JORF n°0271 du 22 novembre 2016

Décision du 10 octobre 2016

La directrice générale de l'Agence de la biomédecine,

Vu le code de la santé publique, notamment ses articles L. 2151-5 et R. 2151-1 à R. 2151-12 ;

Vu la décision de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine du 11 février 2013 autorisant l'Institut national de la santé et de la recherche médicale à mettre en œuvre un protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ;

Vu la décision du 8 septembre 2015 modifiant la décision 2013-11 du 17 septembre 2013 fixant le modèle de dossier de demande des autorisations mentionnées à l'article R. 2151-6 du code de la santé publique ;

Vu la demande présentée le 31 mai 2016 par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (unité UMR 861, laboratoire I-Stem, Evry) aux fins d'obtenir le renouvellement de son autorisation de protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ;

Vu le rapport de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine en date du 26 juillet 2016 ;

Vu les rapports d'expertise en date du 15 et 16 juillet 2016 ;

Vu l'avis émis par le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine le 15 septembre 2016 ;

Considérant qu'une première autorisation a été accordée à cette équipe en 2013 pour une durée de trois ans ; que la demande s'inscrit dans la continuité du protocole précédent et vise à comprendre les mécanismes moléculaires des atteintes extra-digestives associées aux mutations APC afin de permettre le développement d'outils thérapeutiques interférant avec les voies de signalisation impliquées dans les anomalies associées ;

Considérant que le projet de recherche utilise les lignées SA-01 provenant de Cellartis (Suède), RC-09 provenant de Roslin Cells (Royaume-Uni) et WA-09 provenant du WiCell Research Institute (Etats-Unis) ; que déjà présentes sur le territoire national, ces lignées ont été importées par Marc Peschanski (INSERM UMR 861) en vertu d'autorisations délivrées le 16 février 2005 par arrêté des ministres de la santé et de la recherche et le 17 décembre 2010 par décision de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine après avis favorable de son conseil d'orientation d'une part, et par Annelise Bennaceur (INSERM UMR 935) en vertu d'une autorisation délivrée le 20 septembre 2006 par décision de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine après avis favorable de son conseil d'orientation d'autre part ;

Considérant qu'à l'occasion des demandes d'autorisation d'importation déposées par Marc Peschanski et Annelise Bennaceur, le respect des exigences posées par les articles 16 à 16-8 du code civil et de celles relatives à l'information et au recueil du consentement des couples a été vérifié et la demande d'autorisation présente de nouveau l'ensemble des documents permettant de s'assurer du respect des conditions législatives et réglementaires ; que le conseil d'orientation souligne que l'ensemble de ces documents sont de nouveau fournis en annexe de la présente demande ;

Considérant que le projet de recherche utilise également deux lignées de cellules souches embryonnaires humaines dérivées en France (FE09-073-L1 et FE09-271-L1) dans le cadre d'un protocole de recherche autorisé par l'Agence de la biomédecine après avis favorable de son conseil d'orientation (autorisation du 19 juin 2006) et porteuses de mutations hétérozygotes sur le gène APC ; que la demande d'autorisation présente de nouveau l'ensemble des documents permettant de s'assurer du respect des conditions législatives et réglementaires ;

Considérant que la protéine APC (Adenomatous polyposis coli) est exprimée par toutes les cellules et est impliquée dans la réponse des cellules à une molécule de type facteur de croissance (appelée Wnt) provenant de l'environnement ; qu'en l'absence de Wnt, c'est elle qui contrôle la dégradation d'un intermédiaire (-caténine) indispensable à l'activation de la cellule et qu'en présence de Wnt, la protéine APC est inactivée, et cette dégradation de la -caténine est inhibée, cette dernière migrant alors dans le noyau et activant des gènes clés de la cellule impliqués en particulier dans le cancer ; que ce gène APC est donc un « suppresseur » de tumeur ;

Considérant que certaines mutations qui inactivent la protéine APC - et donc annulent la dégradation de l'intermédiaire -caténine en l'absence de Wnt - activent la cellule en permanence et jouent un rôle déterminant dans le cancer colorectal, et en particulier dans les tumeurs qui se développent chez des patients atteints de polypose adénomateuse familiale (PAF) ; qu'il s'agit d'un état précancéreux, de transmission autosomique dominante, caractérisé par le développement de polypes adénomateux multiples (plusieurs centaines) au niveau du côlon à partir de la puberté, dont la transformation cancéreuse est quasi-inéluctable avant l'âge de 40 ans ; qu'en dehors du problème colique, il existe d'autres manifestations extra-coliques de la polypose familiale, notamment une hypertrophie de la couche pigmentaire de la rétine (70 % des patients), congénitale, qui se traduit par des taches visibles à l'examen du fond d'œil, ou la présence de tumeurs dites « desmoïdes », issues du mésenchyme, bénignes mais infiltrantes et donc délétères pour la fonction de l'organe ; que l'examen de la rétine pourrait, quant à lui, servir de test de dépistage précoce de la polypose colique ;

