JORF n°0232 du 5 octobre 2016

Décision du 9 mai 2016

La directrice générale de l'Agence de la biomédecine,

Vu le code de la santé publique, notamment les articles L. 2151-5 et R. 2151-1 à R. 2151-12 ;

Vu la loi n° 2013-715 du 6 août 2013 tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires ;

Vu la décision du 8 septembre 2015 modifiant la décision n° 2013-11 du 17 septembre 2013 fixant le modèle de dossier de demande des autorisations mentionnées à l'article R. 2151-6 du code de la santé publique ;

Vu la demande présentée le 31 octobre 2015 par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (unité U1084) aux fins d'obtenir une autorisation de protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ;

Vu les informations complémentaires apportées par le demandeur ;

Vu le rapport de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine en date du 26 janvier 2016 ;

Vu les rapports d'expertise en date du 10 et 26 février 2016 ;

Vu l'avis émis par le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine le 7 avril 2016 ;

Considérant que la finalité médicale du projet et l'objectif thérapeutique ne font aucun doute ; que le protocole de recherche envisagé cible une pathologie oculaire, la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) qui touche près de 10 % des individus après 60 ans et 25 % après 75 ans ; que cette maladie complexe, liée à des facteurs environnementaux et génétiques, se présente sous une forme humide (exsudative) ou sèche (atrophique) ; qu'elle met en cause différents compartiments de l'œil (outre l'épithélium rétinien pigmentaire, les photorécepteurs, la choroïde - compartiment vasculaire, et la membrane de Brusch) ; que cliniquement, la maladie se manifeste par des dépôts de lipides et de protéines dans la région de la macula avec, pour complications, une atrophie de l'épithélium pigmentaire (forme sèche) et/ou la formation de vaisseaux en excès dans la rétine avec exsudats (forme humide) ; que dans tous les cas, cela aboutit à une diminution considérable de la vision ; que la forme sèche ne bénéficie actuellement d'aucune thérapeutique efficace et fait l'objet de protocoles d'essais cliniques de thérapie cellulaire utilisant différentes sources de cellules, et en particulier des dérivés de cellules souches embryonnaires humaines (plusieurs essais internationaux en cours ainsi que le projet du laboratoire I-Stem, équipe de Christelle Monville) ;

Considérant que des facteurs génétiques sont impliqués dans cette maladie ; que plus de vingt variants (modifications de une ou plusieurs bases dans l'ADN), impliquant au total vingt régions du génome sont retrouvés chez plus de la moitié des patients et constituent des facteurs de risque pour lesquels aucune prévention n'est possible ; que trois de ces variants constituent des facteurs majeurs de susceptibilité à la DMLA ; que l'équipe de Nicolas Leveziel a contribué à cette caractérisation et est reconnue internationalement ; que ces variants influent sur divers aspects de la physiologie de l'œil, notamment l'immunité innée, l'inflammation, l'angiogenèse, la survie, le métabolisme lipidique, mais ne sont cause de la maladie qu'associés à des facteurs environnementaux (tabac, obésité notamment) ;

Considérant que le projet vise à développer un modèle cellulaire de la forme atrophique de la DMLA et à définir le rôle des facteurs génétiques dans la pathogénie de cette maladie ; que parmi les facteurs génétiques incriminés, le polymorphisme du gène du facteur H du complément (CFH, facteur essentiel de l'inflammation) sera étudié dans un premier temps ; que le programme est divisé en deux parties, la première relative à la mise au point technique (protocole de différenciation, création de la lignée porteuse du polymorphisme) et la seconde relative à l'exploration des réponses au stress de la lignée variante (par l'utilisation du fer, qui induit un stress oxydatif, permettant de mimer le microenvironnement délétère) : création de lignées porteuses ou non du polymorphisme du gène du facteur H (créée par « édition du génome » via la technique CRISPR-Cas9, permettant la coupure puis la réparation de l'ADN à un niveau choisi), différenciation de ces lignées en cellules de l'épithélium rétinien pigmentaire, création d'un modèle cellulaire mimant la situation environnementale qui prévaut in vivo chez les patients atteints de DMLA et analyse des différences ou des similitudes fonctionnelles qui existent entre les cellules porteuses ou non du polymorphisme soumises à différents agents induisant un stress cellulaire et l'activation du complément (c'est-à-dire l'inflammation) ;

Considérant qu'en l'état des connaissances scientifiques, elle ne peut être menée sans recourir à des cellules souches embryonnaires humaines ; que le résultat escompté ne peut être obtenu par d'autres moyens, notamment par le recours exclusif à d'autres cellules souches ; qu'une étude bibliographique détaillée montre que les cellules souches pluripotentes induites (dites « cellules iPS ») présentent une instabilité génétique qui se traduit in vitro par l'accumulation d'anomalies chromosomiques au cours du temps ; que l'ADN de ces cellules n'est pas « naïf », comme celui des CSEh, et conserve des traces des changements épigénétiques intervenus au cours du développement de la cellule, pendant et après la reprogrammation ; qu'elles sont également plus à même de développer des anomalies aux niveaux génétique et épigénétique en culture ;

Considérant que les conséquences des anomalies génétiques et des modifications épigénétiques (multiples et différentes pour chaque lignée) créées par le processus de reprogrammation lui-même et le processus de différenciation des cellules iPS sont encore mal appréciées ; qu'une des plus grandes difficultés actuelles est l'extrême hétérogénéité des lignées d'iPS, aggravée par la diversité des techniques de reprogrammation, des conditions de culture et des cellules somatiques d'origine (induisant une « mémoire épigénétique » persistante) ; que les CSEh sont, par comparaison, beaucoup plus homogènes, toutes issues de la masse interne du blastocyste, et spontanément pluripotentes, sans nécessité d'induire des modifications génétiques ou épigénétiques, pour leur conférer cette pluripotence ;

