JORF n°0232 du 5 octobre 2016

Décision du 9 mai 2016

La directrice générale de l'Agence de la biomédecine,

Vu le code de la santé publique, notamment les articles L. 2151-5 et R. 2151-1 à R. 2151-12 ;

Vu les décisions de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine du 13 juillet 2006 et 17 décembre 2010 autorisant l'hôpital Saint-Louis (unité de thérapie cellulaire, Paris) à mettre en œuvre un protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ;

Vu la décision du 8 septembre 2015 modifiant la décision 2013-11 du 17 septembre 2013 fixant le modèle de dossier de demande des autorisations mentionnées à l'article R. 2151-6 du code de la santé publique ;

Vu la demande présentée le 31 octobre 2015 par l'hôpital Saint-Louis (unité de thérapie cellulaire, Paris) aux fins d'obtenir le renouvellement de son autorisation de protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ;

Vu les informations complémentaires apportées par le demandeur ;

Vu le rapport de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine en date du 21 décembre 2015 ;

Vu les rapports d'expertise en date du 27 janvier et 8 mars 2016 ;

Vu l'avis émis par le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine le 7 avril 2016 ;

Considérant qu'une première autorisation a été accordée à cette équipe en 2006 pour une durée de cinq ans et a fait l'objet d'un renouvellement en 2010 pour cinq années supplémentaires ; que la demande s'inscrit dans la continuité du protocole précédent ;

Considérant que le protocole du professeur Jérôme Larghéro s'inscrit dans un projet plus vaste qui a débuté il y a dix ans et concerne plusieurs équipes ; que l'objectif est de proposer une démarche thérapeutique dans le traitement des insuffisances cardiaques post-ischémiques fondée sur l'utilisation de précurseurs cardiomyocytaires dérivés de cellules souches embryonnaires humaines ; que cette démarche s'est concrétisée par l'autorisation d'un protocole de recherche biomédicale pilote (le premier au monde pour cette indication) délivrée en 2013 par l'ANSM au professeur Philippe Ménasché, que trois patients (sur les six que comprendra l'essai) ont été inclus à ce jour ;

Considérant que, depuis 2006, cinq autres équipes sont ou ont été impliquées dans ce projet : initialement, l'équipe de Michel Pucéat, qui a mis au point les conditions de culture adéquates pour la différenciation des cellules souches embryonnaires humaines en précurseurs cardiaques ; l'équipe chirurgicale du professeur Philippe Ménasché, qui greffe les précurseurs cardiaques ainsi différenciés ; deux équipes responsables de la mise en place des procédés de transfert de technologie nécessaires à la production d'un greffon cellulaire dans le respect des bonnes pratiques de grade clinique (Jérôme Larghéro à Saint-Louis d'une part et l'entreprise MabGene qui a initialement produit la banque amplifiée de CSEh en conditions GMP (Good Manufacturing Practices, bonnes pratiques de fabrication) d'autre part ; et enfin l'entreprise TexCell qui a validé la sécurité sanitaire de la banque ;

Considérant que l'équipe du professeur Jérôme Larghéro, qui dirige le laboratoire de thérapie cellulaire de l'hôpital Saint-Louis à Paris, est chargée de mettre au point, dans les conditions réglementairement définies par les règles de bonnes pratiques de fabrication, les procédures de transfert de technologie permettant, à terme, de transformer une lignée de cellules souches embryonnaires humaines en un produit de thérapie cellulaire de grade clinique susceptible de faire l'objet d'applications thérapeutiques ;

Considérant que le conseil d'orientation souligne que plusieurs étapes importantes ont été franchies depuis que le protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines a fait l'objet d'un renouvellement d'autorisation en 2010 ; que le projet a progressé d'une étape préclinique à la mise en route d'un protocole de recherche biomédicale autorisé (amplification de la lignée de CSEH I6 sur des fibroblastes humains de grade clinique dans les conditions requises, spécification cardiaque dans un milieu défini dépourvu de tout produit xénogénique, sélection des cellules cardio-spécifiées à l'aide d'un anticorps anti-CD15, ensemencement des progéniteurs recueillis sur un patch de fibrine de grade clinique et évaluation de la greffe des patchs cellularisés dans les modèles animaux d'infarctus du myocarde, sécurisation virologique, génétique et oncologique des banques de cellules, caractérisation du potentiel alloréactif de la lignée de cellules afin de définir la stratégie d'immunomodulation permettant le meilleur rapport bénéfice/risque, validation d'une couverture par le volet de l'épicarde in situ lors de la greffe afin d'améliorer la survie des cellules et validation du produit final sur le modèle classique d'infarctus chez le rat et évaluation 4 mois après la greffe) ;

