JORF n°162 du 14 juillet 2000

Décision n°2000-432 DC du 12 juillet 2000

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 29 juin 2000, par MM. Josselin de Rohan, Pierre André, Philippe Arnaud, Denis Badré, José Balarello, Mme Janine Bardou, MM. Michel Bécot, Georges Berchet, Jean Bernard, Jean Bizet, Paul Blanc, Mme Annick Bocandé, MM. Christian Bonnet, James Bordas, Joël Bourdin, Jean Boyer, Louis Boyer, Dominique Braye, Mme Paulette Brisepierre, MM. Louis de Broissia, Michel Caldaguès, Robert Calméjane, Jean-Pierre Cantegrit, Jean-Claude Carle, Auguste Cazalet, Charles Ceccaldi-Raynaud, Gérard César, Jean Chérioux, Marcel-Pierre Cleach, Jean Clouet, Gérard Cornu, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Xavier Darcos, Luc Dejoie, Jean Delaneau, Jean-Paul Delevoye, Robert Del Picchia, Charles Descours, André Diligent, Jacques Dominati, Michel Doublet, Paul Dubrule, Alain Dufaut, André Dulait, Ambroise Dupont, Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, Jean-Paul Emorine, Michel Esneu, Hubert Falco, André Ferrand, Hilaire Flandre, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Serge Franchis, Philippe François, Jean François-Poncet, Yann Gaillard, René Garrec, Philippe de Gaulle, Patrice Gélard, Alain Gérard, François Gerbaud, Francis Giraud, Daniel Goulet, Alain Gournac, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Hubert Haenel, Mme Anne Heinis, MM. Rémi Herment, Daniel Hoeffel, Jean Huchon, Jean-François Humbert, Jean-Jacques Hyest, André Jourdain, Alain Joyandet, Pierre Laffitte, Lucien Lanier, Gérard Larcher, Patrick Lassourd, Edmond Lauret, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Serge Lepeltier, Jean-Louis Lorrain, Roland du Luart, Jacques Machet, Kléber Malécot, André Maman, Max Marest, Philippe Marini, René Marques, Paul Masson, Jean-Luc Miraux, Louis Moinard, Bernard Murat, Philippe Nachbar, Paul Natali, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Michel Pelchat, Jean Pépin, Xavier Pintat, Bernard Plasait, Guy Poirieux, André Pourny, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Henri de Raincourt, Charles Revet, Henri Revol, Henri de Richemont, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Michel Rufin, Jean-Pierre Schosteck, Michel Souplet, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, René Trégouët, François Trucy, Maurice Ulrich, Jacques Valade, André Vallet, Alain Vasselle, Albert Vecten, Jean-Pierre Vial, Xavier de Villepin, Serge Vinçon et Guy Vissac, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi de finances rectificative pour 2000 ;

Le Conseil constitutionnel,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Vu le code général des impôts ;

Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 6 juillet 2000 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Considérant que les sénateurs, auteurs de la saisine, défèrent au Conseil constitutionnel la loi de finances rectificative pour 2000 et lui demandent de déclarer le I de son article 11 non conforme à la Constitution ;

Considérant que le I de l'article 11 a pour objet de supprimer la part régionale de la taxe d'habitation et prévoit, en contrepartie, une compensation financière versée par l'Etat ;

Considérant que les sénateurs requérants soutiennent que ces dispositions porteraient atteinte à plusieurs titres au principe de libre administration des collectivités territoriales affirmé à l'article 72 de la Constitution ; qu'ils allèguent, en premier lieu, que « la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation ampute de 22,5 % les recettes de fiscalité directe perçues par les régions et de 7,2 % leurs recettes totales hors emprunt » ; qu'ils soutiennent, en deuxième lieu, que cette suppression n'est que partiellement compensée par l'Etat, la compensation étant indexée sur la dotation globale de fonctionnement dont la progression depuis 1990 a été plus faible que celle des bases de la taxe d'habitation ; qu'enfin, ils font valoir que la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation ajoute ses effets à ceux de la réforme de la taxe professionnelle résultant de la loi de finances pour 1999 et qu'« il convient de fixer une limite au remplacement des impôts locaux par des dotations de l'Etat, dès lors que la capacité de mobilisation autonome des ressources est un élément de la libre administration des collectivités territoriales » ;

Considérant que si, en vertu de l'article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils élus », chacune d'elles le fait « dans les conditions prévues par la loi » ; que l'article 34 de la Constitution réserve au législateur la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources, ainsi que la fixation des règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ;