Considérant que dans le cadre de la première autorisation de protocole de recherche, l'équipe s'est concentrée sur la modélisation des anomalies des cellules rétiniennes et des tumeurs desmoïdes ; que dans les deux cas, on ne connaît pas la physiopathologie de ces anomalies, ni quel est leur lien direct avec la protéine APC mutée ; que dans les cellules rétiniennes, certains arguments suggèrent que la protéine APC pourrait intervenir par une voie différente de celle qui prévaut dans les cellules intestinales, et contrôlerait notamment le développement de l'œil et la différenciation de la rétine ;

Considérant que le projet initial se proposait d'analyser trois aspects de ces manifestations extra-intestinales : les différentes caractéristiques fonctionnelles des cellules de l'épithélium pigmentaire rétinien (EPR), et des cellules souches mésenchymateuses (modèle des cellules des tumeurs desmoïdes) issues de CSEh normales et mutées pour APC, les composants de la voie Wnt/-caténine que contrôle normalement la protéine APC, et les autres voies de signalisation et enfin la compréhension de ces mécanismes afin de trouver des biomarqueurs prédictifs chez les patients d'une part, et éventuellement d'identifier des pistes thérapeutiques d'autre part ;

Considérant que les travaux réalisés depuis 2013 dans le cadre de la première autorisation ont permis de mettre en place un protocole de différenciation sur deux lignées de CSEh porteuses d'une mutation APC (issues d'un embryon DPI) qui ont été différenciées en EPR avec succès comme en témoignent l'expression de l'ensemble des marqueurs associés à ce phénotype ; que sont toutefois observés deux types d'anomalies : une désorganisation des « jonctions » (zones de contact étroit entre deux cellules épithéliales) et une hyperpigmentation (excès de mélanine) qui reproduisent les altérations qui sont observées chez les patients ; qu'afin d'analyser de façon rigoureuse ces anomalies et s'abstraire de la variabilité inter-lignées, une lignée isogénique a été créée, la mutation APC ayant été introduite dans une lignée RC09, afin de comparer ces deux lignées (RCO9 et RC09 mutée) ; que quelques expériences ont par ailleurs été réalisées dans les cellules souches mésenchymateuses dérivées de CSEh, notamment en inhibant l'expression d'APC dans des cellules normales et que dans ces conditions, on observe une dérégulation de certains gènes associés au cycle cellulaire ;

Considérant que dans le cadre de la demande de renouvellement, l'équipe souhaite articuler ses travaux autour de la modélisation et l'analyse des altérations induites par la mutation APC dans deux cibles extra-intestinales : la rétine et les cellules souches mésenchymateuses ; que l'équipe souhaite ainsi compléter la caractérisation des anomalies fonctionnelles des cellules EPR et analyser les liens entre la voie de signalisation APC et celle de l'acide rétinoïque, molécule centrale dans la différenciation des cellules EPR et des photorécepteurs (l'acide rétinoïque est issu du rétinol, lui-même issu de la transformation de la vitamine A), d'une part, et analyser les conséquences de la mutation d'APC dans les cellules mésenchymateuses issues de CSEh, et corréler ces observations à l'analyse de la prolifération cellulaire en présence de Wnt, et à l'expression de la -caténine, d'autre part ;

Considérant que le projet de renouvellement introduit par ailleurs un troisième modèle de différenciation avec la production de cellules endodermiques en organoïdes intestinaux afin d'explorer in vitro les étapes initiales de la cancérogénèse intestinale lors des mutations APC ; que ces structures 3D, qui se présentent sous la forme de sphéroïdes, sont issues de la différenciation de CSEh en endoderme postérieur ; que celui-ci s'organise ensuite en structures vésiculaires mimant l'architecture des cryptes intestinales (les cryptes sont le lieu physiologique de localisation des cellules souches intestinales qui se différencient ensuite en différents types de cellules épithéliales intestinales migrant dans une villosité intestinale) ; que les cellules souches localisées au fond des cryptes sont les cibles de la transformation cancéreuse, chez la souris comme chez l'homme et, chez la souris, la mutation d'APC dans ces cellules fournit un excellent modèle de tumorigenèse intestinale in vivo ;

Considérant les premiers résultats encourageants obtenus en appliquant les protocoles décrits dans la littérature ; que ce troisième modèle a pour objectif de définir les anomalies observées dans l'organisation de ces structures établies à partir des CSEh mutées pour APC ; que les organoïdes constituent certainement un excellent modèle d'analyse et que l'intérêt d'ajouter ce modèle dans ce projet résiderait ici dans le fait de disposer de plusieurs modèles cellulaires qui expriment des conséquences très différentes - cancer intestinal, tumeurs desmoïdes, hyperpigmentation - d'une même mutation d'APC ;

Considérant que la finalité médicale du projet et l'objectif thérapeutique ne font aucun doute ;

