JORF n°0288 du 28 novembre 2020

Avis n°HCFP-2020-7 du 23 novembre 2020

Synthèse

Le 17 novembre 2020, sur le fondement de l'article 16 de la loi organique du 17 décembre 2012, le Gouvernement a saisi le Haut Conseil d'une demande d'avis sur une nouvelle prévision de croissance du PIB pour 2021.
Le Haut Conseil constate que cette saisine n'est pas accompagnée d'un scénario macroéconomique complet. En l'absence d'informations relatives notamment à la composition de l'activité, à l'évolution des prix ou à l'emploi, le Haut Conseil ne dispose pas de l'ensemble des éléments nécessaires à l'appréciation de toute prévision macroéconomique et plus particulièrement à celle des principaux déterminants des recettes publiques.
Il souligne que le Gouvernement, sur la base de la rédaction de l'article 16 de la loi organique de 2012, qui prête à interprétation, a choisi de retenir une lecture étroite de ce texte en ne présentant pas au Haut Conseil de nouvelles prévisions de finances publiques (recettes, dépenses et soldes). Ceci pose un problème de cohérence avec les autres articles de la loi organique s'agissant des missions qui lui sont confiées en matière de finances publiques.
Sans méconnaître les difficultés créées par les incertitudes qui entourent la situation sanitaire et économique, le Haut Conseil regrette ce choix, qui ne lui permet pas d'émettre, conformément à son mandat, un avis suffisamment informé sur le scénario macroéconomique, ni d'apprécier le scénario de finances publiques. Il n'est ainsi pas en mesure de porter une appréciation sur les hypothèses sous-jacentes à l'amendement à l'article liminaire du projet de loi de finances pour 2021 que le Gouvernement devra soumettre au vote du Parlement avant son adoption définitive. Il ne peut donc pas pleinement éclairer le débat démocratique sur les finances publiques.

Néanmoins, dans le cadre de sa saisine, le Haut Conseil note que, compte tenu des dernières informations disponibles portant à la fois sur l'estimation de l'impact macroéconomique du confinement actuel et l'évolution de la situation sanitaire, la prévision d'un recul de 11 % du PIB en 2020 apparaît désormais prudente.
Il estime que celle d'un rebond limité à + 6 % en 2021 est cohérente avec une levée très graduelle des restrictions sanitaires, entraînant un retour à la normale de l'activité très progressif et encore partiel au second semestre 2021.

  1. Le contexte et le périmètre de la saisine du Gouvernement

  2. Le Haut Conseil des finances publiques a été saisi par le Gouvernement le 17 novembre 2020 en application de l'article 16 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, afin de se prononcer sur les modifications que le Gouvernement prévoit d'apporter aux prévisions associées au projet de loi de finances (PLF) et au projet de loi de financement pour la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021.

  3. Cet article prévoit en effet que : « Lorsque, au cours de l'examen par le Parlement d'un projet de loi de programmation des finances publiques, d'un projet de loi de finances ou d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement entend réviser les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposait initialement son projet, il informe sans délai le Haut Conseil des finances publiques du nouvel état de ses prévisions. Avant l'adoption définitive de la loi de programmation des finances publiques, de la loi de finances ou de la loi de financement de la sécurité sociale, le Haut Conseil rend un avis public sur ces prévisions ».

  4. Le Haut Conseil a adopté, après en avoir délibéré lors de sa séance du 20 novembre 2020, le présent avis.

  5. Le Haut Conseil souligne que le Gouvernement ne lui a communiqué que le seul chiffre de prévision de croissance du PIB en volume et non l'ensemble du scénario macroéconomique pour 2020 et 2021 (composition de l'activité, évolution des prix, emploi, etc.). Par exemple, il ne lui a pas fourni d'informations sur la consommation des ménages, qui est le premier déterminant des recettes de TVA, ou sur la masse salariale, alors même que la révision apportée au taux de croissance du PIB devrait conduire à une révision de même sens de celle-ci et, par voie de conséquence, celle de la prévision des recettes publiques. Le Haut Conseil n'est donc pas en mesure de se prononcer sur l'ensemble du scénario macroéconomique.

