La directrice générale de l'Agence de la biomédecine,
Vu la loi n° 2013-715 du 6 août 2013 tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires ;
Vu le code de la santé publique, et notamment les articles L. 2151-5, R. 2141-17 à R. 2141-23, et R. 2151-1 à R. 2151-12 ;
Vu la décision du 8 septembre 2015 modifiant la décision 2013-11 du 17 septembre 2013 fixant le modèle de dossier de demande des autorisations mentionnées à l'article R. 2151-6 du code de la santé publique ;
Vu la demande présentée le 31 mars 2021 par l'hôpital Necker Enfants malades (Institut Imagine UMR 1163, équipe génétique des maladies mitochondriales) aux fins d'obtenir le renouvellement de son autorisation de protocole de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ;
Vu les informations complémentaires apportées par le demandeur ;
Vu le rapport de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine en date du 21 juin 2021 ;
Vu les rapports d'expertise en date du 23 août 2021 ;
Vu l'avis émis par le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine le 16 septembre 2021 ;
La demande d'autorisation s'inscrit dans la continuité des précédents travaux de l'équipe de recherche et notamment dans le cadre de la précédente autorisation délivrée en 2016. Le protocole de recherche envisagé a pour objectifs de comprendre le rôle de la mitochondrie au cours du développement embryonnaire précoce, d'améliorer la prise en charge des femmes atteintes de maladies mitochondriales (mutations de l'ADNmt) qui présentent un risque de transmission, et d'analyser l'intérêt d'une approche préventive de ces maladies.
Les mitochondries sont des éléments situés dans le cytoplasme de la cellule. Elles sont la principale source d'énergie de la cellule et permettent notamment la respiration de la cellule, la mise en réserve de l'énergie et le stockage de substances. Elles ont pour caractéristiques de contenir un ADN, uniquement d'origine maternelle, qui diffère donc de celui du noyau. Les gènes qui le composent sont deux gènes d'ARN ribosomaux (ARNr), 22 gènes d'ARN de transfert (ARNt) nécessaires pour l'expression du génome mitochondrial et 13 gènes codant pour des protéines de la chaîne respiratoire. Les mitochondries maternelles présentes dans l'ovocyte suffisent, après fécondation, à assurer le métabolisme respiratoire des cellules embryonnaires jusqu'à la nidation dans l'utérus (6 jours), stade à partir duquel l'embryon commence à multiplier les mitochondries par réplication de l'ADNmt. Les anomalies de l'ADN mitochondrial peuvent être quantitatives (quantité faible) ou qualitatives (ADNmt porteur d'une mutation ou délétion). Ces anomalies vont avoir des effets délétères non seulement sur l'ovocyte mais aussi sur l'embryon précoce dans la mesure où les mitochondries maternelles sont réparties dans les différents blastomères. Compte tenu du nombre variable de mitochondries par cellule et du nombre variable de copies de l'ADNmt, en cas de mutation, le rapport entre l'ADNmt normal et muté peut être très variable. C'est ce qu'on appelle l'hétéroplasmie, dont le taux est corrélé à l'importance du dysfonctionnement de la cellule.
Il apparaît fondamental d'essayer de prévoir le taux d'hétéroplasmie en cas de diagnostic préimplantatoire ou prénatal. Les travaux de l'équipe dans le cadre du précédent protocole de recherche ont permis de comprendre la transmission de ces mutations chez les femmes porteuses de mutations de l'ADNmt et de leur offrir une prédiction plus fiable du risque de transmission et surtout du taux d'hétéroplasmie qui pourra être anticipé chez l'embryon. L'équipe a ainsi travaillé sur :
- la sélection de l'ADNmt normal ou muté dans les précurseurs des gamètes au cours de l'ovogenèse (processus permettant la production des ovocytes, ainsi que leur maturation en ovules), ce qui conditionne le taux d'hétéroplasmie des ovocytes et donc du zygote (cellule résultant de la fusion des deux gamètes) ;
- l'hétérogénéité de répartition de l'ADNmt entre le premier globule polaire et l'ovocyte ;
- l'équivalence de l'hétéroplasmie entre les différents blastomères (cellules résultant des divisions successives de l'œuf fécondé) d'un embryon et la stabilité du taux d'hétéroplasmie au cours du développement.
