JORF n°0143 du 20 juin 2017

Décision du 28 mars 2017

La directrice générale de l'Agence de la biomédecine,

Vu le code de la santé publique, et notamment les articles L. 2151-5, R. 2141-17 à R.2141-23, et R. 2151-1 à R. 2151-12 ;

Vu la loi n° 2013-715 du 6 août 2013 tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires ;

Vu la décision du 8 septembre 2015 modifiant la décision 2013-11 du 17 septembre 2013 fixant le modèle de dossier de demande des autorisations mentionnées à l'article R. 2151-6 du code de la santé publique ;

Vu la demande présentée le 31 octobre 2016 par l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (laboratoire d'histologie et biologie de la reproduction du groupe hospitalier Bichat - Claude Bernard) et l'Institut Curie (Inserm U934/CNRS UMR3215, Paris) aux fins d'obtenir une autorisation de protocole de recherche sur l'embryon ;

Vu l'avis émis par le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine le 16 mars 2017 ;

Vu le rapport de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine en date du 29 décembre 2016 ;

Vu les rapports d'expertise en date du 13 et 29 décembre 2016 ;

Considérant que cette recherche, réalisée directement sur l'embryon humain préimplantatoire, s'inscrit dans la continuité d'une autorisation de protocole de recherche sur l'embryon précédemment délivrée à la même équipe (autorisation du 11 juillet 2007, renouvelée le 21 janvier 2011, et délivrée par la directrice générale de l'Agence de la biomédecine après avis favorable de son conseil d'orientation), et qui avait abouti à des résultats très novateurs sur le processus d'inactivation du chromosome X chez l'embryon humain ;

Considérant que ce processus est unique, encore mal compris, mais crucial pour le bon développement de l'embryon ; que l'embryon femelle possède deux chromosomes X (un chromosome hérité du père, l'autre de la mère), à l'inverse de l'embryon mâle qui est « XY » (un chromosome Y hérité du père, un seul X de la mère) ; qu'en l'absence d'un mécanisme d'inactivation d'un des deux chromosomes X chez la femelle, les gènes présents sur le chromosome X seraient donc exprimés deux fois plus chez celle-ci et qu'il faut donc mettre en place une « compensation » de dose entre cellules mâles et femelles ; que ce processus d'inactivation/compensation d'un chromosome X survient très tôt au cours de l'embryogenèse, compliquant son analyse chez l'homme ; qu'il existe également une seconde « compensation », puisque il n'y a qu'un seul chromosome X actif mais deux chromosomes actifs pour les autosomes ; qu'il semblerait que certains gènes du chromosome X inactif seraient transcrits malgré tout, échappant à l'inactivation, et que ce processus mettrait en jeu une organisation spatiale particulière du chromosome X ;

Considérant que des précédents travaux de recherche de Catherine Patrat, ont permis de mettre en évidence que ce processus d'inactivation se met en place de façon très différente de ce qui se passe chez la souris : l'inactivation de l'X n'est pas soumise à empreinte contrairement à la souris (seul l'X d'origine paternel est inactivé) d'une part, et le processus de compensation de dose est plus complexe que la seule inactivation d'un des chromosomes X d'autre part (les deux chromosomes X restent transcriptionnellement actifs au stade blastocyste alors même que l'un des mécanismes d'inactivation est présent [l'ARN Xist enveloppe l'X qui sera inactivé] ) ; que cette persistance d'une transcription peut être due à la présence d'un autre ARN, XACT (spécifique de l'embryon humain), identifié par l'équipe de Claire Rougeulle dans le cadre d'un autre protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines autorisé par l'Agence de la biomédecine, qui recouvre aussi le chromosome X et contrecarrerait l'inactivation ; que même si elle persiste sur les deux X, l'activité transcriptionnelle diminue cependant, et ce sur les deux chromosomes, établissant de fait une compensation de dose avec les cellules mâles ;

Considérant que l'objectif du protocole de recherche présenté est d'analyser ce processus extrêmement complexe, non seulement dans un contexte physiologique (embryons normaux), mais aussi dans un contexte pathologique touchant le chromosome X (embryons mutés) ; que de nombreuse pathologies reflètent en effet des anomalies de compensation de dose : les défauts quantitatifs du chromosome X, syndromes de Turner (XO) et de Klinefelter (XXY), et certaines maladies liées à une mutation d'un gène lié à l'X (par ex. FMR [syndrome de l'X fragile], MECP2 [syndrome de Rett], ATP7A [maladie de Menkes] ) et souvent associées à un retard mental ;

Considérant que chez l'embryon « normal », au-delà de la compréhension du mécanisme, Catherine Patrat envisage également un lien entre la qualité du développement de l'embryon ex vivo et le processus d'expression des gènes liés à l'X, ce qui fournirait un nouveau marqueur de qualité embryonnaire en assistance médicale à la procréation ; que dans ce cadre notamment, elle souhaite étudier des embryons triploïdes, et les embryons diploïdes qui en dérivent après l'élimination d'un des pronucléus ; que des arguments en faveur de la fonctionnalité de ces embryons diploïdes (actuellement éliminés) pourraient être apportés ;

Considérant que dans un contexte pathologique (embryons mutés ou ayant un défaut quantitatif de chromosomes X), il est proposé d'analyser l'expression du gène muté lié au chromosome X et son contrôle épigénétique, et, au-delà, l'expression de tous les gènes du chromosome X, en particulier ceux qui sont impliqués dans le développement du système nerveux afin d'identifier le cas échéant des biais d'inactivation qui peuvent certainement influencer l'expression clinique de la maladie ;

