JORF n°0209 du 27 août 2020

Avis n°2019-1653 du 14 novembre 2019

Vu le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et notamment ses articles 106 et 107 ;

Vu la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre »), modifiée par la directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 (directive « mieux réguler ») ;

Vu la directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l'accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu'à leur interconnexion (directive « accès »), modifiée par la directive « mieux réguler » ;

Vu les lignes directrices de l'UE pour l'application des règles relatives aux aides d'Etat dans le cadre du déploiement rapide des réseaux de communication à haut débit (2013/C 25/01) ;

Vu le code des postes et des communications électroniques (ci-après « CPCE »), notamment ses articles L. 32-1, L. 33-13, L. 34-8, L. 34-8-3 et L. 36-11 ;

Vu la décision n° 2009-1106 de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en date du 22 décembre 2009 précisant, en application des articles L. 34-8 et L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques, les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique et les cas dans lesquels le point de mutualisation peut se situer dans les limites de la propriété privée ;

Vu la décision n° 2010-1312 de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en date du 14 décembre 2010 précisant les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique sur l'ensemble du territoire à l'exception des zones très denses ;

Vu la décision n° 2013-1475 de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en date du 10 décembre 2013 modifiant la liste des communes des zones très denses établie par la décision n° 2009-1106 du 22 décembre 2009 ;

Vu la décision n° 2015-0776 de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en date du 2 juillet 2015 sur les processus techniques et opérationnels de la mutualisation des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique ;

Vu la recommandation de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en date du 5 décembre 2015, relative à la mise en œuvre de l'obligation de complétude des déploiements des réseaux en fibre optique jusqu'à l'abonné en dehors des zones très denses ;

Vu la recommandation de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en date du 24 juillet 2018, relative à la cohérence des déploiements en fibre optique jusqu'à l'abonné ;

Vu l'avis n° 2017-1293 de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en date du 23 octobre 2017 rendu à la demande du Sénat et portant sur la couverture numérique des territoires ;

Vu le courrier d'Orange en date du 2 septembre 2019, et des présidents des départements de la Vienne et des Deux-Sèvres, en date du 7 juin 2019, annexés au courrier de M. Thomas Courbe, en date du 7 septembre 2019, par lequel le Gouvernement saisit l'Arcep d'une demande d'avis sur les engagements proposés par l'opérateur Orange au titre de l'article L. 33-13 du CPCE ;

Vu le courrier du président du Conseil départemental des Deux-Sèvres, en date du 8 novembre 2019, répondant au courrier de la directrice générale de l'Arcep en date du 24 octobre 2019 ;

Vu le courrier du directeur de la régie Vienne Numérique, en date du 8 novembre 2019, répondant au courrier de la directrice générale de l'Arcep en date du 24 octobre 2019 ;

Vu le courrier d'Orange, en date du 4 novembre 2019, répondant au courrier de la directrice générale de l'Arcep en date du 24 octobre 2019 ;

Après en avoir délibéré le 14 novembre 2019,

  1. Contexte

L'article L. 33-13 du CPCE permet au ministre chargé des communications électroniques d'« accepter, après avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, les engagements, souscrits auprès de lui par les opérateurs, de nature à contribuer à l'aménagement et à la couverture des zones peu denses du territoire par les réseaux de communications électroniques et à favoriser l'accès des opérateurs à ces réseaux. » Dans ce cadre, l'Arcep doit ainsi rendre un avis sur la proposition d'engagements d'un opérateur à la suite de la saisine du ministre. Après acceptation des engagements par le ministre, l'Autorité en contrôle le respect et sanctionne les manquements constatés dans les conditions prévues à l'article L. 36-11 du CPCE. L'Arcep veille ainsi à la bonne application des engagements.
Par ailleurs, l'Autorité a souligné, dans son avis n° 2017-1293 en date du 23 octobre 2017 rendu à la demande du Sénat et portant sur la couverture numérique des territoires, l'utilité d'engagements fondés sur l'article L. 33-13 du CPCE pour le déploiement des réseaux à très haut débit en fibre optique jusqu'à l'abonné, tant en zone d'initiative privée qu'en zone d'initiative publique.
Le Gouvernement a invité les collectivités territoriales à saisir et sécuriser, dans le cadre d'appels à manifestations d'engagements locaux (AMEL), de nouvelles opportunités d'investissement privé, afin d'accélérer la couverture numérique de leur territoire. Ce dispositif prévoit que les collectivités territoriales puissent sélectionner un opérateur privé qui s'engage selon les modalités de l'article L. 33-13 du CPCE. Cet opérateur doit notamment s'engager à déployer un réseau FttH sur tout ou partie du territoire de la collectivité en complémentarité des déploiements des opérateurs tiers, qu'ils relèvent d'initiative privée ou publique.
Le Gouvernement a, par un courrier du directeur général des entreprises en date du 7 septembre 2019, saisi l'Arcep d'une demande d'avis, sur la proposition d'engagements de la société Orange sur une partie de la zone d'initiative publique des départements des Deux-Sèvres et de la Vienne.
Le cadre législatif et réglementaire s'appliquant au déploiement de réseaux à très haut débit en fibre optique jusqu'à l'abonné est rappelé en annexe 4.
Le présent avis de l'Arcep décrit les principales caractéristiques des engagements proposés par Orange (l'étendue de son périmètre et l'échéance ferme proposée) avant de formuler des observations sur cinq points : le taux de locaux « raccordables sur demande », l'offre d'accès associée à l'engagement, l'absence d'une clause prévoyant les modalités à suivre en cas de cession, la clause de sortie des engagements et le suivi de la réalisation des déploiements.

