I. - Sur la recevabilité de la demande de la société NextRadioTV
La première série de conclusions présentées par la société NextRadioTV tend à ce que le conseil déclare que la société CanalSatellite est tenue d'attribuer le numéro 15 à la chaîne BFM TV dans son plan de services.
La société CanalSatellite souligne que cette demande serait nouvelle et contradictoire avec la demande présentée initialement dans sa saisine, visant à ce qu'elle positionne BFM TV de manière contiguë à LCI et I-Télé, et que la présentation d'une telle demande additionnelle porterait atteinte au respect du principe du contradictoire, et serait donc irrecevable.
La société NextRadioTV ayant modifié sa demande à titre principal à l'occasion de ces observations en réplique, la société CanalSatellite a été en mesure d'y répondre dans ses mémoires ultérieurs. En conséquence, il n'y a pas lieu de considérer que cette modification ait pu porter atteinte au respect du principe du contradictoire.
La société NextRadioTV demande au conseil, à titre subsidiaire, de positionner BFM TV de manière non discriminatoire et équitable dans le classement thématique des chaînes d'information généralistes, étant précisé par ailleurs que le seul positionnement équitable et non discriminatoire dans un classement thématique serait un positionnement voisin des chaînes LCI et I-Télé.
Etant donné que cette demande vise à ce que le conseil précise les conditions permettant de garantir que l'offre de programmes de la chaîne BFM TV soit mise à la disposition du public dans des conditions non discriminatoires, ces conclusions, en tant qu'elles relèvent du champ d'application des dispositions de l'alinéa 2 de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, sont recevables.
II. - Sur la saisine du Conseil de la concurrence
Le conseil, réuni en assemblée plénière le 19 décembre 2006, a décidé de saisir le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, de la présente demande de règlement de différend.
Par courrier en date du 20 février 2007, le Conseil de la concurrence a fait savoir au Conseil supérieur de l'audiovisuel qu'il avait décidé « de ne pas se saisir d'office de la situation créée par les pratiques de numérotation des chaînes sur le marché de la distribution des chaînes de télévision ». Il estime que les litiges portés devant le Conseil supérieur de l'audiovisuel soulèvent en réalité un problème de principe sur le mode d'exposition des chaînes par les distributeurs et appellent une réponse générale sur le choix d'une organisation de la numérotation qui soit conforme aux règles prévues par la loi du 30 septembre 1986 et tienne compte de la nécessaire préservation des équilibres du secteur audiovisuel dans son ensemble.
Le conseil de la concurrence ajoute : « L'autorité de concurrence peut constater et sanctionner, au cas par cas, d'éventuelles pratiques de discrimination de la part d'opérateurs dominants. Elle peut aussi recueillir de leur part des engagements susceptibles de répondre à ses préoccupations de concurrence et clore l'affaire après avoir rendu obligatoires de tels engagements. Mais elle ne peut apporter, par la voie contentieuse ou négociée, de réponse satisfaisante à la question de principe évoquée plus haut, qui relève au premier chef de la compétence du régulateur spécialisé qu'est le Conseil supérieur de l'audiovisuel. »
III. - Sur le bien-fondé de la demande de la société NextRadioTV
III-1. Sur la demande principale de la société NextRadioTV
A l'appui de cette demande, la société NextRadioTV énonce les arguments suivants :
L'article 34-4 imposerait aux distributeurs de services de procéder à une numérotation qui tienne compte du statut dérogatoire des chaînes de la TNT ;
Les éditeurs de la TNT seraient soumis à des obligations particulières qui justifieraient un traitement privilégié dans la présentation qui est faite de leur service dans les offres des distributeurs ;
Le principe de neutralité technologique imposerait une présentation uniforme des chaînes selon les différentes plates-formes ;
L'arrêté du 27 décembre 2001 relatif aux équipements de réception de la TNT imposerait aux distributeurs que les chaînes de la TNT soient ordonnées selon leur numéro logique, sauf intervention spécifique de l'utilisateur ;
La numérotation logique serait la seule numérotation objective, à même de satisfaire l'objectif de non-discrimination, en ce qu'elle ne conduit pas le distributeur à porter une appréciation nécessairement subjective sur le contenu des programme.
III-1.1. Sur l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986
La société NextRadioTV soutient que le distributeur de services serait tenu par l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986 de procéder à une numérotation des chaînes de la TNT qui tienne compte du statut dérogatoire des chaînes concernées, qui ne seraient pas dans une situation identique à celle des chaînes conventionnées.
