute de disposer, en l'état de l'instruction, d'éléments suffisamment déterminants pour quantifier l'effet sur l'économie de la société TV Numéric de la résiliation du contrat avec la société Canal J, et notamment les conséquences de la modification de son offre initiale, le conseil ne pourra que se borner à constater la disparition d'une composante importante de l'offre de programmes en TNT payante, sans pouvoir en déduire une atteinte au principe d'équité susceptible de motiver son intervention sur le fondement de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986.
Enfin, le moyen tiré par la société TV Numéric de la méconnaissance d'un « principe de liberté commerciale » n'est pas assorti des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.

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En conséquence de tout ce qui précède, le conseil considère que la résiliation par la société Canal J du contrat de commercialisation conclu le 23 juillet 2007 avec la société TV Numéric a été faite dans des conditions objectives, équitables et non discriminatoires et qu'il y a lieu, par suite, de rejeter les demandes de la requérante autres que celles sur lesquelles il n'y a pas lieu de statuer.
Après en avoir délibéré le 20 juillet 2009, hors la présence du rapporteur,
Décide :

Article 1

Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de la société TV Numéric et de la société Canal J relatives à la date d'interruption de la diffusion du service Canal J sous condition d'accès par voie hertzienne terrestre en mode numérique.

Article 2

Le surplus des demandes de la société TV Numéric est rejeté.

Article 3

Les demandes de la société Canal J sont rejetées.

Article 4

La présente décision sera notifiée aux sociétés TV Numéric et Canal J et publiée au Journal officiel de la République française, sous réserve des secrets protégés par la loi.

Fait à Paris, le 20 juillet 2009.

Pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel :

Le président,

M. Boyon