Le protocole de recherche envisagé se divise en plusieurs étapes :
1. Etude les conséquences d'une maladie mitochondriale sur le développement embryo-fœtal précoce (analyse de la variation du taux de mutation cellule par cellule dans un embryon porteur d'une mutation selon une technique déjà utilisée dans le cadre du précédent protocole de recherche autorisé, évaluation de la réplication de l'ADNmt en incorporant dans l'embryon une molécule facilement détectable qui s'intègre dans l'ADN au moment de sa réplication, analyse des transcrits [ARN] des gènes codants pour la réplication de l'ADN, et analyse du développement des embryons atteints par imagerie en continu) ;
2. Etude d'un lien entre la quantité d'ADNmt dans l'ovocyte ou le zygote et le développement embryonnaire précoce permettant d'offrir à terme un critère de sélection des embryons les plus susceptibles de se développer (mesure de la quantité d'ADNmt dans un embryon au 3ème jour de vie, analyse de la qualité embryonnaire et de la capacité de l'embryon à se développer et à s'implanter via une analyse rétrospective sur des embryons issus d'un diagnostic préimplantatoire) ;
3. Analyse des risques associés à une méthode de prévention des maladies par mutation de l'ADNmt autorisée en Angleterre par la HFEA (Human Fertilisation and Embryology Authority et des conséquences possibles d'un transfert de pronucléus dans le zygote dans le cadre d'une stratégie thérapeutique des maladies mitochondriales. Cette méthode consiste au prélèvement des pronucléi de l'ovocyte fécondé de la patiente atteinte de maladie mitochondriale et transfert dans un ovocyte d'une donneuse saine, dont le noyau a été retiré, permettant à l'embryon de se développer ensuite dans un environnement avec des mitochondries normales. Cette partie du projet vise à déterminer si ce transfert de pronucléi présente ou non des risques de dysfonctionnements pouvant affecter le développement embryonnaire (perturbation du dialogue nucléo-mitochondrial et coexistence dans un même organisme de deux génomes mitochondriaux différents) ;
4. Etude de l'application d'une procédure de thérapie anti-génomique aux stades précoces de l'embryogenèse humaine (incorporation d'ARN recombinants capables de pénétrer dans les mitochondries et permettant de ralentir la réplication des molécules d'ADNmt mutées sans modifier la vitesse de réplication de l'ADNmt normal et induire ainsi une diminution du taux d'hétéroplasmie).
La finalité médicale du projet et l'objectif thérapeutique ne font aucun doute, le programme de recherche portant sur la prévention des mitochondriopathies en améliorant les connaissances des mécanismes régulant la ségrégation des molécules d'ADNmt sauvages et mutées dans l'embryon précoce, l'amélioration des pratiques d'assistance médicale à la procréation et enfin l'évaluation de l'innocuité et de la faisabilité de traitements préventifs par le biais d'un don de cytoplasme et l'approche thérapeutique anti-réplicative.
Les objectifs fixés sont clairement définis pour explorer, caractériser les conséquences d'un dysfonctionnement mitochondrial lors du développement embryo-foetal précoce et contribuer à renforcer la faisabilité et l'innocuité des approches préventives et thérapeutiques. La méthodologie est tout à fait explicite et les techniques mises en œuvre relèvent de protocoles éprouvés par les équipes participantes dont le partenariat est pleinement justifié et qui renforce la valeur ajoutée du programme de recherche.
Les embryons utilisés dans le cadre de ce projet ont été conçus dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation. Il s'agit d'embryons porteurs d'anomalies (mutations) du génome mitochondrial diagnostiquées à l'occasion d'un diagnostic préimplantatoire, ou d'embryons donnés à la recherche par des couples sans antécédents de maladies mitochondriales, soit en l'absence de projet parental, soit parce qu'ils ne sont pas transférables (notamment triploïdes). Les conditions de mise en œuvre du projet respectent les conditions législatives et réglementaires. Les modèles de consentement sont joints en annexe à la demande. Les embryons seront manipulés par l'équipe de l'Hôpital Antoine Béclère, dirigée par le Professeur Nelly Frydman. Les embryons inclus dans le programme seront détruits à la fin de la recherche.
Le résultat escompté ne peut être obtenu par d'autres moyens. Il n'existe pas d'alternative à l'utilisation d'embryons humains car il n'existe pas de modèles mammifères connus reproduisant de manière spontanée les mutations de l'ADN mitochondrial correspondant aux maladies mitochondriales humaines. L'équipe de Julie Steffann a par ailleurs déjà mené des travaux sur l'ADN mitochondrial chez des modèles animaux (souris, singe) et chez l'être humain, démontrant la différence du taux d'hétéroplasmie mitochondriale entre la souris et l'homme. Les modèles artificiels ne reproduisent pas fidèlement l'évolution du taux d'hétéroplasmie mitochondriale au cours du développement embryonnaire.
