JORF n°0160 du 12 juillet 2011
Avis du
1. L'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Ce droit s'applique d'autant plus aux personnes détenues que, comme l'indique le Conseil constitutionnel, « la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés » (Conseil constitutionnel, décision n° 2009-580 du 10 juin 2009, consid. 15). Il appartient donc à l'administration pénitentiaire de le garantir, sous les seules réserves nécessaires au maintien de la sécurité et au bon ordre des établissements, à la prévention de la récidive et à l'intérêt des victimes (selon ce qu'indique la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 à son article 22). Autrement dit, cette administration ne saurait apporter d'autres limites à la liberté d'information que ce qu'exigent la sécurité, l'avenir des personnes détenues et le bien de leurs victimes.
2. Parmi les outils d'information et de communication de notre temps, figurent les services en ligne, auxquels s'applique le principe ci-dessus rappelé. Comme l'indique encore le Conseil constitutionnel (décision précitée, consid. 12), « eu égard au développement généralisé des services en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions », le droit à la libre communication des pensées et des opinions « implique la liberté d'accéder à ces services ». Cette liberté est d'autant plus importante pour les personnes détenues que, privées de leur liberté d'aller et de venir et d'une grande part des moyens d'action qui en résulte, l'informatique est un moyen très privilégié d'accéder à une grande part de l'information provenant de l'extérieur (presse, formation, annonces d'emploi, démarches administratives, enseignement, jeux, renseignements divers).
Cette liberté-là est soumise naturellement aux mêmes restrictions pour les personnes détenues que les autres libertés dont la décision du juge ne les a pas privées. Elle doit être conciliée avec les exigences liées à la sécurité, l'ordre public, au devenir des personnes détenues et aux droits des victimes. Cette conciliation se traduit par le respect de ces exigences, pourvu que les impossibilités ou les interdictions qu'il entraîne soient en effet nécessaires et proportionnées aux risques existant dans ces domaines.
3. Tel n'est pas le cas aujourd'hui.
Depuis le décret du 20 mars 2003, l'article D. 449-1 du code de procédure pénale dispose que les personnes détenues peuvent acquérir du matériel informatique mais selon les modalités et caractéristiques arrêtées par l'administration dans une instruction générale ; il prévoit aussi que la conservation de documents sur support informatique ne peut avoir pour fin que la formation, l'enseignement ou l'activité socio-culturelle ; il prévoit enfin ― dans une disposition dont la légalité est loin d'être évidente ― que ce matériel peut, dans certains cas, être confisqué par l'administration jusqu'à la fin de la peine de l'acquéreur, sans autre procédure que les « observations écrites » recueillies au titre de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 (1) . « L'instruction générale » a pris la forme d'une circulaire du directeur de l'administration pénitentiaire (écrite en deux versions, l'une « communicable » aux personnes détenues, l'autre « non communicable ») du 9 avril 2009, modifiée le 13 octobre suivant. Elle distingue ce qu'il est possible aux détenus de faire dans le domaine informatique d'une part en cellule, d'autre part dans les locaux collectifs. Elle définit les mesures de contrôle et de surveillance des matériels et des activités et aussi les matériels utilisables et ceux prohibés.
4. En premier lieu, les dispositions qui précèdent reçoivent des applications très sensiblement différentes d'un lieu de détention à l'autre. En particulier, le contrôle général a été saisi de nombreuses situations dans lesquelles, tel matériel autorisé en cellule dans un établissement ne l'était pas dans un autre ; le détenu arrivant dans ce dernier à la suite d'un transfert se voit donc retiré un périphérique, un logiciel ou un support de stockage d'informations dont il pouvait avoir l'usage depuis longtemps. Ajoutons que les frais de transport du matériel informatique ne sont pas pris en charge par l'administration, dès lors que son propriétaire estime ne pas pouvoir entreposer ce matériel dans les simples cartons banals en usage pour les transfèrements (sur ce point, cf. avis du contrôleur général du 10 juin 2010 relatif à la protection des biens des personnes détenues). Enfin, avant sa sortie, le matériel informatique est « fouillé » et les données effacées, via un formatage du disque dur : ce formatage est déjà intervenu (s'agissant de fichiers pourtant regardés comme licites) sans l'accord de la personne pourtant requis par le § 6.3.2 de l'instruction générale mentionnée précédemment.
