JORF n°0291 du 16 décembre 2015

Avis n°2015-23 du 25 novembre 2015

Conformément à l'article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (ci-après : « le conseil ») est appelé à rendre un avis sur le rapport annuel d'exécution du contrat d'objectifs et de moyens (ci-après : « COM ») qui a été conclu entre l'Etat et la société nationale de programme Radio France pour la période 2010-2014.
Le présent avis du conseil porte sur l'exécution du COM pour l'année 2014. Il s'agit de la dernière année de ce COM et d'une année de transition avec l'arrivée du nouveau président de Radio France en mai 2014.
L'année 2014 a été marquée par des difficultés financières sérieuses. Pour la première fois, l'entreprise a affiché sur l'exercice un résultat net déficitaire de 2 M€. Si la trésorerie reste positive, elle se dégrade cependant sensiblement depuis 2009. Les ressources de l'entreprise progressent peu avec une hausse de 1,8 % des produits d'exploitation. Les charges d'exploitation connaissent en revanche une augmentation plus rapide (+ 2,9 %). La redevance audiovisuelle représente environ 90 % du chiffre d'affaires de la société et près de 86 % des produits d'exploitation. Dans un tel contexte, l'augmentation des ressources propres ne pourra à elle seule compenser la relative stagnation des recettes publiques.
L'année 2014 s'est également caractérisée par l'ouverture, les 14 et 16 novembre, de nouveaux espaces dans la Maison de la Radio : le nouvel auditorium, le studio 104 rénové et les halls. Depuis cette date, Radio France peut de nouveau accueillir un large public dans le cadre d'émissions, de concerts et d'événements.
Le rapport d'exécution du COM de Radio France reprend, pour les 36 indicateurs « cibles », les résultats obtenus ainsi que les moyens mis en œuvre pour y parvenir.
Le COM assigne à la société Radio France deux grandes séries d'indicateurs : les indicateurs éditoriaux et stratégiques, d'une part, et les indicateurs financiers et de gestion, d'autre part. A l'instar de l'année 2013, une majorité d'indicateurs a été respectée. Les objectifs non atteints concernent l'audience, la programmation musicale, la santé et le développement durable. Cependant, le conseil constate que, parmi les indicateurs de suivi, certains se dégradent ou sont à un niveau très bas.

I. - En ce qui concerne les indicateurs éditoriaux et stratégiques
Les antennes

Les grilles de trois stations ont été profondément renouvelées à la rentrée 2014. Ces changements ont plus particulièrement concerné France Info, France Inter et France Musique. La nouvelle direction a souhaité renforcer la complémentarité des antennes comme l'y invite le COM afin d'élargir les audiences.
En 2014, France Info a repensé l'ensemble de sa grille pour se recentrer sur le traitement de l'actualité en continu. Ce renouvellement a été marqué notamment par la mise en place de trois grands journaux sur la journée (30 minutes à 12 heures, 18 heures et 22 h 30) et la création de nouveaux formats plus longs. De nouvelles émissions sont consacrées à l'approfondissement, au témoignage, au reportage et à l'interview.
France Inter, la chaîne généraliste du groupe public, a renouvelé un tiers de ses émissions. L'antenne s'est féminisée et rajeunie. Elle donne également davantage de place aux auditeurs.
France Musique a modifié un tiers de sa grille et procédé à de nombreux changements éditoriaux. La station a harmonisé ses formats d'émission, mis en place une politique d'éditorialisation de la grille et mis à l'antenne un nouvel habillage permettant une meilleure identification.
En revanche, les grilles de France Culture, France Bleu et le Mouv' ont été peu modifiées. Cette dernière a cependant travaillé à la refonte complète de sa grille afin de proposer, pour 2015, une offre radiophonique totalement renouvelée à destination des 15-30 ans.