Considérant qu'à chacune des étapes de la préparation du produit de thérapie cellulaire, les différents contrôles de qualité sont effectués au sein de l'unité de thérapie cellulaire de l'hôpital Saint-Louis ; que l'équipe a notamment travaillé sur la caractérisation en détail des cellules CD15+ et CD15- avec un anticorps anti-CD15 et sur la mise au point d'un biomatériau sélectionné ; que l'équipe s'est également attachée à standardiser les procédures et à rechercher de nouveaux substrats de culture et procédures de repiquage des cellules (lors de leur amplification) ;

Considérant que s'agissant des premiers patients inclus dans l'essai clinique, les premières évaluations permettent de constater l'absence d'effets délétères détectables avec un recul de 16 mois ; que les cellules greffées ne remplacent pas les cardiomyocytes détruits et disparaissent probablement rapidement de la région traitée ; qu'il est donc envisagé un effet paracrine des cellules (s'exerçant sur les tissus voisins), de type trophique (participant à la nutrition et la croissance des tissus), qui agirait sur les précurseurs endogènes ; que l'équipe soulève la possibilité que des microvésicules sécrétées par les précurseurs greffés puissent être efficaces. Cette hypothèse sera explorée in vitro dans le cadre du programme de renouvellement ;

Considérant qu'outre la production pour l'essai clinique des précurseurs cardiaques qui se poursuivra à partir de la lignée de cellules souches embryonnaires I6, l'équipe souhaite poursuivre son projet en se consacrant à l'étude de certaines limitations du protocole, notamment pour ce qui concerne la purification des cellules ; que l'obtention d'une suspension unicellulaire lors de cette étape de purification se heurte en outre à la formation d'agrégats ; que l'équipe de Jérôme Larghéro prévoit donc d'améliorer l'obtention d'une suspension sans agrégats afin d'accroître le nombre de cellules récupérées en modifiant le substrat lors de la culture, en travaillant sur une nouvelle technique de purification impliquant une sélection par champ magnétique et sur une nouvelle approche n'utilisant pas d'anticorps, fondée sur la séparation des cellules dans un flux continu en fonction de forces acoustiques générées par des ultrasons d'autre part, et enfin l'analyse du rôle potentiel de microvésicules secrétées par les précurseurs greffés ;

Considérant que la finalité médicale du projet et l'objectif thérapeutique ne font aucun doute ; que les objectifs envisagés sont en lien direct avec le protocole de recherche biomédicale autorisé par l'ANSM en 2013 en vue de traiter l'insuffisance cardiaque sévère ;

Considérant qu'en l'état des connaissances scientifiques, elle ne peut être menée sans recourir à des cellules souches embryonnaires humaines ; que le résultat escompté ne peut être obtenu par d'autres moyens, notamment par le recours exclusif à d'autres cellules souches ;

Considérant que les travaux initiaux conduits par le professeur Jérôme Larghéro utilisant des cellules souches du muscle squelettique n'ont pas été concluants, malgré leurs nombreux avantages (origine autologue, multiplication rapide en culture, forte résistance à l'ischémie), et n'ont pas permis d'améliorer la fonction ventriculaire gauche, objectif recherché (dans un essai clinique de phase I, les patients recevant ces cellules musculaires autologues en complément de pontages aorto-coronaires n'ont pas montré de bénéfice par rapport à un groupe contrôle) ; que d'autres modèles cellulaires ont également été explorés à partir de la moelle osseuse grâce à l'utilisation de progéniteurs hématopoïétiques puis de cellules stromales de la moelle osseuse et, enfin, avec des cellules squelettiques à potentialité cardio-myogénique ; qu'après une phase pilote sur des cellules souches embryonnaires murines, démontrant de manière claire une différenciation cardiomyocytaire sans provoquer de tératome après injection chez l'animal, l'équipe s'est orientée vers l'utilisation des cellules souches embryonnaires humaines ;

Considérant que, depuis 2011, plusieurs essais cliniques ont débuté avec des cellules dérivées de CSEh, dans plusieurs indications, notamment dans le cas de traumatismes de la moelle épinière, d'affections oculaires, d'insuffisance cardiaque, ou de troubles métaboliques (diabète) ; que plus de quatre-vingt patients ont été inclus à ce jour dans cinq pays (USA, Royaume-Uni, Corée du Sud, France, Israël), et aucun effet délétère grave imputable à une toxicité des cellules n'a été observé ; qu'en revanche, le seul essai clinique mené au Japon avec des cellules souches pluripotentes induites iPS (autologues) a été interrompu ;

Considérant que les conséquences des anomalies génétiques et des modifications épigénétiques (multiples et différentes pour chaque lignée) créées par le processus de reprogrammation lui-même et le processus de différenciation des cellules iPS sont encore mal appréciées, et, en ce sens, ne font que renforcer la nécessaire comparaison avec des cellules CSEh ; qu'une des plus grandes difficultés actuelles est l'extrême hétérogénéité des lignées d'iPS, due à la diversité des techniques de reprogrammation, des conditions de culture et des cellules somatiques d'origine (induisant une « mémoire épigénétique » persistante) ; que les CSEh sont, par comparaison, beaucoup plus homogènes, toutes issues de la masse interne du blastocyste, et spontanément pluripotentes, sans nécessité d'induire des modifications génétiques ou épigénétiques, pour leur conférer cette pluripotence ;

