JORF n°0154 du 4 juillet 2021

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Emploi d'armes explosives en zones peuplées : Les recommandations de la CNCDH à la France

Résumé La CNCDH demande à la France de mieux protéger les civils en zones peuplées contre les armes explosives, en proposant des mesures concrètes et en influençant les autres États.

Assemblée plénière du 24 juin 2021 - Adoptée à l'unanimité moins une abstention

Introduction

  1. Une mobilisation internationale s'est mise en place en vue de l'adoption d'une déclaration politique visant à mettre un terme aux conséquences humanitaires dévastatrices de l'utilisation d'armes explosives (1) en zones peuplées (2). En effet, plus de 90 % des décès et des blessures imputables à leur emploi dans ces zones sont des civils (3). Un groupe d'Etats de différentes régions du monde a ainsi entamé un processus de négociations multipartite lors de la Conférence de Vienne en octobre 2019 (4). Au cours de ce processus, deux groupes d'Etats s'opposent (5). L'un considère que des politiques et pratiques opérationnelles visant à encadrer et à limiter l'emploi d'armes explosives à large rayon d'impact en zones peuplées sont indispensables. L'autre, dont la France qui a rejoint récemment le processus (6), estime que le respect du droit international humanitaire est suffisant et peut permettre un emploi légitime de ces armes. Après plusieurs sessions de consultations, la dernière ayant eu lieu en mars 2021, ce processus devrait aboutir dans le courant de l'année. Dans cette perspective, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) souhaite faire part aux autorités françaises de ses recommandations.

Répondre à l'ampleur des conséquences humanitaires de l'emploi d'armes explosives en zones peuplées

  1. Conçues pour des champs de bataille ouverts, ces armes, en particulier celles à large rayon d'impact, se révèlent inappropriées lorsqu'elles sont utilisées en zones urbaines, dans lesquelles les objectifs militaires se trouvent souvent à proximité des populations et infrastructures civiles. L'emploi de ces armes a des conséquences humanitaires directes et indirectes. Par effet direct on entend le nombre de civils susceptibles d'être tués, les blessures physiques (pouvant conduire à une invalidité de longue durée), les traumatismes psychiques et psychologiques, la destruction d'habitations, d'hôpitaux, d'écoles ou d'autres infrastructures nécessaires au fonctionnement de services essentiels (systèmes d'approvisionnement en énergie, en eau potable ou d'assainissement). Les effets indirects, dits " domino " (7) ou à long terme, résultent notamment des conséquences des dommages causés incidemment à certains biens et infrastructures civils indispensables à la survie de la population. Leur fonctionnement peut être gravement perturbé, interrompu ou rendu inutilisable. De plus, du fait de l'interconnexion de services essentiels, la perturbation ou la fragilisation de l'un d'eux se répercute sur les autres. Ainsi, par exemple, l'interruption de l'approvisionnement en électricité peut affecter les services de fourniture en eau et avoir de graves répercussions sur le fonctionnement des hôpitaux et sur les soins de santé. La vulnérabilité des civils est aggravée, certains étant souvent contraints de fuir en grand nombre (8) et l'accès humanitaire est entravé. En outre, certaines de ces armes, lorsqu'elles n'explosent pas, deviennent des restes explosifs de guerre (9) qui provoquent des victimes longtemps après la fin des hostilités et rendent parfois impossible le retour des personnes déplacées. Ces effets sont amplifiés dans le cadre de conflits de longue durée.

  2. Le projet actuel de déclaration (10) met en exergue ces conséquences humanitaires tant directes qu'indirectes, mais gagnerait à les exposer de manière plus précise, à insister sur la vulnérabilité particulière des civils en zone urbaine et, surtout, à les présenter de manière moins hypothétique (11). La CNCDH est particulièrement préoccupée par le nombre de termes employés qui relativisent le lien de cause à effet entre l'emploi d'armes explosives, y compris à large rayon d'impact, et les conséquences susmentionnées (12). La CNCDH recommande à la France d'appuyer une reconnaissance sans équivoque des effets, directs et indirects, de l'emploi de telles armes en zones peuplées sur la population et les biens civils.