Les audiences et les auditeurs

Ces modifications semblent avoir porté leurs fruits dans la mesure où les vagues de septembre-octobre et celles de novembre-décembre 2014 se sont révélées plus favorables aux stations du groupe public. Cependant, sur l'année 2014, le groupe affiche l'audience cumulée sur un jour moyen la plus faible depuis le début du COM et n'atteint pas les objectifs (25 % pour un objectif de 25,8 % pour l'ensemble des stations). Sont concernés le Mouv' (0,4 % pour un objectif de 1,5 %), France Info (7,8 % pour un objectif de 8,8 %) et France Inter (9,7 % pour un objectif de 10,2 %). La situation du Mouv' et de France Info est assez préoccupante.
Dans le même temps, France Bleu, le réseau référent des régions, continue d'enregistrer de très bons résultats. La station réseau a mis à la disposition des auditeurs en 2014, en complément des programmes locaux et des émissions de divertissement et d'information diffusés par les stations locales, des productions de fictions, de divertissements et de documentaires réalisées par des ateliers de création. Son audience cumulée s'est élevée à 7,5 %.
France Culture, chaîne du savoir, de la connaissance et du décryptage de l'actualité, réalise sa meilleure audience depuis le début du COM (2,1 % en audience cumulée moyenne sur 2014). Fidèle à son ambition culturelle, France culture a créé, sur le modèle de « Culture Science », la tranche « Culture Société » qui aborde des grandes questions de société autour des thématiques suivantes : la condition contemporaine sous toutes ses formes (modes de vie, transports, urbanisme…), l'éducation et la justice.
A la question de l'audience, s'ajoute pour le groupe public celle du vieillissement des auditeurs. L'âge médian qui s'établit à 57 ans pour l'ensemble du groupe culmine à 68 ans pour France Musique qui doit élargir sa base d'auditeurs. Au début de ce COM, l'âge médian était de 55 ans pour Radio France, supérieur à celui du média radio dans son ensemble qui atteint 45 ans. Il s'agit d'un objectif de suivi du COM qui ne cesse de se détériorer. Cependant cette dégradation se situe dans un contexte de vieillissement de la population et cette tendance touche l'ensemble du secteur radiophonique. Le conseil relève également que l'indicateur de suivi relatif au temps d'antenne consacré par les chaînes de Radio France à des programmes visant plus particulièrement le jeune public n'est pas renseigné.
L'image de France Inter et de France Info, qui est suivie par une note de satisfaction, reste très satisfaisante. Même si les écarts sont relativement réduits, elle est supérieure à celle de leurs concurrentes privées. Face à ses concurrentes généralistes, sur les huit items proposés en matière d'information, France Info arrive en tête sur quatre d'entre eux (comme la crédibilité, la neutralité et le pluralisme ou la qualité de ses informations) et ex aequo sur un autre. France Inter pour sa part arrive en tête sur les trois autres. Ces notes sont données par l'auditoire global, régulier ou occasionnel (source IPSOS panel Radio France).

La musique et l'éducation aux médias

Concernant la musique, la part des nouveautés parmi les titres diffusés par France Inter est en baisse pour la troisième année consécutive (51,9 % soit - 0,4 point), et bien en deçà de l'objectif fixé par le COM (55 %). Le conseil souligne le rôle exemplaire que devrait jouer le service public en la matière. Le nombre de concerts organisés par Radio France accuse une très forte baisse (821, soit - 37 % comparé à 2013) et n'atteint pas l'objectif annuel du COM. L'éditeur explique cette baisse par la raison conjoncturelle du chantier de réhabilitation.
Le conseil relève à nouveau que la proportion de chansons francophones sur les antennes de Radio France est inférieure à 50 % contrairement aux objectifs fixés par le cahier des charges de la société. La place accordée à la chanson d'expression française continue par ailleurs de diminuer sur l'ensemble des antennes, à l'exception du réseau France bleu. Il est à noter cependant que le COM ne prévoit pas d'indicateur sur ce point.
Concernant les missions pédagogiques mises en œuvre par Radio France qui, dans ce COM, ne font l'objet que d'indicateurs de suivi, le conseil note avec satisfaction l'effort notable du groupe public en la matière.
Une convention en faveur de l'éducation artistique et culturelle a été signée le 15 octobre 2014 (avec plusieurs ministères dont celui de l'éducation nationale). Radio France a construit différents parcours pédagogiques autour de ses missions de service public, d'éducation et de transmission de ses contenus et de ses programmes, afin de sensibiliser la communauté éducative sur son rôle majeur en faveur de l'éducation artistique et culturelle. Avec la réouverture de la Maison de la radio en novembre 2014, Radio France accueille chaque jour de nombreux écoliers et étudiants qui, dans le cadre scolaire mais également familial et individuel, s'initient à travers des ateliers à la radio, à la pratique musicale, à la fabrication d'une émission, au traitement de l'actualité. Le nombre des missions pédagogiques devrait donc sensiblement augmenter.
Le conseil encourage vivement l'ensemble des initiatives relatives à l'éducation aux médias et souligne, à nouveau, les enjeux que constitue aujourd'hui cette mission essentielle.

