JORF n°136 du 13 juin 2004

Décision n°2004-376 du 4 mai 2004

L'Autorité de régulation des télécommunications,

Vu la directive 97/33/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 1997 relative à l'interconnexion dans le secteur des télécommunications en vue d'assurer un service universel et l'interopérabilité par l'application des principes de fourniture d'un réseau ouvert (ONP) ;

Vu la directive 98/10/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 1998 concernant l'application de la fourniture d'un réseau ouvert (ONP) à la téléphonie vocale et l'établissement d'un service universel des télécommunications dans un environnement concurrentiel ;

Vu la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») ;

Vu la directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l'accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu'à leur interconnexion (directive « accès ») ;

Vu le code des postes et télécommunications, notamment ses articles L. 34-8, L. 36-8 et R. 11-1 ;

Vu l'arrêté du 29 mars 1998 autorisant la société Outremer Télécom à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public et à fournir le service téléphonique au public ;

Vu l'arrêté du 12 mars 1998 modifié autorisant la société France Télécom à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public et à fournir le service téléphonique au public ;

Vu la décision n° 2002-593 de l'Autorité de régulation des télécommunications, en date du 18 juillet 2002, établissant pour 2003 les listes des opérateurs exerçant une influence significative sur le marché des télécommunications ;

Vu la décision n° 2002-1191, du 19 décembre 2002, complétant la décision susvisée ;

Vu la décision n° 2003-907 de l'Autorité de régulation des télécommunications, en date du 24 juillet 2003, établissant pour 2004 les listes des opérateurs exerçant une influence significative sur le marché des télécommunications ;

Vu la décision n° 97-455 du 17 décembre 1997 portant adoption de lignes directrices sur les conditions d'accès aux câbles sous-marins ;

Vu la décision n° 99-528 de l'Autorité de régulation des télécommunications, en date du 18 juin 1999, portant règlement intérieur ;

Vu la décision n° 2003-1083 de l'Autorité de régulation des télécommunications, en date du 2 octobre 2003, portant modification de la décision susvisée ;

Vu la demande de règlement d'un différend, enregistrée le 6 janvier 2004, présenté par la société Outremer Télécom, RCS de Fort-de-France n° B 383 678 760, dont le siège social est situé ZI La Jambette, 97232 Lamentin, représentée par Me Frédérique Dupuis-Toubol, cabinet Bird & Bird, centre d'affaires Edouard-VII, 6, rue Caumartin, 75009 Paris ;

La société Outremer Télécom demande à l'Autorité :

- de constater le refus de France Télécom de négocier pour certaines prestations et l'échec des négociations pour les autres prestations ;

- de faire injonction à France Télécom de communiquer, d'une part, la convention qui la lie à Equant, en ce qui concerne les services de liaisons entre la Réunion et la métropole, et, d'autre part, son modèle de coûts constitué selon la méthodologie des CMILT pour chacune des prestations demandées par Outremer Télécom ;

- d'imposer à France Télécom de fournir les services suivants :

1. fourniture d'IRU entre la Réunion et la métropole à un tarif au moins cinq fois inférieur à celui proposé par France Télécom le 8 octobre 2003 ;

2. de fixer les tarifs des liaisons louées vers la métropole au tarif de 1 550 EUR HT mensuels par Mbit/s ;

3. de fixer le tarif des FAS applicables aux liaisons louées à un niveau équivalent aux FAS applicables aux liaisons louées du catalogue d'interconnexion en vigueur ;

- d'imposer à France Télécom de signer avec Outremer Télécom une convention d'accès en conformité avec les dispositions précédentes, dans un délai de quatre semaines à compter de la notification de sa décision.

I. - EXPOSÉ DES FAITS
1.1. Présentation d'Outremer Télécom

Outremer Télécom précise qu'elle est un opérateur privé français disposant d'une licence L. 33-1 et L. 34-1 sur les quatre DOM (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion) et en Ile-de-France.