  3. Le droit international humanitaire règlemente l'emploi d'armes explosives en zones peuplées par ses dispositions relatives à la conduite des hostilités : interdiction des attaques sans discrimination, interdiction des attaques disproportionnées et obligation de prendre toutes les précautions possibles dans l'attaque afin d'épargner les personnes et les biens civils. Ces principes s'imposent en toutes circonstances et à tous les belligérants. Ceux-ci doivent faire tout ce qui est pratiquement possible pour vérifier que les objectifs à attaquer sont des objectifs militaires, choisir les moyens et méthodes de guerre appropriés et évaluer si une attaque est susceptible de causer des dommages aux personnes ou aux biens civils excessifs par rapport à l'avantage militaire concret et direct attendu.

  4. A cet égard, quand bien même la déclaration réaffirme ces principes et insiste sur l'obligation des Etats de respecter et de faire respecter le droit international humanitaire (13), l'ampleur des conséquences humanitaires constatées dans tous les conflits actuels (14) soulève des doutes quant à la manière dont les belligérants, étatiques ou non étatiques, interprètent et appliquent le droit international humanitaire. La CNCDH constate notamment des divergences d'interprétation relatives à la prise en compte des effets indirects dans l'évaluation du respect des principes de proportionnalité et de précaution (15). En outre, l'imprécision inhérente à certains types d'armes et de munitions explosives interroge sur la capacité à mettre en œuvre l'interdiction des attaques sans discrimination lorsqu'ils sont utilisés en zones peuplées. Comme le souligne le CICR, la probabilité est élevée que l'emploi d'armes explosives à large rayon d'impact en zones peuplées, où les objectifs militaires se mêlent étroitement aux personnes et aux biens protégés, ait des effets indiscriminés et/ou disproportionnés (16).

Prendre des engagements ambitieux face à l'urgence à agir

  1. La CNCDH engage la France à faire sienne et à porter la recommandation formulée depuis 2011 (17) par le CICR, récemment réitérée dans l'appel conjoint avec le secrétaire général des Nations unies du 18 septembre 2019 (18) et soutenue par le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge (19), de nombreuses organisations humanitaires, ainsi que 210 parlementaires français et allemands (20), d'éviter d'employer des armes explosives à large rayon d'impact en zones peuplées, que cette utilisation viole ou non le droit international humanitaire (21).

  2. Consciente des défis opérationnels que rencontrent les forces armées dans la conduite des hostilités en zone urbaine, la CNCDH prend note des mesures mises en place par la France en termes de ciblage, d'organisation de la chaîne de commandement, de choix des armes et des munitions ou de formation des forces armées. La CNCDH recommande toutefois à la France d'améliorer et de renforcer ces pratiques ainsi que de les partager avec d'autres Etats et parties aux conflits armés, en particulier ceux aux côtés desquels la France est engagée ou qu'elle soutient.

  3. L'ampleur des conséquences humanitaires engendrées par l'emploi des armes explosives en zones peuplées et la difficulté objective de les employer conformément au droit international humanitaire exige cependant l'adoption d'une politique visant à éviter d'employer ces armes en zones peuplées, à moins que des mesures d'atténuation suffisantes n'aient été prises (22). A cet égard, la formulation actuelle du projet de déclaration se situe en deçà des attentes (23). C'est pourquoi la CNCDH recommande à la France de peser de tout son poids pour le préciser et le renforcer en ce sens.

  4. De même, la CNCDH recommande à la France de tout mettre en œuvre pour réintroduire dans ce texte l'importance de l'accès à l'aide humanitaire, supprimé de la section 4 dans la dernière version du projet de déclaration politique. Cela placerait la France en cohérence avec l'Appel à l'action humanitaire et les engagements qu'elle a pris dans le cadre de la dernière conférence nationale humanitaire (24).

  5. Enfin, la CNCDH recommande à la France de défendre un processus de mise en œuvre et de suivi de l'application de la déclaration qui soit transparent et qui associe toutes les parties prenantes et pas uniquement les Etats.

