JORF n°0143 du 20 juin 2017

Décision du 28 mars 2017

La directrice générale de l'Agence de la biomédecine,

Vu le code de la santé publique, et notamment les articles L. 2151-5 et R. 2151-1 à R. 2151-12 ;

Vu la décision de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine du 16 janvier 2012 autorisant le centre national de la recherche scientifique (UMR 7216, université Paris-Diderot, Paris) à mettre en œuvre un protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ;

Vu la décision du 8 septembre 2015 modifiant la décision 2013-11 du 17 septembre 2013 fixant le modèle de dossier de demande des autorisations mentionnées à l'article R. 2151-6 du code de la santé publique ;

Vu la demande présentée le 31 octobre 2016 par le centre national de la recherche scientifique (UMR 7216, université Paris-Diderot, Paris) aux fins d'obtenir le renouvellement de son autorisation de protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ;

Vu les informations complémentaires apportées par le demandeur ;

Vu l'avis émis par le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine le 16 mars 2017 ;

Vu le rapport de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine en date du 12 janvier 2017 ;

Vu les rapports d'expertise en date du 12 et 20 décembre 2016 ;

Considérant qu'une première autorisation a été accordée à cette équipe en 2008 pour une durée de trois ans et a fait l'objet d'un renouvellement en 2012 pour cinq années supplémentaires ; que la demande de renouvellement s'inscrit dans la continuité du programme développé depuis 2008 et le protocole de recherche se poursuit avec une grande homogénéité et a abouti à des résultats très significatifs, en témoigne le nombre important de publications dans des revues d'excellence ;

Considérant que le projet de recherche utilise les lignées de cellules souches embryonnaires humaines provenant de WiCell (Madison) aux Etats-Unis (lignées WA-01, WA-07 et WA-09), de l'université d'Harvard aux Etats-Unis (lignées HUES1 et HUES9) et du Whitehead Institute for biomedical Research à Cambridge (lignées WIBR2 et WIBR3) ; que déjà présentes sur le territoire national, ces lignées ont été importées par l'équipe en vertu d'autorisations délivrées le 22 décembre 2008, le 16 janvier 2012 et le 7 mars 2016 par décisions de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine après avis favorables de son conseil d'orientation ;

Considérant qu'à l'occasion des demandes d'autorisation d'importation déposées par Claire Rougeulle, le respect des exigences posées par les articles 16 à 16-8 du code civil et de celles relatives à l'information et au recueil du consentement des couples a été vérifié et la demande de renouvellement d'autorisation de recherche présente de nouveau l'ensemble des documents permettant de s'assurer du respect des conditions législatives et réglementaires ; que les lignées sont par ailleurs inscrites au registre du NIH, garantissant le respect des principes éthiques fondamentaux de consentement des donneurs, de gratuité du don et d'anonymat prévus par le droit français ;

Considérant que le conseil d'orientation souligne que l'ensemble de ces documents sont de nouveau fournis en annexe à la demande de renouvellement ;

Considérant que l'inactivation d'un des deux chromosomes X dans les cellules femelles est un processus de régulation épigénétique fondamental qui se met en place lors des étapes de développement précoce et permet de compenser, chez les mammifères, le déséquilibre génétique induit par la présence de chromosomes sexuels hétéromorphes X et Y chez le mâle ; que celui-ci se traduit par l'extinction transcriptionnelle de la majorité des gènes portés par l'un des deux chromosomes X chez la femelle (ce qui signifie que ces gènes ne sont plus transcrits en ARN et donc n'aboutissent pas à la production d'une protéine) ; que cette extinction est très stable durant toute la vie ;

Considérant que ce processus est considéré comme le paradigme des régulations épigénétiques dans la mesure où elle implique le traitement différentiel de deux chromosomes homologues au sein d'un même noyau ; que l'inactivation est un processus qui se met en place très tôt au cours du développement embryonnaire ;

Considérant que l'essentiel de nos connaissances vient de l'étude du modèle murin et en particulier des cellules souches embryonnaires de souris ; que toutefois, il apparaît désormais que ce processus n'est pas régulé de façon équivalente chez l'homme et la souris, incitant à travailler avec des modèles cellulaires humains, cellules souches embryonnaires humaines (CSEh) et embryons préimplantatoires ;

Considérant que les équipes de Claire Rougeulle d'une part, et Catherine Patrat et Edith Heard d'autre part, ont également mis en évidence que l'inactivation de l'X est certes instaurée mais instable dans les CSEh utilisées, alors que chez l'embryon préimplantatoire, les deux X sont actifs ; que la plupart des CSEh utilisées sont en effet déjà engagées dans un processus de différenciation, et sont donc différentes des CSEh dites « naïves » et également des cellules de la masse interne de l'embryon préimplantatoire ;