  6. Par ailleurs, le Haut Conseil n'a reçu aucune information sur les éventuelles mesures de soutien à l'activité que le Gouvernement pourrait décider en réponse à l'évolution de la situation sanitaire et économique. Le Haut Conseil n'a notamment pas pu disposer d'informations quant aux modalités d'un possible prolongement en 2021 des mesures du plan d'urgence et de soutien (1). Pourtant certaines de ces mesures (activité partielle, fonds de solidarité à destination des entreprises, etc.), qui visent à amortir le choc macroéconomique entraîné par les restrictions sanitaires, sont d'un montant potentiellement très élevé et peuvent par conséquent avoir un impact important sur le scénario macroéconomique. Cette absence d'information nuit donc à la bonne appréciation par le Haut Conseil du scénario macroéconomique présenté par le Gouvernement.

  7. De plus, le Haut Conseil des finances publiques observe que le Gouvernement ne l'a pas saisi de nouvelles prévisions de finances publiques, en particulier du solde public et de sa décomposition, alors que la révision du scénario macroéconomique doit nécessairement conduire à modifier celui de finances publiques. Le Haut Conseil n'est donc pas en mesure de porter une appréciation sur l'amendement à l'article liminaire du PLF pour 2021, portant modification des soldes publics effectif et structurel, que le Gouvernement devra présenter et soumettre au vote du Parlement avant l'adoption définitive du PLF.

  8. Au total, le Haut Conseil constate que le Gouvernement a retenu une interprétation étroite du périmètre de la saisine en cas de révision du scénario macroéconomique en application de l'article 16 de la loi organique de 2012, en ne transmettant qu'un état partiel de ses nouvelles prévisions macroéconomiques, alors qu'il aurait pu décider de lui transmettre un scénario complet en macroéconomie et en finances publiques. Cette situation ne lui permet pas d'émettre un avis pleinement informé sur le scénario macroéconomique du Gouvernement, ni d'apprécier, conformément à son mandat, le scénario de finances publiques, contrairement aux cas de saisine relatifs au projet de loi de finances pour l'année à venir (article 14 de la loi organique du 17 décembre 2012) ou aux projets de loi de finances rectificatifs pour l'année en cours (article 15 de la loi organique précitée).

  9. Le Haut Conseil constate que la saisine du Gouvernement n'est pas accompagnée d'un scénario macroéconomique complet. En l'absence d'informations relatives notamment à la composition de l'activité, à l'évolution des prix ou à l'emploi, le Haut Conseil ne dispose pas de l'ensemble des éléments nécessaires à l'appréciation de toute prévision macroéconomique et plus particulièrement à celle des principaux déterminants des recettes publiques.

  10. Il souligne que le Gouvernement, sur la base de la rédaction de l'article 16 de la loi organique de 2012, qui prête à interprétation, a choisi de retenir une lecture étroite de ce texte en ne présentant pas au Haut Conseil de nouvelles prévisions de finances publiques (recettes, dépenses et soldes). Ceci pose un problème de cohérence avec les autres articles de la loi organique s'agissant des missions qui lui sont confiées en matière de finances publiques.

  11. Sans méconnaître les difficultés créées par les incertitudes qui entourent la situation sanitaire et économique, le Haut Conseil regrette ce choix, qui ne lui permet pas d'émettre, conformément à son mandat, un avis suffisamment informé sur le scénario macroéconomique, ni d'apprécier le scénario de finances publiques. Il n'est ainsi pas en mesure de porter une appréciation sur les hypothèses sous-jacentes à l'amendement à l'article liminaire du projet de loi de finances pour 2021 que le Gouvernement devra soumettre au vote du Parlement avant son adoption définitive. Il ne peut donc pas pleinement éclairer le débat démocratique sur les finances publiques.

