JORF n°0086 du 13 avril 2018

Décision du 6 février 2018

La directrice générale de l'Agence de la biomédecine,

Vu le code de la santé publique, et notamment les articles L. 2151-5, R. 2141-17 à R.2141-23, et R. 2151-1 à R. 2151-12 ;

Vu la loi n° 2013-715 du 6 août 2013 tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires ;

Vu la décision du 8 septembre 2015 modifiant la décision 2013-11 du 17 septembre 2013 fixant le modèle de dossier de demande des autorisations mentionnées à l'article R. 2151-6 du code de la santé publique ;

Vu la demande présentée le 30 septembre 2017 par l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (laboratoire d'histologie, embryologie et biologie de la reproduction, hôpital Cochin) et l'Institut Curie (Inserm U934/CNRS UMR 3215) aux fins d'obtenir une autorisation de protocole de recherche sur l'embryon ;

Vu les informations complémentaires apportées par le demandeur ;

Vu le rapport de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine en date du 15 novembre 2017 ;

Vu les rapports d'expertise en date du 4 décembre 2017 et du 12 janvier 2018 ;

Vu l'avis émis par le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine le 25 janvier 2018 ;

Considérant que le programme de recherche proposé sera mené en collaboration entre trois équipes : le laboratoire d'histologie, embryologie et biologie de la reproduction de l'hôpital Cochin (APHP), l'Institut Curie (Inserm / CNRS) et le laboratoire de biologie de la reproduction GH Paris Sud - Université Paris Sud ; que l'ensemble des expérimentations seront menées au sein du laboratoire de l'Institut Curie ; que les deux autres équipes incluront les embryons et les transmettront à l'équipe de Curie ; que la troisième équipe apportera par ailleurs son expertise pour l'étude des aneuploïdies ;

Considérant que les titres, diplômes, expérience et travaux scientifiques fournis à l'appui de la demande permettent de s'assurer des compétences des responsables de la recherche et des membres des équipes en la matière ; que ces équipes sont compétentes et bénéficient d'une expertise reconnue en France et au niveau international ; que les équipes sont adaptées au programme proposé ; que les expériences seront menées essentiellement par Jean-Léon Maitre (Institut Curie) et un ingénieur de recherche ; qu'un doctorant, un post-doctorant et un ingénieur d'étude seront également associés ; que les structures sont pérennes et le financement est assuré ; que le coût du projet est estimé à 315 000 euros ; que l'essentiel des financements a été demandé dans le cadre d'appels à projets de l'ANR et du CNRS et que dans l'attente des réponses, l'Institut Curie prendra en charge le démarrage du projet sur sa dotation annuelle ;

Considérant que le protocole de recherche a pour objectif d'étudier les changements de forme, ou morphogénèse, de l'embryon préimplantatoire ; qu'il s'agit d'étudier la transition entre la phase de segmentation (entre 2 et 64 cellules) durant laquelle les cellules de l'embryon se divisent par mitoses successives de façon asynchrone et asymétrique, vers le stade blastocyste, premier stade structuré de l'embryon, qui se compose d'une couche cellulaire externe squameuse (ou trophectoderme), des cellules de la masse interne de l'embryon et d'une cavité (ou blastocèle) qui se forme entre le trophectoderme et la masse cellulaire interne ; que ces changements de forme sont générés par des forces entre cellules de l'embryon qui permettent leur compaction, l'internalisation de la masse cellulaire interne et la formation d'une cavité ;

Considérant que l'équipe de Jean-Léon Maitre (Institut Curie) a déjà caractérisé et quantifié chez l'embryon de souris les forces à l'origine des phénomènes de compaction, d'internalisation et de cavitation à l'aide d'outils d'imagerie non invasive en temps réel (timelapse), de méthodes de mesures mécaniques à la surface des cellules de l'embryon, et de marquages par immunofluorescences de protéines génératrices de forces morphogénétiques ; que cette équipe envisage d'étendre ces méthodes à l'étude de l'embryon humain ; que les données concernant l'embryon humain restent très limitées ; que les premières observations réalisées par analyse d'image sur des embryons cultivés sous embryoscope dans le cadre du soin ont en effet démontré qu'il existe des différences puisque la phase de compaction semble se produire plus tardivement chez l'Homme (stade 16 cellules) que chez la souris (stade 8 cellules) ;

Considérant que chacune des trois phases de compaction, internalisation et cavitation sera étudiée sur un plan morphologique, mécanique et moléculaire ; que les études morphologiques seront réalisées à l'aide d'outils d'analyse d'image par timelapse ; que les paramètres morphologiques de l'embryon (taille des cellules, angles de contact, mouvements globaux) seront analysés à l'aide de logiciels dédiés ; que les études mécaniques seront réalisées à l'aide de micropipettes (montées sur des micromanipulateurs et couplées à un système microfluidique) qui permettront des mesures de tension et de viscosité à la surface des cellules de l'embryon mais qui ne déstabilisent pas l'intégrité de l'embryon, qui continue de se développer normalement ; que sur le plan moléculaire, des marquages par immunofluorescences de protéines d'intérêts seront réalisés après fixation de l'embryon à différents stades ; que des protéines du cytosquelette, telles que l'actine et la myosine seront marquées et, afin de pouvoir suivre l'évolution de ces protéines par imagerie en temps réel, des ARN exprimant des protéines de fusion entre l'actine ou la myosine et un marqueur fluorescent seront microinjectés chez l'embryon à un stade précoce ; qu'enfin, des molécules inhibitrices de l'actine et de la myosine seront ajoutées au milieu de culture afin d'évaluer leur influence sur le développement de l'embryon ;