  1. Les engagements proposés par Orange

Chacun des départements concernés par la proposition d'engagements d'Orange est partagé, en dehors des zones très denses (1), entre une zone d'initiative privée, constituée des communes sur lesquelles l'opérateur Orange est engagé au titre de l'article L. 33-13 du CPCE à la suite de l'arrêté du ministre du 26 juillet 2018 (2), et une zone d'initiative publique qui, au sens du plan France Très Haut Débit, en est la zone complémentaire. La zone d'initiative publique de chacun des départements se partage en outre entre la zone sur laquelle porte la proposition d'engagements d'Orange dans le cadre de l'AMEL (ci-après dite « zone AMEL ») et la zone où le déploiement d'un réseau d'initiative publique (RIP) est assuré, selon le département, par la régie Vienne Numérique ou par le syndicat mixte ouvert Deux-Sèvres Numérique, dans le cadre de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales.

| | Deux-Sèvres | Vienne | |-------------------------------------------------------------------|---------------------------|---------------------------| | Nombre de communes des zones moins denses d'initiative privée | 29 | 22 | |Nombre de locaux des zones moins denses
d'initiative privée| 59 000 | 55 000 | | Nombre de communes de la zone d'initiative publique |290 (dont 239 en zone AMEL)|274 (dont 236 en zone AMEL)| | Nombre de locaux dans la zone d'initiative publique | 142 000 | 192 000 |

Dans son courrier en date du 2 septembre 2019 (ci-après « le courrier d'engagement »), Orange propose un engagement, sur un périmètre géographique défini par une liste de 475 « codes communes » de l'Insee situés en dehors des zones très denses, visant à rendre 100 % des locaux « raccordables » ou « raccordables sur demande » à la fibre jusqu'à l'abonné (FttH - Fibre to the Home) d'ici fin mars 2025, avec un maximum de 10 % de locaux « raccordables sur demande ».
Le détail des engagements proposés par Orange sont repris en annexe 1 du présent avis, et leurs principaux aspects sont examinés ci-après.

2.1. Périmètre géographique des engagements

Le périmètre géographique sur lequel Orange propose de s'engager à déployer un réseau à très haut débit en fibre optique jusqu'à l'abonné est constitué de 475 « codes communes » du code officiel géographique publié par l'Insee (cf annexe 1 du présent avis).
Sur certaines de ces communes, Orange propose de s'engager sur une partie de la commune, ces communes faisant l'objet du déploiement du RIP sur le restant de leur territoire. Les fichiers géographiques fournis par la régie Vienne Numérique, le syndicat mixte ouvert Deux-Sèvres Numérique et par Orange (3) montrent par ailleurs qu'une délimitation exacte et cohérente des zones relevant de la proposition d'Orange et de celles relevant des RIP départementaux a été effectuée à l'échelle infra-communale.
Orange n'a cependant pas transmis les informations permettant à l'Autorité d'effectuer une synthèse quantitative du nombre de locaux concernés par l'engagement.

