La directrice générale de l'Agence de la biomédecine,
Vu la loi n° 2013-715 du 6 août 2013 tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires ;
Vu le code de la santé publique, notamment les articles L. 2151-5, R. 2141-17 à R. 2141-23, et R. 2151-1 à R. 2151-12 ;
Vu la décision du 8 septembre 2015 modifiant la décision n° 2013-11 du 17 septembre 2013 fixant le modèle de dossier de demande des autorisations mentionnées à l'article R. 2151-6 du code de la santé publique ;
Vu la demande présentée le 31 janvier 2021 par l'Institut Curie (Laboratoire Physico Chimie Curie, équipe « Dynamic Control Of Signaling And Gene Expression » - CNRS UMR 168) aux fins d'obtenir le renouvellement de son autorisation de protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ;
Vu les informations complémentaires apportées par le demandeur ;
Vu le rapport de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine en date du 11 février 2021 ;
Vu les rapports d'expertise en date du 26 et 30 avril 2021 ;
Vu l'avis émis par le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine le 20 mai 2021 ;
Le programme de recherche, extrêmement original et intéressant, mis en œuvre par l'équipe de Benoît Sorre se propose de comprendre, à partir des cellules souches embryonnaires humaines (CSEh), comment se façonnent, en trois dimensions, les premières étapes de la spécification tissulaire embryonnaire, et donc comment les premières cellules embryonnaires, toutes identiques, s'auto-organisent pour générer une diversité de programmes cellulaires très spécifiques, sous la forme de trois feuillets germinaux (ectoderme, endoderme et mésoderme) initiaux, chacun ensuite se diversifiant pour générer les différents tissus de l'organisme ;
Le projet de recherche utilise la lignée de cellules souches embryonnaires humaines RUES 2, provenant du laboratoire Brivanlou (Université RockFeller) situé aux Etats-Unis. Elle est déjà présente sur le territoire national. Elle a été importée par Benoît Sorre après autorisation délivrée par décision de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine du 23 juin 2016 en application des dispositions de l'article L. 2151-6 du code de la santé publique. A l'occasion de la demande d'autorisation d'importation déposée, le respect des exigences posées par les articles 16 à 16-8 du code civil et de celles relatives à l'information et au recueil du consentement des couples a été vérifié et la demande de renouvellement d'autorisation de recherche présente de nouveau l'ensemble des documents permettant de s'assurer du respect des conditions législatives et réglementaires ;
La demande de renouvellement d'autorisation de protocole de recherche s'accompagne par ailleurs d'une demande d'autorisation d'importation de lignées de cellules souches embryonnaires humaines. Les lignées de cellules souches embryonnaires humaines (RUES2 UFO subclone, RUES2 Mcitrine-Smad2 subclone, RUES2 RFP-Smad1 subclone RUES2 GFP-Smad4 subclone, RUES2 subclone NOGGIN KO, RUES2 subclone LEFTY2 KO, RUES2 BraCFP subclone et RUES2 SOX17_RFPsubclone) proviennent de l'université Rockfeller située aux Etats-Unis (Laboratory of Stem Cell Biology and Molecular Embryology). Les modèles de consentement et l'attestation de l'organisme fournisseur sont annexés à la demande et permettent de s'assurer que les lignées de cellules embryonnaires concernées ont été obtenues dans le respect des principes éthiques et des conditions de sécurité. Les lignées RUES2 d'origine sont inscrites au registre du UK Stem Cells Registry ce qui confirme par ailleurs le respect des principes éthiques fondamentaux de consentement des donneurs, de gratuité du don et d'anonymat prévus par le droit national ;
Une des caractéristiques du développement embryonnaire est que la différenciation se passe de façon spatialement ordonnée. Pour être modélisé en 3D, ce processus de gastrulation doit reproduire l'organisation et l'environnement embryonnaires, et notamment certaines des contraintes physiques qui existent in vivo chez l'embryon, et qui sont complètement absentes des conditions très artificielles de la culture de CSEh dans une boîte de Petri, conditions en deux dimensions qui ne permettent pas d'explorer la dynamique spatiale et temporelle de ce processus d'auto-organisation ;
L'équipe de Benoît Sorre propose donc de le reproduire in vitro, à partir de CSEh (qui possèdent l'information intrinsèque permettant cette organisation), en recréant l'environnement qui prévaut chez l'embryon. Cette démarche se situe à l'interface de la physique et de la biologie, et rappelle que les contraintes physiques sont essentielles à la formation des structures du vivant, en particulier lors du développement embryonnaire ;