Considérant que le projet de recherche a pour objectif d'analyser ces mécanismes afin d'en comprendre la cinétique et la relevance physiologique ; que si l'équipe de Claire Rougeulle travaille essentiellement à partir de cellules souches embryonnaires humaines, elle collabore avec celle de Catherine Patrat et Edith Heard qui, elle, se focalise sur les modifications épigénétiques chez l'embryon préimplantatoire ; que ces deux équipes sont parmi les plus compétitives au monde sur ce thème ;

Considérant que les travaux réalisés depuis 2012 dans le cadre du premier renouvellement d'autorisation délivrée par l'Agence de la biomédecine ont permis d'analyser en détails la dynamique du processus de l'inactivation d'un chromosome X dans les CSEh, et en particulier l'instabilité de cette inactivation ; que l'équipe a analysé séparément les différents profils d'inactivation d'un chromosome X dans les cellules d'une même lignée de CSEh : cellules ayant inactivé un seul X, cellules ayant encore deux X actifs, et cellules ayant ce que l'équipe a appelé une « érosion » de l'inactivation, tendant à un retour à l'état actif de ce chromosome ; que les résultats montrent que l'inactivation telle qu'elle est mise en place dans les CSEh correspond probablement à un état intermédiaire, partiellement réversible et différent de l'état final rencontré plus tardivement, dans des cellules différenciées (où l'inactivation d'un X est très stable et définitive) ; qu'au cours de ce travail, le profil épigénétique des chromosomes X a été très précisément analysé (méthylation, organisation en domaines épigénomiques, transcription des gènes du chromosome X) dans ces trois contextes cellulaires ;

Considérant qu'un des mécanismes d'inactivation met en jeu un ARN non codant (classe spéciale de transcrits ne se traduisant pas en la production d'une protéine), appelé XIST, qui va recouvrir le chromosome inactif ; que d'autres ARN non codants sont impliqués, et l'équipe a notamment identifié un nouveau transcrit, nommé XACT (X actif coating transcript) ; qu'il s'agit également d'un long ARN non codant qui recouvre le chromosome actif cette fois, réalisant une situation en miroir de celle de XIST, qui, lui, recouvre le X inactif ; que XACT est spécifique de l'homme et des grands primates, mais n'est décrit que dans les cellules pluripotentes ; que l'équipe a analysé la régulation de l'expression de ces deux transcrits dans les CSEh ; que dans certaines cellules, la situation est complexe : le chromosome X inactif est donc à la fois recouvert par les ARN de XIST et de XACT ; que ces résultats suggèrent qu'une expression aberrante de XACT pourrait être à l'origine des variations d'expression de XIST et du statut d'inactivation, dans les CSEh ;

Considérant qu'il existe plusieurs catégories de CSEh, au potentiel différent : les CSEh « classiques », dites « amorcées » et déjà engagées dans un processus de différenciation, et les CSEh « naïves », beaucoup plus proches des cellules de la masse interne du blastocyste, et dont le potentiel de pluripotence est plus large ; que dans ces CSEh naïves, les deux X sont actifs et recouverts à la fois par XIST et XACT, donc une situation très proche de ce qui a été constaté chez l'embryon préimplantatoire ;

Considérant les avancées très importantes dans la compréhension de l'initiation de l'inactivation d'un chromosome X dans les CSEh femelles, processus complexe et intimement lié à la pluripotence, et en particulier dans l'implication des ARN non codants ; la compétence de l'équipe et le succès des recherches entreprises, comme en attestent des publications dans des journaux scientifiques renommés, plusieurs articles ayant été publiés dans des revues d'excellence (Cell Stem Cell, Nature Communication) ;

Considérant que cette équipe a identifié des mécanismes fondamentaux de la régulation de l'inactivation d'un chromosome X dans les cellules femelles humaines, ce qui est une avancée majeure ; que dans le cadre de la demande de renouvellement, elle a pour objectif principal de focaliser sa recherche sur la compréhension du rôle des longs ARN non codants dans la régulation de l'inactivation du chromosome X, un modèle emblématique des régulations épigénétiques ; qu'il s'agit d'une recherche extrêmement importante dans le cadre du développement humain et de ses dysfonctionnements, ce d'autant que ces ARN pourraient être à l'origine des divergences de régulation de ce processus entre les espèces ;