En deuxième lieu, certaines prohibitions de matériels, limitant (de manière drastique eu égard aux normes actuelles) par exemple la capacité ou la puissance (ainsi pas de capacité de stockage des disques durs supérieure à 500 Go), ne sont en rien liées aux mesures de sécurité à prendre mais seulement à la capacité de l'administration d'en contrôler l'usage ou le contenu. Autrement dit ce ne sont pas des considérations liées aux nécessités de l'ordre ou à l'intérêt des personnes qui président aux restrictions, mais l'insuffisance des instruments de contrôle de l'administration.
En troisième lieu, si dans certains établissements des mécanismes de prêts ont été mis en œuvre pour l'acquisition de matériel, trop souvent l'administration est liée à un seul fournisseur local dont les prix sont souvent sans rapport avec ceux du marché ou bien n'en a homologué aucun : un devis s'élève à 3 152 euros lorsque, de l'aveu des spécialistes consultés par le contrôle général, un tarif compris entre 1 500 à 1 700 euros est jugé le plus réaliste.
Il est, en quatrième lieu des prisons dans lesquelles l'état du réseau électrique conduit à interdire tout matériel informatique en cellule.
En cinquième lieu, des interdictions sont dénuées de toute logique qui les rende explicables et compréhensibles. Dans tels établissements, les imprimantes sont autorisées (dans une certaine mesure) mais non pas le papier blanc. Surtout, l'administration est résolument hostile à toute technique ou tout matériel permettant la communication avec autrui. A ce titre, aucune console de jeux de « nouvelle génération » ne peut être achetée ; pas plus que, de manière générale, tous les périphériques non filaires. S'agissant des supports de stockage d'informations, seules les disquettes sont autorisées, mais non les clés « USB » et les disques durs externes, par exemple. Enfin aucun accès aux services en ligne n'est possible, ni en cellule, ni dans un local collectif surveillé.
5. L'assouplissement des règles d'accès à l'informatique est nécessaire non seulement afin de concilier comme il convient la liberté de l'information et les impératifs de sécurité, mais aussi si l'on veut améliorer la réinsertion des personnes détenues et la prévention de la récidive, ce qui se traduira par une sécurité accrue de notre société. A cette fin, s'inspirant notamment d'expériences déjà en cours (les « Cyber-baseJustice » dans les établissements de Marseille, de Bordeaux-Gradignan, d'Amiens, de Saint-Martin-de-Ré, de Metz-Queuleu en lien avec la Caisse des dépôts et consignations) :
6. La distinction introduite par la circulaire de 2009 doit être maintenue : les possibilités ouvertes par la possession et l'usage de matériel informatique doivent être plus étendues dans des locaux collectifs qu'en cellule.
7. Pour des besoins de sécurité, l'usage et le stockage de matériel informatique doivent pouvoir être contrôlés par l'administration. Les objectifs de ce contrôle ne peuvent toutefois se différencier de ceux, en usage de longue date, qui conduisent au contrôle des correspondances et des appels téléphoniques : il doit s'agir exclusivement de vérifier que les données utilisées ou stockées ne sont pas de nature à compromettre la réinsertion ou le maintien du bon ordre et de la sécurité. Pour le surplus, la protection des données personnelles, prévue par la loi du 6 janvier 1978 et à laquelle veille la Commission nationale de l'informatique et des libertés (voir à titre de comparaison son Guide pour les employeurs et les salariés), est évidemment applicable. En outre, les exceptions applicables aux correspondances avec les personnes mentionnées aux articles 4 et 40 de la loi pénitentiaire doivent être mises en œuvre dans cette matière. Enfin, les agents qui sont chargés du contrôle, spécialement habilités sont toutefois soumis à des impératifs de discrétion (cf. mutatis mutandis ce qui a été indiqué à propos des vaguemestres : avis du contrôleur général du 21 octobre 2009, Journal officiel du 28 octobre 2009).