  6. En conclusion, la CNCDH reconnaît les avancées proposées par le projet de déclaration et considère qu'il constitue une solide base de discussion, mais qu'il devrait être renforcé. A cette fin, elle recommande à la France de peser de tout son poids, d'une manière constructive, pour aboutir à l'adoption d'une déclaration permettant de renforcer la protection des civils en zones peuplées. Une position de principe sans ambiguïté reconnaissant l'ampleur des conséquences humanitaires, directes et indirectes, de l'emploi d'armes explosives à large rayon d'impact en zones peuplées assortie d'engagements concrets et opérationnels répondrait non seulement à l'impératif de limiter les effets des conflits armés sur les civils, mais contribuerait également au succès même des opérations militaires (25). A cet effet, la CNCDH recommande à la France d'user de toute son influence pour que les autres Etats et parties aux conflits armés, étatiques comme non étatiques, interprètent et mettent en œuvre fidèlement les principes du droit international humanitaire en se dotant d'une politique propre à éviter l'emploi d'armes explosives à large rayon d'impact en zones peuplées.

  7. La CNCDH continuera d'approfondir cette question et veillera au suivi de ses recommandations, en tant que commission nationale de mise en œuvre du droit international humanitaire. A cet égard, elle salue le dialogue institutionnel engagé avec les autorités compétentes. Ce dernier doit toutefois déboucher sur des actions concrètes pour répondre enfin à cet impératif juridique, politique et moral.

(1) Les armes explosives sont définies comme les armes activées par la détonation d'une substance hautement explosive créant un effet de souffle et de fragmentation (Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Rapport de la réunion d'experts. Emploi d'armes explosives en zones peuplées. Examen de la question sous l'angle humanitaire, juridique, technique et militaire, novembre 2015, p. 6). Parmi celles-ci, on distingue les armes explosives dites à " large rayon d'impact " ou à " large effet de zone ", également appelées armes explosives " lourdes ", qui sont celles qui libèrent généralement une force explosive significative depuis une position éloignée et pouvant affecter une zone étendue (pour plus de détails, voir CICR, Le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains, novembre 2019, p. 20). Le large rayon d'impact peut être dû aux larges rayons de déflagration et de fragmentation de la munition utilisée, au manque de précision du système de lancement et/ou au lancement de munitions multiples sur de vastes étendues (CICR, Rapport de la réunion d'experts (…), op. cit, 2015, pp. 3-4).

(2) Les termes de " zones peuplées " ou de " zones fortement peuplées " doivent être entendus comme " une concentration de civils ou de biens de caractère civil, qui se trouvent dans une ville, une cité ou un village, ou dans toute autre zone non construite, permanente ou temporaire " (CICR, Le droit international humanitaire et les défis (…), novembre 2019, op. cit., p. 20, qui se réfère en particulier à l'article 1§2 du Protocole III à la Convention de 1980 sur certaines armes classiques).

(3) En 2020, c'était le cas pour la dixième année consécutive (rapport du secrétaire général des Nations unies, " Protection des civils en période de conflit armé ", 3 mai 2021, S/2021/423, §10 ; Action on Armed Violence, A Decade of Explosive Violence Harm , 2021.

(4) Cette conférence a réuni plus de 500 participants, dont des représentants de 133 Etats, d'entités des Nations unies, du CICR et d'organisations de la société civile (voir les informations disponibles sous https://www.bmeia.gv.at/en/european-foreign-policy/disarmament/conventional-arms/explosive-weapons-in-populated-areas/protecting-civilians-in-urban-warfare/protecting-civilians-in-urban-warfare/).

(5) D'autres Etats sont quant à eux restés en marge du processus. La majorité des Etats reconnaît toutefois les conséquences humanitaires qui résultent de l'emploi d'armes explosives en zones peuplées (voir le recensement des déclarations en ce sens disponible sur le site de la coalition d'organisations non gouvernementales qui s'est constituée pour un appel urgent à agir pour prévenir les souffrances humaines de l'emploi d'armes explosives en zones peuplées (International Network on Explosive Weapons, INEW) : http://www.inew.org/political-response/) ; mais des désaccords majeurs subsistent sur le lien de cause à effet entre l'emploi de ces armes et ces conséquences humanitaires et sur la façon d'y remédier.

(6) Voir en ce sens notamment la dernière contribution écrite de la France qui insiste pour préciser que c'est l'emploi indiscriminé de telles armes en zones peuplées qui, parmi d'autres facteurs, augmente les risques pour les civils.

(7) Voir notamment à ce propos : NOHLE Ellen et ROBINSON Isabel, " War in cities : The ‘reverbating effects' of explosive weapons, Humanitarian Law & Policy, 2 mars 2017.

(8) Sur le lien de cause à effet entre l'emploi de telles armes en zones peuplées et le déplacement des civils, voir notamment l'étude du CICR, Le déplacement durant les conflits armés. Comment le droit international humanitaire protège en temps de guerre et pourquoi c'est important, novembre 2019.

