JORF n°0095 du 22 avril 2016

Décision du 7 mars 2016

La directrice générale de l'Agence de la biomédecine,

Vu le code de la santé publique, et notamment les articles L. 2151-5 et R. 2151-1 à R. 2151-12 ;

Vu les décisions de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine du 10 janvier 2006 et 17 décembre 2010 autorisant l'Institut national de la santé et de la recherche médicale à mettre en œuvre un protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ;

Vu la décision du 8 septembre 2015 modifiant la décision 2013-11 du 17 septembre 2013 fixant le modèle de dossier de demande des autorisations mentionnées à l'article R. 2151-6 du code de la santé publique ;

Vu la demande présentée le 31 octobre 2015 par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (unité UMRS 938) aux fins d'obtenir le renouvellement de son autorisation de protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ;

Vu les informations complémentaires apportées par le demandeur ;

Vu le rapport de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine en date du 21 décembre 2015 ;

Vu les rapports d'expertise en date du 27 novembre et 1er décembre 2015 ;

Vu l'avis émis par le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine le 11 février 2016 ;

Considérant qu'une première autorisation a été accordée à cette équipe en 2006 pour une durée de cinq ans et a fait l'objet d'un renouvellement en 2010 pour cinq années supplémentaires ; que la demande s'inscrit dans la continuité du protocole précédent ;

Considérant que le projet de recherche utilise les lignées provenant du WiCell Research Institute aux Etats-Unis (lignées H1 et H9) ; que déjà présentes sur le territoire national, ces lignées ont été importées par Luc Douay en vertu d'une autorisation délivrée le 10 janvier 2006 par l'Agence de la biomédecine après avis favorable de son conseil d'orientation ; qu'à l'occasion de la demande d'autorisation d'importation déposée par Luc Douay en 2006, le respect des exigences posées par les articles 16 à 16-8 du code civil et de celles relatives à l'information et au recueil du consentement des couples a été vérifié et la demande d'autorisation présente de nouveau l'ensemble des documents permettant de s'assurer du respect des conditions législatives et réglementaires ; que les deux lignées sont par ailleurs inscrites au registre du NIH, garantissant le respect des principes éthiques fondamentaux de consentement des donneurs, de gratuité du don et d'anonymat prévus par le droit français ;

Considérant que le projet consiste depuis l'origine à trouver les conditions de différenciation des cellules souches embryonnaires humaines (CSEh) en progéniteurs érythroblastiques afin, à terme, de produire des globules rouges ;

Considérant que dans une perspective transfusionnelle, il est nécessaire d'obtenir un grand nombre de globules rouges fonctionnels, c'est-à-dire ayant expulsé leur noyau (ce qui assure leur déformabilité dans les capillaires) et assurant, grâce à l'hémoglobine, un transport efficace de l'oxygène ; que ces deux étapes cruciales doivent donc être efficacement reproduites au cours de la différenciation érythroblastique (processus par lequel l'organisme parvient à produire des globules rouges), à travers une énucléation efficace en fin de différenciation, d'une part, et la transition dans la synthèse de l'hémoglobine d'une hémoglobine embryonnaire vers une hémoglobine fœtale puis de type adulte, d'autre part ;

Considérant que dans le cadre des premières autorisations, et en particulier au cours des deux dernières années, l'équipe s'est attachée à comprendre et maîtriser ces deux processus, aboutissant à des résultats majeurs ayant une portée générale et publiés dans la revue Stem Cells en 2015 ;

Considérant que le conseil d'orientation souligne que plusieurs étapes importantes ont été franchies depuis que le protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines a fait l'objet d'un renouvellement d'autorisation en 2010 ; que l'équipe a tiré parti des observations faites lors de la maturation des cellules souches embryonnaires humaines en érythroblastes pour comprendre la succession des évènements correspondant in vivo à l'érythropoïèse primitive (transitoire chez l'embryon, donnant des globules rouges nucléés) puis définitive (de type adulte succédant à la phase précédente, donnant des globules rouges énucléés), lui permettant d'identifier des gènes contrôlant ce processus d'énucléation et peut-être le type d'hémoglobine synthétisé ; qu'il s'agit de résultats très originaux et très importants pour la compréhension de l'érythropoïèse ;

Considérant que parallèlement au processus d'énucléation, les érythroblastes issus des cultures précoces de CSEh, qui n'expulsent pas leur noyau expriment de l'hémoglobine embryonnaire, alors que les globules rouges issus des cultures plus tardives, expulsent leur noyau et synthétisent de l'hémoglobine fœtale ; que les chercheurs ont découvert que ces deux types de cellules diffèrent par l'expression d'un microARN (appelé miR30a), élevée dans les érythroblastes nucléés et faible dans les érythroblastes lors de l'énucléation, cette découverte laissant supposer que ce microARN régule également le type d'hémoglobine synthétisé ;

Considérant que l'équipe souhaite poursuivre son projet en se consacrant à l'exploration du mécanisme d'action du miR30a et à l'identification des gènes cibles de ces microARN contrôlant l'énucléation d'une part, et à l'analyse des mécanismes régulant la commutation de l'hémoglobine, d'embryonnaire à fœtale, voire adulte, d'autre part ;

Considérant que la finalité médicale du projet et l'objectif thérapeutique ne font aucun doute ; que les objectifs envisagés sont un prérequis indispensable pour ensuite définir des outils moléculaires permettant d'améliorer la production de globules rouges fonctionnels utilisables dans une perspective transfusionnelle ; qu'il s'agit à terme d'obtenir une source illimitée de production de globules rouges, permettant ainsi de répondre à la demande de transfusion des patients, aujourd'hui limitée par le don et les risques infectieux ;