Le numérique

Plusieurs sites internet ont été conçus en 2014, pour France Info, Fip, la Maison de la radio, la saison musicale 2014-2015 et les éditions. Les applications mobiles de France Inter et de France Info ont fait l'objet de nouvelles versions. La rentrée 2014 a également été marquée par le lancement de la radio visuelle pour le 7/9 de France Inter.
L'organisation de la direction des nouveaux médias (DNM) a connu plusieurs évolutions durant l'année 2014. Une équipe consacrée à la production numérique a été créée, regroupant l'activité vidéo, la coordination multimédia et les ressources dédiées à la production ainsi qu'un pôle édition qualité.
Les indicateurs concernant le pourcentage de l'offre Radio France offerte en différé sont largement respectés et même dépassés. Le nombre d'heures offertes en différé (baladodiffusion) atteint 60 % pour un objectif de 35 %. L'objectif a été atteint dès 2012. Cependant, le conseil note que l'indicateur sur le maintien de l'audience (nombre de téléchargements mensuels moyens de podcasts) du groupe public par rapport aux radios généralistes concurrentes n'existe plus.
Le conseil rappelle l'importance pour Radio France de maintenir et d'amplifier ces développements qui devraient permettre à l'entreprise de rajeunir son audience alors que les pratiques du public évoluent rapidement.
A propos des objectifs de coopération avec les autres sociétés de l'audiovisuel public, le conseil estime que la coopération doit être renforcée. Le conseil prend acte de la convention cadre signée en 2014 pour cinq ans entre Radio France et l'Institut national de l'audiovisuel (INA). Radio France aura dorénavant un accès élargi aux fonds radiophoniques de l'INA pour ses antennes et ses sites internet. D'autres coopérations devraient être mises en place ou renforcées notamment sur le numérique, la formation et l'action internationale des sociétés nationales de programme.

II. - En ce qui concerne les objectifs relatifs à la gestion de l'entreprise
Les éléments financiers

Pour la première fois, l'entreprise affiche sur l'exercice un résultat net déficitaire de 2,0 M€. Parallèlement, bien qu'encore positive, la trésorerie se dégrade sensiblement.
La dégradation du résultat de l'entreprise résulte d'un « effet de ciseau » entre les ressources et les dépenses. Les ressources progressent peu (+ 1,8 %), alors que les charges d'exploitation connaissent, quant à elles, une augmentation plus rapide : 2,9 % par rapport à 2013. L'augmentation des charges est principalement liée à l'augmentation des charges de personnel (+ 3,9 %).
La part de la contribution à l'audiovisuel public a connu une légère hausse et s'est élevée à 575,9 M€ en 2014 (+ 0,8 %). Elle représente 89 % du chiffre d'affaires de Radio France. Ce montant est inférieur de 45,7 M€ à ce qui était prévu dans le COM 2010-2014.
Dans le même temps, les ressources propres de l'entreprise ont progressé. Elles se sont élevées à 69,6 M€ (+ 4,8 % par rapport à 2013). L'augmentation des ressources propres est due pour moitié à la hausse des recettes publicitaires à 41,9 M€ (+ 1,6 M€) et pour moitié aux ventes et prestations de services (27,6 M€, + 1,6 M€).
Toutefois si l'on examine l'évolution des ressources propres depuis 2010, on constate que, bien que conforme aux objectifs du COM, elles sont en constant recul. La réouverture au public de la Maison de la radio en novembre 2014 devrait permettre d'augmenter sensiblement ces recettes à l'avenir.
Concernant la gestion et la gouvernance de l'entreprise, Radio France devra, conformément aux préconisations de la Cour des comptes, mettre en place une comptabilité analytique, renforcer le rôle du conseil d'administration ainsi que les moyens et le rôle des fonctions d'audit.