2.2. Un engagement à l'échéance fin mars 2025

Orange s'engage, de façon ferme, pour l'ensemble du périmètre géographique de sa proposition d'engagement (cf. section 2.1), à avoir rendu « raccordables » fin mars 2025 au minimum 90 % des locaux de la zone AMEL, les 10 % restant étant « raccordables sur demande », un local « raccordable sur demande » désignant un local « éligible commercialement à une offre FttH et pouvant être rendu raccordable sous 6 mois ». Orange prévoit en outre de recourir, pour une partie de ces locaux « raccordables sur demande », à une « tarification différenciée et plus élevées que le tarif standard, reflétant les coûts », ce dans une limite de « 4 % du nombre de prises sur l'ensemble du périmètre géographique de l'AMEL » (cf. section 3.2.2).
Au-delà des observations de l'Autorité sur le taux de locaux « raccordables sur demande » formulées infra, il est précisé que, conformément à la proposition d'engagements d'Orange, le taux de de locaux « raccordables sur demande » s'apprécierait à l'échelle du périmètre géographique de la zone « AMEL » du département. Il paraît acceptable que le taux de « raccordables sur demande » puisse varier d'une commune à l'autre, pour permettre une flexibilité à Orange. Toutefois, il importerait qu'Orange veille à ce que des communes ne concentrent pas des taux élevés, autant dans un souci d'équité territoriale que pour des questions opérationnelles, afin de garantir sa capacité à effectivement permettre le raccordement des locaux « raccordables sur demande » dans un délai qui ne devrait pas excéder 6 mois. De manière similaire, il importerait également que les locaux à usage professionnel ne soient pas surreprésentés dans les locaux relevant de la catégorie « raccordables sur demande ».

  1. Les observations de l'Arcep sur la proposition d'engagements d'Orange

La proposition d'engagements d'Orange appelle les observations suivantes de la part de l'Autorité.

3.1. Un taux de locaux « raccordables sur demande » trop élevé en l'absence d'offre correspondante sur le marché de détail

Dans sa proposition d'engagements, Orange se laisse la possibilité de prévoir, à fin mars 2025, jusqu'à 10 % de locaux « raccordables sur demande » à l'échelle des deux départements concernés.
En préambule, et indépendamment de l'échéance de fin mars 2025 de l'engagement proposé, l'Autorité rappelle que le taux de locaux « raccordables sur demande » devra s'apprécier, une fois atteinte l'échéance de l'obligation de complétude (4) et en application de cette obligation, en fonction des circonstances locales et en tenant compte des éléments explicités dans la recommandation en date du 7 décembre 2015.
Dans le cadre examiné ici d'une proposition d'engagements, s'il est raisonnable que les opérateurs puissent mobiliser ce mécanisme, il apparaît qu'un taux de 10 % est élevé, surtout quand il s'applique non pas au niveau d'une échéance intermédiaire, mais au niveau d'une échéance finale et qu'il constitue donc la situation cible que pourra in fine contrôler l'Arcep en application de l'engagement.
Ce taux est d'autant plus préoccupant que l'Autorité constate qu'aucun opérateur commercial ne propose à ce jour d'offre de détail sur les locaux « raccordables sur demande », dont les occupants sont donc de fait inéligibles à une offre de service FttH. Il apparaît à cet égard dans les réponses reçues par l'Autorité à la consultation publique « Bilan et perspectives » menée dans le cadre de la préparation du prochain cycle d'analyse des marchés fixes, qu'aucun opérateur commercial d'envergure nationale n'a indiqué de calendrier sur la disponibilité d'une offre de détail destinée aux locaux « raccordables sur demande » ; il n'est ainsi pas possible de savoir si une offre sera disponible à l'avenir, ni dans quelles conditions.
Dans ces conditions, en l'absence d'indication ferme de la part d'aucun opérateur commercial sur la disponibilité d'une telle offre de détail, le taux proposé de 10 % de locaux « raccordables sur demande » conduit à devoir considérer que jusqu'à 10 % des locaux pourront être durablement inéligibles au FttH. Eu égard aux objectifs de régulation prévus à l'article L. 32-1 du CPCE, cette proportion de locaux pouvant ne pas avoir accès à une offre de service sur fibre à l'issue du déploiement prévu par l'opérateur apparaît trop élevée pour l'Autorité. L'Autorité a en effet estimé dans un avis précédent (5) qu'un « taux de 8 % […] apparaît comme un taux limite » (6).
Le Gouvernement avait par ailleurs indiqué aux opérateurs, à l'occasion du point d'avancement organisé par les ministres le 21 mai 2019, qu'une limite de 8% de locaux non éligibles à une offre dans des conditions standards devrait être respectée dans leurs dernières propositions d'engagements.
Pour l'ensemble de ces raisons, la proposition d'engagements d'Orange ne peut être considérée favorablement.