  12. La prévision d'activité du Gouvernement

  13. Selon la saisine du Gouvernement, « Les nouveaux développements conduisent à réviser à la baisse la prévision d'activité pour 2020 et 2021 par rapport au scénario du PLF initial. La prévision d'évolution du PIB est révisée à − 11 % pour 2020, contre − 10 % dans le PLF initial, présenté le 28 septembre, et à + 6 % pour 2021, contre + 8 % dans le PLF initial. La prévision pour 2020 est inchangée par rapport au PLFR n° 4. L'activité s'établirait ainsi en 2021 environ − 5,7 % en dessous de son niveau de 2019, soit 3 pts en dessous de la prévision sous-jacente au PLF initial. »

  14. Appréciation du Haut Conseil

  15. La dégradation de la situation sanitaire au cours de l'automne et les mesures de restrictions d'activité prises pour y faire face avaient conduit le Gouvernement à réviser, fin octobre, sa prévision d'activité pour 2020 dans le cadre du 4e PLFR pour 2020 par rapport à celle du PLF pour 2021, élaborée en septembre. L'estimation du recul du PIB en 2020, à - 11 % par le 4e PLFR (- 10 % dans le PLF), n'est pas modifiée dans le cadre de la présente saisine.

  16. Ce même contexte conduit aussi le Gouvernement à réviser à la baisse la prévision pour 2021 par rapport à celle du PLF pour 2021, en anticipant le maintien de conditions sanitaires plus strictes au premier semestre 2021. Selon le Gouvernement, le taux de croissance serait de 6 % au lieu de 8 % initialement prévu pour 2021. L'activité s'établirait ainsi, en 2021, 5,7 % en dessous de son niveau de 2019, au lieu de 2,7 % dans le PLF pour 2021.

  17. Ainsi que l'avait noté le Haut Conseil dans son avis sur le 4e PLFR, les incertitudes liées à la crise sanitaire entraînée par l'épidémie de covid-19 restent exceptionnellement fortes, et elles affectent les prévisions pour 2021 plus encore que celles pour 2020.

  18. Pour 2020, le Haut Conseil avait estimé dans son avis sur le 4e PLFR (2) que l'hypothèse de croissance était cohérente avec une dégradation marquée de l'activité au 4e trimestre.

  19. L'INSEE et la Banque de France estiment (3), sur la base de premiers indicateurs disponibles, que l'activité devrait être en novembre inférieure de l'ordre de 12 à 13 % à son niveau d'avant la crise sanitaire, une perte bien inférieure à celle enregistrée lors du premier confinement en en avril (- 30 %). De son côté, la prévision du Gouvernement d'un recul de 11 % du PIB en 2020 suppose une perte d'activité d'environ 20 % sur le mois de novembre par rapport à son niveau normal. Ainsi, au vu des dernières informations disponibles, cette prévision apparaît aujourd'hui prudente.

Les prévisions de croissance du PIB pour 2020 et 2021

| |Date de parution| 2020 |2021|2021/2019| |--------------------------------|----------------|-------|----|---------| |Gouvernement (révision PLF 2021)| 17/11 | -11 | 6 | -5,7 | | Insee | 13/11 |-9/-10| | | | Consensus Forecasts | 13/11 | -9,5 |5,9 | -4,1 | | Banque de France | 9/11 |-9/-10| | | | Commission européenne | 5/11 | -9,4 |5,8 | -4,1 | | FMI | 2/11 | -9,8 | 6 | -4,4 | | Gouvernement (PLF 2021) | 16/09 | -10 | 8 | -2,7 |

Source : HCFP à partir des prévisions d'organisations internationales et d'instituts de conjoncture
La colonne « 2021/2019 » présente pour chaque prévision le niveau du PIB atteint en 2021 par rapport à celui observé en 2019.
17. Pour 2021, la prévision de croissance du Gouvernement est proche de celles publiées par les organisations internationales ou les instituts de conjoncture depuis la présentation du PLF pour 2021, mais, compte tenu d'un point de départ pour 2020 plus bas, elle se traduit par un niveau d'activité sensiblement plus faible que celui anticipé par les prévisionnistes (- 5,7 % par rapport à 2019 contre environ - 4 %). Néanmoins, les prévisions publiées cet automne ne tiennent pas compte des dernières informations disponibles et, en particulier, l'annonce par le Gouvernement d'un maintien probable de certaines restrictions sanitaires en début d'année 2021.