Considérant qu'en l'état des connaissances scientifiques, elle ne peut être menée sans recourir à des cellules souches embryonnaires humaines ; que le résultat escompté ne peut être obtenu par d'autres moyens, notamment par le recours exclusif à d'autres cellules souches ; que l'équipe a tenté, sans succès de travailler sur les cellules souches pluripotentes induites sans parvenir à produire des globules rouges à potentiel thérapeutique ; qu'avant de travailler à partir de cellules souches embryonnaires humaines, l'équipe a publié sur le même sujet en utilisant des cellules souches hématopoïétiques issues du sang de cordon ; que ces cellules ne sont cependant pas accessibles facilement et il n'est pas possible d'obtenir les quantités nécessaires pour ces recherches ;

Considérant que depuis 2011, plusieurs essais cliniques ont débuté avec des cellules dérivées de CSEh, dans plusieurs maladies, notamment neurologiques, oculaires, cardiaques, ou métaboliques (diabète) ; que plus de 80 patients ont été inclus à ce jour dans 5 pays (USA, Royaume-Uni, Corée du Sud, France, Israël), et qu'aucun effet délétère grave imputable à une toxicité des cellules n'a été observé ; qu'en revanche, le seul essai clinique mené au Japon avec des cellules souches pluripotentes induites iPS (autologues), qui ne sont pas de grade clinique, a été interrompu ;

Considérant que les conséquences des anomalies génétiques et des modifications épigénétiques (multiples et différentes pour chaque lignée) créées par le processus de reprogrammation lui-même et le processus de différenciation des cellules iPS sont encore mal appréciées, et, en ce sens, ne font que renforcer la nécessaire comparaison avec des cellules CSEh ; qu'une des plus grandes difficultés actuelles est l'extrême hétérogénéité des lignées d'iPS, aggravée par la diversité des techniques de reprogrammation, des conditions de culture et des cellules somatiques d'origine (induisant une « mémoire épigénétique » persistante) ; que les CSEh sont, par comparaison, beaucoup plus homogènes, toutes issues de la masse interne du blastocyste, et spontanément pluripotentes, sans nécessité d'induire des modifications génétiques ou épigénétiques, pour leur conférer cette pluripotence ;

Considérant en conséquence que le demandeur apporte les éléments suffisants concernant la pertinence scientifique du projet de recherche d'une part, et ses conditions de mise en œuvre au regard des principes éthiques d'autre part ; qu'il justifie en particulier que le projet sera mené dans le respect des principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines et que ces cellules ont été obtenues dans le respect des principes fondamentaux prévus aux articles 16 à 16-8 du code civil, et avec le consentement préalable du couple géniteur, et sans qu'aucun paiement, quelle qu'en soit la forme, ne leur ait été alloué ;

Considérant que les titres, diplômes, expérience et travaux scientifiques fournis à l'appui de la demande permettent de s'assurer des compétences du responsable de la recherche et des membres de l'équipe en la matière ; que l'équipe travaille depuis quinze années sur le sujet et la liste des publications présentes dans le dossier de demande d'autorisation témoigne de l'expertise de l'équipe en la matière ; qu'elle dispose du personnel, de l'équipement et de l'environnement nécessaires à la réussite du projet ; que la structure est pérenne et l'équipe est reconnue pour ses travaux ;

Considérant que les locaux, matériels, équipements, procédés et techniques sont adaptés à l'activité de recherche envisagée ; que cette recherche sera effectuée dans des conditions permettant de garantir la sécurité des personnes exerçant une activité professionnelle sur le site, le respect des dispositions applicables en matière de protection de l'environnement, le respect des règles de sécurité sanitaire ainsi que la sécurité, la qualité et la traçabilité des embryons et des cellules embryonnaires ; que les conditions matérielles de sécurité, de conservation, d'accès, de transferts, de locaux dédiés, de sécurisation desdits locaux, de désinfection, la qualité de l'ensemble des plateaux techniques sont parfaitement décrits et n'ont fait l'objet d'aucune réserve de la part de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine qui a par ailleurs procédé à une visite du site en mars 2015,

Décide :

Article 1

L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (unité UMRS 938) est autorisé à mettre en œuvre, dans les conditions décrites dans le dossier de demande d'autorisation, le protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ayant pour finalité l'étude de la différenciation hémangioblastique des cellules souches embryonnaires humaines, application thérapeutique en hématologie/transfusion. Ces recherches sont placées sous la responsabilité de Mme Hélène Lapillonne.

Article 2

La présente autorisation est accordée pour une durée de cinq ans. Elle peut être suspendue à tout moment pour une durée maximale de trois mois, en cas de violation des dispositions législatives ou réglementaires, par le directeur général de l'Agence de la biomédecine. L'autorisation peut également être retirée, selon les modalités prévues par les dispositions du code de la santé publique susvisées.

Article 3

Toute modification des éléments figurant dans le dossier de demande d'autorisation doit être portée à la connaissance du directeur général de l'Agence de la biomédecine.

Article 4

Le directeur général adjoint chargé des ressources de l'Agence de la biomédecine est chargé de l'exécution de la présente décision, qui sera publiée au Journal officiel de la République française.

Fait le 7 mars 2016.

A. Courrèges