JORF n°0286 du 6 décembre 2025

Décision n°2025-1176 QPC du 5 décembre 2025

(MME FLORENCE B.)

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 octobre 2025 par le Conseil d'Etat (décision n° 505810 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Florence B. par Me Pierre de Combles de Nayves, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2025-1176 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 54 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
Au vu des textes suivants :

- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- l'ordonnance 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

- les observations présentées pour la requérante par Me de Combles de Nayves, enregistrées le 20 octobre 2025 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les observations en intervention présentées pour le syndicat de la magistrature par la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 22 octobre 2025 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me de Combles de Nayves, pour la requérante, Me Paul Mathonnet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour le syndicat de la magistrature, et M. Thibault Cayssials, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 25 novembre 2025 ;
Au vu des pièces suivantes :

- la note en délibéré présentée pour la requérante par Me de Combles de Nayves, enregistrée le 26 novembre 2025 ;
- la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 27 novembre 2025 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui suit :

  1. L'article 54 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 mentionnée ci-dessus prévoit :

« Le magistrat cité est tenu de comparaître en personne. Il peut se faire assister et, en cas de maladie ou d'empêchement reconnus justifiés, se faire représenter par l'un de ses pairs, par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ou par un avocat inscrit au barreau ».

  1. La requérante, rejointe par la partie intervenante, reproche à ces dispositions de permettre au magistrat cité à comparaître à l'audience disciplinaire devant le Conseil supérieur de la magistrature d'être représenté par un avocat dans les seuls cas de maladie ou d'empêchement reconnus justifiés. Selon elle, en limitant le droit à la représentation par un avocat, elles priveraient le magistrat poursuivi disciplinairement de la possibilité de faire valoir ses moyens de défense dans le cas où son motif d'absence n'est pas reconnu comme valable. Il en résulterait une méconnaissance des droits de la défense et, pour les mêmes motifs, du droit à un recours juridictionnel effectif et du droit à un procès équitable. Ces dispositions méconnaîtraient en outre un « droit à la représentation par un avocat » devant les juridictions répressives, qu'elle demande au Conseil constitutionnel de reconnaître sur le fondement de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
  2. La requérante reproche par ailleurs à ces dispositions de ne pas définir de manière suffisamment précise les motifs permettant au magistrat de se faire représenter à l'audience disciplinaire, en méconnaissance d'un « principe de la sécurité juridique ».
  3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « en cas de maladie ou d'empêchement reconnus justifiés » figurant à la seconde phrase de l'article 54 de l'ordonnance du 22 décembre 1958.
  4. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Sont garantis par cette disposition le droit à un procès équitable et les droits de la défense.
  5. Selon l'article 48 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, le pouvoir disciplinaire est exercé à l'égard des magistrats du siège par le Conseil supérieur de la magistrature. Lorsque ce dernier est saisi de poursuites disciplinaires et que, en vertu de l'article 53, l'enquête est complète ou qu'elle n'a pas été jugée nécessaire, le magistrat est cité à comparaître devant le conseil de discipline.
  6. Aux termes de l'article 54, le magistrat cité est tenu de comparaître en personne à l'audience disciplinaire. Il ne peut se faire représenter par l'un de ses pairs, par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ou par un avocat inscrit au barreau que, selon les dispositions contestées, en cas de maladie ou d'empêchement reconnus justifiés.
  7. En premier lieu, en exigeant en principe la comparution personnelle du magistrat poursuivi, le législateur organique a entendu permettre au conseil de discipline de disposer de l'ensemble des éléments utiles pour statuer au regard tant des circonstances des faits que de la personnalité du magistrat et de sa situation. En restreignant la faculté de se faire représenter aux seuls cas de maladie ou d'empêchement reconnus justifiés, les dispositions contestées mettent en œuvre cet objectif d'intérêt général, eu égard à l'importance de la garantie qui s'attache à la présentation physique du magistrat poursuivi devant le conseil de discipline.
  8. En deuxième lieu, d'une part, le magistrat poursuivi bénéficie du droit d'être assisté par un avocat de son choix ou par l'un de ses pairs notamment, en application de l'article 52, lors de son audition par le rapporteur et, selon l'article 54, lorsqu'il est cité à comparaître devant le conseil de discipline. D'autre part, pour préparer sa défense, le magistrat et son conseil ont droit à la communication du dossier, de toutes les pièces de l'enquête et du rapport établi par le rapporteur. Le magistrat est ainsi mis à même, tout au long de la procédure, de présenter ses observations et faire valoir ses moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés.
  9. En dernier lieu, ces dispositions ne revêtent pas un caractère équivoque et sont suffisamment précises pour permettre au Conseil supérieur de la magistrature de tenir compte, sous le contrôle du Conseil d'Etat, de l'état de santé du magistrat cité à comparaître ou de tout autre motif d'absence invoqué par ce dernier.
  10. Dès lors, les dispositions contestées ne méconnaissent ni le droit à un procès équitable ni les droits de la défense.
  11. Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent pas non plus les autres exigences constitutionnelles résultant de l'article 16 de la Déclaration de 1789, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel décide :

Article 1

Les mots « en cas de maladie ou d'empêchement reconnus justifiés » figurant à la seconde phrase de l'article 54 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature sont conformes à la Constitution.

Article 2

Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 décembre 2025, où siégeaient : M. Richard FERRAND, Président, M. Philippe BAS, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, François SÉNERS et Mme Laurence VICHNIEVSKY.
Rendu public le 5 décembre 2025.