S'agissant de l'analyse des conséquences possibles d'un transfert de pronucléus dans le zygote dans le cadre d'une stratégie thérapeutique des maladies mitochondriales (3e partie du programme), le conseil d'orientation constate que si cette étude devrait être menée dans l'idéal sur des zygotes à deux pronucléi, compte tenu du trop faible nombre de zygotes congelés donnés à la recherche pour pouvoir répondre à cette problématique, la recherche ne sera menée que sur des zygotes anormaux, triploïdes (trois pronucléi), donc non transférables et non viables. Les couples, informés par le laboratoire de biologie de la reproduction de l'Hôpital Antoine Béclère ont donné leur consentement à ce que ces zygotes soient cédés à la recherche. Ils seront répartis en trois groupes (15 au total) :
- des zygotes dans lesquels auront été retirés les trois pronucléi pour les remplacer par deux pronucléi issus d'un zygote triploïde afin de reconstituer la situation telle qu'elle prévaudra dans la démarche thérapeutique ;
- un premier groupe contrôle dans lesquels seront retirés des zygotes trois pronucléi avant d'en replacer deux afin de vérifier que la technique de retrait et d'insertion n'est pas source d'altération ;
- un second groupe contrôle où les zygotes triploïdes se verront retirer un pronucléus.
Après culture jusqu'au stade blastocyste, l'équipe de Julie Steffann analysera leur transcriptome à la recherche d'une éventuelle modification de la régulation de l'expression de certains groupes de gènes.
Le conseil d'orientation rappelle que l'article L. 2151-2 du code de la santé publique interdit la conception in vitro d'embryons à des fins de recherche ainsi que la création d'embryons transgéniques ou chimériques. Les dispositions précitées, comme les dispositions de l'article L. 2151-5 du même code, interdisent ainsi la conception in vitro à des fins de recherche. Ceci ne concerne pas le transfert de pronucléi d'un zygote donneur vers un zygote receveur, conçu in vitro à des fins de d'assistance médicale à la procréation et donnés pour la recherche par les membres du couple.
Le demandeur apporte les éléments suffisants concernant la pertinence scientifique du projet de recherche d'une part, et ses conditions de mise en œuvre au regard des principes éthiques d'autre part. Il justifie en particulier que le projet sera mené dans le respect des principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines mentionnés notamment aux articles L. 2151-1 et suivants du code de la santé publique, relatifs à la conception et à la conservation des embryons fécondés in vitro, ainsi qu'aux articles 16 et suivants du code civil et aux articles L. 1211-1 et suivants du code de la santé publique relatifs au respect du corps humain, et que ces cellules ont été obtenues conformément aux conditions législatives et réglementaires mentionnés notamment aux articles L. 2141-3, L. 2151-5 et suivants et R. 2151-1 et suivants du code de la santé publique.
Les titres, diplômes, expérience et travaux scientifiques fournis à l'appui de la demande permettent de s'assurer des compétences du responsable de la recherche et des membres de l'équipe en la matière. Le projet de recherche associe trois équipes : le laboratoire de recherche (UMR 1163) sur la génétique des maladies mitochondriales du Groupe hospitalier Necker-Enfants Malades à Paris (auquel appartient le Professeur Julie Steffann), le laboratoire de biologie de la reproduction de l'Hôpital Antoine Béclère (Groupe hospitalier Paris Sud) à Clamart (où exerce le Professeur Nelly Achour-Frydman), et une unité de recherche du CNRS (trafic intracellulaire d'ARN et maladies mitochondriales) à Strasbourg (dans laquelle évolue le Docteur Ivan Tarasov et Nina Entelis). L'association de ces trois équipes, toutes reconnues internationalement dans leur domaine, comme en témoignent les publications mentionnées dans la demande d'autorisation, est tout à fait adaptée pour mener à bien ce projet. Elles bénéficient d'une longue expérience de collaboration entre elles.
Les personnels et les financements sont acquis et les structures sont pérennes.
Enfin, les locaux, matériels, équipements, procédés et techniques sont adaptés à l'activité de recherche envisagée. Cette recherche sera effectuée dans des conditions permettant de garantir la sécurité des personnes exerçant une activité professionnelle sur le site, le respect des dispositions applicables en matière de protection de l'environnement, le respect des règles de sécurité sanitaire ainsi que la sécurité, la qualité et la traçabilité des cellules embryonnaires. Les conditions matérielles de sécurité, de conservation, d'accès, de transferts, de locaux dédiés, de sécurisation desdits locaux, de désinfection, la qualité de l'ensemble des plateaux techniques sont parfaitement décrites et n'ont fait l'objet d'aucune réserve de la part de la mission d'inspection de l'Agence de la biomédecine dans son rapport et à l'occasion de sa visite sur place le 9 avril 2021. Le laboratoire dispose des équipements nécessaires à la mise en œuvre de ce protocole de recherche dans des conditions optimales,
Décide :