La formation de l'embryon repose sur trois éléments essentiels : l'organisation de gradients de morphogènes (responsables de l'induction d'un programme cellulaire donné dans certaines cellules), un substrat dont la rigidité peut être contrôlée et enfin la formation de tensions et de mouvements de cellules, sous l'action des morphogènes, engageant l'organisation tissulaire. Benoit Sorre dispose d'outils expérimentaux novateurs, permettant de reproduire ces trois éléments, et il se propose de les appliquer pour induire et suivre ce processus d'auto-organisation en 3D de CSEh dans les trois feuillets germinaux ;
Ce programme s'appuie sur des résultats déjà publiés par ce chercheur lors de son post-doctorat, et par d'autres équipes, ce qui en valide la pertinence et la réalisation pratique. Ces articles ont en effet démontré, à partir de CSEh ou de cellules souches embryonnaires murines, une structuration caractéristique en territoires spécifiques ;
Le processus de morphogenèse inhérent à une organisation tissulaire harmonieuse est l'un des plus complexes qui soit. Cependant, la compréhension des règles physiques d'organisation des tissus dans leur environnement est nécessaire pour qu'un jour la médecine régénérative tienne ses promesses. Il est en effet indispensable de connaître le comportement des cellules dans leur environnement. Cela implique de modéliser le développement tissulaire non pas dans une boite de Petri, mais dans une structure en 3D reproduisant la complexité des intéractions survenant dans l'environnement tissulaire ;
Les contraintes physiques jouent un rôle essentiel dans l'acquisition et le maintien de l'identité cellulaire, mais étaient jusqu'à maintenant rarement considérées, en l'absence de technologies adaptées à leur exploration. Les progrès techniques permettent aujourd'hui de les étudier, et, de fait, de très nombreuses publications ont récemment mis l'accent sur l'intérêt de la création de mini-organes, ou organoïdes à partir de CSEh, mimant plus exactement le fonctionnement tissulaire que des cellules cultivées en 2D dans une boîte de culture. Le programme proposé par Benoît Sorre constitue la meilleure démarche pour cerner le développement embryonnaire humain précoce, et donc optimiser les protocoles de spécification tissulaire à visée thérapeutique (y compris la formation de mini-organes), ainsi que de pouvoir appréhender et mimer ses dysfonctionnements. Dans le cadre de l'autorisation précédente, Benoît Sorre et son équipe ont développé les outils et les approches nécessaires en vue de contrôler de manière spatio-temporelle les gradients de morphogènes appliqués aux cultures de CSEh ;
Le conseil d'orientation souligne que si l'une des deux expertises relève que les travaux ont moins avancé que ce qui était prévu à l'origine dans le cadre de la première autorisation, le bilan du précédent protocole est très positif et démontre bien les avancées réalisées. Les deux experts saluent par ailleurs l'importance du protocole ;
La demande d'autorisation s'inscrit dans la continuité des précédents travaux de l'équipe de recherche et notamment dans le cadre de la précédente autorisation délivrée en 2016. Une première partie de la demande de renouvellement vise à étudier le processus de gastrulation et de mise en place de l'axe antéro-postérieur chez l'embryon à l'aide du système précédemment mis au point. Ces expériences devraient permettre de comprendre les relations entre les trois principales voies de signalisation (WNT, Nodal et BMP) impliquées dans cette étape du développement embryonnaire ;
La seconde partie du projet a pour objectif l'étude d'une étape plus tardive, le développement de l'axe dorso-ventral. Plus particulièrement, l'équipe se propose d'étudier le développement des progéniteurs spinaux issus de la différenciation des CSEh. Cet objectif implique l'établissement d'un modèle organoïde de développement du tube neural qui doit permettre d'étudier la formation des circuits neuronaux spinaux. L'équipe a déjà procédé à des expériences préliminaires, selon l'approche développée par Benoît Sorre lors de son séjour au sein du laboratoire d'Ali Brivanlou au Rockfeller Center aux Etats-Unis. L'équipe se propose à présent d'exposer des progéniteurs neuronaux obtenus à partir de CSEh à des gradients de deux morphogènes (BMP et Shh) qui sont à l'origine de la spécification de l'axe dorso-ventral ;
La finalité médicale du projet et l'objectif thérapeutique sont clairement exprimés par l'équipe. En effet, bien que très fondamentales à ce stade, les recherches de l'équipe de Benoît Sorre devraient permettre, à terme, l'acquisition de connaissances permettant la différenciation in vitro de cellules pluripotentes en tissus fonctionnels pour des applications en médecine régénératrice (greffe après lésion spinale par exemple) ;
Le résultat escompté ne peut être obtenu par d'autres moyens, notamment par le recours exclusif à d'autres cellules souches. Le processus d'auto-organisation des tissus embryonnaires est difficilement observable sur des embryons vivants, en particulier ceux qui se développent in utero. Même lorsque cette observation est possible (cas du poisson zèbre), il est impossible de contrôler de façon quantitative les paramètres qui influent sur l'établissement de la structure des tissus embryonnaires, telles que la taille et la forme du tissu et l'évolution de son environnement physique et chimique ;