Aux termes de cet article, « Tout distributeur de services fait droit, dans des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires, aux demandes des éditeurs de services de télévision [gratuite hertzienne] tendant, d'une part, à permettre l'accès, pour la réception de leurs services, à tout terminal utilisé par le distributeur pour la réception de l'offre qu'il commercialise et, d'autre part, à assurer la présentation de leurs services dans les outils de référencement de cette offre. »
Ces dispositions visent en premier lieu à permettre l'accès des chaînes hertziennes gratuites aux décodeurs. C'est le cas de la société NextRadioTV, qui dispose effectivement d'un accès aux décodeurs de la société CanalSatellite.
En deuxième lieu, elles donnent aux chaînes hertziennes gratuites un accès aux « outils de référencement ». Or, dans sa décision n° 2004-497 DC du 1er juillet 2004, le Conseil constitutionnel a spécifié qu'il s'agissait exclusivement des « guides électroniques de programme ». L'accès aux « outils de référencement » ne concerne donc pas la numérotation.
Enfin, les distributeurs doivent faire droit aux demandes d'accès aux décodeurs « dans des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires ». Ces dispositions sont issues de la transposition en droit interne de la directive 2002/19/CE du Parlement européen et du conseil du 7 mars 2002, qui concerne les conditions économiques d'accès, dans un cadre général commun à tous les réseaux de communications électroniques, sans considération relative à la numérotation. En outre, dans sa décision susmentionnée, le Conseil constitutionnel a souligné, concernant l'article 34-4 précité, que « le législateur a entendu concilier la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle avec l'intérêt général s'attachant à la possibilité donnée aux éditeurs d'accéder aux décodeurs des distributeurs, laquelle favorise la diversification de l'offre de programmes et la liberté de choix des utilisateurs ».
Ainsi, il n'apparaît pas que le législateur ait entendu imposer aux distributeurs de services, en plus de l'obligation d'accès et de référencement des chaînes gratuites de la TNT, des obligations particulières en matière de numérotation.
En conséquence, si l'article 34-4 de la loi du 30 septembre 1986 impose aux distributeurs de services du câble, du satellite ou de l'ADSL de proposer, à la demande des éditeurs, une offre d'accès, la société NextRadioTV ne saurait se prévaloir de ces dispositions pour obtenir que le numéro 15 lui soit attribué par la société CanalSatellite.
III-1.2. Sur les obligations particulières des chaînes de la TNT
Le régime applicable à l'autorisation des services de télévision numérique terrestre, prévu aux articles 27, 28 et 30-1 de la loi du 30 septembre 1986, est différent de celui des chaînes conventionnées, spécifié aux articles 33 et 33-1. Cette différence se traduit notamment par certaines obligations supplémentaires pour les chaînes diffusées par voie hertzienne terrestre.
Par ailleurs, conformément aux principes posés par le législateur, le Conseil supérieur de l'audiovisuel doit veiller à favoriser les chaînes gratuites de la TNT.
S'agissant des chaînes gratuites du secteur privé, le III de l'article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986 dispose que « dans la mesure de leur viabilité économique et financière, notamment au regard de la ressource publicitaire, [le Conseil supérieur de l'audiovisuel] favorise les services ne faisant pas appel à une rémunération de la part des usagers et contribuant à renforcer la diversité des opérateurs ainsi que le pluralisme de l'information, tous médias confondus ».
Toutefois, même si ces dispositions permettent de favoriser les chaînes gratuites de la TNT, elles n'ont à s'appliquer que lorsqu'elles s'inscrivent dans le cadre d'un appel à candidatures. Ainsi, le régime particulier des chaînes gratuites de la TNT n'octroie pas à celles-ci un droit à une présentation uniforme ou privilégiée sur l'ensemble des vecteurs de la télévision numérique.
III-1.3. Sur le principe de neutralité technologique
L'objectif de neutralité technologique, tel que décrit dans la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002, impose que la réglementation technologique ne soit ni contraignante ni discriminatoire au bénéfice de l'utilisation d'un type particulier de technologie.
Le conseil considère que cet objectif n'impose pas aux distributeurs de numéroter les chaînes de la TNT selon le numéro logique dont elles disposent dans le cadre de leur diffusion hertzienne terrestre.
III-1.4. Sur l'arrêté du 27 décembre 2001
L'article 1er de l'arrêté du 27 décembre 2001 relatif aux caractéristiques des équipements de réception des services diffusés par voie hertzienne numérique terrestre « fixe les spécifications techniques minimales auxquelles sont conformes, en l'absence d'information contraire, les terminaux de réception mis sur le marché sur le territoire français qui permettent la réception des services diffusés par voie hertzienne numérique terrestre, selon la norme EN 300 744 ».