Les ressources humaines

Les objectifs souscrits par l'entreprise dans le cadre du COM concernant la masse salariale et les formations ont été respectés à l'exception de la diminution des risques d'accident qui connaît une hausse.
Les effectifs de Radio France s'élèvent à 4 639,3 ETP (+ 0,8 % par rapport à 2013). L'objectif est apprécié en moyenne sur la période 2010-2014. Il est atteint si on prend en compte le dépassement autorisé en 2011 et 2012 (la cible du COM étant ramenée à 4 630,7 au lieu de 4 619,5 en début de COM).
En s'établissant à 57,7 % des charges d'exploitation, la part des charges de personnel est conforme à la cible assignée par le COM (soit 58,5 %). Cependant elle continue à augmenter plus vite que les charges d'exploitation.
Si l'ensemble des objectifs relatifs à la promotion de l'égalité des chances a été respecté par Radio France en 2014, le conseil regrette que ceux-ci soient très réduits dans leur dimension et qu'un seul objectif porte sur la diversité des origines.
Concernant le handicap, plusieurs actions significatives ont été réalisées en 2014 avec : la signature de la charte - établie sous l'égide du CSA et signée le 11 février 2014 - visant à favoriser la formation et l'insertion professionnelle des personnes handicapées dans le secteur de la communication audiovisuelle ; la mise en ligne, dans le cadre de la Semaine pour l'emploi des personnes handicapées (SEPH), d'un jeu à destination de l'ensemble des collaborateurs sur toute la France ; la conclusion d'un partenariat avec l'association Osons l'égalité pour favoriser l'implication des collaborateurs dans l'accueil de jeunes en situation de handicap. De 2012 à 2014, 50 postes ont fait l'objet d'aménagements.
S'agissant de l'équilibre intergénérationnel, le taux d'emploi des personnes de plus de 55 ans atteint 22 %. Ce taux est très supérieur à l'objectif fixé par le COM (16 %). Radio France a également pris des engagements en faveur de l'insertion durable des jeunes, notamment via le développement de l'alternance et a signé un contrat de génération.
S'agissant de l'objectif assigné par le COM concernant la répartition hommes/femmes parmi les cadres, celui-ci a été dépassé et le taux global de féminisation atteint 43 %. S'agissant de la présence des femmes à l'antenne, le groupe indique que le pourcentage des invitées femmes dans les « matinales » fait l'objet d'un suivi mensuel et la perception par les auditeurs de la place des femmes est mesurée dans le cadre d'un panel. Le conseil regrette que l'analyse de ces données ne lui ait pas été communiquée. Par ailleurs, le conseil déplore que Radio France n'ait pas atteint son objectif de 30 % de femmes dans les « matinales » que le groupe s'était fixé, hors COM, pour 2014 (Radio France déclare 26 % de femmes invitées).
Le conseil encourage fortement les dirigeants de Radio France à approfondir les actions en matière de diversité et à inscrire des objectifs précis et plus ambitieux en matière de promotion de l'égalité dans le prochain COM. Pour ce qui est de l'égalité entre les femmes et les hommes, le conseil souhaiterait qu'un objectif minimum de 30% soit inscrit pour 2015, avec une montée en charge pour les années suivantes, en ce qui concerne la présence d'expertes sur les antennes.
Même si les objectifs inscrits dans le COM ont été respectés, le conseil souligne l'importance pour l'entreprise d'améliorer la qualité du dialogue social dans le cadre d'un chantier ambitieux de modernisation sociale en association avec le personnel, comme l'a souligné le médiateur désigné dans le cadre de la crise sociale du printemps 2015.

La réhabilitation de la Maison de la radio

En 2014, la finalisation de la phase 2 (le programme a été découpé en cinq phases de 0 à 4) a été marquée par la livraison de l'auditorium (1 400 places) et du studio 104, et l'installation de France Info et France Inter dans des locaux définitifs.
La phase 4, lancée en 2014, porte sur la réhabilitation de la grande couronne de la Maison de la radio entre les portes D et F et se poursuit en 2015. La plupart des objectifs du COM, que ce soit en termes de coût ou de délai, n'a pas été atteint mais il s'agit d'objectifs de suivi. Le coût prévisionnel final du projet s'élève à 391,5 M€, au lieu de 328 M€ (valeur juin 2008). La fin des travaux initialement prévue en août 2016 est dorénavant annoncée pour mi-2018.
Ce chantier de réhabilitation en site occupé s'est révélé très perturbateur pour l'entreprise (source de nuisance pour le travail quotidien du personnel). Ces travaux devraient dorénavant faire l'objet d'une planification et d'un suivi plus précis. Il serait en particulier souhaitable que le conseil d'administration et le personnel de l'entreprise soient davantage associés au suivi.
Comme l'a souligné la Cour des comptes, la société Radio France est aujourd'hui confrontée à une situation financière préoccupante nécessitant des réformes structurelles importantes. Le conseil estime que, pour la période du prochain COM (2015-2019), la société devra retrouver un équilibre financier et une situation financière saine en maîtrisant ses charges. Il importe, tout en prenant en compte l'impératif d'assainissement des finances publiques, que le groupe puisse disposer d'une dotation lui permettant de moderniser durablement son fonctionnement et de maintenir ses missions de service public et son ambition éditoriale et culturelle.
Le présent avis sera publié au Journal officiel.

Fait à Paris, le 25 novembre 2015.

Pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel :

Le président,

O. Schrameck