Considérant que les demandeurs envisagent par ailleurs de réaliser d'une part une étude transcriptomique, permettant de faire le lien entre la mise en place des phénomènes de compaction, internalisation et cavitation et l'expression de certains gènes, notamment des gènes de pluripotence, d'autre part une étude des aneuploïdies, afin d'évaluer si l'apparition d'une aneuploïdie spontanée de l'embryon a une influence sur le développement de l'embryon et enfin une étude menée sur des embryons triploïdes non transférables, dont la diploïdie sera restaurée par aspiration d'un des trois noyaux ; que les demandeurs évalueront si ces embryons présentent des caractéristiques biophysiques compatibles avec un développement normal, ce qui ferait de ces embryons une source fiable en vue de recherche ou de dérivation de cellules souches embryonnaires ;

Considérant que la finalité médicale du projet et l'objectif thérapeutique ne font aucun doute ; que l'ensemble de ces travaux devrait permettre d'établir une cartographie qualitative et quantitative des éléments qui sculptent l'embryon lors de de son développement préimplantatoire ; que le programme de recherche s'inscrit dans une thématique de recherche fondamentale (étude de la mécanique de morphogénèse de l'embryon humain) et de recherche appliquée avec l'objectif d'améliorer les chances de succès en assistance médicale à la procréation ; que l'acquisition de connaissances fondamentales sur la mécanique de morphogénèse préimplantatoire de l'embryon humain apparaît particulièrement importante et pourrait permettre de développer de nouveaux outils de diagnostic de la qualité du développement embryonnaire ;

Considérant en conséquence que le demandeur apporte les éléments suffisants concernant la pertinence scientifique du projet de recherche d'une part, et ses conditions de mise en œuvre au regard des principes éthiques d'autre part ; qu'il justifie en particulier que le projet sera mené dans le respect des principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines ; que ces embryons ont été conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation ; que les embryons utilisés dans le cadre de ce protocole ne font plus l'objet d'un projet parental ; que le consentement des couples sera recueilli conformément aux dispositions des articles L. 2141-1 et suivants et L. 2151-1 et suivants du code de la santé publique et selon les modèles-type de consentement rédigés par l'Agence de la biomédecine et sans qu'aucun paiement, quelle qu'en soit la forme, ne leur ait été alloué ;

Considérant que le résultat escompté ne peut être obtenu par d'autres moyens, notamment par le recours exclusif à des embryons humains ; que les connaissances sont acquises chez la souris, en grande partie par l'un des porteurs du projet de recherche, mais il est reconnu que les modèles murin et humain sont très différents sur ce sujet ;

Considérant que les locaux, matériels, équipements, procédés et techniques sont adaptés à l'activité de recherche envisagée ; que cette recherche sera effectuée dans des conditions permettant de garantir la sécurité des personnes exerçant une activité professionnelle sur le site, le respect des dispositions applicables en matière de protection de l'environnement, le respect des règles de sécurité sanitaire ainsi que la sécurité, la qualité et la traçabilité des embryons ; que les conditions matérielles de sécurité, de conservation, d'accès, de transferts, de locaux dédiés, de sécurisation desdits locaux, de désinfection, la qualité de l'ensemble des plateaux techniques sont parfaitement décrits et n'ont fait l'objet d'aucune réserve de la part de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine ; que le laboratoire dispose des équipements nécessaires à la mise en œuvre de ce protocole de recherche dans des conditions optimales,

Décide :

Article 1

L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (laboratoire d'histologie, embryologie et biologie de la reproduction, hôpital Cochin) et l'Institut Curie (Inserm U934/CNRS UMR 3215) sont autorisés à mettre en œuvre, dans les conditions décrites dans le dossier de demande d'autorisation, le protocole de recherche sur l'embryon humain ayant pour finalité l'étude de la mécanique de la morphogénèse préimplantatoire humaine. Ces recherches sont placées sous la responsabilité de Mme Catherine Patrat et M. Jean-Léon Maître.

Article 2

La présente autorisation est accordée pour une durée de cinq ans. Elle peut être suspendue à tout moment pour une durée maximale de trois mois, en cas de violation des dispositions législatives ou réglementaires, par la directrice générale de l'Agence de la biomédecine. L'autorisation peut également être retirée, selon les modalités prévues par les dispositions du code de la santé publique susvisées.

Article 3

Toute modification des éléments figurant dans le dossier de demande d'autorisation doit être portée à la connaissance de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine.

Article 4

Le directeur général adjoint chargé des ressources de l'Agence de la biomédecine est chargé de l'exécution de la présente décision, qui sera publiée au Journal officiel de la République française.

Fait le 6 février 2018.

A. Courrèges