3.2. L'offre d'accès associée à l'engagement

Dans le cadre de l'examen des propositions d'engagements de couverture FttH en application de l'article L. 33-13 du CPCE, il est essentiel que l'Autorité puisse apprécier les conditions d'accès aux réseaux dont le déploiement est envisagé.
Lorsque l'Autorité s'est prononcée en juin 2018 sur les engagements d'Orange et SFR en zone AMII (7), les offres d'accès de ces deux opérateurs étaient connues, publiées de longue date et utilisées par les opérateurs commerciaux, qui y avaient souscrit. Tel n'est pas nécessairement le cas pour les projets d'AMEL.

3.2.1. Les conditions tarifaires associées à l'engagement

En l'espèce, Orange a indiqué dans son courrier en date du 4 novembre 2019 que « l'offre applicable au niveau du périmètre de ces propositions d'engagements sera l'offre de gros d'accès à la partie terminale des lignes FttH en dehors de la zone très dense d'Orange », dont les principales conditions tarifaires sont rappelées en annexe 2 du présent avis.
Cela conduira donc Orange à proposer dans la zone AMEL des départements des Deux-Sèvres et de la Vienne des conditions d'accès identiques à celles qu'il propose en zone AMII, permettant ainsi aux opérateurs commerciaux de retrouver dans cette zone AMEL les mêmes conditions d'accès que celles qu'ils connaissent ailleurs sur le territoire, tant en zone AMII que sur les réseaux d'initiative publique.
Dans son examen, l'Autorité note toutefois que l'offre d'accès d'Orange en dehors des zones très denses prévoit depuis le 1er janvier 2019, en matière de renouvellement des droits, des tarifs différents selon que la tranche de cofinancement a été souscrite au cours des treize premières années du réseau ou après la quatorzième année. L'Autorité s'interroge sur les conditions tarifaires attachées au renouvellement des droits d'usage, en ce qu'elles pourraient induire une différence de traitement entre les opérateurs cofinanceurs.
L'Autorité a donc demandé à Orange dans quelle mesure l'équilibre du plan d'affaires de son projet reposait sur des revenus attachés au renouvellement de droits d'usage conférés après la quatorzième année. Orange a indiqué à cet égard dans un courrier en date du 4 novembre 2019 qu'« en prenant l'hypothèse que les opérateurs commerciaux se comportent de manière rationnelle, […] l'équilibre du projet ne repose donc pas sur les éventuels revenus attachés au renouvellement des droits d'usage dans le cas spécifique d'un cofinancement ex post effectué entre la quatorzième année et la vingtième année ». Ainsi, la modification éventuelle des conditions tarifaires sur ce point ne porterait pas atteinte au plan d'affaires présenté par Orange et donc in fine à la crédibilité du projet d'Orange et de sa proposition d'engagements.

3.2.2. Une tarification spécifique des lignes très coûteuses

Comme mentionné précédemment, Orange estime en outre nécessaire d'exclure un certain nombre de lignes particulièrement coûteuses du tarif forfaitaire standard et de conditionner l'installation du PBO au paiement d'un tarif spécifique. Orange propose en effet de définir, au sein de la catégorie de locaux « raccordables sur demande », une sous-catégorie de lignes spécifiques, définies comme des lignes « raccordables sur demande présentant un coût de déploiement à la prise significativement élevé à l'échelle du projet », qui :
« consistent en des locaux ou grappe de locaux dont le coût de déploiement est supérieur à 5 000 € par logement ou local à usage professionnel ; le total de ces prises ne pouvant dépasser 4 % du nombre de prises sur l'ensemble du périmètre géographique de l'AMEL. » (8).
Orange précise dans son courrier d'engagement que « ces prises pourraient faire l'objet d'une tarification différenciée et plus élevée que le tarif standard, reflétant les coûts. Ces prises locaux seront rendues raccordables suite à une demande d'un opérateur commercial, après qu'il en ait accepté la tarification spécifique. »
Dans son avis n° 2019-0431 portant sur la proposition d'Altitude Infrastructure THD dans le cadre de l'AMEL de la Côte-d'Or (9), l'Autorité a considéré que la possibilité de recourir à un traitement spécifique pour certaines lignes très coûteuses peut paraître pertinente, en particulier lorsqu'elle permet de donner accès à la quasi-totalité des locaux aux tarifs habituellement constatés en zone AMII (et en zone RIP), alors que cela ne serait pas possible sans. L'Autorité a en outre estimé que le report de la pose du PBO jusqu'à ce qu'une demande de pose soit assortie du paiement d'un tarif spécifique pouvait être envisagé sous réserve de remplir certaines conditions. Ces conditions précisaient notamment qu'un tel mécanisme ne pouvait s'appliquer qu'à des lignes particulièrement coûteuses, au nombre limité, que le tarif proposé en contrepartie de l'obligation de rendre les locaux concernés « raccordables » sous 6 mois devait refléter les coûts et que ces locaux devaient être identifiés préalablement aux déploiements.
Au cas d'espèce, la proposition d'engagement d'Orange établit, en particulier, un seuil de coût de 5 000 € par local et limite le volume des lignes concernées à 4 % du volume total.