(9) Voir le Protocole de 2003 relatif aux restes explosifs de guerre (Protocole V à la Convention sur certaines armes classiques de 1980).

(10) Les trois versions successives du projet sont disponibles sous https://www.dfa.ie/our-role-policies/international-priorities/peace-and-security/ewipa-consultations/ ; la dernière a été publiée le 29 janvier 2021.

(11) Voir les nombreuses suggestions formulées notamment par le CICR, par INEW ou par plusieurs institutions de l'ONU (l'ensemble des contributions est disponible sous https://www.dfa.ie/our-role-policies/international-priorities/peace-and-security/ewipa-consultations/).

(12) Les contributions de la France s'inscrivent en ce sens.

(13) Article 1er commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 ; article 1er du Protocole additionnel aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux de 1977 ; règle 139 (étude du CICR sur Le droit international humanitaire coutumier, Bruylant, 2006). Le projet de déclaration mentionne également l'importance de la lutte contre l'impunité des auteurs de violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'Homme.

(14) Par exemple en Afghanistan, à Gaza, en Irak, en Libye, en Somalie, en Syrie, en Ukraine, au Yémen ou, plus récemment, au Haut-Karabakh : voir notamment : CICR, " J'ai vu ma ville mourir ", Conflits urbains en Irak, en Syrie et au Yémen, Témoignages des lignes de front, mai 2017 ; Humanité & inclusion (Handicap international - HI), Sur liste d'attente. Répondre aux besoins immédiats et à long terme des victimes d'armes explosives en Syrie, septembre 2019 ; HI, Des civils condamnés à mort : impact durable des armes explosives dans les zones peuplées au Yémen, mai 2020 ; CICR, Conflit du Haut-Karabakh : un lourd tribut à payer, 8 octobre 2020.

(15) Pour plus de détails, voir CICR, Le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains, 31 octobre 2015, pp. 59 et s.

(16) Ibid.

(17) CICR, Le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains, octobre 2011, p. 48.

(18) Appel conjoint disponible sous https://www.icrc.org/fr/document/emploi-darmes-explosives-dans-des-villes-il-faut-mettre-un-terme-aux-souffrances-civiles. Cet appel a récemment été réitéré par Peter Maurer, Président du CICR, lors du débat du Conseil de sécurité sur la protection des biens de caractère civil indispensables à la survie de la population civile du 27 avril 2021 (voir son discours disponible sous https://www.icrc.org/en/document/without-urgent-action-protect-essential-services-conflict-zones-we-face-vast-humanitarian).

(19) Voir également la résolution 7 du Conseil des délégués du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge de 2013, " Les armes et le droit international humanitaire ", CD/13/R7, §4.

(20) La Croix, " Appel parlementaire franco-allemand contre l'utilisation d'armes explosives en zones peuplées ", 1er mars 2021. Voir également l'appel de plus de 170 parlementaires de 4 pays de l'Union européenne (Allemagne, Belgique, France, Luxembourg) du 27 mai 2021, disponible sous https://blog.hi.org/wp-content/uploads/2021/05/Declaration-interparlementaire-conjointe-europeenne_EWIPA_final-VF3.pdf.

(21) CICR, Le droit international humanitaire et les défis (…), novembre 2019, op. cit., p. 23.

(22) CICR, Le droit international humanitaire et les défis (…), novembre 2019, op. cit., p. 23.

(23) Le projet actuel de déclaration prévoit l'engagement de s'assurer que les forces armées des Etats souscripteurs adoptent et mettent en œuvre un éventail de politiques et de pratiques afin d'éviter les dommages civils, y compris en restreignant l'emploi d'armes explosives à large rayon d'impact dans les zones peuplées, lorsqu'il peut être attendu que les effets s'étendent au-delà de l'objectif militaire.

(24) Appel à l'action pour renforcer le respect du droit international humanitaire et de l'action humanitaire reposant sur des principes endossé par 47 Etats et organisation (au 11 février 2021) ; Conférence nationale humanitaire du 17 décembre 2020.

(25) En ce sens : OCHA, " Compilation of Military Policy and Practice : Reducing the humanitarian impact of the use of explosive weapons in populated areas ", octobre 2017.