« Gaza : la famine comme méthode de guerre est un interdit fondamental » (D-2024-1)
(Assemblée plénière - 28 mars 2024 - Adoption à l'unanimité moins 4 abstentions)
- Le 30 novembre 2023, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) recommandait qu'il soit rappelé aux parties du conflit entre le Hamas, les autres groupes armés et Israël les règles fondamentales du droit international humanitaire (i). Depuis, la situation dans l'enclave palestinienne n'a cessé de se dégrader. Le secrétaire général des Nations Unies a ainsi pu parler de « catastrophe humanitaire monumentale » (ii), tandis que plusieurs rapports et déclarations des Nations Unies font état de graves violations du droit international humanitaire et de violations systématiques et flagrantes du droit international des droits de l'homme (iii). Il en résulte, pour la population civile, en partie déplacée de force, de graves risques d'épidémies dans un contexte de pénurie d'eau potable, de nourriture, de médicaments et de carburant ainsi que d'absence totale d'élimination des déchets y compris les excréments humains. S'ajoutant aux bombardements quotidiens qui font de la population civile la première victime, le niveau d'insécurité alimentaire est aujourd'hui l'un des plus élevé jamais enregistré dans le monde (iv). De son côté, le Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l'Union européenne (v) a dénoncé cette situation comme relevant d'une utilisation de la famine comme « arme de guerre ».
- Dans ce contexte dramatique, les organisations humanitaires - qu'il s'agisse de l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), de Médecins Sans Frontières et de Médecins du Monde, sont prises pour cibles (vi). Les opérations militaires menées par les forces en présence concourent à restreindre, affaiblir voire empêcher l'acheminement de l'aide humanitaire.
- C'est un peuple tout entier qui est menacé de famine. L'humanité le refuse, le droit international l'interdit.
- Le droit international humanitaire et le droit international pénal dont le Protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (protocole I), la résolution 2417(2018) du Conseil de sécurité ou encore le statut de la Cour pénale internationale prohibent expressément l'utilisation de la famine comme méthode de guerre contre la population civile, tout en précisant qu'un tel recours est constitutif d'un crime de guerre. Il découle de cette norme, qui constitue une règle coutumière en droit international humanitaire, l'obligation à toutes les parties au conflit d'autoriser et de faciliter la distribution rapide et sans entraves d'une aide humanitaire impartiale pour les civils qui en ont besoin. A cet égard, la CNCDH estime que l'acheminement de l'aide doit prioritairement s'effectuer par voie terrestre pour répondre efficacement aux besoins de la population.
- Saisie par l'Afrique du Sud, la Cour internationale de justice (CIJ) a ordonné une série de mesures conservatoires qu'Israël doit exécuter. A ce titre, la Cour enjoint à Israël de « prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l'aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d'existence auxquelles sont soumis les palestiniens de la bande de Gaza » (vii). Il incombe aux membres des Nations Unies, donc aussi à la France, de veiller à la bonne exécution des mesures conservatoires édictées par la CIJ.
- La CNCDH souhaite rappeler solennellement l'interdit majeur que constitue, en droit international, l'utilisation délibérée, comme arme de guerre, de la famine imposée aux populations civiles et que les circonstances ont mise de fait sous le contrôle effectif de la puissance occupante.
- Dans ce contexte, les Etats, même non parties au conflit, ont obligation de prendre toutes les mesures pour s'assurer du respect des règles de droit sur tous les territoires du conflit armé (viii). Il s'agit à cet égard d'une épreuve cruciale pour le corpus du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme.
- Pour toutes ces raisons la CNCDH adresse les recommandations suivantes aux pouvoirs publics.
Recommandation 1 : La CNCDH recommande au gouvernement de continuer à rappeler solennellement l'interdit fondamental de la famine comme méthode de guerre.
Recommandation 2 : La CNCDH recommande au gouvernement d'amplifier, avec ses partenaires européens et internationaux, les initiatives visant à mettre un terme à toute restriction délibérée de l'accès à la nourriture.
Recommandation 3 : La CNCDH recommande au gouvernement d'amplifier, avec ses partenaires européens et internationaux, les initiatives visant à faire respecter l'obligation de protection de la santé, ce qui implique le libre acheminement de l'aide humanitaire, l'accès à l'eau potable, l'élimination des déchets au milieu desquels vivent en permanence les déplacés forcés, l'accès aux médicaments, aux matériels médicaux, aux services de base (carburant, électricité…), et de faciliter le transfert des blessés dans des hôpitaux fonctionnels.