3.3. L'absence d'une clause prévoyant les modalités à suivre en cas de cession de l'engagement

Orange ne prévoit, dans son courrier d'engagement, aucune procédure à suivre dans le cas où elle souhaiterait céder le réseau qu'elle propose de déployer ou bien l'engagement pris au titre de l'article L. 33-13 du CPCE. Aussi, l'Autorité rappelle le caractère intuitu personæ d'un engagement pris au titre de l'article L. 33-13 du CPCE auprès du ministre chargé des communications électroniques. Le transfert d'engagements qui ont été souscrits nominativement par une société n'apparaît ainsi envisageable et juridiquement possible que sous la condition d'un accord du ministre qui a accepté l'engagement initial, et supposera un nouvel avis de l'Autorité.

3.4. La clause de sortie des engagements

Orange propose une clause détaillant les modalités lui permettant de demander à l'Etat de se voir délier de ses engagements, ces derniers étant proposés par Orange « sous la réserve de la pérennité du cadre général (10) […], ou à tout le moins sous la réserve de l'absence d'un impact substantiellement négatif de toute modification de ce cadre général sur l'équilibre financier du secteur et consécutivement d'Orange. »
Orange prévoit également un protocole pour demander une modification de ses engagements (11).
Il semble naturel que dans le cadre de ses engagements Orange souhaite se prémunir d'aléas imprévisibles, comme c'est le cas pour ses engagements en zone AMII. Dans ces conditions, il appartiendra au Gouvernement et à l'Arcep d'apprécier l'existence de conséquences substantiellement négatives sur l'équilibre financier du secteur, avant toute modification éventuelle des engagements.
En tout état de cause, il est utile de noter que le cadre législatif et réglementaire a vocation à se préciser et pourra donc évoluer, notamment à la suite de la transposition en droit français du cadre européen. Par ailleurs, l'Arcep peut être amenée à préciser l'application du cadre réglementaire en vigueur, notamment par des recommandations ou à se prononcer, lorsqu'elle est saisie, dans le cadre de décisions de règlement de différend au titre de l'article L. 36-8 du CPCE.

3.5. Le suivi de la réalisation des déploiements

Comme détaillé en section 2.2, les engagements proposés par Orange consistent à rendre « raccordables » ou « raccordables sur demande » les locaux de la zone AMEL des Deux-Sèvres et de la Vienne d'ici fin mars 2025, c'est-à-dire en l'espace de plus de cinq ans.
Il doit être souligné qu'en l'absence d'un ou plusieurs jalons intermédiaires juridiquement opposables, l'Arcep ne sera en mesure de constater d'éventuels manquements d'Orange à son engagement sur les deux départements concernés qu'à partir du moment où il pourra être constaté un risque caractérisé que l'opérateur ne respecte pas à l'échéance prévue les obligations qui découlent de son engagement.
Ainsi, si l'Arcep restera attentive au rythme des déploiements d'Orange dans les départements des Deux-Sèvres et de la Vienne tout au long de la durée de son engagement, elle ne pourra véritablement apprécier la capacité de l'opérateur à respecter les délais de ses engagements qu'à l'approche de l'échéance.

Conclusion

Orange propose de prendre des engagements juridiquement opposables de couverture FttH en dehors des zones très denses sur la zone AMEL des Deux-Sèvres et de la Vienne.
La proposition d'engagements d'Orange prévoit 10 % locaux raccordables à la demande ; cela constitue une proportion élevée, d'autant plus que ce taux s'applique à une échéance finale et donc à une situation cible. En l'absence actuelle de perspective de disponibilité d'une offre de détail pour les locaux « raccordables sur demande », elle aboutit à ce qu'un nombre excessif de locaux de la zone AMEL de la Vienne et des Deux-Sèvres puissent être durablement privés de leur éligibilité au FttH. Dans ces conditions, sauf à ce qu'il soit remédié à cette difficulté, l'Autorité estime que cette proposition d'engagements n'est pas satisfaisante et émet un avis défavorable.
L'Autorité formule en complément plusieurs observations, portant principalement sur :

- les conditions tarifaires d'accès attachées au renouvellement des droits d'usage ;
- les conditions tarifaires d'accès liées au traitement spécifique des lignes très coûteuses ;
- l'absence de clause prévoyant les modalités à suivre en cas de cession ;
- la formulation de la clause de sortie.