Considérant que les techniques utilisées sont très sophistiquées mais maîtrisées par l'équipe d'Edith Heard (Institut Curie) et seules ces deux équipes sont aujourd'hui capables d'analyser aussi finement la structure du chromosome X chez l'embryon humain ;

Considérant que si ce projet met en jeu une recherche très fondamentale, il n'en a pas moins des implications majeures en pathologie humaine ; que le moment du développement qui coïncide avec le processus d'inactivation du chromosome X et de la compensation de dose est crucial, car toute anomalie dans ces processus aura des conséquences cliniques dans la mesure où cela touche l'expression de gènes et donc le taux de certaines protéines, en particulier celles qui sont impliquées dans le développement du système nerveux ; qu'une partie importante de ce projet est consacrée à l'analyse d'embryons porteurs d'anomalies, soit quantitatives du dosage du X, soit qualitatives par mutations de gènes liés à l'X ; que ce projet peut en outre être l'occasion d'identifier des marqueurs de qualité embryonnaire pouvant ultérieurement être utilisés en assistance médicale à la procréation ;

Qu'il s'agit en conséquence d'un protocole de recherche s'inscrivant dans une finalité médicale ;

Considérant que le projet de recherche sera mené sur des embryons surnuméraires et dépourvus de projet parental, des embryons issus d'un diagnostic préimplantatoire et porteurs d'une mutation génique ou d'un chromosome X remanié, et enfin sur des embryons issus de zygotes porteurs de trois pronucléi ou plus et pour lesquels la diploïdie a été restaurée ;

Considérant en conséquence que le demandeur apporte les éléments suffisants concernant la pertinence scientifique du projet de recherche d'une part, et ses conditions de mise en œuvre au regard des principes éthiques d'autre part ; qu'il justifie en particulier que le projet sera mené dans le respect des principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines ; que ces embryons ont été conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation ; que les embryons utilisés dans le cadre de ce protocole ne font plus l'objet d'un projet parental ; que le consentement des couples sera recueilli conformément aux dispositions des articles L. 2141-1 et suivants et L. 2151-1 et suivants du code de la santé publique et selon les modèles-type de consentement rédigés par l'Agence de la biomédecine et sans qu'aucun paiement, quelle qu'en soit la forme, ne leur ait été alloué ;

Considérant qu'en l'état des connaissances scientifiques, elle ne peut être menée sans recourir à des embryons humains ; que les experts soulignent qu'il n'y a aucune alternative à l'utilisation d'embryons humains, compte tenu de la spécificité des mécanismes d'inactivation du chromosome X chez l'homme.

Considérant que les titres, diplômes, expérience et travaux scientifiques fournis à l'appui de la demande permettent de s'assurer des compétences du responsable de la recherche et des membres de l'équipe en la matière ; que l''équipe est compétente et bénéficie d'une expertise reconnue en France et au niveau international ; que la structure est pérenne et le financement est assuré ; que l'équipe est adaptée au programme proposé ;

Considérant que les locaux, matériels, équipements, procédés et techniques sont adaptés à l'activité de recherche envisagée ; que cette recherche sera effectuée dans des conditions permettant de garantir la sécurité des personnes exerçant une activité professionnelle sur le site, le respect des dispositions applicables en matière de protection de l'environnement, le respect des règles de sécurité sanitaire ainsi que la sécurité, la qualité et la traçabilité des embryons ; que les conditions matérielles de sécurité, de conservation, d'accès, de transferts, de locaux dédiés, de sécurisation desdits locaux, de désinfection, la qualité de l'ensemble des plateaux techniques sont parfaitement décrits et n'ont fait l'objet d'aucune réserve de la part de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine ; que le laboratoire dispose des équipements nécessaires à la mise en œuvre de ce protocole de recherche dans des conditions optimales,

Décide :

Article 1

L'Assistance publique - hôpitaux de Paris (laboratoire d'histologie et biologie de la reproduction du groupe hospitalier Bichat - Claude Bernard) et l'Institut Curie (Inserm U934/CNRS UMR3215, Paris) sont autorisés à mettre en œuvre, dans les conditions décrites dans le dossier de demande d'autorisation, le protocole de recherche sur l'embryon humain ayant pour finalité l'étude de la compensation de dose entre les sexes au cours du développement embryonnaire humain dans des contextes physiologiques et pathologiques. Ces recherches sont placées sous la responsabilité de Mme Catherine Patrat et Mme Edith Heard.

Article 2

La présente autorisation est accordée pour une durée de cinq ans. Elle peut être suspendue à tout moment pour une durée maximale de trois mois, en cas de violation des dispositions législatives ou réglementaires, par le directeur général de l'Agence de la biomédecine. L'autorisation peut également être retirée, selon les modalités prévues par les dispositions du code de la santé publique susvisées.

Article 3

Toute modification des éléments figurant dans le dossier de demande d'autorisation doit être portée à la connaissance du directeur général de l'Agence de la biomédecine.

Article 4

Le directeur général adjoint chargé des ressources de l'Agence de la biomédecine est chargé de l'exécution de la présente décision, qui sera publiée au Journal officiel de la République française.

Fait le 28 mars 2017.

A. Courrèges