Cet arrêté ne concerne que les offres par voie hertzienne terrestre. Le conseil estime donc que l'argumentation de la société NextRadioTV, selon laquelle cet arrêté concernerait les terminaux des distributeurs de services payants sur les plates-formes satellites, doit être écartée.
III-1.5. Sur le caractère objectif de la numérotation logique
La numérotation logique qui a été attribuée par le conseil aux chaînes de la TNT par décision du 26 juillet 2005 présente un caractère objectif, en ce qu'elle ne repose pas sur une décision d'un distributeur fondée sur des considérations éventuellement subjectives.
Cependant, elle ne constitue pas la seule numérotation objective : des numérotations fondées sur des critères eux-mêmes objectifs et vérifiables, tels que l'audience ou l'antériorité d'occupation du numéro, peuvent présenter un caractère objectif. En particulier, une numérotation peut être fondée sur des critères de programmation, comme c'est le cas lorsque le plan de services d'un distributeur est organisé selon un classement par thématiques, et peut présenter ainsi un caractère objectif dans la mesure où les considérations qui président au classement des chaînes reposent sur des critères vérifiables, tels que les volumes de programmation ou les termes de la convention signée entre le conseil et la chaîne.
Ainsi, l'exigence d'objectivité de la numérotation ne doit pas nécessairement se traduire par l'application de la numérotation logique définie par le conseil.
De tout ce qui précède, il ressort que la demande présentée à titre principal par la société NextRadioTV doit être rejetée.
III-2. Sur la demande subsidiaire de la société NextRadioTV
III-2.1. Le positionnement de BFM TV dans le plan de services de CanalSatellite
Le conseil a pris connaissance des changements intervenus dans le plan de service de CanalSatellite le 19 décembre 2006, en particulier de la modification de l'ordre des chaînes au sein de la thématique « Information » (I-Télé, LCI, Euronews, LCP, BFM TV, Bloomberg TV, France 24, CNN, BBC World, CNBC Europe).
La convention signée entre le conseil et la société NextRadioTV stipule, en son article 3-1-1, que « le service [BFM TV] est consacré à l'information, notamment à l'information économique et financière. Il offre un programme réactualisé en temps réel couvrant tous les domaines de l'actualité ».
Le conseil considère donc que c'est à juste titre que la société CanalSatellite classe BFM TV au sein de la thématique « information ».
Par ailleurs, le conseil estime que les différences de langues justifient un traitement différencié de cette chaîne par rapport aux chaînes anglophones CNN, BBC World et CNBC Europe.
Concernant la chaîne Euronews, sa charte éditoriale mentionne que cette « chaîne européenne de télévision multilingue d'information [propose] un programme d'information en continu ». Sa programmation la classe dans la catégorie des chaînes d'information généralistes, et son ancienneté dans le plan de services de CanalSatellite pourrait justifier son classement auprès de chaînes d'informations I-Télé et LCI.
En revanche, BFM TV se distingue des chaînes d'information I-Télé, LCI et Euronews en ce qu'elle est consacrée notamment à l'information économique et financière. Cette caractéristique la rapproche de la chaîne Bloomberg TV et pourrait justifier d'un traitement différencié d'I-Télé et LCI.
Par ailleurs, les obligations de service public pourraient constituer une justification objective du positionnement antérieur de LCP par rapport à BFM TV dans le plan de services.
En conséquence, le conseil estime qu'un traitement discriminatoire de BFM TV par rapport aux chaînes d'informations LCI et I-Télé du point de vue de la numérotation n'est pas établi.
III-2.2. La présence de BFM TV sur la « mire » de CanalSatellite
La société NextRadioTV affirme que la chaîne BFM TV ne serait pas présente sur la « mire » (ou mosaïque de présentation des chaînes) de CanalSatellite, et qu'elle serait sous-représentée sur le site internet du distributeur. Elle considère que ces éléments seraient constitutifs d'un traitement discriminatoire de la société CanalSatellite à l'encontre de BFM TV.
Le conseil estime que les pièces versées à l'appui de ces affirmations, ainsi que les éléments en réponse de la société CanalSatellite, ne permettent pas d'apprécier la réalité d'un traitement discriminatoire.
Il résulte de ce qui précède que la demande subsidiaire présentée par la société NextRadioTV doit être rejetée.
Décide :
1 version