Considérant qu'en l'état des connaissances scientifiques, elle ne peut être menée sans recourir à des cellules souches embryonnaires humaines ; que le résultat escompté ne peut être obtenu par d'autres moyens, notamment par le recours exclusif à d'autres cellules souches ; que le recours à des cellules souches pluripotentes induites (IPS), reprogrammées à partir de cellules adultes, ne semble pas adapté dans la mesure où les cellules IPS ne reproduisent pas complètement le phénotype des CSEh et tendent à conserver la mémoire épigénétique du tissu somatique d'origine ; qu'elles sont par ailleurs porteuses de mutations spécifiques dues au processus de reprogrammation lui-même ;

Considérant que les conséquences des anomalies génétiques et des modifications épigénétiques (multiples et différentes pour chaque lignée) créées par le processus de reprogrammation lui-même et le processus de différenciation des cellules iPS sont encore mal appréciées ; qu'une des plus grandes difficultés actuelles est l'extrême hétérogénéité des lignées d'iPS, aggravée par la diversité des techniques de reprogrammation, des conditions de culture et des cellules somatiques d'origine (induisant une « mémoire épigénétique » persistante) ; que les CSEh sont, par comparaison, beaucoup plus homogènes, toutes issues de la masse interne du blastocyste, et spontanément pluripotentes, sans nécessité d'induire des modifications génétiques ou épigénétiques, pour leur conférer cette pluripotence ;

Considérant que compte tenu de ces incertitudes, la communauté scientifique et médicale s'accorde sur le fait que, pour les prochaines années, les CSEh apparaissent en l'état actuel des connaissances plus sûres et saines pour le type d'application envisagé dans le programme de Christelle Monville, ce qui justifie le choix des CSEh ;

Considérant en conséquence que le demandeur apporte les éléments suffisants concernant la pertinence scientifique du projet de recherche, d'une part, et ses conditions de mise en œuvre au regard des principes éthiques, d'autre part ; qu'il justifie en particulier que le projet sera mené dans le respect des principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines et que ces cellules ont été obtenues dans le respect des principes fondamentaux prévus aux articles 16 à 16-8 du code civil, et avec le consentement préalable du couple géniteur, et sans qu'aucun paiement, quelle qu'en soit la forme, ne leur ait été alloué ;

Considérant que les titres, diplômes, expérience et travaux scientifiques fournis à l'appui de la demande permettent de s'assurer des compétences du responsable de la recherche et des membres de l'équipe en la matière ; que l'équipe est compétente et reconnue au niveau international ; que les publications attestent de son niveau d'excellence et que la structure est pérenne et que l'équipe bénéficie de l'environnement scientifique et de l'infrastructure du laboratoire I-Stem ; qu'un étudiant de thèse travaillera à temps plein sur ce projet et une assistante ingénieure à 60 % ; que Christelle Monville y consacrera quant à elle 50 % de son temps de recherche ;

Considérant que l'équipe travaille avec Cédric Delavoye, de l'Institut Curie et, s'agissant du troisième modèle de différenciation, s'assure de la collaboration du laboratoire de Michel Cohen-Tannoudji de l'Institut Pasteur, qui possède une longue expérience du développement embryonnaire du tractus digestif, et du professeur Inke Nathke (Dundee, Ecosse) pour l'étude du rôle de la protéine APC ;

Considérant que les locaux, matériels, équipements, procédés et techniques sont adaptés à l'activité de recherche envisagée ; que cette recherche sera effectuée dans des conditions permettant de garantir la sécurité des personnes exerçant une activité professionnelle sur le site, le respect des dispositions applicables en matière de protection de l'environnement, le respect des règles de sécurité sanitaire ainsi que la sécurité, la qualité et la traçabilité des embryons et des cellules embryonnaires ; que les conditions matérielles de sécurité, de conservation, d'accès, de transferts, de locaux dédiés, de sécurisation desdits locaux, de désinfection, la qualité de l'ensemble des plateaux techniques sont parfaitement décrits et n'ont fait l'objet d'aucune réserve de la part de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine ; que le laboratoire dispose des équipements nécessaires à la mise en œuvre de ce protocole de recherche dans des conditions optimales,

Décide :

Article 1

L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (unité UMR 861) est autorisé à mettre en œuvre, dans les conditions décrites dans le dossier de demande d'autorisation, le protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ayant pour finalité l'étude des rôles physiopathologiques de la protéine APC (Adenomatous polyposis coli) à l'aide de cellules souches embryonnaires humaines. Ces recherches sont placées sous la responsabilité de Mme Christelle Monville.

Article 2

La présente autorisation est accordée pour une durée de cinq ans. Elle peut être suspendue à tout moment pour une durée maximale de trois mois, en cas de violation des dispositions législatives ou réglementaires, par le directeur général de l'Agence de la biomédecine. L'autorisation peut également être retirée selon les modalités prévues par les dispositions du code de la santé publique susvisées.

Article 3

Toute modification des éléments figurant dans le dossier de demande d'autorisation doit être portée à la connaissance du directeur général de l'Agence de la biomédecine.

Article 4

Le directeur général adjoint chargé des ressources de l'Agence de la biomédecine est chargé de l'exécution de la présente décision, qui sera publiée au Journal officiel de la République française.

Fait le 10 octobre 2016.

A. Courrèges