Les divergences profondes entre les développements embryonnaires murin et humain expliquent que des cellules souches embryonnaires murines ne peuvent pas constituer une alternative. Quant aux cellules souches pluripotentes induites (cellules iPS), il apparaît risqué de les utiliser de première intention pour mimer le développement embryonnaire, car, même si elles partagent certains attributs des CSEh, leur origine très artificielle les disqualifie comme système de référence pour comprendre des mécanismes physiologiques d'embryologie aussi complexes et méconnus. Les conséquences des anomalies génétiques et des modifications épigénétiques (multiples et différentes pour chaque lignée) créées par le processus de reprogrammation lui-même et le processus de différenciation des cellules iPS sont encore mal appréciées. Une des plus grandes difficultés actuelles est l'extrême hétérogénéité des lignées d'iPS, aggravée par la diversité des techniques de reprogrammation, des conditions de culture et des cellules somatiques d'origine (induisant une « mémoire épigénétique » persistante). Les CSEh sont, par comparaison, beaucoup plus homogènes, toutes issues de la masse interne du blastocyste, et spontanément pluripotentes, sans nécessité d'induire des modifications génétiques ou épigénétiques, pour leur conférer cette pluripotence ;
Le demandeur apporte les éléments suffisants concernant la pertinence scientifique du projet de recherche d'une part, et ses conditions de mise en œuvre au regard des principes éthiques d'autre part. Il justifie en particulier que le projet sera mené dans le respect des principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines mentionnés notamment aux articles L. 2151-1 et suivants du code de la santé publique, relatifs à la conception et à la conservation des embryons fécondés in vitro, ainsi qu'aux articles 16 et suivants du code civil et aux articles L. 1211-1 et suivants du code de la santé publique relatifs au respect du corps humain, et que ces cellules ont été obtenues conformément aux conditions législatives et réglementaires mentionnés notamment aux articles L. 2141-3, L. 2151-5 et suivants et R. 2151-1 et suivants du code de la santé publique ;
Les titres, diplômes, expérience et travaux scientifiques fournis à l'appui de la demande permettent de s'assurer des compétences du responsable de la recherche et des membres de l'équipe en la matière. Benoît Sorre a été formé chez Ali Brivanlou aux Etats-Unis, qui dirige un laboratoire pionnier dans l'étude des cellules souches embryonnaires humaines. Il a publié dans des revues prestigieuses et le programme qu'il propose poursuit son travail post-doctoral, gage indiscutable de faisabilité. L'équipe est adaptée au programme envisagé, avec deux post-doctorants à temps plein, et les financements sont acquis pour les 5 ans à venir. La structure du laboratoire est pérenne. L'équipe de recherche collabore par ailleurs avec celle de J. Collignon, sur le site lui-même, qui est experte dans le domaine de l'embryologie chez la souris ;
La pérennité de l'unité ne fait aucun doute, et le financement de ce projet est estimé à 50 000 euros par an. L'équipe ne dispose pas de financement spécifique pour soutenir ce projet et les moyens humains sont limités, ce qui conduit l'un des experts sollicités à émettre des réserves sur la faisabilité de la deuxième partie du protocole. Toutefois, le Conseil d'orientation constate que l'équipe de Benoît Sorre vient de s'installer au sein de l'Institut Curie, qui est l'un des meilleurs centres de recherche biologique en France. Le conseil estime que ce cadre très attractif attirera des chercheurs postdoctorants ou des chercheurs confirmés, ce qui devrait permettre à l'équipe de se renforcer rapidement ;
Enfin, les locaux, matériels, équipements, procédés et techniques sont adaptés à l'activité de recherche envisagée. Cette recherche sera effectuée dans des conditions permettant de garantir la sécurité des personnes exerçant une activité professionnelle sur le site, le respect des dispositions applicables en matière de protection de l'environnement, le respect des règles de sécurité sanitaire ainsi que la sécurité, la qualité et la traçabilité des cellules embryonnaires. Les conditions matérielles de sécurité, de conservation, d'accès, de transferts, de locaux dédiés, de sécurisation desdits locaux, de désinfection, la qualité de l'ensemble des plateaux techniques sont parfaitement décrites et n'ont fait l'objet d'aucune réserve de la part de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine dans son rapport et à l'occasion de sa visite sur place le 14 décembre 2020. Le laboratoire dispose des équipements nécessaires à la mise en œuvre de ce protocole de recherche dans des conditions optimales,
Décide :