Recommandation 4 : La CNCDH recommande au gouvernement d'amplifier les actions en faveur de la libre circulation (octroi de visas pour les travailleurs humanitaires notamment) et la protection du personnel humanitaire.
Recommandation 5 : La CNCDH recommande au gouvernement de continuer à soutenir l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA).
Recommandation 6 : La CNCDH recommande au gouvernement d'amplifier et de soutenir toute initiative permettant aux experts internationaux et missions d'établissement des faits d'accéder à tous les territoires du conflit armé, et en particulier à Gaza, pour la collecte de la preuve en vue, notamment, d'éventuelles poursuites pour crimes internationaux de toutes les parties au conflit.
Recommandation 7 : La CNCDH recommande au gouvernement d'inscrire ses efforts diplomatiques et politiques dans la mise en œuvre des ordonnances de la Cour internationale de justice.
Recommandation 8 : La CNCDH recommande au gouvernement de poursuivre, avec ses partenaires européens et internationaux, les efforts pour la mise en œuvre du cessez-le-feu immédiat et durable exigé par le Conseil de sécurité des Nations Unies, pour la libération de tous les otages et le rapatriement des familles franco-palestiniennes.
Recommandation 9 : La CNCDH recommande au gouvernement de suspendre l'octroi des licences d'exportation des armes et de biens à double usage à destination d'Israël et de prendre des mesures restrictives contre les autorités responsables de la famine.
(i) V. Déclaration « Rappel des règles fondamentales du droit international humanitaire applicable dans le cadre du conflit impliquant le Hamas, d'autres groupes armés et Israël » adoptée lors de l'assemblée plénière le 30 novembre 2023 : « la nécessité de protéger toutes les personnes ne participant pas aux hostilités, de faciliter le passage rapide et sans encombre de secours humanitaires et de tout mettre en œuvre pour respecter l'intégrité des biens de caractère civil et protéger le personnel humanitaire ».
(ii) ONU Info, Ne détournez pas les yeux de la « catastrophe humanitaire monumentale à Gaza », déclare Guterres au Conseil de sécurité, 29 novembre 2023 : https://news.un.org/fr/story/2023/11/1141077.
(iii) Voir à titre d'exemples ONU Info, Gaza est devenue une « zone de mort », prévient le chef de l'OMS, 21 février 2024 : https://news.un.org/fr/story/2024/02/1143382 ; Comité pour l'élimination de la discrimination raciale, procédure d'intervention d'urgence, Statement 5 (2023) Israel and the State of Palestine, 27 octobre 2023 ; ONU Info, Conflit israélo-palestinien : des experts de l'ONU déplorent les attaques contre les civils et appellent à une trêve, 12 octobre 2023 : https://news.un.org/fr/story/2023/10/1139592.
(iv) V. le rapport sur la sécurité alimentaire (IPC), Gaza Strip : Acute Food Insecurity November 2023 - February 2024, 21 décembre 2023 : « Between 8 December and 7 February, the entire population in the Gaza Strip (about 2.2 million people) is classified in IPC Phase 3 or above (Crisis or worse). This is the highest share of people facing high levels of acute food insecurity that the IPC initiative has ever classified for any given area or country ».
(v) AFP, Gaza : Borrell dénonce l'utilisation de la faim comme « arme de guerre », 12 mars 2024.
(vi) V. à titre d'exemple MSF, Convoi MSF attaqué à Gaza : les éléments disponibles pointent vers une responsabilité de l'armée israélienne, 18 novembre 2023 https://www.msf.fr/grands-formats/convoi-msf-attaque-a-gaza-les-elements-disponibles-pointent-vers-une-responsabilite-de-l-armee-israelienne ; MDM, Médecins du Monde condamne la destruction de ses bureaux à Gaza City, 12 février 2024 ; https://www.msf.fr/grands-formats/convoi-msf-attaque-a-gaza-les-elements-disponibles-pointent-vers-une-responsabilite-de-l-armee-israelienne ; ONU Info, L'ONU rend hommage aux 101 membres du personnel tués dans le conflit à Gaza : https://news.un.org/fr/story/2023/11/1140577.
(vii) CIJ, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), demande en indication de mesures conservatoires, 26 janvier 2024, § 80.
(viii) V. notamment article I de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
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