1.2. Le rôle de France Télécom à la Réunion

Outremer Télécom indique que France Télécom intervient à la Réunion sur le marché des communications fixes de détail, sur le marché de la téléphonie et celui des liaisons spécialisées. Outremer Télécom précise que s'agissant du marché de l'accès à internet à la Réunion, France Télécom via Wanadoo avait conquis 50 000 clients internet mi-2002 pour son accès bas débit, représentant 90 % du marché et plus de 5 000 abonnés ADSL représentant 97 % de part de marché d'accès à internet haut débit. Concernant le marché de gros, notamment les prestations proposées aux FAI et aux opérateurs se développant dans le secteur de l'internet, France Télécom propose différentes solutions pour les transmissions locales et les communications longue distance.
Outremer Télécom précise, d'une part, qu'avant le mois de juin 2002 France Télécom fournissait ses offres de transport longue distance à partir de segments satellitaires, d'autre part, qu'aujourd'hui la plupart de ces offres empruntent l'infrastructure du câble sous-marin SAT-3/WASC/SAFE mis en service en juin 2002. Outremer Télécom souligne que France Télécom n'a pas révisé ses offres de gros pour les opérateurs alternatifs et FAI afin de prendre en compte la mise en place du câble sous-marin. Outremer Télécom a donc dû entamer des négociations commerciales avec France Télécom afin d'obtenir une baisse sensible des tarifs de France Télécom et des engagements de qualité de service correspondant à la nouvelle architecture technique d'acheminement des données via un câble sous-marin.

1.3. Sur l'échec des négociations

Outremer Télécom indique que, le 11 juillet 2003, elle demandait à France Télécom l'ouverture d'une négociation commerciale faisant suite à la mise en service du câble SAFE à la Réunion depuis un an, afin d'obtenir un certain nombre d'offres portant en particulier sur les prestations suivantes :
IRU sur le SAFE ;
Liaisons de backhaul ;
Offres de liaisons louées ;
Service de transmission de données ATM ou FR ;
Offres de transit IP.
Outremer Télécom précise que, le 4 août 2003, France Télécom souhaitait connaître ses demandes prioritaires ainsi qu'une estimation planifiée des besoins en capacité. Par un courrier en date du 11 août 2003, Outremer Télécom précisait les prestations pour lesquelles elle souhaitait obtenir de manière prioritaire une offre et donnait une prévision de ses besoins en capacité jusqu'en 2006. Outremer Télécom souligne que France Télécom lui a transmis une proposition le 8 octobre 2003, soit trois mois après sa demande.
Elle indique que cette solution était limitée aux offres suivantes :
- une solution de transit IP international sans accès au point de présence de la Réunion, c'est-à-dire avec un passage obligé par la métropole pour chaque communication, fût-elle locale ;
- des liaisons louées point à point en circuit complet de 2,34 et 45 Mbits/s entre le POP d'Outremer Télécom de la Réunion et celui de Paris.
Dans un courrier en date du 10 novembre 2003, Outremer Télécom faisait part à France Télécom de sa déception sur les aspects techniques et tarifaires des offres faites par France Télécom.
En conséquence, dans ce même courrier, Outremer Télécom demandait à France Télécom de lui confirmer qu'elle acceptait une modification substantielle de sa proposition, notamment :
- de revenir sur son refus de négocier pour les demandes relatives à des circuits complets de la Réunion vers l'Afrique du Sud, l'Inde et l'île Maurice et au titre des IRU ;
- d'accepter de modifier l'architecture de son offre de transit IP afin de fournir une proposition de transit IP à partir d'un POP IP situé à la Réunion ;
- d'accepter, tant pour le transit IP que pour les liaisons louées, le principe d'un prix au mégabit qui soit environ 10 fois inférieur au tarif demandé, ainsi qu'un tarif réellement orienté vers les coûts pour les FAS.
Outremer Télécom indiquait à France Télécom que, sans réponse dans les 15 jours, elle considérerait ce silence comme valant refus de faire droit à ses demandes de modification et de complément des offres reçues.
Outremer Télécom souligne que, par un courrier en date du 9 décembre 2003, France Télécom complétait sa proposition par des offres de demi-circuits 2 Mbits/s en IRU sur l'Afrique du Sud, l'île Maurice et l'Inde, mais ne répondait pas aux demandes de modifications de ses propositions de liaisons louées et d'IRU entre la Réunion et la métropole.
Outremer Télécom indique que par un courrier en date du 29 décembre 2003, elle n'a pu que constater l'échec des négociations pour ces demandes de liaisons louées et d'IRU entre la métropole et la Réunion et a saisi l'Autorité.

II. - EXPOSÉ DES MOYENS

Outremer Télécom considère que les prestations qu'elle demande relèvent de l'interconnexion ou/et des prestations d'accès au réseau de France Télécom, au sens de l'article L. 34-8 du code des postes et télécommunications. Outremer Télécom estime que le refus de négociation opposé par France Télécom pour certaines des offres demandées et l'échec des négociations ainsi que les désaccords constatés pour les autres offres relèvent de la compétence de l'Autorité.