Considérant qu'en l'état des connaissances scientifiques, elle ne peut être menée sans recourir à des cellules souches embryonnaires humaines ; que le résultat escompté ne peut être obtenu par d'autres moyens, notamment par le recours exclusif à d'autres cellules souches ; que l'un des régulateurs identifié par l'équipe est spécifique des cellules souches embryonnaires humaines pluripotentes et n'est pas exprimé chez la souris ; que par ailleurs, on sait que, qualitativement et temporellement, les mécanismes de régulation de cette inactivation de l'X sont différents chez la souris et l'homme ; que les cellules souches pluripotentes induites (dites cellules iPS) ne constituent pas un bon modèle car la reprogrammation du chromosome X inactif est incomplète dans ces cellules (dans les cellules différenciées utilisées, un des deux chromosomes X est inactivé de façon très stable) ;

Considérant que la finalité médicale du projet et l'objectif thérapeutique ne font aucun doute ; que cette recherche est avant tout fondamentale, mais les résultats obtenus et ceux qui peuvent être anticipés auront un impact médical : en particulier, l'expression des régulateurs de l'inactivation de l'X s'avèrent être d'excellents marqueurs de pluripotence, et en particulier permettent de sélectionner des cellules souches pluripotentes dites « naïves », celles qui sont a priori les plus intéressantes dans une perspective de thérapie cellulaire ; que ces données sont fondamentales pour comprendre les pathologies liées à des altérations/mutations du chromosome X ;

Considérant que le conseil d'orientation souligne que l'équipe de Claire Rougeulle mène une recherche de très haut vol, très compétitive et reconnue au plan international sur les mécanismes d'inactivation d'un chromosome X dans les cellules femelles, processus complexe et essentiel à l'intégrité cellulaire lors du développement et à son développement harmonieux ;

Considérant en conséquence que le demandeur apporte les éléments suffisants concernant la pertinence scientifique du projet de recherche d'une part, et ses conditions de mise en œuvre au regard des principes éthiques d'autre part ; qu'il justifie en particulier que le projet sera mené dans le respect des principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines et que ces cellules ont été obtenues dans le respect des principes fondamentaux prévus aux articles 16 à 16-8 du code civil, et avec le consentement préalable du couple géniteur, et sans qu'aucun paiement, quelle qu'en soit la forme, ne leur ait été alloué ;

Considérant que les locaux, matériels, équipements, procédés et techniques sont adaptés à l'activité de recherche envisagée ; que cette recherche sera effectuée dans des conditions permettant de garantir la sécurité des personnes exerçant une activité professionnelle sur le site, le respect des dispositions applicables en matière de protection de l'environnement, le respect des règles de sécurité sanitaire ainsi que la sécurité, la qualité et la traçabilité des cellules embryonnaires ; que les conditions matérielles de sécurité, de conservation, d'accès, de transferts, de locaux dédiés, de sécurisation desdits locaux, de désinfection, la qualité de l'ensemble des plateaux techniques sont parfaitement décrits et n'ont fait l'objet d'aucune réserve de la part de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine qui a par ailleurs procédé à une visite du site en janvier 2017 et noté la conformité des procédures de gestion et des règles de sécurité sanitaire ; que le laboratoire dispose des équipements nécessaires à la mise en œuvre de ce protocole de recherche dans des conditions optimales ;

Considérant que les titres, diplômes, expérience et travaux scientifiques fournis à l'appui de la demande permettent de s'assurer des compétences du responsable de la recherche et des membres de l'équipe en la matière ; que la structure est pérenne et le financement est assuré ; que cinq chercheurs sont directement associés à ce projet ; que Claire Rougeulle a récemment été nommée à l'EMBO et a reçu le grand prix Jean-Pierre Lecocq de l'Académie des sciences,

Décide :

Article 1

Le Centre national de la recherche scientifique (UMR 7216, université Paris-Diderot, Paris) est autorisé à mettre en œuvre, dans les conditions décrites dans le dossier de demande d'autorisation, le protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ayant pour finalité l'étude du contrôle et de la stabilité des régulations épigénétiques dans les cellules souches embryonnaires humaines (étude de l'inactivation du chromosome X). Ces recherches sont placées sous la responsabilité de Mme Claire Rougeulle.

Article 2

La présente autorisation est accordée pour une durée de cinq ans. Elle peut être suspendue à tout moment pour une durée maximale de trois mois, en cas de violation des dispositions législatives ou réglementaires, par le directeur général de l'Agence de la biomédecine. L'autorisation peut également être retirée, selon les modalités prévues par les dispositions du code de la santé publique susvisées.

Article 3

Toute modification des éléments figurant dans le dossier de demande d'autorisation doit être portée à la connaissance du directeur général de l'Agence de la biomédecine.

Article 4

Le directeur général adjoint chargé des ressources de l'Agence de la biomédecine est chargé de l'exécution de la présente décision, qui sera publiée au Journal officiel de la République française.

Fait le 28 mars 2017.

A. Courrèges