L'Autorité restera, dans l'hypothèse où le ministre accepterait ces propositions d'engagements, très vigilante quant à leur réalisation.

Fait à Paris, le 14 novembre 2019.

Le président,

S. Soriano

(1) La commune de Poitiers est la seule commune des départements concernés appartenant aux zones très denses et n'est donc pas comptabilisée dans le tableau ci-après.

(2) Arrêté du 26 juillet 2018 portant acceptation de la proposition d'engagements de la société Orange au titre de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques.

(3) Dans leurs courriers respectifs en date du 8 novembre 2019, 8 novembre 2019 et du 4 novembre 2019.

(4) Obligation de complétude prévue par la décision n° 2010-1312 et précisée par la recommandation en date du 7 décembre 2015.

(5) Avis n° 2019-0813 en date du 6 juin 2019 rendu à demande du ministre chargé des communications électroniques portant sur la proposition d'engagements de Covage Saône-et-Loire sur le département de la Saône-et-Loire.

(6) Cette appréciation portait sur un taux de 8 % de locaux « raccordables sur demande » à tarif spécifique. Pour l'utilisateur final, cette situation est, en l'absence d'une offre de détail adaptée, similaire à celle d'un local « raccordable sur demande » tel que proposé ici par Orange, puisqu'elles mènent toutes deux à une inéligibilité à une offre FttH (ou en tous cas à une offre accessible à un tarif relativement standard).

(7) Avis n° 2018-0364 de l'Autorité du 12 juin 2018 rendu à la demande du ministre chargé des communications électroniques portant sur la proposition d'engagements d'Orange au titre de l'article L. 33-13 et avis n° 2018-0365 de l'Autorité du 12 juin 2018 rendu à la demande du ministre chargé des communications électroniques portant sur la proposition d'engagements de SFR au titre de l'article L. 33-13.

(8) Orange précise en outre qu'elle 8 « identifiera ces prises au cours des études préalables 8 (notamment les avant-projets détaillés) et participera aux travaux Interop'Fibre pour leur communication dans les flux d'informations échangées avec les opérateurs commerciaux, dans le respect des procédures définies entre l'Arcep et les opérateurs. Par la suite, Orange transmettra aux représentants de l'Arcep et du Gouvernement une estimation générale, sur le périmètre concerné par l'AMEL, du volume de ces prises. Orange renseignera et tiendra à jour ses bases si des modifications étaient apportées lors de la phase de déploiement et en informera, le cas échéant, les services concernés. »

(9) Avis n° 2019-0431 de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 19 mars 2019 rendu à la demande du ministre chargé des communications électroniques portant sur la proposition d'engagements d'Altitude Infrastructure THD au titre de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques.

(10) Orange cite à cet égard le « cadre règlementaire en vigueur au 10 avril 2019 applicable au FttH et en particulier ses décisions n° 2010-1312, n° 2013-1475, n° 2015-0776, et ses recommandations du 22 décembre 2009, du 7 décembre 2015 et du 24 juillet 2018, ainsi que des conditions tarifaires actuelles des offres de cofinancement hors zones très denses ».

(11) Le courrier d'engagement d'Orange prévoit à cet égard que :

« Toute modification de ce cadre général ouvre droit pour Orange de demander la tenue d'une réunion au cours de laquelle Orange présenterait à des représentants du Gouvernement et de l'Arcep les raisons qui le conduisent à envisager de reconsidérer tout ou partie des engagements ici proposés à l'aune de l'impact sur l'équilibre du secteur. Cette réunion devra se tenir au plus tard 30 jours suivant le jour de la formulation par Orange d'une telle demande. Au plus tard dans les deux mois suivant la demande de convocation de ladite réunion, Orange se réserve le droit de reconsidérer tout ou partie des susdits engagements dès lors qu'elle aura démontré l'impact substantiel sur l'équilibre du secteur desdites modifications, le cas échéant, sous le contrôle du juge. »