2.1. Les demandes d'Outremer Télécom sont légitimes et justifiées

Outremer Télécom indique que les câbles sous-marins sont adaptés à des transmissions point à point, tandis que les satellites répondent mieux à des besoins de communication point-multipoint, et que les capacités offertes par les câbles se mesurent en giga-bits ou en terra-bits plutôt qu'en méga-bits pour les satellites.
En conséquence, Outremer Télécom indique qu'elle axe principalement son développement sur la fourniture de services à la Réunion et est légitime à demander une offre s'appuyant sur la technologie du câble sous-marin SAFE avec l'usage de capacités satellitaires limitées à la fourniture de solutions de secours en cas de panne du câble sous-marin.
Sur les demandes de liaisons louées :
Outremer Télécom estime que cette prestation permettrait de répondre à ses besoins pour les raisons suivantes :
- les liaisons louées permettent d'acheminer le trafic d'Outremer Télécom vers le réseau mondial via des prestataires de transit IP de son choix, et donc, sans nécessairement recourir à l'offre de transit IP de France Télécom ;
- les liaisons louées permettent à Outremer Télécom de se relier au réseau internet mondial via les points de la zone et les fournisseurs les plus compétitifs ;
- les liaisons louées permettent d'acheminer le trafic téléphonique collecté par Outremer Télécom et à destination de la métropole afin qu'il puisse être pris en charge par un opérateur en métropole afin d'être terminé.
Sur la demande d'IRU :
Outremer Télécom estime que cette prestation apparaît comme une alternative intéressante à la location de liaisons louées qui lui permet de s'insérer en amont de la chaîne de valeur pour les services de télécommunications entre la Réunion et la métropole.
Sur la demande de demi-circuits :
Outremer Télécom indique que ces offres lui permettent de choisir sur quel segment du transport il est préférable d'utiliser France Télécom ou tout autre opérateur de son choix. Outremer Télécom note que France Télécom n'a pas fait d'offres de demi-circuits vers le Portugal et observe que le prolongement en partie terrestre est plus de quatre fois plus cher à la Réunion qu'en Martinique ([...] par mois contre [...] entre le POP d'Outremer Télécom en Martinique et la tête de câble au Lamentin).
Elle considère qu'en l'absence d'offres pour les deuxièmes demi-circuits entre l'Afrique du Sud, l'Inde, l'île Maurice, l'Inde et la métropole, elle n'est pas en mesure d'apprécier l'intérêt réel des propositions de demi-circuit de France Télécom.
Outremer Télécom souligne que les demandes de prestations d'interconnexion qu'elle a formulées à France Télécom dans le cadre des négociations commerciales sont raisonnables au regard de ses besoins au sens de l'article L. 34-8 du code des postes et télécommunications.

2.2. France Télécom dispose de la capacité pour satisfaire
les demandes d'Outremer Télécom

Outremer Télécom considère que France Télécom dispose de la capacité pour satisfaire ses demandes car elle dispose de 15 % des capacités globales de ce câble mis en oeuvre au cours de l'année 2002.
Outremer Télécom demande à l'Autorité d'imposer à France Télécom de revoir les conditions de son offre Opentransit IP afin d'ouvrir au bénéfice d'Outremer Télécom l'accès à un POP IP situé à la Réunion à un tarif orienté vers les coûts et dans des conditions non discriminatoires par rapport à celles faites à Wanadoo.

2.3. Les tarifs proposés par France Télécom
sont manifestement non orientés vers les coûts

Les principes devant être respectés dans la fixation des tarifs de France Télécom Outremer Télécom indiquent que France Télécom est tenue de justifier que chacun des tarifs proposés respecte le principe d'orientation vers les coûts, conformément à l'article 7-2 de la directive 97/33/CE « Interconnexion » et de l'article 13-3 de la directive 2002/19/CE « Accès ».
Outremer Télécom constate qu'au cas d'espèce, France Télécom n'a fourni aucun élément attestant ses coûts.
Elle précise qu'à défaut de fournir de tels éléments dans le cadre du présent litige, l'Autorité pourra légitimement se fonder sur les éléments de comparaison et sur les différentes incohérences entre les tarifs de France Télécom pour imposer à cette dernière de réduire ses tarifs, conformément aux demandes présentées par Outremer Télécom.
Outremer Télécom rappelle que, dans la perspective de la production par France Télécom de ses coûts, ceux-ci doivent être examinés à l'aune de la méthode des coûts moyens incrémentaux à long terme désignée « CMILT ». Elle estime que cette méthode présente l'avantage de favoriser la dynamique du marché de l'internet qui connaît une grande élasticité aux prix et qui peut, à la Réunion, connaître une croissance rapide et soutenue si les prix d'accès au service internet à haut débit diminuent rapidement.
Les tarifs proposés par France Télécom ne peuvent être orientés vers les coûts tant ils sont exorbitants et incohérents
Afin de démontrer le caractère exorbitant des coûts, Outremer Télécom a comparé les tarifs proposés par France Télécom à ceux pratiqués, tant par France Télécom que par d'autres acteurs (Mauritius Télécom, Flag Télécom), pour des prestations analogues dans d'autres zones que la Réunion.
En outre, Outremer Télécom indique qu'elle observe des incohérences de tarifs de la proposition faite par France Télécom attestant de leur caractère non orienté vers les coûts, tant au regard des tarifs de détail pratiqués par France Télécom, qu'en fonction des différences de tarifs selon le volume commandé à France Télécom ainsi qu'à l'aune des distances parcourues.