8. En cellule, aucun matériel d'usage ou de stockage ne doit permettre de communiquer directement, par voie filaire ou par tout autre moyen, avec un tiers. En revanche, toute limitation relative aux capacités utiles doit être levée. Les personnes détenues doivent pouvoir bénéficier en cellule d'une part d'ordinateurs correspondant à leurs besoins, d'autre part des capacités de stockage de données qu'elles estiment utiles, enfin de tout périphérique et de tout programme informatique dit « externe » (logiciels...), dès lors ― et aux seules conditions ― qu'ils ne compromettent ni leur réinsertion, ni le bon ordre de l'établissement, ni les intérêts des victimes et que la détention dispose de l'installation électrique et de l'espace nécessaires.
En particulier, l'administration ne saurait s'opposer aux données (notamment aux photographies) associées à la vie privée et familiale des intéressés ainsi qu'à celles relatives aux activités qu'ils ont choisi de suivre, même de manière individuelle (par exemple la préparation d'un examen). Ainsi, aux conditions mentionnées au précédent alinéa, ces données doivent être sauvegardées sur support externe lors du formatage du disque dur et non pas uniquement celles liées à des activités socio-culturelles, d'enseignement, de formation ou professionnelles. La personne détenue propriétaire de l'ordinateur doit pouvoir également conserver ses données lors de sa libération.
9. Dans les locaux partagés, dans lesquels se tient un tiers (formateur, enseignant...) et/ou un personnel de l'administration, les matériels et les données permettant la communication doivent être admis et même encouragés.
Notamment, des dispositions doivent être prises à bref délai pour que chaque établissement assure depuis ces locaux le lien avec les services en ligne (« internet »), l'administration pouvant se réserver de rendre impossible l'accès à certains d'entre eux, pour les mêmes motifs que ceux indiqués précédemment et ceux-là seulement, de manière contrôlable et identifiée.
L'accès aux services de messagerie électronique doit également être assuré, dans les seules limites actuellement ouvertes par la loi pour les correspondances, auxquels les messages doivent être purement et simplement assimilés. Ces limites sont celles d'un contrôle préalable des messages avant envoi et des messages reçus.
Le travail, la formation, l'enseignement et toutes les activités ouvertes aux personnes détenues doivent pouvoir utiliser, avec le matériel correspondant à leurs besoins, les services mentionnés ci-dessus. L'administration doit pouvoir prendre les précautions qui s'imposent pour éviter les vols de matériels ou de données.
Enfin, les consoles de jeux « nouvelle génération » doivent pouvoir être utilisables dans les mêmes locaux, dans le cadre des loisirs normalement organisés en détention.
10. Pour satisfaire aux prescriptions ci-dessus rappelées, les personnes détenues sont libres de procéder à l'acquisition du matériel nécessaire par correspondance ou en ligne, auprès de tout prestataire dont la raison sociale est clairement identifiée et sous réserve d'un contrôle préalable de l'administration qui n'a d'autre fin que de vérifier que le matériel choisi remplit les conditions mentionnées au 8 ci-dessus.
Tout dispositif facilitant de telles acquisitions, par conséquent la réinsertion, doit être encouragé.
Tels sont les principes dont le contrôleur général recommande la mise en œuvre à bref délai. Ils sont de nature à faciliter la réinsertion des personnes détenues, sans compromettre la sécurité de court terme qui doit naturellement être assurée ; donc à garantir, à moyen terme, une tranquillité accrue et une sécurité pour tous.
J.-M. Delarue
(1) On comparera avec l'article R. 57-7-33 du même code, qui prévoit la confiscation pour une durée d'un mois maximum de matériel acheté par le détenu, mais après procédure disciplinaire.