Considérant que le projet envisagé porte sur l'influence d'une mutation d'un gène précis (CFH) dans la mise en place d'une maladie humaine multifactorielle ; qu'il est donc important de travailler sur des cellules qui ne portent que la seule mutation à étudier, et non pas des cellules reprogrammées à partir de patients qui portent plusieurs des facteurs génétiques ayant conduit à la maladie ; qu'il est également important d'utiliser des cellules dont la variabilité génétique ne va pas entraver la validation des résultats in vitro ;

Considérant par ailleurs que le seul essai clinique mené au Japon avec des cellules souches pluripotentes induites iPS (autologues), qui ne sont pas de grade clinique a été interrompu après la mise en évidence de mutations génétiques dans les cellules reprogrammées et que l'objectif futur de l'équipe est de travailler sur les cellules iPS, pour comparer ce qui aura été observé dans le cadre de ce projet, et en particulier de constituer une collection de lignées iPS issues des différents patients porteurs de polymorphisme divers ; que cette approche ne pourra être envisagée qu'une fois validée la stratégie expérimentale avec des cellules souches embryonnaires humaines ;

Considérant en conséquence que le demandeur apporte les éléments suffisants concernant la pertinence scientifique du projet de recherche d'une part, et ses conditions de mise en œuvre au regard des principes éthiques d'autre part ; qu'il justifie en particulier que le projet sera mené dans le respect des principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines et que ces cellules ont été obtenues dans le respect des dispositions législatives et réglementaires ; que le projet de recherche utilise une lignée de cellules souches embryonnaires humaines provenant du WiCell Research Institute (Etats-Unis, lignée H9) ; qu'elle fait l'objet d'une demande d'autorisation d'importation annexée à la présente demande d'autorisation de protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ; que le conseil d'orientation a rendu un avis favorable sur cette demande ; qu'à l'appui de la demande d'autorisation d'importation, le respect des exigences posées par les articles 16 à 16-8 du code civil et de celles relatives à l'information et au recueil du consentement des couples a été vérifié et la demande d'autorisation présente l'ensemble des documents permettant de s'assurer du respect des conditions législatives et réglementaires ; que la lignée est par ailleurs inscrite au registre du NIH, garantissant le respect des principes éthiques fondamentaux de consentement des donneurs, de gratuité du don et d'anonymat prévus par le droit français ;

Considérant que les titres, diplômes, expérience et travaux scientifiques fournis à l'appui de la demande permettent de s'assurer des compétences du responsable de la recherche et des membres de l'équipe en la matière ; que l'équipe, exclusivement hospitalo-universitaire, est intégrée dans un environnement scientifique excellent et familier de la manipulation des cellules souches embryonnaires murines et de leur différenciation en neurones ; que Nicolas Leveziel consacrera 100 % de son temps recherche au projet (soit 50 % de son temps global) et qu'une doctorante, formée pendant un an au sein du laboratoire I-Stem de Marc Peschanski, y consacrera 100 % de son temps ; que Nicolas Leveziel a une légitimité indiscutable dans le domaine de l'ophtalmologie, en particulier génétique et qu'une collaboration pérenne a été établie avec l'équipe de Christelle Monville (laboratoire I-Stem, Evry) ;

Considérant que les locaux, matériels, équipements, procédés et techniques sont adaptés à l'activité de recherche envisagée ; que cette recherche sera effectuée dans des conditions permettant de garantir la sécurité des personnes exerçant une activité professionnelle sur le site, le respect des dispositions applicables en matière de protection de l'environnement, le respect des règles de sécurité sanitaire ainsi que la sécurité, la qualité et la traçabilité des embryons et des cellules embryonnaires ; que les procédures de contrôle qualité des CSEh et les mesures prises pour leur traçabilité sont conformes aux exigences techniques et réglementaires en vigueur ; que les conditions matérielles de sécurité, de conservation, d'accès, de transferts, de locaux dédiés, de sécurisation desdits locaux, de désinfection, la qualité de l'ensemble des plateaux techniques sont parfaitement décrits et n'ont fait l'objet d'aucune réserve de la part de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine ; que le laboratoire dispose des équipements nécessaires à la mise en œuvre de ce protocole de recherche dans des conditions optimales,

Décide :

Article 1

L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (unité U1084) est autorisé à mettre en œuvre, dans les conditions décrites dans le dossier de demande d'autorisation, le protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ayant pour finalité l'étude du développement d'un modèle cellulaire de DMLA atrophique. Ces recherches sont placées sous la responsabilité de M. Nicolas Leveziel.

Article 2

La présente autorisation est accordée pour une durée de trois ans. Elle peut être suspendue à tout moment pour une durée maximale de trois mois, en cas de violation des dispositions législatives ou réglementaires, par le directeur général de l'Agence de la biomédecine. L'autorisation peut également être retirée, selon les modalités prévues par les dispositions du code de la santé publique susvisées.

Article 3

Toute modification des éléments figurant dans le dossier de demande d'autorisation doit être portée à la connaissance du directeur général de l'Agence de la biomédecine.

Article 4

Le directeur général adjoint chargé des ressources de l'Agence de la biomédecine est chargé de l'exécution de la présente décision, qui sera publiée au Journal officiel de la République française.

Fait le 9 mai 2016.

A. Courrèges