Des incohérences au regard des tarifs de détail

Outremer Télécom estime que la proposition de France Télécom, s'agissant des FAS tant de l'offre de transit IP que pour les liaisons louées, est identique aux FAS facturés à des clients finals non opérateurs via l'offre commerciale de France Télécom et sont donc loin d'être orientées vers les coûts. Elle précise que l'offre faite à Outremer Télécom, pour les liaisons louées, comporte des FAS de 4 400 EUR pour une liaison louée 2 Mbits/s, prix pratiqués aux usagers finals alors que le catalogue d'interconnexion prévoit des FAS d'un montant de 832,80 EUR pour une même liaison, soit plus de 5 fois inférieur.
Outremer Télécom demande à l'Autorité de dire que le tarif des FAS applicables tant à l'offre de liaison louée qu'à l'offre de transit IP devra être égal au tarif des FAS des liaisons louées tel que figurant dans le catalogue d'interconnexion en cours.

Des incohérences au regard des volumes

Outremer Télécom indique que l'achat et la mise en service de capacités sur le câble sous-marin se font au niveau d'affluents E3/DS3 ou STM1, mais que le taux de remplissage de telles capacités est toujours élevé. Le niveau de sur cote pour un lien de faible capacité ne devrait donc pas excéder 10 % dans le cadre d'une orientation vers les coûts ; or les chiffres proposés par France Télécom sont bien différents.
En outre, Outremer Télécom estime qu'il y a des incohérences au regard des distances.
Dans ces conditions, Outremer Télécom considère que ces multiples incohérences confirment que les tarifs proposés par France Télécom ne sont pas orientés vers les coûts et Outremer Télécom est dès lors légitime à solliciter que l'Autorité fixe les tarifs de France Télécom selon ses propositions.

2.4. Le respect du principe de non-discrimination

Outremer Télécom indique que France Télécom est tenue de lui offrir des services d'interconnexion ou d'accès dans des conditions non discriminatoires par rapport à celles consenties à d'autres entités de France Télécom comme Equant, tant en application de l'article L. 34-8 du code des postes et télécommunications, que des directives 97/33/CE et 02/19/CE.
Elle précise que la société Equant aurait été en mesure de proposer à une entreprise réunionnaise une liaison de 2 mégabits à 7 000 EUR par mois entre la Réunion et la métropole. Elle indique qu'une telle offre n'est pas possible si Equant loue à France Télécom les liaisons au même tarif qu'Outremer Télécom.
Ainsi, Outremer Télécom souhaite, d'une part, bénéficier d'offres qui ne soient pas moins favorables que celles dont bénéficie Equant, et ce, tant en termes de solutions techniques mises en oeuvre que de tarifs, d'autre part, obtenir la convention liant France Télécom à Equant.
Vu la lettre du chef du service juridique de l'Autorité, en date du 13 janvier 2004, communiquant aux parties le calendrier prévisionnel de dépôt des mémoires et le nom des rapporteurs ;
Vu la lettre de l'adjoint au chef du service juridique, en date du 23 janvier 2004, adressant un questionnaire aux parties et fixant au 12 février 2004 la date de clôture de remise des réponses ;
Vu les observations en défense enregistrées le 5 février 2004, présentées par la société France Télécom, RCS Paris n° 380.129.866 Paris, dont le siège social est situé 6, place d'Alleray, 75505 Paris Cedex 15, représentée par M. Jacques Champeaux, secrétaire général ;

Fait à Paris, le 4 mai 2004.

Le président,

P. Champsaur