Vous pouvez consulter l'intégralité du texte avec ses images à partir de l'extrait du Journal officiel électronique authentifié accessible en bas de page

Lecture : en moyenne annuelle, le taux de croissance du PIB est de 6 % en 2021, ce qui amène le niveau du PIB 5,7 % en dessous de son niveau moyen de 2019.
18. Les perspectives d'activité pour 2021 dépendent du scénario sanitaire et de l'ampleur et la durée des éventuelles restrictions d'activités qui permettent de lutter contre l'épidémie. Par ailleurs, le rebond attendu de l'activité va être aussi conditionné par la date à laquelle un déploiement à grande échelle des vaccins en cours de développement pourra permettre une levée des restrictions sanitaires. L'ampleur des séquelles qu'aura laissées la crise sur le tissu productif demeure également incertaine. Enfin, le scénario dépend des éventuelles mesures de soutien qui pourraient être mises en œuvre ou qui pourraient être prolongées pour atténuer les effets des restrictions sanitaires et dont le Haut Conseil n'a pas été informé dans le cadre de cette saisine.
19. La prévision du Gouvernement suppose ainsi le maintien de restrictions sanitaires significatives en début d'année. L'estimation du recul de l'activité entraîné par le maintien de ces mesures demeure fragile. Selon la plus ou moins grande sévérité des restrictions sanitaires, la perte d'activité pourrait se situer entre le niveau atteint début septembre (4 %) et la perte de 12 % à 13 % estimée pour novembre. Le Gouvernement suppose que celle-ci sera de l'ordre de 10 % au début du premier semestre, pour se réduire progressivement à 5 % en fin de semestre.
20. Le Gouvernement prévoit une levée progressive de ces restrictions dans le courant du second semestre, se traduisant par des pertes d'activité plus limitées (4).
21 L'activité pourrait toutefois être plus robuste en 2021 dans un scénario sanitaire plus favorable où une vaccination suffisamment rapide permettrait une levée quasi totale des restrictions sanitaires dès l'été 2021 et où la mise en œuvre au début 2021 de restrictions sanitaires sensiblement moins rigoureuses que celles à l'œuvre depuis le 30 octobre suffirait à garder dans l'intervalle l'épidémie sous contrôle.
22. L'activité pourrait au contraire être plus faible, dans un scénario où des difficultés opérationnelles ou logistiques viendraient retarder le déploiement des vaccins et où des restrictions sanitaires strictes devraient être imposées régulièrement pour faire face à des vagues successives de l'épidémie.
23. Le Haut Conseil note que, compte tenu des dernières informations disponibles portant à la fois sur l'estimation de l'impact macroéconomique du confinement actuel et l'évolution de la situation sanitaire, la prévision d'un recul de 11 % du PIB en 2020 apparaît désormais prudente.
24. Il estime que celle d'un rebond limité à + 6 % en 2021 est cohérente avec une levée très graduelle des restrictions sanitaires, entraînant un retour à la normale de l'activité très progressif et encore partiel au second semestre 2021.

Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française et transmis au Parlement.

Fait à Paris, le 23 novembre 2020.

Pour le Haut Conseil des finances publiques :

Le premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques,

P. Moscovici

(1) A la date du présent avis, les principales mesures se termineraient respectivement fin décembre (décret n° 2020-1319 du 30 octobre 2020 relatif à l'activité partielle) et fin novembre (décret n° 2020-1328 du 2 novembre 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises).

(2) Voir avis n° HCFP-2020-6 relatif au 42 projet de loi de finances rectificative pour l'année 2020 du 2 novembre 2020.

(3) Point de conjoncture du 17/11/2020 (INSEE), point sur la conjoncture française, 9 novembre 2020 (Banque de France).

(4) Le Gouvernement précise ainsi dans sa saisine que la perte d'activité par rapport à son niveau normal se réduirait progressivement, au premier semestre 2021, passant de 10 % en début de trimestre à 5 % en fin de semestre, ce qui est cohérent avec le maintien de restrictions sanitaires significatives, mais s'atténuant progressivement. Avec une perte moyenne d'activité de l'ordre de 7,5 % au premier semestre, la prévision du Gouvernement est compatible avec une activité 4 % environ en dessous de son niveau normal au second semestre 2021.