Considérant en conséquence que le demandeur apporte les éléments suffisants concernant la pertinence scientifique du projet de recherche d'une part, et ses conditions de mise en œuvre au regard des principes éthiques d'autre part ; qu'il justifie en particulier que le projet sera mené dans le respect des principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines et que ces cellules ont été obtenues dans le respect des principes fondamentaux prévus aux articles 16 à 16-8 du code civil, et avec le consentement préalable du couple géniteur, et sans qu'aucun paiement, quelle qu'en soit la forme, ne leur ait été alloué ;

Considérant que le projet de recherche utilise la lignée de cellules souches embryonnaires humaines provenant du Ramban Hospital, Technion Institute en Israël (lignées I6) ; que cette lignée est déjà présente sur le territoire national et a été importée par Michel Pucéat en vertu d'une autorisation délivrée le 13 juillet 2006 par l'Agence de la biomédecine après avis favorable de son conseil d'orientation ; qu'à l'occasion de la demande d'autorisation d'importation déposée par Michel Pucéat en 2006, le respect des exigences posées par les articles 16 à 16-8 du code civil et de celles relatives à l'information et au recueil du consentement des couples a été vérifié et la demande d'autorisation présente de nouveau l'ensemble des documents permettant de s'assurer du respect des conditions législatives et réglementaires ; que la lignée est par ailleurs inscrite au registre du NIH, garantissant le respect des principes éthiques fondamentaux de consentement des donneurs, de gratuité du don et d'anonymat prévus par le droit français ;

Considérant que les titres, diplômes, expérience et travaux scientifiques fournis à l'appui de la demande permettent de s'assurer des compétences du responsable de la recherche et des membres de l'équipe en la matière ; que Jérôme Larghéro fait état de dix-sept années d'expérience en thérapie cellulaire et en recherche sur les cellules souches et de neuf années d'expérience sur les cellules souches embryonnaires humaines, en collaboration avec le professeur Ménasché et le docteur Michel Pucéat ; qu'il est secondé par le docteur Valérie Vanneaux, responsable du secteur production de l'unité de thérapie cellulaire et bénéficiant également de neuf années d'expérience sur les CSEh ; que de nombreuses publications, dont certaines de rang A, témoignent du dynamisme et de l'esprit coopératif de l'équipe (quinze publiées depuis l'autorisation de renouvellement en 2010 dont cinq en 2016) ;

Considérant que les locaux, matériels, équipements, procédés et techniques sont adaptés à l'activité de recherche envisagée ; que cette recherche sera effectuée dans des conditions permettant de garantir la sécurité des personnes exerçant une activité professionnelle sur le site, le respect des dispositions applicables en matière de protection de l'environnement, le respect des règles de sécurité sanitaire ainsi que la sécurité, la qualité et la traçabilité des embryons et des cellules embryonnaires ; que les conditions matérielles de sécurité, de conservation, d'accès, de transferts, de locaux dédiés, de sécurisation desdits locaux, de désinfection, la qualité de l'ensemble des plateaux techniques sont parfaitement décrits et n'ont fait l'objet d'aucune réserve de la part de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine qui a par ailleurs procédé à une visite du site en mars 2015 que le laboratoire dispose des équipements nécessaires à la mise en œuvre de ce protocole de recherche dans des conditions optimales,

Décide :

Article 1

L'hôpital Saint-Louis (unité de thérapie cellulaire, Paris) est autorisé à mettre en œuvre, dans les conditions décrites dans le dossier de demande d'autorisation, le protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ayant pour finalité l'étude de la spécification cardiaque des cellules souches embryonnaires humaines, vers une thérapie de l'insuffisance cardiaque. Ces recherches sont placées sous la responsabilité de M. Jérôme Larghero.

Article 2

La présente autorisation est accordée pour une durée de cinq ans. Elle peut être suspendue à tout moment pour une durée maximale de trois mois, en cas de violation des dispositions législatives ou réglementaires, par le directeur général de l'Agence de la biomédecine. L'autorisation peut également être retirée, selon les modalités prévues par les dispositions du code de la santé publique susvisées.

Article 3

Toute modification des éléments figurant dans le dossier de demande d'autorisation doit être portée à la connaissance du directeur général de l'Agence de la biomédecine.

Article 4

Le directeur général adjoint chargé des ressources de l'Agence de la biomédecine est chargé de l'exécution de la présente décision, qui sera publiée au Journal officiel de la République française.

Fait le 9 mai 2016.

A. Courrèges