Considérant, toutefois, que les règles posées par la loi sur le fondement de ces dispositions ne sauraient avoir pour effet de diminuer les ressources globales des collectivités territoriales ou de réduire la part des recettes fiscales dans ces ressources au point d'entraver leur libre administration ;

Considérant qu'en contrepartie de la suppression, à compter de 2001, de la part régionale de la taxe d'habitation, la loi prévoit une compensation, par le budget de l'Etat, de la perte de recettes supportée par les régions ; qu'il est précisé au 2 du I de l'article 11 que « Cette compensation est égale au produit des rôles généraux de taxe d'habitation ou de taxe spéciale d'équipement additionnelle à la taxe d'habitation émis au profit de chaque région et de la collectivité territoriale de Corse en 2000 revalorisé en fonction du taux d'évolution de la dotation globale de fonctionnement » et que, « à compter de 2002, le montant de cette compensation évolue chaque année comme la dotation globale de fonctionnement » ; que les dispositions critiquées, si elles réduisent de nouveau la part des recettes fiscales des régions dans l'ensemble de leurs ressources, n'ont pour effet ni de restreindre la part de ces recettes ni de diminuer les ressources globales des régions au point d'entraver leur libre administration ;

Considérant qu'il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel d'examiner d'office aucune question de conformité à la Constitution,

Décide :

LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2000

Art. 1er. - Est déclaré conforme à la Constitution le I de l'article 11 de la loi de finances rectificative pour 2000.

Art. 2. - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 juillet 2000, où siégeaient : MM. Yves Guéna, président, Georges Abadie, Michel Ameller, Jean-Claude Colliard, Alain Lancelot, Mme Noëlle Lenoir, M. Pierre Mazeaud et Mmes Monique Pelletier et Simone Veil.

Dans leur saisine, 60 sénateurs avaient demander que l'article 11, supprimant la part régionale de la taxe d'habitation et prévoyant, en contrepartie, une indemnité financière versée par l'Etat, soit déclaré non conforme à la constitution, notamment au regard du principe de libre administration des collectivités locales. Le Conseil constitutionnel n'a pas donné droit à cette analyse.

L'examen du collectif budgétaire adopté le 28 juin 2000 a conduit le Conseil constitutionnel à juger que, eu égard tant à la part que conserveront les recettes de fiscalité directe des régions dans l'ensemble de leurs ressources qu'au mécanisme de compensation retenu (dotation budgétaire de l'Etat égale au produit des rôles de l'année 2000 indexé sur la dotation globale de fonctionnement), la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, prévue par le I de l'article 11 de la loi de finances rectificative, ne restreindrait pas leurs recettes au point d'entraver leur libre administration.

En effet, le Conseil a considéré à plusieurs reprises que, pour ne pas faire entrave au principe de libre administration des collectivités territoriales issu de l'article 72 de la constitution, les règles édictées par le législateur sur le fondement de l'article 34 ne doivent pas avoir pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration. C'est eu égard au montant de la ressource en cause par rapport à l'ensemble des recettes que doit être apprécié l'effet de la suppression (n° 90-277 DC du 25 juillet 1990; n° 91-291 DC du 6 mai 1991, n° 91-298 DC du 24 juillet 1991, n° 98-405 DC du 29 décembre 1998).

C'est au cas par cas que le Conseil se prononce sur la question de savoir si le seuil de " dépendance critique " est ou non dépassé au regard des exigences constitutionnelles. En l'espèce, il peut être relevé que, après la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, les recettes fiscales des régions représenteront encore 36,6 % de leurs recettes totales hors emprunt, en prenant en compte la réforme de la taxe professionnelle. Cette proportion est encore suffisante pour considérer que, même si ses effets s'ajoutent à ceux de mesures récentes d'exonération d'impôts locaux (nt. la part salariale de la taxe professionnelle), la réforme critiquée ne réduira pas la marge de manœuvre fiscale des régions au point d'entraver leur libre administration. Quant au mode d'indexation choisi pour la compensation, il n'est pas inéquitable, puisque les augmentations respectives de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et du produit voté de la taxe d'habitation ont été voisines au cours des trois dernières années. En tout état de cause, il n'existe pas de règle de valeur constitutionnelle obligeant l'Etat à compenser " au franc le franc " une mesure d'exonération d'impôt local, pas plus d'ailleurs qu'un transfert de compétence.

Le président,

Yves Guéna